DT/CD
Numéro 16/03745
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 06/10/2016
Dossier : 14/01936
Nature affaire :
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
Affaire :
SARL T3M SEGMATEL
C/
[P] [D]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 06 Octobre 2016, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 20 Juin 2016, devant :
Madame THEATE, Président
Monsieur GAUTHIER, Conseiller
Madame COQUERELLE, Conseiller
assistés de Madame HAUGUEL, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
SARL T3M SEGMATEL
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Maître LALANNE de la SCP LALANNE-JACQUEMAIN LALANNE, avocat au barreau de DAX
INTIMÉE :
Madame [P] [D]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Maître ZILIOTTO, avocat au barreau de BORDEAUX
sur appel de la décision
en date du 15 MAI 2014
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : F 12/00111
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Madame [P] [D] a été engagée par contrat à durée indéterminée du 13 mai 2008, par la SARL T3M SEGMATEL en qualité d'aide-comptable à temps partiel.
Par avenant du 18 juillet 2008, le temps de travail a été porté à 99,67 heures par mois pour un salaire de 1.380,43 € bruts, puis le 1er avril 2009, elle a bénéficié d'un temps plein pour 2.100,63 € bruts mensuel.
Au cours du second semestre de l'année 2009, plusieurs lettres de dénonciation des conditions de travail imposées aux salariés de cette entreprise ont été envoyées à la Direction Départementale du Travail.
Le 6 novembre 2009, Madame [P] [D] a adressé à son employeur une lettre dans laquelle elle évoquait les agissements de Monsieur [U] [I] à son égard : le même jour, une altercation grave avait eu lieu avec ce dernier, en présence du médecin du travail, à la suite de laquelle la salariée avait été envoyée chez son médecin et placée en arrêt de travail jusqu'au 22 novembre 2009, prolongé jusqu'au 15 janvier 2010.
Madame [P] [D] a porté plainte contre son employeur pour harcèlement moral.
Le 18 janvier 2010, lors de la visite médicale de reprise, Madame [P] [D] a été déclarée inapte à tout poste dans l'entreprise en une seule visite sur le fondement de l'article R. 4624-31 du code du travail.
La salariée a été convoquée par lettre du 1er février 2010 à un entretien préalable.
Elle a été licenciée pour cause d'inaptitude par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 février 2010.
A la suite d'un rapport d'enquête du 13 janvier 2010, la CPAM a refusé de prendre en charge l'accident au titre de la législation professionnelle (notification du 28 janvier 2010). Madame [P] [D] a saisi la commission de recours amiable qui, le 24 février 2010, a décidé d'accorder la prise en charge sollicitée.
Le 1er août 2012, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Mont de Marsan, section industrie, pour obtenir l'indemnisation de ce licenciement qu'elle considérait comme sans cause réelle et sérieuse. Aux termes de ses dernières conclusions devant le conseil de prud'hommes, elle a demandé que le licenciement soit déclaré nul sur le fondement de l'article L. 1152-3 du code du travail et que l'employeur soit condamné à lui payer les sommes de 25.207,56 € à titre de dommages et intérêts et de 2.310,69 € à titre d'indemnité de préavis et congés payés y afférents. Elle a également sollicité la condamnation de l'employeur aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 2.000 €.
La SARL T3M SEGMATEL a conclu au débouté et à la condamnation de la demanderesse aux entiers dépens ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure de 1.500 €.
Par jugement du 15 mai 2014, auquel il conviendra de se reporter pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, le conseil de prud'hommes de Mont de Marsan, en formation paritaire, a :
* dit que Madame [P] [D] avait fait l'objet d'un licenciement nul ;
* condamné la SARL T3M SEGMATEL à lui payer les montants suivants :
- 12.603,78 € sur le fondement de l'article L. 1235-5 du code du travail ;
- 2.100,63 € sur le fondement de l'indemnité compensatrice de préavis ;
- 210,06 € au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis ;
- 789,72 € au titre de l'indemnité spéciale de licenciement de l'article L. 1226-14 du code du travail ;
* condamné la SARL T3M SEGMATEL au paiement d'une somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
* débouté Madame [P] [D] pour le surplus ainsi que la SARL T3M SEGMATEL de sa demande reconventionnelle et condamné cette dernière aux dépens de l'instance et aux frais d'exécution.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 mai 2014, l'avocat de la SARL T3M SEGMATEL a interjeté appel de ce jugement au nom et pour le compte de son client à qui il avait été notifié le 17 mai 2014.
Selon conclusions récapitulatives enregistrées le 30 mai 2016 et reprises oralement à l'audience du 20 juin 2016, la SARL T3M SEGMATEL demande à la cour de réformer le jugement dont appel, de débouter Madame [P] [D] de l'intégralité de ses demandes, de la condamner aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 2.000 €.
Sur le harcèlement moral
La SARL T3M SEGMATEL soutient que la preuve des éléments propres à établir un harcèlement moral n'est pas rapportée par la salariée, et rappelle que la plainte qu'elle avait déposée s'est soldée par un classement sans suite, aucun fait de harcèlement moral n'ayant pu être établi à l'encontre de Monsieur [U] [I], qu'à la suite de l'audition de tous les salariés de la société, les conclusions de l'inspecteur du travail ont été identiques.
L'appelante ajoute que les pièces versées aux débats par Madame [P] [D], qui sont pour l'essentiel des attestations de complaisance, dépourvues de toute objectivité et crédibilité, sont inopérantes. Il en déduit que le conseil de prud'hommes les a retenues à tort sans même examiner les pièces produites par l'employeur et que son jugement mérite dans ces conditions d'être infirmé.
En tout état de cause, la SARL T3M SEGMATEL conteste le montant de l'indemnité qui aurait été allouée sans la moindre justification.
Sur le manquement à l'obligation de recherche de reclassement
La SARL T3M SEGMATEL considère avoir respecté cette obligation et les prescriptions du médecin du travail.
Sur la consultation des délégués du personnel
L'appelante affirme qu'il s'agit d'un moyen nouveau en appel, dès lors irrecevable, que cette obligation n'existe qu'en cas d'inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle qui n'a jamais été retenu sauf par le conseil de prud'hommes.
**********
Par conclusions enregistrées au greffe le 31 mai 2016, Madame [P] [D] demande à la cour de :
* confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement dont elle avait fait l'objet était nul et condamné la SARL T3M SEGMATEL à lui payer les indemnités légales de licenciement, compensatrice de préavis et de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis ;
* de le réformer sur appel incident et statuant à nouveau :
* de dire que l'altercation du 6 novembre 2009 est à l'origine de l'inaptitude et a été qualifiée d'accident du travail par la CPAM des Landes ;
* de dire que le licenciement pour inaptitude du 18 janvier 2010 a une origine professionnelle et est lié à l'accident du travail du 9 novembre 2009 conformément à la décision de la Commission de Recours Amiable de la CPAM des Landes ;
* dire que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse du fait du manquement de l'employeur à l'application des règles protectrices édictées aux articles L. 1226-10 et suivants du code du travail et en conséquence, de condamner la SARL T3M SEGMATEL à lui payer les montants suivants :
- 789,72 € au titre de l'indemnité spéciale de licenciement de l'article L. 1226-14 du code du travail ;
- 2.100,63 € sur le fondement de l'indemnité compensatrice de préavis ;
- 210,06 € au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis ;- 25.207,56 € sur le fondement de l'article L. 1226-15 du code du travail correspondant à 12 mois de salaire ;
- 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur àson obligation de sécurité de résultat.
Sur la nullité du licenciement
Madame [P] [D] soutient que le jugement est parfaitement fondé dès lors que l'inaptitude qui en est la cause n'est que la conséquence du harcèlement moral dont elle a été victime de la part de l'employeur. Elle invoque à cet égard :
- des mesures d'intimidation, des insultes, des pressions, des menaces y compris de mort dont elle déclare rapporter la preuve par attestations ;
- l'agression du 6 novembre 2009 à la suite de laquelle elle a été placée en arrêt de travail ;
- la prise en charge de cette agression, à titre d'accident du travail, à la suite du rapport d'enquête de la CPAM du 13 janvier 2010 ;
- les conclusions du médecin du travail dans le dossier médical.
Elle ajoute que le classement de sa plainte sans suite n'est pas de nature à justifier le rejet de sa demande et que les auditions effectuées dans le cadre de l'enquête sont néanmoins révélatrices de conditions de travail totalement dégradées et de la peur ressentie par les salariés de l'entreprise. Elle invoque enfin les révélations précises et détaillées des lettres anonymes envoyées à l'inspection du travail, et les déclarations de son compagnon, Monsieur [X] [S], salarié de la même entreprise qui a assisté aux insultes menaces et violences verbales imputables à Monsieur [U] [I].
Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse
Dans l'hypothèse où le harcèlement moral ne serait pas retenu, Madame [P] [D] fonde sa demande sur le manquement de l'employeur à l'obligation d'exécution de bonne foi et réclame à ce titre le versement sur le fondement de l'article 1147 du code civil de dommages et intérêts d'un montant égal à ceux réclamés sur le fondement de la nullité du licenciement. Elle fait valoir qu'indépendamment de la rupture du contrat les atteintes portées à l'état de santé du salarié par le comportement fautif de l'employeur sont régulièrement sanctionnées par la Cour de cassation.
Elle invoque également les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat au regard de l'altercation du 6 novembre 2009 considérée comme accident du travail par la CPAM et les conséquences découlant de cette reconnaissance, à savoir :
* l'obligation de consulter les délégués du personnel ;
* l'obligation, en cas d'impossibilité de reclassement, de faire connaître par écrit les motifs qui s'opposent à celui-ci ;
sanctionnées par le versement d'une indemnité minimale de 12 mois de salaire.
MOTIFS
A titre liminaire, il importe de relever une incohérence dans le dispositif des conclusions de Madame [P] [D] qui à la fois demande à la Cour de confirmer la décision du conseil de prud'hommes de Mont de Marsan 'en ce qu'il a jugé que Madame [P] [D] avait fait l'objet d'une mesure de licenciement nulle du fait d'agissement de harcèlement moral' et la réformation de ce même jugement pour faire dire, sur appel incident que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse dès lors que l'inaptitude qui constitue la cause de ce licenciement est liée à l'accident du travail, du 9 novembre 2009 (en fait 6 novembre 2009) et ce, alors même que dans le corps de ses écritures, elle développe toute son argumentation sur le fondement des articles L. 1152-1 et suivants du code du travail et se prévaut des 'conséquences indemnitaires de la nullité du licenciement'.
Interrogée sur cette contradiction à l'audience, le conseil de l'intimée n'a pas apporté d'explication complémentaire.
En cet état, il y a lieu d'en déduire que dans la mesure où Madame [P] [D] sollicite la confirmation du jugement qui a prononcé la nullité du licenciement pour harcèlement moral elle ne peut en même temps demander que ce même licenciement soit déclaré sans cause réelle et sérieuse, sur un autre fondement juridique, cette demande devant dès lors être considérée comme irrecevable, en ce compris les demandes consécutives (doublement de l'indemnité de licenciement, consultation des délégués du personnel, obligation de reclassement).
Sur le harcèlement moral
Le harcèlement moral est caractérisé par des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Il résulte des dispositions des articles L. 1152-1, L. 1152-2 et L. 1154-1 du code du travail, que dès lors que le salarié établit la matérialité de faits constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'occurrence, Madame [P] [D] expose que depuis que la direction de la SARL T3M SEGMATEL avait appris qu'une lettre anonyme dénonçant les conditions de travail dans l'entreprise, avait été envoyée à l'un de ses clients et à la direction du travail, elle faisait l'objet d'intimidation, menaces, insultes de la part de Monsieur [U] [I], le paroxysme de ce comportement dégradant et outrancier ayant été atteint le 6 novembre 2009, lors d'une discussion en présence du médecin du travail au cours de laquelle ce dirigeant l'aurait gravement et violemment insultée.
An soutien de ses dires, Madame [P] [D] produit diverses attestations :
* celle d'un ami, Monsieur [D] [X] qui déclare que depuis le mois de septembre 2009, Madame [P] [D] lui déclarait subir 'de fortes pressions de la part de ses employeurs'. A partir du mois d'octobre, elle se serait 'sentie en danger suite aux propos de menace de Monsieur [U] [I]', raison pour laquelle Monsieur [X] serait passé la voir tous les soirs à son domicile. C'est ainsi que le 5 novembre 2009, il aurait entendu Monsieur [U] [I] tenir au téléphone, à l'intention de Monsieur [X] [S], compagnon de Madame [P] [D] également salarié de la SARL T3M SEGMATEL les propos suivants :
'Fais attention à toi, tu n'imagines même pas de quoi je suis capable ;
Une fois les histoires finies, il vous arrivera malheur et un de vous deux finira allongé ;
Je vais tout faire pour te pourrir la vie, jusqu'à ce que tu démissionnes, je ne veux plus de toi dans mon entreprise ;
Pour qui tu te prends, saches que je connais des personnes, et il t'arrivera malheur'.
Ce qui constitue d'indéniables menaces visant également Madame [P] [D].
* attestation de Monsieur [I] [M], ancien salarié de la SARL T3M SEGMATEL qui dénonce à son tour les menaces, insultes et conditions déplorables de travail dans l'entreprise - Monsieur [I] [M] étant l'auteur de l'une des lettres anonymes de dénonciation des conditions de travail au sein de la SARL T3M SEGMATEL envoyée à l'inspection du travail - et affirme avoir entendu Monsieur [U] [I] 'engueuler les secrétaires : 'elles sont payées à rien foutre, incompétentes. Elles ne sont pas rentables...' et '[J] une collègue, pleurer souvent' lorsqu'il téléphonait au bureau pour rendre compte de son travail.
Monsieur [I] [M] écrit qu'il aurait lui-même entendu Monsieur [U] [I] proférer des menaces téléphoniques contre Monsieur [X] [S], 'menace également destinée à Madame [D]', puis aurait été harcelé, plusieurs semaines après son licenciement, pour qu'il témoigne contre Monsieur [X] [S] 'en échange de quoi il me réembauchait et augmentait considérablement mon salaire. Monsieur [I] [M] aurait enfin lui-même été menacé par Monsieur [U] [I], en présence de Monsieur [X] [S], en disant qu'il savait où mes enfants allaient à l'école et qu'il fallait mieux que je me tienne tranquille. En d'autres termes, que je ne revendique pas mes droits à la sécurité lié à mon travail. Il est évident que cet individu ne respecte rien ni personne. Il exerce des pressions psychologiques par le billet de l'intimidation'.
* attestation de Monsieur [Q] [W], autre ancien salarié de la SARL T3M SEGMATEL qui déclare avoir été témoin d'insultes envers les secrétaires alors qu'il faisait les 'relevés de ses dossiers et Monsieur [U] [I] insultait les 3 personnes dans le bureau en l'occurrence [J] [P] et [N] se (illisible) 'traiter' de 3 salopes qui ne servent à rien. J'ai souvent entendu [J] pleurer au téléphone'.
Quant à l'altercation du 6 novembre 2009, elle est en partie relatée par le médecin du travail qui a assisté à la seconde partie et qui a écrit dans le dossier médical de Madame [P] [D] :
'L'entretien se passe mal. Cris de tous côtés. La salariée accuse l'employeur d'être rabaissée, et mal traitée. L'employeur accuse la salariée de nuire à l'entreprise depuis qu'elle vit avec un des techniciens salarié de T3M ainsi que d'être responsable de la déclaration d'AT de M. [F], salarié déclaré inapte récemment à la suite d'une altercation physique au temps et lieu de travail. Je mets fin à l'entretien en rappelant que j'étais venue dans les locaux m'entretenir avec l'employeur au sujet de l'ambiance de travail déplorable dans l'entreprise, que j'avais donné des conseils à ce sujet à l'employeur. J'accompagne la salariée jusqu'à sa sortie des locaux' .
Le classement sans suite de la plainte de Monsieur [I] [M], invoqué par l'employeur pour décrédibiliser l'attestation produite, n'interdit pas à Madame [P] [D] de se prévaloir de harcèlement moral dès lors qu'elle est en mesure de justifier d'éléments avérés laissant présumer de son existence, qui sont étayés par d'autres pièces que l'attestation litigieuse.
Or, l'attestation de Monsieur [D] [X], rédigée conformément aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, qui n'a jamais été au service de la SARL T3M SEGMATEL, que la partie appelante déclare ne pas connaître et qui a attesté de menaces téléphoniques claires et réitérées ne peut faire l'objet des mêmes préventions que celles de Monsieur [I] [M].
De plus, l'employeur est tout aussi mal fondé à se prévaloir des témoignages des 18 salariés entendus dans le cadre de l'enquête (sur les 50 personnes faisant partie du personnel de l'entreprise) dont la majorité sont des 'monteurs câbleurs' qui travaillent sur des chantiers, et ne peuvent dès lors connaître de faits se déroulant dans les bureaux, au siège de l'entreprise.
Enfin, si l'on reprend les déclarations faites par le personnel administratif aux enquêteurs, les déclarations de ces salariées sont quelque peu différentes de celles des salariés travaillant en extérieur :
* Madame [N] [J] épouse [K] confirme la tendance de Monsieur [U] [I] à insulter les salariés en ces termes :
'Ça part car un salarié n'a pas fait son travail. Soit Monsieur [U] [I] prend la personne dans son bureau, soit Monsieur [U] [I] le dispute devant tout le monde. Monsieur [U] [I] est énervé et il insulte le salarié. Cela dure 10 minutes - un quart d'heure. Je ne peux pas vous dire car je suis au fond du bureau et je n'entends pas tout.
A la question :
'Pensez-vous que Monsieur [U] [I] est quelqu'un de dangereux ''
elle répond
'Il est impulsif. Dangereux non, en tous cas pas pour moi'.
* Madame [V] [G] épouse [V], agent administratif, qui présente au début de l'altercation du 6 novembre 2009 est 'sortie avec les autres collègues car ça ne nous regardait pas. De plus la dispute - dont elle précise qu'elle était 'très forte' - s'est déroulée avant midi'.
* Madame [J] [P], agent administratif, qui décrit Monsieur [U] [I] comme un patron 'sec et autoritaire'.
A la question :
'Avez vous été témoin de faits injurieux ou de harcèlement entre Monsieur [I] ou un cadre de la société et des employés '' Madame [J] [P] esquive :'Monsieur [I] est une personne qui parle fort comme un patron'.
Sur les faits du 6 novembre 2009, cette salariée déclare avoir entendu que 'le ton est monté entre Madame [D] et Monsieur [I]. Une fois que le ton est monté je suis allée à la cuisine car cela ne me regardait pas'. Cette salariée étant dans l'incapacité de préciser qui avait commencé et quel était le sujet de la dispute 'car elle était partie aussitôt en fermant la porte de la cuisine'.
Les réactions pour le moins étonnantes de Madame [V] [G] épouse [V] et de Madame [J] [P] sont significatives de la violence de l'altercation qui a opposé Madame [P] [D] à Monsieur [U] [I] mais surtout de la crainte ressentie par ces salariées.
Cette crainte éprouvée à l'égard des réactions possibles de l'employeur est confortée par le témoignage de Madame [N] [J] épouse [K] sur les confidences reçues de Madame [P] [D] qui lui avait déclaré avoir peur car elle pensait que Monsieur [U] [I] croyait qu'elle avait écrit le courrier anonyme, tout comme l'avait été Madame [J] [P] également accusée par Monsieur [I] et Monsieur [U] d'avoir envoyé la lettre anonyme du mois de juillet 2009.
Dans ce contexte, la fiabilité de l'attestation de Monsieur [Q] [W] déjà énoncée se trouve renforcée, a fortiori lorsqu'on y ajoute les écrits de Madame [R] [E], médecin du travail à propos de l'incident du 6 novembre 2009 : 'Je mets fin à l'entretien en rappelant que j'étais venue dans les locaux m'entretenir avec l'employeur au sujet de l'ambiance de travail déplorable dans l'entreprise que j'avais donné des conseils à ce sujet à l'employeur'. Or, il importe de relever la convergence de l'ensemble de ces attestations qui atteste incontestablement du dysfonctionnement des relations de travail au sein de cette entreprise.
La circonstance que Madame [P] [D] ait gravement injurié son employeur lors de cette altercation - ce qu'elle ne conteste pas - n'enlève rien à l'emportement démesuré de Monsieur [U] [I] qui même en présence du médecin du travail n'est pas parvenu à se contrôler ce 6 novembre 2009. La matérialité des agissements fautifs de l'employeur (intimidation, menaces, cris, insultes) qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral est en conséquence suffisamment établie.
Il incombe dès lors à la SARL T3M SEGMATEL de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement, ce qu'elle ne fait pas.
Il importe d'y ajouter que cet épisode est la cause certaine de l'arrêt de travail de Madame [P] [D] laquelle a été immédiatement envoyée chez son médecin traitant par le médecin du travail témoin des faits litigieux.
Les symptômes décrits par le médecin traitant dans le certificat médical du même jour sont éloquents (anxiété réactionnelle majeure, palpitations tremblements) et révélateurs d'une dégradation plus ancienne (insomnies, perte de poids 4 kgs en un mois), confortés par le certificat rédigé par Madame [H] [H], gestalt thérapeute, accompagnant Madame [P] [D] depuis quelques semaines dans le cadre d'un soutien psychologique. Or, si les médecin et thérapeute ne peuvent témoigner des conditions de travail de leur patient, la réalité du syndrome anxio-dépressif médicalement constaté n'est pas contestable par l'employeur, dès lors qu'il s'agit d'un avis médical.
Il sera également rappelé que le 18 janvier 2010, la salariée a été déclarée inapte en une seule visite (article R. 4624-31 alinéa 2 du code du travail) à son poste de travail et à tout poste dans l'entreprise, mais pas inapte à tout travail puisque dans le même temps (voir dossier médical) Madame [P] [D] envisageait un stage AFPA de 'gestionnaire de paye' et était 'en attente de CDD sur [Localité 1]', ce qui établit incontestablement le lien entre l'inaptitude de la salariée et ses conditions de travail au sein de la SARL T3M SEGMATEL.
Dès lors et en application des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail,
l'inaptitude déterminée par le harcèlement moral de la salariée entraîne la nullité du licenciement dont elle est la cause.
Il en résulte qu'en application des articles L. 1235-4, L. 1235-5 et L. 1152-3 du code du travail Madame [P] [D] est en droit d'obtenir :
* des dommages-intérêts pour licenciement nul d'un montant au moins égal aux salaires des six derniers mois, et ce quelle qu'ait pu être son ancienneté dans l'entreprise ;
* le versement d'une indemnité compensatrice de préavis (y compris l'indemnité de congés payés afférente) ;
* une indemnité spécifique du fait du non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul, les premiers juges ont accordé à Madame [P] [D] l'équivalent de six mois de salaire. La salariée ne fait état et ne produit aucune pièce dont il résulterait que cette appréciation est erronée et ne suffirait pas à réparer le préjudice subi.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de ce chef.
Il en va de même des montants alloués au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis qui ne sont au demeurant pas discutés par la SARL T3M SEGMATEL.
S'agissant en revanche de l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail, le remboursement des indemnités chômage ne peut être ordonné que dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11 auxquels renvoie l'article L. 1235-4 de ce code, il ne peut donc l'être en cas de nullité du licenciement. Le jugement dont appel sera dès lors infirmé sur ce point.
Sur l'indemnité spécifique du fait du non-respect de l'obligation de sécurité de résultat, et selon les articles L. 4121-1et L. 4121-2 du code du travail, il incombe à l'employeur de mettre en oeuvre des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation afin de prévenir la réalisation de ces risques et à défaut, de les évaluer et de les combattre à la source.
Le harcèlement moral et plus généralement les risques psycho-sociaux figurent parmi les risques susceptibles de se réaliser quel que soit le type d'entreprise ou d'activité.
En l'occurrence non seulement la SARL T3M SEGMATEL ne justifie et n'allègue d'aucune mesure de prévention, d'information et/ou de formation à la prévention pour ce type de risque, mais il ressort des écrits du médecin du travail, qu'alerté par cette dernière, aucune mesure n'a été mise en place par l'employeur - et plus précisément par le cogérant - pour mettre fin au harcèlement moral dont Madame [P] [D] était victime et dont il était le témoin passif.
Les certificats médicaux produits établissent la réalité de la souffrance qui en est résultée pour la salariée et qui justifie à ce titre la condamnation de la SARL T3M SEGMATEL à lui verser une indemnité de 5.000 €.
Sur les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
Il appartient à la SARL T3M SEGMATEL qui succombe de supporter la charge des dépens de l'instance et de verser à Madame [P] [D] une indemnité de procédure de 1.500 €, la demande de la SARL T3M SEGMATEL sur le même fondement étant rejetée.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe et en dernier ressort ;
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Mont de Marsan du 15 mai 2014 en ce qu'il a dit que le licenciement de Madame [P] [D] était nul en raison du harcèlement moral dont la salariée avait été victime et condamné la SARL T3M SEGMATEL à lui payer les sommes de 12.603,78 € (douze mille six cent trois euros et soixante-dix-huit centimes) sur le fondement de l'article L. 1235-5 du code du travail, 2.100,63 € (deux mille cent euros et soixante-trois centimes) sur le fondement de l'indemnité compensatrice de préavis, 210,06 € (deux cent dix euros et six centimes) au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis ; et en ce qu'il a condamné l'employeur aux dépens de l'instance et au paiement d'une indemnité de procédure de 1.000 € (mille euros) ;
L'INFIRME pour le surplus ;
ET STATUANT À NOUVEAU :
DÉCLARE irrecevables les demandes de Madame [P] [D] fondée sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Y AJOUTANT :
CONDAMNE la SARL T3M SEGMATEL à payer à Madame [P] [D] une somme de 5.000 € (cinq mille euros) à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat ;
CONDAMNE la SARL T3M SEGMATEL aux dépens de l'instance d'appel et à payer à Madame [P] [D] une indemnité de procédure de 1.500 € (mille cinq cents euros).
Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,