DT/SB
Numéro 16/01514
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 07/04/2016
Dossier : 13/04034
Nature affaire :
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail pour motif économique
Affaire :
Association L'AUTRE REGARD
C/
[W] [A]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 07 Avril 2016, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 10 Février 2016, devant :
Madame THEATE, Président
Madame PEYROT, Conseiller
Madame FILIATREAU, Vice-Président placé, délégué en qualité de Conseiller, par ordonnance du 07 décembre 2015
assistées de Madame HAUGUEL, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Association L'AUTRE REGARD, représentée par son Président, Monsieur [S] [Y]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Comparante en la personne de son président Monsieur [Y] assisté de Maître ARDANUY, avocat au barreau de DAX
INTIMEE :
Madame [W] [A]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Comparante assistée de Monsieur [O], délégué syndical muni d'un pouvoir régulier
sur appel de la décision
en date du 14 OCTOBRE 2013
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : F 11/202
FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Embauchée le 1er mars 1978 par l'association L'Autre Regard (exploitant le Foyer Majouraou) en qualité d'aide malade, Madame [W] [A] occupait au moment de la nomination de Madame [U] au poste de directrice, les fonctions de rédacteur attaché à la direction.
Le 12 mai 2011, Madame [W] [A] s'est vu notifier un avertissement motivé par la mauvaise qualité de son travail, que la salariée a contesté par lettre du 15 mai 2011.
Le 24 août 2011, elle a saisi le conseil de prud'hommes de MONT DE MARSAN aux fins d'annulation de cette sanction.
Par lettre du 02 décembre 2011, elle a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement pour motif économique fixé au 12 décembre 2011. Le 13 décembre 2011 une offre de reclassement en tant qu'infirmière regroupement 1.6 coefficient 477 a été proposée à Madame [W] [A] qui l'a refusée le 19 décembre 2011.
Elle a été licenciée par lettre du 26 décembre 2011.
Dans le dernier état de ses demandes devant le conseil de prud'hommes, la demanderesse sollicitait outre l'annulation de l'avertissement du 12 mai 2011, la condamnation de l'association L'Autre Regard au paiement d'une somme de 5.000 € à titre d'indemnisation du harcèlement moral qu'elle avait subi et de 187.200 €, à titre d'indemnisation du licenciement prononcé à son encontre, qu'elle considérait comme sans cause réelle et sérieuse.
L'association L'Autre Regard concluait au débouté.
La tentative de conciliation ayant échoué, l'affaire et les parties ont été renvoyées devant la formation de jugement.
Par jugement du 14 octobre 2013, auquel il conviendra de se reporter pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, le conseil de prud'hommes de MONT DE MARSAN (section activité diverses), en formation de départage, a :
* annulé l'avertissement prononcé à l'encontre de Madame [W] [A] le 12 mai 2011 ;
* dit que Madame [W] [A] avait été victime de harcèlement moral ;
* déclaré irrégulier et sans fondement le licenciement économique prononcé à l'encontre de Madame [W] [A] ;
* condamné le Foyer Majouraou à payer à Madame [W] [A] les sommes de :
- 5.000 € sur le fondement des articles 1382 et 1384 du Code civil ;
- 150.000 € sur le fondement de l'article L 1235-3 du Code du travail ;
- 600 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile avec exécution provisoire et condamnation de la défenderesse aux dépens de l'instance.
Suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 12 novembre 2013, l'association L'Autre Regard a interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions enregistrées au greffe le 28 janvier 2016, et reprises oralement à l'audience, l'association L'Autre Regard demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de juger fondé l'avertissement décerné à Madame [W] [A] ; de débouter la demanderesse de l'ensemble de ses prétentions et de la condamner aux entiers dépens ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure de 3.000 €.
L'appelante fait tout d'abord valoir que le conseil de prud'hommes en dépit des indications dont il disposait a condamné un 'Foyer Majouraou' qui n'a aucune existence légale et demande à la cour de déclarer cette décision inopposable à l'association L'Autre Regard.
Sur le fond, et s'agissant de la sanction disciplinaire, l'association L'Autre Regard fait valoir que la salariée s'est vue reprocher des manquements (rappels réitérés, oublis préjudiciables) dont Madame [W] [A] ne conteste pas la matérialité mais dont elle tente de s'exonérer par des excuses sans portée, telle qu'une surcharge de travail qui est contredite par l'audit effectué par le cabinet d'expertise comptable de l'association L'Autre Regard.
Sur la demande de dommages et intérêts fondée sur le harcèlement moral l'appelante relève que Madame [W] [A] ne peut alléguer que d'un seul avertissement au demeurant justifié, pour étayer sa thèse.
De plus ni les multiples attestations produites (dépourvues de crédibilité) ni les auditions de témoins auxquelles a procédé le conseil de prud'hommes n'établissent des faits précis laissant présumer un harcèlement moral.
L'association L'Autre Regard fait enfin valoir que Madame [W] [A] ne rapporte pas la preuve ni d'un lien de causalité entre l'amaigrissement de la salariée et des difficultés professionnelles, ni de l'état dépressif allégué sur la base d'une attestation particulièrement contestable. A cet égard l'association L'Autre Regard souligne que le médecin du travail, qui n'est jamais venu dans l'entreprise a par deux fois refusé de témoigner devant le conseil de prud'hommes, et était l'ancien médecin traitant de Madame [W] [A].
Sur la cause du licenciement enfin, l'association L'Autre Regard rappelle qu'outre l'absence de motif économique, deux reproches lui sont faits : manquement à l'obligation de reclassement et absence de consultation des organes représentatifs.
Cependant, la preuve est rapportée d'un déficit comptable de plus de 218.000 € ainsi que de la suppression du poste occupé jusque là par Madame [W] [A] . De plus :
* la proposition de reclassement sur un poste d'infirmière - pour lequel Madame [W] [A] ne disposait pas du diplôme requis - était accompagnée d'une proposition de formation dans le cadre d'un congé individuel de formation financé par l'association L'Autre Regard avec l'accord de l'UNIFAF ;
* la consultation des instances représentatives n'est pas exigée par la loi lorsqu'un seul salarié est licencié pour motif économique et Madame [W] [A] ne prouve pas que l'avenant n° 73 du 20 octobre 1974 qui a modifié l'article 19 de la Convention collective a fait l'objet d'un arrêté d'extension. En tout état de cause cette omission à la supposer établie serait sans effet sur le caractère réel et sérieux du licenciement.
Suivant conclusions enregistrées le 28 janvier 2016 au greffe et reprises oralement à l'audience, Madame [W] [A] demande à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de MONT DE MARSAN en toutes ses dispositions.
Sur la personne de l'employeur, elle expose que le contrat de travail est signé au nom d'une association Le Foyer des Malades et Handicapés, que l'avenant du 07 juillet 1999, le courrier d'avertissement et les bulletins de salaires, sont signés au nom du Foyer Majouraou, qui en tout état de cause est tenu in solidum avec l'association L'Autre Regard des obligations contractuelles envers les salariés.
Au fond, l'intimée fait valoir que l'avertissement dont elle a fait l'objet est injustifié et en tous cas disproportionné, que les nombreuses attestations produites démontrent les faits de harcèlement moral qu'elle a subis et qui sont la cause de la dépression sévère dont elle a été victime, qu'enfin la preuve du motif économique, d'un véritable reclassement et du respect de l'ordre des licenciements n'est pas rapportée au sens de l'article 15.02.1.6.1 de la Convention collective nationale de 1951. Pour Madame [W] [A] la cause réelle de son licenciement est inhérente à sa personne.
Madame [W] [A] fait valoir que ses conditions de travail ont radicalement changé à l'arrivée de Mme [U] qui régulièrement lui imposait des modifications de ses méthodes de travail de nouvelles tâches, ce qui a eu pour effet d'accroître très notablement sa charge de travail. Madame [W] [A] conteste à cet égard l'objectivité et par suite la fiabilité, des conclusions du cabinet comptable de l'association L'Autre Regard, pour le compte de qui il a effectué un audit.
Elle rappelle qu'elle a immédiatement contesté point par point l'avertissement injustifié qui lui avait été adressé et qui l'a beaucoup déstabilisée, et ce d'autant plus qu'elle devait dans le même temps supporter les critiques incessantes, les cris et menaces de Mme [U] dont pendant deux ans, elle a dû partager le bureau. Là encore les attestations produites et les auditions recueillies sont, selon Madame [W] [A], particulièrement probantes et concordantes, tant sur la qualité de son travail que sur les comportements qu'elle a dû subir.
Outre les certificats médicaux qu'elle produit, l'intimée fait valoir que nombre de ses collègues ont constaté la dégradation progressive de son état de santé (fatigue, amaigrissement).
Elle affirme enfin que les pièces et explications de l'association L'Autre Regard ne démontrent pas la réalité de la cause économique de son licenciement, un résultat déficitaire ponctuel n'étant pas nécessairement le signe de difficultés économiques ou financières durables. Au demeurant, Madame [W] [A] relève que les tâches qu'elle accomplissait ont été confiées au cabinet d'expertise qui a réalisé l'audit ce qui représente un coût supplémentaire.
Elle expose que l'annonce de son licenciement a suscité, la réprobation du personnel et la réaction des instances représentatives dont les questions sont restées sans réponse et qui n'ont eu communication d'aucun document de la part de la direction sur les difficultés alléguées.
MOTIFS
Sur l'inopposabilité du jugement du conseil des prud'hommes de MONT DE MARSAN
Selon les dispositions de l'article 32 du Code de procédure civile :
'Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.'
De plus aux termes des dispositions de l'article 117 du Code de procédure civile :
'Constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte :
* le défaut de capacité d'ester en justice ;
* le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale soit d'une personne atteinte d'incapacité d'exercice ;
* le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice.'
Il est acquis aux débats que :
* d'une part, le jugement a été rendu à l'encontre du seul 'Foyer MAJOURAOU' ;
* d'autre part, le 'Foyer MAJOURAOU' est l'appellation d'un établissement géré par l'association L'Autre Regard, et non la dénomination d'une personne morale, il est dès lors dépourvu d'existence juridique.
Il ressort en conséquence des pièces que l'association L'Autre Regard venant aux droits de l'Association 'Le Foyer des Malades et Handicapés' avec qui Madame [W] [A] avait conclu son contrat de travail, est le seul et unique employeur de Madame [W] [A].
Il importe d'observer que l'association L'Autre Regard a comparu en première instance sans soulever l'exception et a interjeté appel du jugement du conseil des prud'hommes de MONT DE MARSAN.
Bien que la demande dirigée à l'encontre du 'Foyer MAJOURAOU' n'ait pas été régularisée en première instance l'article 121 du Code de procédure civile dispose que les exceptions de nullité fondées sur l'inobservation des règles de fond relatives aux actes de procédure peuvent être régularisées si la cause de l'irrégularité a disparu au moment où le juge statue.
En l'occurrence, Madame [W] [A] a devant la cour étendu sa demande à l'association L'Autre Regard en sollicitant sa condamnation ('in solidum' avec le 'Foyer MAJOURAOU'). Il en découle que la cause de l'irrégularité n'existait plus au moment de la décision.
L'association L'Autre Regard expose cependant à hauteur d'appel comme elle l'avait d'ailleurs soulevé en première instance sans qu'il soit statué sur cette cause d'irrégularité que le défenseur de Madame [W] [A], délégué syndical, était également conseiller élu du conseil des prud'hommes de MONT DE MARSAN devant lequel l'affaire était portée, la défenderesse soulignant ainsi le 'caractère pernicieux du mélange des genres'.
Monsieur [S] [O], défenseur de Madame [W] [A] ne discute pas sa double qualité.
Or, il est de jurisprudence constante (Cour de cassation 02 février 2005 n° 03-40.271 publié) et désormais de droit, qu'un conseiller prud'homme ne peut exercer une mission d'assistance ou un mandat de représentation devant le conseil de prud'hommes dont il est membre. Cette interdiction est fondée sur l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au droit au procès équitable et à l'exigence d'un tribunal indépendant et impartial.
Il en découle que la procédure dont la cour est saisie est entachée de nullité et qu'aucune régularisation n'est possible.
Pour ce seul motif, il y a lieu d'infirmer la décision entreprise et de renvoyer l'affaire et les parties devant le conseil des prud'hommes.
Sur les dépens
Il appartient à la partie intimée de supporter les dépens de l'instance d'appel et de verser à l'appelante une indemnité de procédure de 500 €.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement contradictoirement par arrêt mis à disposition au greffe et en dernier ressort
DIT que l'irrégularité tenant à l'inexistence de la partie à l'encontre de laquelle avait été dirigée la demande a été régularisée, Madame [W] [A] ayant repris ses demandes à l'encontre de l'association L'Autre Regard ;
PRONONCE en revanche la nullité de la procédure et consécutivement du jugement rendu par le conseil des prud'hommes de MONT DE MARSAN en raison de la méconnaissance des dispositions de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au droit au procès équitable et à l'exigence d'un tribunal indépendant et impartial ;
RENVOIE l'affaire et les parties - autrement assistée et/ou représentée en ce qui concerne Madame [W] [A] - devant le conseil des prud'hommes de MONT DE MARSAN pour qu'il soit statué à nouveau sur la demande ;
CONDAMNE Madame [W] [A] aux dépens de l'instance ;
LA CONDAMNE en outre à payer à l'association L'Autre Regard une somme de 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,