SG/SB
Numéro 16/03281
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 08/09/2016
Dossier : 14/01487
Nature affaire :
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
Affaire :
LABORATOIRE INTERPROFESSIONNEL D'AQUITAINE
C/
[J] [S]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 08 Septembre 2016, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 25 Mai 2016, devant :
Madame THEATE, Président
Monsieur GAUTHIER, Conseiller
Madame PEYROT, Conseiller
assistés de Madame HAUGUEL, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
LABORATOIRE INTERPROFESSIONNEL D'AQUITAINE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Maître CAMBEILH loco Maître GUETTAF-PECHENET de la SCPA FIDAL, avocat au barreau de METZ
INTIME :
Monsieur [J] [S]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par la SELARL DUCRUC-NIOX- TERQUEM-ADOUE, avocats au barreau de TARBES
sur appel de la décision
en date du 31 MARS 2014
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PAU
RG numéro : F12/00721
LES FAITS, LA PROCÉDURE :
M. [S], engagé par la SA A.Bio.C - laboratoire interprofessionnel d'Aquitaine (la société), à compter du 1er septembre 2007 en qualité de responsable production, organisation, recherche-développement du secteur chimie, statut cadre, convoqué le 25 octobre 2012 à un entretien préalable fixé au 7 novembre, a été licencié par lettre du 27 novembre 2012 pour fautes lourdes pour avoir :
- exercé des pressions morales caractérisées sur le personnel dont il avait la responsabilité et notamment sur des personnes ayant une reconnaissance de travailleur handicapé ;
- tenu des propos discriminant envers certains salariés,
- exercé des pressions sur des salariés, en vue de les déstabiliser, créant une ambiance délétère et détériorant la cohésion des équipes.
Contestant son licenciement, il a saisi le conseil de prud'hommes de Pau, par requête en date du 19 décembre 2012 pour, au terme de ses dernières demandes de première instance : que son licenciement soit dit dépourvu de cause réelle et sérieuse et que la société soit condamnée à lui payer : 51.595 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; 8.599,20 euros à titre d'indemnité de préavis ; 4.473,18 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ; 2.866,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ; 1.800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
À défaut de conciliation le 4 février 2013, l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement du 31 mars 2014, auquel il conviendra de se reporter pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, le conseil de prud'hommes de Pau (section encadrement) a ainsi statué :
- Dit que le licenciement pour faute lourde notifié à Monsieur [J] [S] par la société ABIOC en date du 27 novembre 2012 est dépourvu de toute cause réelle et sérieuse, au motif que les présumés faits reprochés à M. [S] sont prescrits,
en conséquence :
- condamne la SAS LABORATOIRE ABIOC à payer à [J] [S] les sommes suivantes :
* 8.599,20 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 859,92 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
* 4.473,18 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 2.866,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
* 20.000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail,
- rappelle que l'exécution provisoire s'attache de plein droit à la présente décision par l'effet et dans les limites de l'article R 1454-28 du code du travail, la moyenne des 3 derniers mois de salaire étant de 2.898 euros,
- ordonne le remboursement par la SAS LABORATOIRE ABIOC à pôle emploi de 2 mois d'indemnités de chômage touchées par Monsieur [J] [S],
- condamne la SAS LABORATOIRE ABIOC à payer à Monsieur [J] [S] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- condamne la société ABIOC aux dépens de l'instance.
La société, représentée par son conseil, a interjeté appel du jugement par lettre recommandée avec avis de réception en date du 14 avril 2014.
DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :
La SA A.Bio.C - laboratoire interprofessionnel d'Aquitaine (la société), par conclusions écrites, déposées le 12 janvier 2016, reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer, demande à la cour de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Pau en ce qu'il :
- considère que le licenciement de M. [S] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse ;
- condamne laboratoire interprofessionnel d'Aquitaine au versement de dommages-intérêts et diverses indemnités au bénéfice de M. [S],
en conséquence :
- considérer que le licenciement prononcé à l'encontre de M. [S] repose bien sur une cause réelle et sérieuse qui résultait de fautes lourdes,
- débouter ainsi M. [S] de l'intégralité de ses demandes à l'encontre du laboratoire interprofessionnel Aquitaine,
en tout état de cause :
- condamner M. [S] au versement de la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [S] aux entiers dépens.
Sur la motivation de la lettre de licenciement :
La société soutient que la lettre de licenciement est suffisamment motivée pour justifier le licenciement du salarié puisque chaque agissement reproché a été mentionné dans la lettre, qualifié avec exactitude, décrit précisément en déterminant la qualité des salariés qui ont été victimes de ses actes et les effets causés par de tels actes.
Sur la matérialité des faits : la société soutient que le salarié a dissimulé ses agissements commis pendant qu'il exerçait ses fonctions de responsable d'un service sur le site d'Arzacq, et que ces faits n'ont été portés que récemment à la connaissance de la société, après le passage en situation de télétravail du salarié le 1er octobre 2012, par le témoignage de Madame [J] du 16 octobre 2012 et de Madame [V] du 28 octobre 2012.
Les fiches de suivi de Mme [J], établies par le médecin du travail de 2009 à 2011, attestent d'une part de son état de santé fragile et d'autre part des pressions morales de M. [S] et de la charge de travail imposée par ce dernier qui ont aggravé son état de santé.
Une lettre recommandée avec avis de réception du médecin du travail du 16 novembre 2009 envoyée notamment au directeur du laboratoire (Monsieur [E]) et à l'inspecteur du travail, fait état des propos discriminants de M. [S] et de la charge de travail imposée par ce dernier qui ont aggravé l'état de santé fragile de Mme [J] que M. [S] ne pouvait ignorer.
M. [S] a pu librement effectuer les actes reprochés en se vantant d'être l'ami de son supérieur hiérarchique, Monsieur [E] à qui il a été reproché des agissements similaires et qui a été licencié le 24 septembre 2012.
La société fait valoir que l'absence de mise à pied conservatoire du salarié est justifiée par son arrêt de travail en date du 16 octobre 2012.
Sur la prescription des faits :
La société fait valoir que si Monsieur [U], alors président de la société, a été destinataire du courrier du médecin du travail du 16 novembre 2009, celui-ci faisait seulement état de la dégradation de santé de Mme [J], sans référence à d'éventuels faits fautifs qui pourraient être imputés directement à M. [S], pointant principalement du doigt l'ambiance de travail, un problème relationnel avec un supérieur hiérarchique, la charge de travail et les caractéristiques du poste de travail de la salariée ; qu'au vu du contenu de ce courrier il était impossible de pouvoir établir que le président avait une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits qui pouvaient être reprochés à M. [S].
La société ajoute que les faits de harcèlement se sont poursuivis jusqu'au jour du départ de M. [S] du laboratoire en octobre 2012, et ont donc persisté dans le délai de 2 mois précédant l'engagement des poursuites.
La société soutient que l'exercice de pressions morales caractérisées notamment sur des salariés reconnus travailleurs handicapés, par leur supérieur hiérarchique, constitue un acte grave, et que cette gravité correspond à celle exigée pour qualifier une faute lourde. Elle fait valoir que les faits se sont étendus sur une période d'environ 5 ans, que ces agissements ont perturbé le fonctionnement de l'entreprise, M. [S] a nui à l'entreprise en connaissance de cause et avait donc l'intention de nuire.
La société conteste que la véritable cause du licenciement serait, selon le salarié, sa demande de changement de son lieu de travail. Elle fait valoir qu'elle ne pouvait répondre favorablement de façon pérenne à la demande du salarié de maintenir durablement son poste de travail en [Localité 1] compte tenu de l'absence d'activité dans cette zone géographique et des difficultés générées par l'éloignement géographique. Dès le 5 septembre 2012 la société a procédé à un avenant au contrat de travail pour permettre à M. [S] de s'installer en [Localité 1] en travaillant en situation de télétravail.
M. [S], par conclusions écrites, déposées le 24 mars 2016, reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer, demande à la cour de :
- Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Pau du 31 mars 2014,
- dire le licenciement pour faute lourde notifié par la société le 27 novembre 2012 dépourvu de toute cause réelle et sérieuse aux motifs que la lettre de licenciement est imprécise quant à ses motifs, que les présumés faits reprochés sont prescrits, que la notification de ce licenciement pour faute lourde cache en réalité un licenciement pour motif économique,
- par voie de conséquence, condamner la société aux sommes de :
* 51.595 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 8.599,20 euros à titre d'indemnité de préavis,
* 4.473,18 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 2.866,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,
* 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens.
M. [S] soutient que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait de l'imprécision des motifs dans le corps même de la lettre de licenciement.
Il considère que la lettre est rédigée en termes généraux, sans motifs précis, aucun fait matériellement vérifiable venant conforter les assertions de la société, aucun fait précis ne venant démontrer l'intention de nuire, et ajoute que cette imprécision ne pourrait être compensée par la précision des griefs reprochés dans les conclusions de l'employeur.
Il soutient que le licenciement s'explique par le fait qu'il a refusé de signer la rupture conventionnelle proposée par l'employeur.
Il fait valoir qu'aucune instance pénale a été engagée à son encontre, ni une quelconque mise à pied à titre conservatoire.
M. [S] soutient que les présumés faits reprochés sont prescrits.
Il fait valoir que Monsieur [E], son responsable hiérarchique direct, parfaitement informé de la situation quant à la pathologie de Mme [J] et à ses présumés agissements, ne tirera aucune conséquence sur le plan disciplinaire depuis 2009 ; Monsieur [U] a également été informé de la situation de la salariée.
Il considère que depuis 2009 la société sait pertinemment que l'état de santé de la salariée résulte non d'une pression de sa hiérarchie, mais de sa pathologie difficilement conciliable avec tous les postes qui lui ont été proposés au sein de l'entreprise.
Si Monsieur [E] était, comme le soutient la société, son binôme dans des faits de harcèlement, il appartenait alors à l'employeur d'engager à son encontre une procédure de licenciement concomitamment à celle engagée contre Monsieur [E] dès le 28 août 2012.
Il conteste avoir été à l'origine des agissements répétés qui lui sont reprochés et soutient que la véritable cause de son licenciement est la suppression de son poste, jugé non rentable, et que pour s'exonérer de la mise en place d'une procédure de licenciement économique la société a engagé un licenciement pour faute sur des motifs fallacieux.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'appel, interjeté dans les formes et délais prescrits par la loi, sera déclaré recevable en la forme.
Sur le licenciement :
La lettre de licenciement pour faute lourde du 27 novembre 2012 est ainsi rédigée :
« nous sommes contraints de vous licencier pour fautes lourdes en raison des faits suivants :
dans le cadre de votre fonction, vous avez exercé des pressions morales caractérisées sur le personnel dont vous aviez la responsabilité, et notamment sur des personnes ayant une reconnaissance de travailleur handicapé, ce dont vous aviez parfaitement connaissance.
Ainsi, notamment, vous avez, outre des propos discriminants envers certains salariés, exercé des pressions sur des salariés, en vue de les déstabiliser, créant ainsi une ambiance délétère et détériorant la cohésion des équipes.
Ces agissements répétés, portés récemment à notre connaissance, ont eu pour effet une dégradation des conditions de travail et ont altéré la santé mentale de certains salariés, notamment des personnes ayant le statut de travailleur handicapé.
Ces agissements d'une gravité exceptionnelle sont inadmissibles.
En conséquence, nous sommes contraints de procéder à votre licenciement pour faute lourde ».
La faute lourde, privative des indemnités de licenciement, de préavis et de congés payés, dont la charge de la preuve pèse sur l'employeur qui l'invoque, est celle commise par le salarié dans l'intention de nuire à son employeur, ou à l'entreprise.
La société produit les attestations de Mesdames [D] [J] et de [Q] [V].
Dans son attestation du 16 octobre 2012 (pièce 5), [D] [J] écrit : « depuis l'arrivée de Monsieur [J] [S] en tant que responsable du secteur de chimie, j'ai subi régulièrement une discrimination liée à mon handicap (reconnu auprès de la DDHP) cf pièce jointe du 16 novembre 2009. Lettre adressée à l'inspecteur du travail.
Il m'appelait dans son bureau et lors des entretiens il me hurlait dessus, ne me laissait pas m'exprimer (une de mes collègues se mettait à proximité de la porte prête à intervenir pour me soutenir. Il m'est arrivé de finir accroupie la tête entre les mains, en pleurs tellement c'était insupportable.
Lors de ces entretiens il me demandait d'effectuer du travail incompatible avec mon handicap malgré les informations fournies par la médecine du travail - pièce jointe du 02/06/2009. Il y avait des jours où je pleurais en travaillant parce que je ne pouvais plus supporter ce que je subissais. Même si on peut trouver ça hallucinant j'étais rassurée de voir d'autres techniciennes ne souffrant pas d'handicap pleurer régulièrement.
Cette situation, je l'ai dénoncée à son supérieur hiérarchique Monsieur [G] [E]. Mais celui-ci n'a pas donné suite.
Parmi toutes les situations très déstabilisantes que j'ai vécues, je ne relate que celles pour lesquelles j'ai des preuves ».
La société produit une autre attestation de [D] [J], du 5 janvier 2016 (pièce 27) ainsi rédigée : « certifie que les faits décrits dans l'attestation que j'ai rédigée le 16 octobre 2012 se sont déroulés depuis 2009 jusqu'au départ de Monsieur [J] [S] à l'automne 2012 ».
Dans son attestation du 28 octobre 2012 (pièce 6) [Q] [V] écrit :
« je tiens à témoigner contre M. [J] [S] pour ses agissements envers moi-même et plusieurs de mes collègues.
Il utilisait un langage irrespectueux, blessant et humiliant. Pour nous appeler il nous sifflait ou nous interpellait par « Hep ». Il surnommait une collègue « la petite » ou « l'autre » avec une intonation insultante. Il avait un comportement différent suivant à qui il s'adressait. Une voisine de son bureau savait à qui il parlait au téléphone rien qu'en écoutant le langage employé. J'ai moi-même été témoin d'une réprimande dans son bureau où une collègue était tellement rabaissée qu'elle était accroupie en pleurs et qu'il continuait à lui hurler dessus.
De plus il se vantait d'être intouchable car il était ami avec le directeur d'Abioc.
M. [S] avait un caractère bipolaire à savoir qu'il nous réprimandait ou nous engueulait car les résultats n'étaient pas corrects et rendus à temps alors que soit cela venait de la machine, soit un contrôle qui n'était pas bon et dont les résultats ne lui convenaient pas. Ensuite 2 ou 3 heures plus tard il venait avec un ton tout doux presque mielleux pour nous demander d'autres analyses.
Par ailleurs j'ai été victime de menace de licenciement ou d'avertissement pour ne pas lui avoir donné une réponse dans l'immédiat alors que l'analyse n'était pas terminée. Il nous invectivait car le tableau du délai n'était pas fait alors que nous n'avions pas le temps, nous étions occupés à d'autres analyses.
Quant à lui il validait des résultats alors que les analyses n'étaient pas commencées. Par exemple : il nous demandait de trouver ce résultat de fibres parce qu'il le validait. De même il ne faisait pas le travail de qualité. Pour ma part pour l'audit j'ai été obligée de falsifier mon habilitation pour (illisible) parce qu'il ne l'avait pas faite alors que c'est moi qui ai mis en partie en place lors de mon rapport de stage d'apprentissage, alors que je donnais des conseils à mes collègues car je connaissais bien la machine. Également il y a deux ou trois ans on m'a dit que je n'étais pas habilitée à certaines analyses à la pesée alors que j'avais fait mes essais depuis longtemps ».
Les faits relatés par cette salariée, qui sont concordants avec ceux décrits par [D] [J] et qu'ils viennent confirmer, sont d'une gravité certaine quant au comportement de M. [S], particulièrement en sa qualité de supérieur hiérarchique décrit comme volontairement blessant et humiliant à l'égard de salariées, dont l'une d'entre elles au moins peut être qualifiée de particulièrement vulnérable, Madame [J] reconnue travailleur handicapé, qui, bien que non citée dans cette attestation, est manifestement concernée par la description qui en est faite et qui correspond précisément à celle qu'elle-même décrit dans son attestation (« il me hurlait dessus », « il m'est arrivée de finir accroupie la tête entre les mains, en pleurs tellement c'était insupportable »).
Le salarié soulève la prescription des faits qui lui sont reprochés.
En application des dispositions de l'article L.1332-4 du Code du travail, aucun agissement fautif ne peut, à lui seul, donner lieu à des poursuites disciplinaires plus de deux mois au-delà de la date à laquelle l'employeur, ou le supérieur hiérarchique direct du salarié, en a eu connaissance, sauf s'il a donné lieu à des poursuites pénales dans le même délai.
Dès lors qu'il est établi que les faits ont été commis plus de deux mois avant l'engagement de la procédure disciplinaire, c'est à l'employeur de prouver qu'il n'en a eu connaissance que postérieurement au point de départ du délai de prescription de 2 mois, en justifiant, au besoin de la nécessité de procéder à une enquête et à des vérifications pour avoir une connaissance complète et précise des faits, de leur degré de gravité et de leur imputabilité.
Les faits énoncés dans la lettre de licenciement sont graves, par nature, en premier lieu, nécessairement, pour la victime, mais aussi pour le salarié à qui de tels faits inadmissibles sont reprochés et également pour l'employeur qui a une obligation de sécurité de résultat à l'égard de ses salariés et qui, ayant été informé de tels faits, n'aurait pas pris les mesures nécessaires pour y mettre un terme.
La société prétend qu'elle n'a eu connaissance exacte des faits imputables à M. [S] qu'après son départ du laboratoire en octobre 2012, pour continuer ses fonctions dans le cadre du télétravail.
La société produit (pièce 23) le courrier RAR du 16 novembre 2009 que le médecin du travail (docteur B. [N]) a adressé à : Monsieur [E] [G], directeur laboratoire A.Bio.C, Monsieur [W] [U], Agro Bio, et à l'inspecteur du travail.
Le texte de ce courrier est le suivant :
« j'ai reçu, à sa demande, Madame [D] [Z], le 12 novembre 2009, suite à son accident du travail du 5 novembre 2009.
Madame [J] a été hospitalisée suite à une nouvelle crise d'épilepsie généralisée, sur le lieu de travail. Elle est toujours en arrêt de travail.
Depuis janvier 2007, je suis régulièrement cette salariée, essayant de trouver un poste adapté à son handicap.
Les propos discriminants de son responsable hiérarchique, la charge de travail qui lui est attribuée contribuent à aggraver son état de santé.
La reprise à temps plein après un mi-temps thérapeutique de 8 mois en 2007 et 3 mois en 2008, est difficile pour Madame [J].
L'ambiance et la charge de travail provoquent insomnies, fatigue, hypersensibilité psychique, très défavorables dans son cas.
Elle a accepté d'effectuer des démarches de reconnaissance de qualité de travailleur handicapé en août 2009, afin de pouvoir élaborer un dossier de lourdeur du handicap (LDH).
Ce dossier lui permettrait d'alléger la charge de travail sans pénaliser financièrement l'employeur.
Le SAMETH [Localité 2] vous a d'ailleurs rencontré à ce sujet-là.
À ce jour, rien n'est fait et l'état de santé de Madame [J] s'aggrave.
Je souhaiterais que vous sollicitiez au plus vite Monsieur [U] [Z] du SAMETH pour vous aider à remplir le dossier LDH.
J'ai demandé au médecin traitant de Madame [J] de prolonger son arrêt jusqu'en début décembre de prescrire une reprise à mi-temps thérapeutique.
Madame [J] peut travailler de façon discontinue (maximum 2 heures) au broyage, la vérification des pipettes et balances, à la saisie de résultats, à la pesée.
Elle ne présente aucune contre-indication médicale au travail sur écran. Je reste à votre disposition pour vous aider dans l'adaptation du poste de travail de Madame [J]. Vous pouvez me joindre au (numéro téléphone) ».
Il résulte de ce courrier qu'il a été porté à la connaissance de l'employeur, dès le mois de novembre 2009, le fait que [D] [J] se plaignait d'être victime de propos discriminants de son supérieur hiérarchique et de ce qu'une charge de travail lui était attribuée inadaptée à son état de santé.
La date certaine de ce courrier permet donc de dater non seulement les faits dont [D] [J] a été victime, ou a commencé à l'être, mais également du moment où ils ont été portés à la connaissance de l'employeur, au moins de manière indubitable.
En revanche, les faits dénoncés par [Q] [V] dans son attestation ne sont pas datés et aucun élément produit ne permet de déterminer la date à laquelle ils ont été commis et donc s'ils sont susceptibles d'être couverts par la prescription ou non, ni d'ailleurs quels sont les autres salariés qui ont pu avoir été victimes du comportement de M. [S], exceptés les faits concernant [D] [D], identifiable dans l'attestation, et dont le courrier du médecin du travail permet de les situer au moins avant novembre 2009.
Il ne paraît pas très banal qu'un médecin du travail adresse un courrier avec un tel contenu au directeur de l'établissement, au président de la société, ainsi qu'à l'inspecteur du travail. C'est manifestement la gravité de la situation de la salariée qui l'a conduit à faire cette démarche, ce qui ressort du rappel qu'il suit cette salariée depuis janvier 2007 afin d'essayer de lui trouver un poste adapté à son handicap, et surtout de la mention selon laquelle elle subit des propos discriminants de la part de son responsable hiérarchique ainsi qu'une charge de travail qui, inadaptée à son état de santé, aggrave celle-ci.
Ce courrier du médecin du travail fait suite à une précédente visite de la salariée du 2 juin 2009 à l'issue de laquelle il notait notamment des problèmes relationnels avec [J] [S].
L'inquiétude du médecin du travail quant à la gravité des faits supportés par la salariée, et sa conviction de la nécessité de trouver une solution rapide, ressort également de ce qu'il a conclu son courrier en indiquant rester à la disposition de ses divers destinataires, allant jusqu'à donner son numéro de téléphone portable. Or, il n'est pas allégué, ni a fortiori démontré, que le directeur de l'établissement, ou le président de la société, ont donné une quelconque suite à ce courrier.
L'argument selon lequel M. [S] a pu bénéficier d'une protection de la part du directeur du laboratoire, comme le soutient la société, et que dès lors celle-ci n'a pu avoir connaissance des faits dénoncés par la salariée avant le départ de M. [S] et du directeur du laboratoire, n'est pas pertinent car il est établi, et non contesté, que le courrier du médecin du travail a été également adressé au président de la société, Monsieur [U], de sorte que l'employeur est réputé avoir eu connaissance de ces faits dès novembre 2009.
Or, la société n'allègue pas, ni ne démontre, qu'à la suite de cette information elle a fait procéder à une enquête, ou à quelconque investigation, ou s'être rapproché du médecin du travail, afin de vérifier les faits portés à sa connaissance et afin d'avoir une connaissance complète et précise des faits et de leur imputabilité, de sorte qu'elle ne justifie pas des raisons pour lesquelles la procédure de licenciement n'a été engagée qu'en octobre 2012, soit 3 ans après que les faits ont été portés à sa connaissance en novembre 2009.
Il n'est pas davantage prétendu que des poursuites pénales ont été engagées pendant ce délai.
L'argument selon lequel les faits de harcèlement se seraient poursuivis jusqu'au jour du départ de M. [S] du laboratoire en octobre 2012, et auraient donc persisté dans le délai de 2 mois précédant l'engagement des poursuites, n'est pas pertinent et n'est pas de nature à suspendre ou interrompre le délai de prescription car, puisqu'il est prétendu que ce sont des faits de même nature qui se sont poursuivis, cela signifie qu'en dépit de la connaissance que l'employeur a eu de ces faits en novembre 2009 il les a laissés se poursuivre, sans justifier d'une enquête ou vérification pour en apprécier l'exactitude et l'étendue, de sorte que cette abstention caractérise ainsi une tolérance de ces faits ce qui lui interdit de les invoquer 3 ans plus tard pour justifier un licenciement pour faute.
Par conséquent, il y a lieu de dire que les faits énoncés dans la lettre de licenciement sont établis tant en ce qui concerne leur matérialité, que leur gravité et leur imputabilité à M. [S] qui échappera cependant à leurs conséquences du fait de leur prescription et de la tolérance dont ils ont fait l'objet de la part de l'employeur.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc confirmé en toutes ses dispositions, y compris quant au montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui, en application des dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail, ne peuvent être inférieurs à 6 mois de salaire, et alors qu'aucun élément n'est produit justifiant l'octroi de la somme sollicitée à ce titre.
Sur les articles 696 et 700 du code de procédure civile :
La société, partie perdante, sera condamnée aux entiers dépens.
Aucun élément de l'espèce ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe,
REÇOIT l'appel formé le 14 avril 2014 par la SA A.Bio.C - laboratoire interprofessionnel d'Aquitaine à l'encontre du jugement rendu le 31 mars 2014 par le conseil de prud'hommes de Pau (section encadrement), et l'appel incident formé par M. [S],
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement,
Y ajoutant,
DÉBOUTE M. [S] de sa demande d'appel incident sur le montant des dommages-intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
DIT qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
CONDAMNE la SA A.Bio.C - laboratoire interprofessionnel d'Aquitaine aux entiers dépens.
Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,