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06/10/2016 | FRANCE | N°14/01937

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 06 octobre 2016, 14/01937


DT/SB



Numéro 16/03746





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 06/10/2016









Dossier : 14/01937





Nature affaire :



Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution















Affaire :



SARL T3M SEGMATEL



C/



[Y] [D]
















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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 06 Octobre 2016, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code...

DT/SB

Numéro 16/03746

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 06/10/2016

Dossier : 14/01937

Nature affaire :

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

Affaire :

SARL T3M SEGMATEL

C/

[Y] [D]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 06 Octobre 2016, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 20 Juin 2016, devant :

Madame THEATE, Président

Monsieur GAUTHIER, Conseiller

Madame COQUERELLE, Conseiller

assistés de Madame HAUGUEL, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

SARL T3M SEGMATEL

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Maître LALANNE de la SCP LALANNE-JACQUEMAIN LALANNE, avocat au barreau de DAX

INTIME :

Monsieur [Y] [D]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Maître ZILIOTTO, avocat au barreau de BORDEAUX

sur appel de la décision

en date du 15 MAI 2014

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONT DE MARSAN

RG numéro : F 12/00112

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La SARL T3M SEGMATEL est une société de téléphonie.

Le 13 juin 2005, Monsieur [Y] [D] a été engagé par cette société en contrat à durée indéterminée, en qualité de monteur câbleur niveau 2 coefficient 185 de la Convention collective nationale du bâtiment.

Par lettre du 14 novembre 2009 adressée à son employeur, Monsieur [Y] [D] a réclamé le paiement d'heures supplémentaires, fait part de son refus de nouvelles conditions de travail et dénoncé le comportement agressif et injurieux de Monsieur [V] [E] à son égard. Le salarié a été placé en arrêt de travail à partir du 20 novembre 2009 jusqu'au 03 janvier 2010.

Il a déposé plainte pour harcèlement moral à l'encontre de son employeur le 11 décembre 2009.

Le 04 janvier 2010, le médecin du travail a déclaré Monsieur [Y] [D] inapte à la reprise et à son poste de travail, à tout poste dans l'entreprise en une seule visite sur le fondement de l'article R 4624-31 du Code du travail.

Le 13 janvier 2010, la SARL T3M SEGMATEL a sollicité du médecin du travail une suggestion de reclassement. Le 09 février 2010, elle a convoqué Monsieur [Y] [D] à un entretien préalable en vue de son licenciement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 février 2010 elle a notifié son licenciement à Monsieur [Y] [D] pour inaptitude.

Monsieur [Y] [D] a saisi le 02 août 2012 le conseil des prud'hommes de MONT DE MARSAN, section industrie, pour obtenir l'indemnisation de ce licenciement qu'il considérait comme sans cause réelle et sérieuse. Dans ses dernières conclusions devant le conseil des prud'hommes, il demandait que le licenciement soit déclaré nul sur le fondement de l'article L 1152-3 du Code du travail et que l'employeur soit condamné à lui payer les sommes de 20.891,52 € à titre de dommages et intérêts et de 3.830,11 € à titre d'indemnité de préavis outre les congés payés y afférents. Subsidiairement, il concluait au paiement des mêmes montants sur le fondement du manquement de l'employeur à son obligation de recherche de reclassement. Toujours subsidiairement, mais sur le fondement du manquement de l'employeur à l'exécution de bonne foi du contrat de travail, il sollicitait la condamnation de la SARL T3M SEGMATEL au paiement des sommes de 25.207,56 € à titre de dommages et intérêts et de 2.310,69 € à titre d'indemnité de préavis et congés payés y afférents , de 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour détérioration de son état de santé du fait du comportement fautif de l'employeur. Il réclamait enfin la condamnation de l'employeur aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 2.000 €.

La SARL T3M SEGMATEL a conclu au débouté et à la condamnation de la demanderesse aux entiers dépens ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure de 1.500 €.

Par jugement du 15 mai 2014, le conseil des prud'hommes de MONT DE MARSAN, en formation paritaire, a :

* dit que Monsieur [Y] [D] avait fait l'objet d'un licenciement nul ;

* condamné la SARL T3M SEGMATEL à lui payer les montants suivants :

- 10.445,76 € sur le fondement de l'article L 1235-5 du Code du travail ;

- 3.481,92 € sur le fondement de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 348,19 € au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis ;

* condamné la SARL T3M SEGMATEL au paiement d'une somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

* débouté Monsieur [Y] [D] pour le surplus ainsi que la SARL T3M SEGMATEL de sa demande reconventionnelle et condamné cette dernière aux dépens de l'instance et aux frais d'exécution.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 mai 2014, l'avocat de la SARL T3M SEGMATEL a interjeté appel de ce jugement au nom et pour le compte de son client à qui il avait été notifié le 17 mai 2014.

Selon conclusions récapitulatives enregistrées le 30 mai 2016 et reprises oralement à l'audience du 20 juin 2016, la SARL T3M SEGMATEL demande à la cour de réformer le jugement dont appel, de débouter Monsieur [Y] [D] de l'intégralité de ses demandes, de le condamner aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 2.000 €.

Sur le harcèlement moral

La SARL T3M SEGMATEL soutient que la preuve des éléments propres à établir un harcèlement moral n'est pas rapportée par le salarié. Elle rappelle que la plainte qu'il avait déposée s'est soldée par un classement sans suite, aucun fait de harcèlement moral n'ayant pu être établi à l'encontre de Monsieur [V] [E], qu'à la suite de l'audition de tous les salariés de la société, les conclusions de l'inspecteur du travail ont été identiques.

L'appelante ajoute que les pièces versées aux débats par Monsieur [Y] [D], qui sont pour l'essentiel des attestations de complaisance, dépourvues d'objectivité et de crédibilité, sont inopérantes, qu'elles sont en tout état de cause contredites par les attestations circonstanciées et concordantes qu'elle produit. Elle ajoute qu'à la suite du départ de Monsieur [Y] [D] et de Madame [T] [Y] l'entreprise a retrouvé sa sérénité.

Sur la modification des conditions de travail également invoquée au titre du harcèlement moral, la SARL T3M SEGMATEL fait valoir qu'elle ne peut être qualifiée de faute imputable à l'employeur, qu'elle était motivée par la crainte que Monsieur [Y] [D] ne dénigre l'entreprise auprès des clients à la suite de l'incident du 6 novembre 2009. De plus, l'affectation de Monsieur [Y] [D] au POI c'est à dire au câblage extérieur ne constituait pas une modification du contrat de travail et entrait tout à fait dans les fonctions de monteur câbleur de Monsieur [Y] [D], le retrait de la carte bleue du téléphone dont Monsieur [Y] [D] n'avait plus l'utilité ne constituant qu'une conséquence du changement de poste. Ces circonstances ne pouvaient donc être retenues comme caractérisant une discrimination ou un harcèlement moral.

La SARL T3M SEGMATEL en déduit que le conseil des prud'hommes a retenu à tort les arguments du salarié sans même établir un lien avec l'inaptitude ni caractériser des actes réitérés et que le jugement dont appel mérite dans ces conditions d'être infirmé.

Sur l'obligation de reclassement la SARL T3M SEGMATEL s'interroge sur le souhait de Monsieur [Y] [D] de réintégrer l'entreprise et affirme avoir respecté ses obligations notamment en interrogeant le médecin du travail dont la réponse a été sans ambiguïté.

En tout état de cause, la SARL T3M SEGMATEL conteste le montant de l'indemnité allouée sans la moindre justification.

Par conclusions enregistrées au greffe le 31 mai 2016, Monsieur [Y] [D] demande à la cour de :

* confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement dont il avait fait l'objet était nul et condamné la SARL T3M SEGMATEL à lui payer les indemnités légales de licenciement, compensatrice de préavis et de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis ;

* de le réformer pour le surplus et statuant à nouveau sur le fondement de l'article L 1235-5 du Code du travail :

* de condamner la SARL T3M SEGMATEL à lui payer la somme de:

- 20.891,52 € du fait de la nullité du licenciement ;

- 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.

* Subsidiairement, sur le fondement du licenciement abusif du fait du manquement de l'employeur à l'obligation d'exécution de bonne foi d'une part, du manquement de la SARL T3M SEGMATEL à son obligation de reclassement, d'autre part, Monsieur [Y] [D] conclut à la condamnation de la SARL T3M SEGMATEL au paiement des mêmes montants à savoir :

- 20.891,52 € soit 12 mois de salaires sur le fondement de l'article L 1235-5 du Code du travail ;

- 3.481,92 € sur le fondement de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 348,19 € au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.

- 2.000 € sur le fondement de l'article 700 et aux entiers dépens

Sur la nullité du licenciement

Monsieur [Y] [D] soutient que le harcèlement moral dont il a été victime de la part de l'employeur est consécutif à une altercation que sa compagne, Madame [T] [Y], a eu avec l'un des co-gérant, elle-même étant victime de harcèlement moral depuis le mois de septembre 2009 de la part de l'employeur, convaincu qu'elle était l'auteur de lettres anonymes envoyées à l'inspection du travail pour dénoncer les conditions de travail au sein de l'entreprise. C'est ainsi qu'à compter du 06 novembre 2009 il a fait l'objet d'injures, menaces (y compris de mort), brimades telles : la suppression de la carte bleue, du téléphone professionnel, du badge, des clés donnant accès aux boîtiers professionnels, le transfert sur un poste POI correspondant pour lui à une rétrogradation. Ces agissements n'ont pas cessé après l'envoi, le 14 novembre 2009, d'une lettre dénonçant ces agissements qui est restée sans effet ni réponse de la part de la SARL T3M SEGMATEL.

Il affirme que les attestations de salariés produites pour la première fois devant la cour sont dépourvues de valeur probante au regard du lien de subordination liant leurs auteurs à la SARL T3M SEGMATEL et du comportement de cette dernière, alors que les attestations qu'il produit sont à l'inverse précises, concordantes et circonstanciées. Pour Monsieur [Y] [D] l'employeur ne peut pas non plus tirer avantage du classement sans suite de la plainte pour harcèlement moral qui n'altère pas son droit d'en faire la démonstration devant les juridictions civiles et ce d'autant moins que l'enquête pénale révèle le climat tendu régnant dans l'entreprise et le non-respect des règles de sécurité ayant occasionné de graves accidents.

Il expose que ces agissements l'ont contraint à des arrêts de travail qui sont la conséquence directe du comportement de l'employeur même s'ils n'ont pas été pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail.

Sur le préjudice, il expose qu'il est resté sans emploi jusqu'en 2012 et qu'il a perdu 7.825,82 € de revenus.

Subsidiairement, Monsieur [Y] [D] reprend les mêmes faits sous la qualification de manquement à l'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi, et l'atteinte portée à sa santé qui est résultée de ces manquements. Il considère enfin et en tout état de cause que la SARL T3M SEGMATEL a manqué à son obligation de recherche de reclassement qui se sont limitées à la consultation du médecin du travail.

MOTIFS

Sur le harcèlement moral

Le harcèlement moral est caractérisé par des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des dispositions des articles L.1152-1, L.1152-2 et L.1154-1 du code du travail, que dès lors que le salarié établit la matérialité de faits constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'occurrence, Monsieur [Y] [D] expose qu'à la suite de l'altercation ayant opposé, le 06 novembre 2009, sa compagne salariée de la SARL T3M SEGMATEL, à Monsieur [V] [E] co-dirigeant de cette société, il a fait l'objet de brimades, menaces, insultes et déclassification de la part de Monsieur [V] [E], au point qu'il a été contraint d'adresser une lettre le 14 novembre 2009 pour dénoncer ses conditions de travail.

Monsieur [Y] [D] produit cette lettre dans laquelle il évoque :

* une interdiction d'accéder au bureau et à la photocopieuse le 10 novembre 2009 ainsi que des menaces ('ici tu es chez moi, tu as intérêt à m'obéir et je ne le répéterai pas' ) ;

* des insultes et menaces réitérées le 12 novembre 2009, la suppression de ses outils de travail : carte bleue professionnelle, téléphone professionnel, badge professionnel et clés d'accès aux boîtiers centraux, armoires de France Télécom, affectation au service de POI.

Il ajoute que : Monsieur [V] [E] l'a menacé au téléphone alors qu'il était à son domicile, conversation dont témoigne M. [B] [I] présent ce jour-là ; que ce même dirigeant a contacté M. [J], ancien salarié de la SARL T3M SEGMATEL, pour le convaincre de témoigner contre lui et du fait de son refus, a lui-même été menacé ; M. [M] témoigne avoir été victime du même traitement que Monsieur [Y] [D] (menaces, intimidation, privation des outils de travail) pour être finalement licencié pour faute ; que M. [C], alors salarié de la SARL T3M SEGMATEL, s'est vu proposer les vêtements de travail de Monsieur [Y] [D] alors que celui-ci était en arrêt maladie au motif qu'il allait être renvoyé.

La SARL T3M SEGMATEL reconnaît la modification des conditions de travail qu'elle considère légitime mais conteste les insultes menaces et manoeuvres d'intimidation dont elle affirme qu'elles ne reposent que sur des attestations dépourvues de crédibilité.

Cependant, le classement sans suite de la plainte de Monsieur [F] [J], n'interdit pas à Monsieur [Y] [D] de se prévaloir de harcèlement moral dès lors qu'il est en mesure de justifier d'éléments avérés laissant présumer de son existence qui sont étayés par d'autres pièces.

Ainsi de l'attestation - rédigée conformément aux dispositions de l'article 202 du Code de procédure civile - de M. [B] [I], qui n'a jamais été au service de la SARL T3M SEGMATEL, que la partie appelante déclare ne pas connaître et qui a attesté de menaces téléphoniques claires et réitérées ('fait attention à toi, tu n'imagines même pas de quoi je suis capable', 'une fois les histoires finies il vous arrivera malheur et un de vous deux finira allongé' 'je vais tout faire pour te pourrir la vie jusqu'à ce que tu démissionnes je ne veux plus de toi dans mon entreprise' 'pour qui tu te prends saches que je connais des personnes et il t'arrivera malheur') ou de la suppression des outils de travail et du changement de poste que la SARL T3M SEGMATEL ne conteste pas et dont il sera relevé que ces événements sont concomitants.

Il importe d'ajouter qu'à la suite de ces faits, Monsieur [Y] [D] a été placé en arrêt de travail à compter du 20 novembre 2009 et la circonstance que la CPAM n'ait pas pris en charge cet arrêt au titre de la maladie professionnelle n'interdit pas au salarié de faire la démonstration que les agissements dont il a été victime ont entraîné une altération de sa santé ou compromis son avenir professionnel.

En l'occurrence, les symptômes décrits par le médecin traitant dans le certificat d'arrêt de travail sont suffisamment éloquents et révélateurs d'une dégradation plus ancienne. Or, si les médecin et thérapeute ne peuvent témoigner des conditions de travail de leur patient, la réalité du syndrome anxio-dépressif médicalement constaté n'est pas contestable par l'employeur, dès lors qu'il s'agit d'un avis médical. Il convient d'y ajouter l'avis du médecin du travail qui a déclaré le salarié inapte en une seule visite (article R 4624-31 al.2 du Code du travail ) à son poste de travail et à tout poste dans l'entreprise, mais pas inapte à tout travail puisque dans le même temps (voir dossier médical) Monsieur [Y] [D] envisageait un stage AFPA de 'Technicien de maintenance de machines industrielles' sur [Localité 1], ce qui établit incontestablement le lien entre l'inaptitude du salarié et ses conditions de travail au sein de la SARL T3M SEGMATEL.

L'ensemble de ces éléments permet de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

Il incombe dès lors à la SARL T3M SEGMATEL de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement, ce qu'elle ne peut à l'évidence faire pour les menaces.

S'agissant du changement de poste et du retrait brutal des instruments de travail la SARL T3M SEGMATEL invoque une altercation qui a opposé Monsieur [V] [E] à Monsieur [Y] [D], un matin, peu de temps après le 06 novembre 2009, sur le parking de la société, au cours de laquelle ce salarié aurait fait preuve d'insubordination et de véhémence à l'égard de son supérieur hiérarchique. La SARL T3M SEGMATEL expose qu'à la suite de cet incident elle aurait perdu confiance en son salarié et craint qu'il ne 'dénigre la société auprès de la clientèle'. Monsieur [Y] [D] a donc été affecté au POI, cette modification constituant un simple changement dans les conditions de travail et non une modification de son contrat. Elle précise, ce qui n'est pas contesté que Monsieur [Y] [D] a continué de percevoir son salaire antérieur.

Cependant, même une simple modification dans les conditions de travail du salarié, qui relève normalement du pouvoir de direction de l'employeur, peut être fautif et établir la preuve d'un harcèlement moral s'il est établi que ce changement constitue, comme en l'espèce, une mesure trouvant sa cause non dans les besoins et intérêts de l'entreprise mais dans une intention vexatoire de l'employeur.

En l'occurrence, il ressort des seules explications de la SARL T3M SEGMATEL que le retrait brutal des outils de travail de Monsieur [Y] [D] et son affectation tout aussi soudaine sur un poste moins valorisant constitue une mesure de rétorsion à la suite de l'incident ayant opposé le salarié à Monsieur [V] [E] à l'extérieur de l'entreprise. Les explications données par la SARL T3M SEGMATEL pour justifier sa décision (risque de dénigrement du salarié auprès de la clientèle) sont dépourvues de pertinence et ne reposent sur aucune pièce ou démonstration.

Or, en admettant que le comportement de Monsieur [Y] [D] ait pu être qualifié de fautif, il appartenait à l'employeur de prendre les mesures disciplinaires qui lui semblaient appropriées (avertissement, mise à pied, voire rétrogradation) selon les procédures légales prévues pour la mise en oeuvre de telles sanctions, ce que manifestement l'employeur, dont les explications ne se situent pas dans ce cadre, n'a pas fait.

Il en découle que la SARL T3M SEGMATEL ne démontre pas que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, en sorte que le harcèlement moral se trouve suffisamment établi.

Dès lors, et en application des articles L 1152-2 et L 1152-3 du Code du travail,

l'inaptitude déterminée par le harcèlement moral du salarié entraîne la nullité du licenciement dont elle est la cause.

Il en résulte qu'en application des articles L 1235-4, L 1235-5 et L 1152-3 du Code du travail Monsieur [Y] [D] est en droit d'obtenir :

* des dommages-intérêts pour licenciement nul d'un montant au moins égal aux salaires des six derniers mois, et ce quelle qu'ait pu être son ancienneté dans l'entreprise ;

* le versement d'une indemnité compensatrice de préavis (y compris l'indemnité de congés payés afférente) ;

* une indemnité spécifique du fait du non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul, les premiers juges ont accordé à Monsieur [Y] [D] l'équivalent de six mois de salaire (10.445,76 €). Outre l'ancienneté acquise dans l'entreprise, il ressort des pièces produites que Monsieur [Y] [D] est resté près de deux ans sans emploi à la suite de son licenciement par la SARL T3M SEGMATEL et ce alors même que les attestations établies par l'employeur et son supérieur hiérarchique dans l'entreprise attestent que Monsieur [Y] [D] était un professionnel compétent.

Au vu de ces éléments, il y a lieu d'infirmer le jugement sur le montant des dommages et intérêts alloués et de condamner la SARL T3M SEGMATEL à payer à Monsieur [Y] [D] une somme de 17.500 € à titre de réparation du préjudice causé par le licenciement nul dont il a fait l'objet.

Les sommes allouées par le conseil des prud'hommes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis, qui ne sont au demeurant pas discutées par la SARL T3M SEGMATEL, sont en revanche confirmées.

S'agissant de l'application de l'article L 1235-4 du Code du travail, le remboursement des indemnités chômage ne peut être ordonné que dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11 auxquels renvoie l'article L. 1235-4 de ce code, il ne peut donc l'être en cas de nullité du licenciement. Le jugement dont appel sera dès lors infirmé sur ce point.

Sur l'indemnité spécifiquement réclamée au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat, selon les articles L 4121-1et L 4121-2 du Code du travail, il incombe à l'employeur de mettre en oeuvre des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation afin de prévenir la réalisation de ces risques et à défaut, de les évaluer et de les combattre à la source.

Le harcèlement moral et plus généralement les risques psycho-sociaux figurent parmi les risques susceptibles de se réaliser quelque soit le type d'entreprise ou d'activité.

En l'occurrence, non seulement la SARL T3M SEGMATEL ne justifie et n'allègue d'aucune mesure de prévention, d'information et/ou de formation à la prévention pour ce type de risque, mais il ressort des écrits du médecin du travail, qu'alerté par ce dernier, aucune mesure n'a été mise en place par l'employeur - et plus précisément par le cogérant - pour prévenir le harcèlement moral dont Monsieur [Y] [D] était victime. La SARL T3M SEGMATEL n'a pas non plus réagi à la lettre que lui a envoyée le salarié et à laquelle elle n'a pas même jugé opportun de répondre.

Les certificats médicaux produits établissent la réalité de la souffrance qui en est résulté pour le salarié et qui justifie à ce titre la condamnation de la SARL T3M SEGMATEL à lui verser une indemnité de 3.500 €.

Sur les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

Il appartient à la SARL T3M SEGMATEL qui succombe de supporter la charge des dépens de l'instance et de verser à Monsieur [Y] [D] une indemnité de procédure de 1500 €, la demande de la SARL T3M SEGMATEL sur le même fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe et en dernier ressort ;

CONFIRME le jugement du conseil des prud'hommes de MONT DE MARSAN du 15 mai 2014 en ce qu'il a dit que le licenciement de Monsieur [Y] [D] était nul en raison du harcèlement moral dont ce salarié avait été victime et condamné la SARL T3M SEGMATEL à lui payer les sommes de 3.481,92 € (trois mille quatre cent quatre vingt un euros et quatre vingt douze centimes) sur le fondement de l'indemnité compensatrice de préavis, 348,19 € (trois cent quarante huit euros et dix neuf centimes) au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis ; et en ce qu'il a condamné l'employeur aux dépens de l'instance et au paiement d'une indemnité de procédure de 1.000 € (mille euros) ;

L'INFIRME pour le surplus ;

ET STATUANT À NOUVEAU :

CONDAMNE la SARL T3M SEGMATEL à payer à Monsieur [Y] [D] la somme de 17.500 € (dix sept mille cinq cents euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

Y AJOUTANT :

CONDAMNE la SARL T3M SEGMATEL à payer à Monsieur [Y] [D] une somme de 3.500 € (trois mille cinq cents euros) à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat ;

CONDAMNE la SARL T3M SEGMATEL aux dépens de l'instance d'appel et à payer à Monsieur [Y] [D] une indemnité de procédure de 1.500 € (mille cinq cents euros).

Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 14/01937
Date de la décision : 06/10/2016

Références :

Cour d'appel de Pau 3S, arrêt n°14/01937 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-10-06;14.01937 ?
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