DT/SB
Numéro 18/02177
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 14/06/2018
Dossier : 15/04412
15/04507
Nature affaire :
Demande de prise en charge au titre des A.T.X... ou en paiement de prestations au titre de ce risque
Affaire :
SAS EUROSTYLE SYSTEMS CHATEAUROUX
C/
Catherine Y...,
CPAM DES LANDES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 14 Juin 2018, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 21 Mars 2018, devant :
Madame THEATE, Président
Madame COQUERELLE, Conseiller
Madame NICOLAS, Conseiller
assistées de Madame HAUGUEL, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
SAS EUROSTYLE SYSTEMS CHATEAUROUX
[...]
Représentée par la SCP ARGO, avocats au barreau de PARIS
INTIMÉES :
Madame Catherine Y..., épouse de Monsieur Jean-Luc Y... et représentant légal de Mademoiselle Laurie Y... et Monsieur Théo Y..., les enfants de Monsieur Y...
[...]
Représentée par la SELARL TRUNO & ASSOCIES, avocats au barreau de CUSSET/VICHY
CPAM DES LANDES
[...]
Représentée par AL BREUSSIN, responsable des Affaires Juridiques
sur appel de la décision
en date du 16 NOVEMBRE 2015
rendue par le TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : 2014.0010
Monsieur Jean-Luc Y... a été engagé par la SAS EUROSTYLE SYSTEMS CHATEAUROUX en qualité de responsable qualité, statut cadre le 06 septembre 2011.
Par lettre remise en main propre le 13 mars 2013, l'employeur a convoqué ce salarié à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu'au licenciement et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.
Monsieur Jean-Luc Y... a quitté la société le jour même, à 14h15, et a mis fin à ses jours, dans la nuit du 13 au 14 mars 2013, à son domicile [...].
Son corps n'a été retrouvé que cinq jours plus tard le 18 mars 2013 à 15h00.
Madame Catherine Y..., sa veuve, a établi une déclaration d'accident du travail le 2 avril 2013 pour faire reconnaître le suicide de son mari comme accident du travail.
Le 24 mai 2013, le médecin-conseil de la caisse a donné un avis défavorable d'ordre médical, considérant que le décès n'était pas imputable à un accident du travail.
Madame Catherine Y... a été informée par lettre du 17 juin 2013 que la caisse ne prendrait pas en charge le décès de son époux dans le cadre de la législation relative aux risques professionnels.
À la demande de l'ayant droit, une expertise médicale a eu lieu le 26 septembre 2013. L'expert a conclu à l'absence de lien entre le décès et le travail.
Par lettre du 29 octobre 2013, la caisse a notifié à Madame Catherine Y... son refus de prise en charge, en tant qu'accident du travail, du suicide de Monsieur Jean-Luc Y....
La commission de recours amiable a confirmé la décision de la caisse le 10 décembre 2013.
Madame Catherine Y..., agissant à son nom personnel et au nom de ses deux enfants mineurs, a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale par requête du 9 janvier 2014 pour faire reconnaître le suicide de son époux comme accident du travail.
Par jugement du 16 novembre 2015, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Landes a :
* déclaré le recours formé par Madame Catherine Y... recevable ;
* débouté Madame Catherine Y... de sa demande tendant à faire déclarer irrecevables les conclusions établies par le docteur Z... le 26 septembre 2013 ;
* ordonné à la CPAM des LANDES de prendre en charge le décès de Monsieur Jean-Luc Y... au titre de la législation professionnelle ;
* ordonné à la CPAM des LANDES de liquider les droits de Madame Catherine Y... et de ses enfants mineurs au titre de la rente accident du travail et du capital décès ;
* ordonné à la CPAM des LANDES de verser à Madame Catherine Y... la somme de 1.543 € au titre des frais funéraires ;
* condamné la CPAM des LANDES et la SAS EUROSTYLE SYSTEMS CHATEAUROUX à verser chacune, la somme de 500 € à Madame Catherine Y... sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 27 novembre 2015, la SAS EUROSTYLE SYSTEMS CHATEAUROUX a interjeté appel de ce jugement, dans des conditions de régularité qui ne sont pas discutées.
La CPAM des LANDES a également fait appel de cette décision le 3 décembre 2015.
Les deux procédures d'appel qui ont trait au même différend, au même jugement et qui opposent les mêmes parties seront jointes.
Dans le dernier état de ses conclusions enregistrées au greffe le 5 février 2018, reprises oralement à l'audience de plaidoiries du 21 mars 2018 et auxquelles, il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, la SAS EUROSTYLE SYSTEMS CHATEAUROUX demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel, et statuant à nouveau :
* de juger que le suicide de Monsieur Jean-Luc Y... le 14 mars 2013, n'a pas de caractère professionnel ;
* de débouter en conséquence Madame Catherine Y... et ses enfants : Madame Laurie Y... et Monsieur Théo Y... de l'intégralité de leurs demandes ;
* de condamner Madame Catherine Y... et ses enfants Madame Laurie Y... et Monsieur Théo Y... au versement d'une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
****************
Par conclusions enregistrées au greffe le 28 novembre 2017, reprises oralement à l'audience du 21 mars 2018, la CPAM des LANDES demande à la cour d'infirmer le jugement dont appel, et statuant à nouveau :
* de constater que le suicide de Monsieur Jean-Luc Y... n'est pas survenu par le fait du travail ;
* de confirmer en conséquence la décision de la commission de recours amiable du 10 décembre 2013 en ce qu'elle a maintenu la décision de la CPAM des LANDES de ne pas prendre en charge le décès de Monsieur Jean-Luc Y... au titre de la législation professionnelle ;
* de débouter les ayants droit de Monsieur Jean-Luc Y... de l'ensemble de leurs demandes.
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Par conclusions enregistrées au greffe le 22 janvier 2018, reprises oralement à l'audience du 21 mars 2018 et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des prétentions et moyens Madame Catherine Y..., Madame Laurie Y... et Monsieur Théo Y..., demandent à la cour de confirmer le jugement dont appel, en tous points et :
* de juger que l'expertise amiable sur pièce menée par la caisse viole le principe du contradictoire ;
* de juger que les résultats de cette expertise sont irrecevables ;
* de juger que la surcharge de travail, la remise d'une convocation entretien préalable assortie d'une mise à pied conservatoire et les circonstances de cette remise, sont la cause du suicide de Monsieur Jean-Luc Y... ;
* de juger que la preuve du lien de causalité entre suicide et travail est rapportée;
* de juger que le suicide est un accident du travail ;
* de faire droit en conséquence aux demandes des ayants droit de Monsieur Jean-Luc Y... ;
* de condamner la caisse au paiement des sommes suivantes :
- 17.187,88 € au titre de la rente accident du travail au bénéfice de Madame Catherine Y... ;
- 10.742,32 € au titre de la rente accident du travail pour chacun des deux enfants;
- 7.697,70 € au titre du capital décès auquel ont droit Madame Catherine Y... et ses deux enfants ;
- 1.543 € au titre du remboursement des frais funéraires ;
- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la jonction
Il convient d'ordonner la jonction des deux procédures d'appel engagées par la CPAM des LANDES d'une part, la SAS EUROSTYLE SYSTEMS CHATEAUROUX d'autre part, qui sont liées et qui ont trait au même jugement.
Sur l'opposabilité du rapport d'expertise du Docteur Z... du 26 septembre 2013
Madame Catherine Y... conteste tout d'abord avoir désigné le Docteur A... en tant que praticien traitant susceptible de l'assister lors des opérations d'expertise, mais déclare s'en être satisfaite. Celui-ci n'étant pas disponible le jour retenu par le Dr Z... pour réaliser l'expertise, elle aurait été informée que l'exécution de cette mesure serait reportée. Aucune nouvelle date ne lui a cependant été communiquée et l'expertise a eu lieu hors sa présence et celle du Dr A..., en méconnaissance du principe du contradictoire, l'expert n'ayant pu remédier à cette cause de nullité par la convocation ultérieure qui lui a été adressée ainsi qu'au Dr A..., dès lors que son opinion était déjà faite.
La SAS EUROSTYLE SYSTEMS CHATEAUROUX et la CPAM des LANDES reprennent sur ce point la motivation du jugement qui a écarté le moyen tiré par Madame Catherine Y... de l'atteinte à ses droits, lors des opérations d'expertise.
Il convient de relever la totale contradiction existant entre les demandes énoncées:
- dans le dispositif des conclusions de Madame Catherine Y... et de ses enfants qui demandent à la cour :
* à la fois de confirmer le jugement dont appel, 'en tous points' sachant que le premier juge a 'débouté Madame Catherine Y... de sa demande tendant à déclarer irrecevables les conclusions établies par le Docteur Z... le 26 septembre 2013";
* et de juger que l'expertise amiable sur pièce menée par la caisse viole le principe du contradictoire et que les résultats de cette expertise sont irrecevables ;
- dans le corps des conclusions soutiennent que 'cette opération d'expertise doit tout simplement être annulée puisqu'elle n'a pas permis de garantir le respect des droits de la défense' ;
qui placent la partie adverse de développer ses moyens de défense et la cour dans l'impossibilité de déterminer l'objet de l'appel incident.
En tout état de cause et en admettant que les intimés reprennent en appel le moyen qu'ils avaient soulevé en première instance, force est de constater que leur demande tendant à l'irrecevabilité voire à la nullité du rapport d'expertise du Docteur Z... n'est pas fondée dès lors que :
- les intimés ne contestent pas que Madame Catherine Y..., alors prise tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante de ses enfants mineurs, et le Docteur A... -, désigné le 29 juillet 2013, par la CPAM des LANDES, sans observation de l'intimée, comme praticien traitant - ont été régulièrement informés de la réunion d'expertise fixée au 26 septembre 2013 à 15h et invités à s'y présenter conformément aux dispositions de l'article R 141-4 du Code de la sécurité sociale ;
- ni Madame Catherine Y..., ni son médecin traitant ne justifient ni d'ailleurs ne soutiennent sérieusement (voir attestation du Docteur A... du 17 janvier 2018) avoir sollicité, avant la date à laquelle il avait été fixé, le report de ce rendez-vous ;
- le Docteur Z..., expert amiable, n'avait été informé qu'après le 26 septembre 2013 de ce que Madame Catherine Y... n'avait pu se rendre aux opérations d'expertise ;
- l'expert a organisé une nouvelle réunion, alors qu'il n'en avait pas l'obligation, le 19 octobre 2013 à laquelle tant Madame Catherine Y... que le Docteur A... étaient présents et ont pu exprimer leur position et déposer des pièces.
Le jugement dont appel est en conséquence confirmé en ce qu'il a considéré que le rapport d'expertise du Docteur Z... du 26 septembre 2013 a été rendu au terme d'une procédure régulière et qu'il est opposable à Madame Catherine Y....
Sur le caractère accidentel du suicide
La CPAM des LANDES fait valoir que le suicide de Monsieur Jean-Luc Y... n'est pas le résultat d'une impulsion irraisonnée d'un individu qui n'était plus en pleine possession de ses facultés mentales mais la conséquence d'une décision raisonnée et réfléchie, ce qu'elle déduit de la lettre rédigée par Monsieur Jean-Luc Y... avant son décès.
Or, selon l'article L 453-1 alinéa 1 du Code de la sécurité sociale 'ne donne lieu à aucune prestation ou indemnité, en vertu du présent livre, l'accident résultant de la faute intentionnelle de la victime.'
L'intention de commettre l'acte à l'origine du décès exclut en conséquence la prise en charge au titre de la législation professionnelle.
En l'espèce, il est établi que Monsieur Jean-Luc Y..., était confronté depuis plusieurs mois à des obsessions à caractère sexuel sur lesquelles il ne s'était jamais exprimé ni n'avait apparemment consulté mais qui au vu de l'importance de la visite des sites spécialisés auxquels il se consacrait, parfois plusieurs heures par jour, devenait, sur le plan personnel et professionnel, un problème majeur ce dont il avait parfaitement conscience et qu'exprime la lettre qu'il a rédigée avant de mettre fin à ses jours :
'en effet j'ai certainement un problème grave, je ne sais pas mais qui me conduit aujourd'hui à ce geste pas forcément désespéré mais qui mettra un terme à mes problématiques et décisions.'
La suite de cette lettre au demeurant parfaitement cohérente et dépourvue de termes excessifs confirme le caractère intentionnel et mûrement réfléchi du geste de Monsieur Y... :
'Aujourd'hui le 13/03/13 je suis au bout du chemin et quelque soit la décision qui sera prise, j'ai pris la mienne.
Je n'ai pas fait de choses irréprochables mais je suis content à ce jour d'être au pied du mur. Ayant fait un retour sur ma vie je pense qu'il est bon de l'arrêter ce jour'
Comme l'avait d'ailleurs exprimé Madame Catherine Y..., son époux n'était pas dépressif ni atteint d'une maladie psychiatrique qui aurait pu porter atteinte à son libre arbitre.
Bien que quelques heures seulement séparent la remise de la lettre de convocation à son entretien préalable et de mise à pied conservatoire, de son geste fatal, le choc émotionnel occasionné par cet événement n'a pas non plus annihilé les facultés de raisonnement de ce salarié qui n'a d'ailleurs manifesté aucune réaction physique ou affective à son annonce comme en attestent le directeur de l'entreprise et le responsable des ressources humaines qui lui ont remis ces documents, même si l'on peut admettre qu'il a constitué un élément déclenchant de sa décision.
Enfin, si les circonstances de la découverte du corps attestent que Monsieur Jean-Luc Y... avait consommé une quantité importante d'alcool la cohérence de la lettre qu'il a rédigée démontre que cette ingestion n'a en rien interféré dans sa prise de décision, tout au plus facilité un passage à l'acte prédéterminé.
Le suicide de Monsieur Jean-Luc Y... découlant d'une décision réfléchie ne répond donc pas à la qualification 'd'accident' et ne peut en conséquence être pris en charge au titre de la législation professionnelle sur les accidents du travail.
Dès lors et sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur le lien avec l'activité professionnelle de celui-ci, il y a lieu d'infirmer le jugement dont appel et de débouter Madame Catherine Y... et ses enfants de l'ensemble de leurs demandes.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Les demandes formées à ce titre sont rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement contradictoirement en dernier ressort et par arrêt mis à disposition au greffe :
ORDONNE la jonction, sous le numéro le plus ancien, des procédures enregistrées sous numéros 15-4412 et 15-4507 ;
CONFIRME le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré le recours formé par Madame Catherine Y... recevable et débouté la requérante de sa demande tendant à faire déclarer irrecevables les conclusions établies par le docteur Z... le 26 septembre 2013 ;
L'INFIRME pour le surplus ;
DIT que le suicide de Monsieur Jean-Luc Y... est la conséquence d'une décision raisonnée et réfléchie, et qu'il ne constitue donc pas un accident du travail ;
DÉBOUTE les consorts Y... de l'ensemble de leurs prétentions ;
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,