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24/03/2016 | FRANCE | N°13/03726

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 24 mars 2016, 13/03726


DT/CD



Numéro 16/01211





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 24/03/2016









Dossier : 13/03726





Nature affaire :



Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution















Affaire :



[T] [R]



C/



Association ADMR

du canton de Tournay









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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 24 Mars 2016, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'...

DT/CD

Numéro 16/01211

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 24/03/2016

Dossier : 13/03726

Nature affaire :

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

Affaire :

[T] [R]

C/

Association ADMR

du canton de Tournay

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 24 Mars 2016, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 25 Janvier 2016, devant :

Madame THEATE, Président

Madame PEYROT, Conseiller

Madame FILIATREAU, Vice-Président placé, délégué en qualité de Conseiller par ordonnance du 7 décembre 2015

assistées de Madame HAUGUEL, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

Madame [T] [R]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Maître DEGIOANNI, avocat au barreau de l'ARIÈGE

INTIMÉE :

Association ADMR du canton de Tournay

prise en la personne de son Président en exercice, Monsieur [A] [X]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Comparante en la personne de son Président, assisté de Maître BEDOURET, avocat au barreau de PAU

sur appel de la décision

en date du 07 OCTOBRE 2013

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TARBES

RG numéro : F 12/00340

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon contrat de travail du 29 janvier 1987, Madame [T] [R] a été engagée en qualité de secrétaire à temps partiel par l'Association ADMR. Par avenant du 2 novembre 2005, elle a été promue secrétaire de direction catégorie D, toujours à temps partiel, Madame [T] [R] occupant par ailleurs un emploi de secrétaire de mairie à temps partiel.

Par avenant du 15 octobre 2008, les horaires de Madame [T] [R] ont été modifiés.

Le 10 juin 2009 en fin de matinée, cette salariée a été convoquée en entretien par le directeur de l'Association ADMR pour lui faire part d'observations sur la qualité de son travail. L'après-midi de la même journée Madame [T] [R] a été victime d'une chute dans les locaux du syndicat d'initiative où elle travaillait pour le compte de la mairie. Hospitalisée en raison des suites de cette chute, la salariée a été placée en arrêt de travail, pris en charge au titre de la législation professionnelle. Madame [T] [R] n'a plus repris son activité professionnelle par la suite et a bénéficié d'une pension d'invalidité. Elle s'est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé le 24 mars 2011.

Le 16 novembre 2010, Madame [T] [R] a déposé plainte auprès de la gendarmerie de [Localité 1] pour harcèlement moral à l'encontre de Monsieur [A] [X] président de l'Association ADMR. Après enquête, cette plainte a été classée sans suite le 23 mars 2011.

Le 10 novembre 2011, à l'issue d'une visite unique de reprise, le médecin du travail a déclaré Madame [T] [R] définitivement inapte au poste de secrétaire ainsi qu'à tout poste dans l'entreprise et sur les autres sites de l'entreprise.

La salariée a été convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 novembre 2011 à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour inaptitude physique fixé au 6 décembre 2011.

Le 25 novembre 2011, le médecin du travail, répondant à la question de l'employeur sur ce point, a confirmé que l'état de santé de Madame [T] [R] ne lui avait pas permis d'établir des 'aptitudes restantes' et a demandé à l'employeur de se référer à l'avis de visite de reprise.

Madame [T] [R] a été licenciée par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 décembre 2011pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Elle a saisi le conseil de prud'hommes de Tarbes par requête du 25 octobre 2012 pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse (40.000 €), afin d'obtenir l'indemnisation du préjudice consécutif au harcèlement moral dont elle avait été victime (40.000 €), une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents, ainsi qu'une indemnité de licenciement.

Par jugement du 7 octobre 2013, auquel il conviendra de se reporter pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, le conseil de prud'hommes de Tarbes a fait droit à la demande de l'Association ADMR et débouté Madame [T] [R] de l'ensemble de ses prétentions.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 21 octobre 2013, Madame [T] [R] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 9 octobre 2013.

Dans l'état de ses dernières écritures enregistrées le 12 janvier 2016 au greffe, reprises oralement à l'audience, Madame [T] [R] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau :

* d'annuler le licenciement litigieux, subsidiairement de le déclarer sans cause réelle et sérieuse ;

* de condamner l'Association ADMR à lui payer les sommes de :

40.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement abusif ;

40.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

2.632,78 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés y afférents ;

648,18 € à titre de solde sur indemnité de licenciement ;

3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

* de condamner l'Association ADMR aux dépens de l'instance et de rejeter l'ensemble des demandes de cette dernière.

Sur le harcèlement moral, Madame [T] [R] expose que les relations de travail ont été sereines jusqu'à l'arrivée de Madame [J] et l'élection de Monsieur [A] [X] en qualité de président de l'Association ADMR. A partir de là, la salariée déclare avoir subi d'incessantes critiques injustifiées, des moqueries, des brimades, et une mise à l'écart.

Elle évoque en particulier une entrevue du 10 juin 2009 où, après l'avoir enfermée à clés dans les locaux de l'association, Monsieur [A] [X] l'aurait violemment invectivée sur la qualité de son travail. L'après-midi, elle était victime d'une syncope vagale de stress consécutive à l'épisode traumatisant du matin. Sa chute a occasionné d'importantes séquelles physiques (traumatise crânien, perte auditive, troubles de l'équilibre).

Madame [T] [R] affirme rapporter la preuve des faits laissant présumer le harcèlement moral qu'elle a subi, par des attestations qu'elle produit et qui démontrent que, contrairement à l'opinion du conseil de prud'hommes, l'altercation du 10 juin 2009 n'était pas un fait isolé. Elle considère que le classement sans suite de la plainte qu'elle avait déposée n'est pas un obstacle à sa demande dès lors que le procureur de la République n'a pas exclu l'infraction, mais a seulement estimé qu'elle était insuffisamment caractérisée. L'appelante affirme produire d'autres attestations, relatives à la qualité de son travail, et rappelle qu'elle n'avait jamais subi de sanctions.

L'incidence de ce comportement sur son état de santé est également prouvée, selon Madame [T] [R], par de nombreux certificats médicaux.

Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'appelante fait valoir que l'employeur, dont la décision de la licencier était prise depuis le 20 novembre 2011 ne lui a proposé aucun poste de reclassement, et ne démontre pas qu'il a effectué des recherches loyales et sérieuses (telles que l'interrogation de l'AGEFIP) à cette fin.

Sur les dommages et intérêts réclamés, Madame [T] [R] motive sa demande au titre du licenciement par l'ancienneté dont elle bénéficiait (25 ans) en précisant qu'elle n'a pas depuis lors, retrouvé d'emploi. Elle expose que l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents sont dus en cas de licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, enfin et sur la base de la moyenne des salaires perçus les trois derniers mois (plus favorable que la moyenne des salaires des douze derniers mois), elle réclame un complément d'indemnité légale de licenciement.

Aux termes d'écritures reprises oralement à l'audience, l'Association ADMR conclut à la confirmation du jugement de première instance, à la condamnation de Madame [T] [R] au paiement d'une somme de 4.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, outre 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en sus des dépens.

L'intimée soutient que non seulement la preuve n'est pas rapportée de faits laissant présumer un harcèlement moral, mais pas davantage sur la relation entre l'entretien du matin du 10 juin 2009 et la chute de l'après-midi. Elle expose que les attestations produites ne sont pas probantes en ce qu'elles émanent de personnes qui ne travaillaient pas au siège de l'association, qu'elles sont peu explicites ou contraires aux déclarations des mêmes personnes faites dans le cadre de l'enquête pénale.

Elle ajoute que les explications demandées à Madame [T] [R] le 10 juin 2009, qui s'inscrivaient dans le cadre de l'exercice du pouvoir de direction de Monsieur [A] [X] étaient justifiées par les insuffisances professionnelles et le comportement contestable de cette dernière, attestés par de nombreuses personnes.

Quant à la recherche d'une solution de reclassement, l'Association ADMR estime qu'elle a été complète, loyale et sérieuse, comme en attestent les pièces produites, et qu'il a été satisfait aux exigences légales, l'inaptitude de Madame [T] [R] étant totale et définitive.

L'Association ADMR soutient enfin, que Madame [T] [R] a perçu l'indemnité de licenciement à laquelle elle était en droit de prétendre et qu'elle ne justifie pas du contraire, qu'ayant été licenciée pour inaptitude elle ne peut prétendre au versement d'une indemnité compensatrice de préavis, ni aux congés payés afférents.

A titre reconventionnel, l'Association ADMR demande la condamnation de Madame [T] [R] au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive mais aussi au regard de son attitude vis-à-vis de Monsieur [X], président de l'association, jugée insistante et dénigrante, voire malveillante.

MOTIFS

Sur la nullité du licenciement

Selon les dispositions des articles L. 1151-1 et L. 1151-3 du code du travail :

'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.'.

'Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1152-1 (...), toute disposition ou tout acte contraire est nul'.

En cas d'action en justice l'article L. 1154-1 du même code dispose :

'Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 (...) le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles'.

Madame [T] [R] fait valoir qu'elle établit la matérialité de faits précis et concordants permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, à savoir : des critiques injustifiées, des moqueries, sarcasmes, réflexions désagréables, une mise à l'écart imputables tant à Monsieur [A] [X], président de l'Association ADMR, qu'à Madame [B] [J], secrétaire et collègue de travail, d'autant moins acceptables et injustifiées que son dévouement sa compétence et la qualité de son travail étaient reconnues par tous. Elle affirme en rapporter la preuve par les pièces produites.

Il importe cependant de constater, conformément à l'analyse détaillée des pièces à laquelle a procédé le conseil de prud'hommes, que hormis les déclarations de Madame [T] [R], aucune des attestations produites ne conforte les comportements dénoncés. La majorité des attestations communiquées sont d'ailleurs des déclarations d'estime de la part de voisins, anciens professeurs, collègues de travail, et usagers de l'Association ADMR évoquant en termes généraux et non circonstanciés, ses qualités professionnelles, son dévouement et son implication sans faille dans son activité professionnelle. Certaines relèvent des propos prétendument déplacés de Monsieur [A] [X] notamment, à la suite de l'accident dont Madame [T] [R] a été victime le 10 juin 2009, mais en précisant qu'il s'agit de témoignages indirects de propos entendus par d'autres personnes dans des conditions non précisées.

D'autres encore, attestent de l'attitude 'froide', du 'ton moqueur' qu'aurait adopté Madame [B] [J], mais à leur égard, non vis-à-vis de Madame [T] [R]. Seules Mesdames [Y] et [F] précisent qu'elles auraient entendu des 'réflexions désagréables' de Madame [B] [J] à l'égard de Madame [T] [R]' sans toutefois en préciser la teneur. Il importe en outre de préciser que ces personnes qui intervenaient chez les particuliers en tant qu'aide-ménagères, n'étaient que rarement et brièvement présentes dans le bureau occupé par Madame [B] [J] et Madame [T] [R].

Aucune des attestations produites n'évoque le comportement prétendument 'moqueur et sarcastique' de Monsieur [A] [X] vis-à-vis de Madame [T] [R].

Monsieur [C] [O] enfin, relate un incident qui l'a opposé à Monsieur [A] [X] à propos de la formation d'un salarié de l'Association ADMR qui aurait donné lieu à des débordements verbaux et téléphoniques inacceptables selon le rédacteur de l'attestation (vociférations, invectives, grossièretés...). Quoiqu'il en soit de cet incident force est de constater que Madame [T] [R] n'y était nullement impliquée et n'y a pris aucune part. Il importe par ailleurs de relever que ce témoignage est le seul présentant le président de l'Association ADMR sous un jour discourtois et irascible, les autres personnes entendues dans le cadre de l'enquête de gendarmerie ou s'exprimant au travers d'attestations le décrivant plutôt comme un homme 'carré' mais poli, convivial, et à l'écoute, ayant un comportement adapté à la fonction exercée.

Aucun témoignage ou document n'étaye en revanche les brimades, la mise à l'écart, dont l'appelante prétend avoir été victime.

Il doit également être souligné que les appréciations élogieuses sur les compétences et le comportement de Madame [T] [R] au travail étaient loin d'être unanimes. De nombreuses personnes ayant travaillé avec Madame [T] [R] tant à la mairie qu'au sein de l'Association ADMR témoignent de son incapacité à accepter les critiques, de ses réactions émotionnelles excessives à la moindre remarque. De même, deux anciens présidents de l'association (Madame [U], Monsieur [G]) attestent des difficultés rencontrées avec cette salariée certes, investie dans son travail mais ne tolérant aucune observation, excédant le cadre de ses fonctions, manquant d'organisation, consacrant régulièrement une partie de son temps de travail, à des appels téléphoniques personnels, ayant tendance à 'tout régenter'. Tous évoquent la fragilité psychologique de Madame [T] [R], la fréquence de ses crises de larmes à la moindre observation sur son travail, au point que Monsieur [G] impute en partie sa démission au comportement de Madame [T] [R] à son égard.

Ces observations sont à mettre en parallèle avec l'incident du 10 juin 2009 décrit par Madame [T] [R] comme une séquestration subie dans les bureaux de l'Association ADMR au cours duquel elle aurait été humiliée et physiquement menacée par Monsieur [A] [X], contrainte de signer la lettre dans laquelle se trouvaient consignés les reproches qui venaient de lui être faits. Cette version des faits est vivement contestée par le président de l'Association ADMR et Madame [T] [R] n'en rapporte aucune preuve. Ce récit n'a d'ailleurs été rapporté que très tardivement, en novembre 2010, par Madame [T] [R] lors du dépôt de sa plainte. Ces circonstances pour le moins anormales n'ont en revanche pas même été évoquées dans la réponse écrite aux griefs que la salariée a envoyée à Monsieur [A] [X] ainsi qu'à de nombreux autres destinataires le 15 juin 2009. Elles ne peuvent dès lors être tenues pour acquises.

Il est en revanche établi que cette salariée a bien été convoquée ce 10 juin 2009 pour un entretien au cours duquel l'employeur lui a effectivement fait des observations critiques sur la gestion des emplois du temps, l'organisation du secrétariat, sur des difficultés rencontrées par Madame [T] [R] pour retrouver des dossiers, sur des commentaires jugés inadaptés par l'employeur consignés par Madame [T] [R] dans un cahier de liaison. Ces observations écrites constituent certes un avertissement mais dont il sera observé que Madame [T] [R] ne demande pas l'annulation. A supposer même qu'il n'ait pas été fondé, comme le soutient l'appelante, il ne saurait constituer, un acte laissant présumer un harcèlement moral s'agissant d'un acte isolé.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté Madame [T] [R] de la demande fondée sur le harcèlement moral.

Madame [T] [R] soutient en second lieu, que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de recherche d'un reclassement.

En application des dispositions de l'article L. 1226-10 du code du travail, lorsque le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre, à l'issue des périodes de suspension, l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes ou aménagement du temps de travail.

L'avis d'inaptitude d'un salarié ne dispense pas l'employeur de rechercher les possibilités de reclassement par la mise en oeuvre de mesures appropriées, que cette inaptitude soit totale et pour tout poste dans l'entreprise ou, a fortiori, lorsque que cette inaptitude ne concerne que le poste occupé.

Le licenciement ne peut être prononcé que si l'employeur justifie, dans ces conditions, soit de l'impossibilité où il se trouve de proposer un emploi, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé.

Madame [T] [R] fait observer qu'aucune solution de reclassement n'a été envisagée pour elle, que l'employeur ne justifie pas avoir contacté l'AGEFIP ou tout autre organisme spécialisé dans la recherche d'emploi.

Elle souligne que dans sa lettre au médecin du travail le 20 novembre 2011, l'Association ADMR s'est contentée de prendre acte de l'inaptitude sans demander au médecin du travail d'étudier des postes et des conditions de travail postérieurement à son avis d'inaptitude.

L'Association ADMR conteste cette version, soutient que dès qu'elle a été informée de l'accident dont Madame [T] [R] avait été victime, elle a tenté de trouver une solution de reclassement. C'est à cette fin qu'elle a interrogé le médecin du travail qui a confirmé que l'état de santé de Madame [T] [R] ne lui permettait pas 'd'établir des aptitudes restantes'.

Il est en l'espèce établi que le 10 novembre 2011, à l'issue d'une visite unique de reprise en raison du risque immédiat sur la santé de la salariée, le médecin du travail a déclaré Madame [T] [R] définitivement inapte 'au poste de secrétaire ainsi qu'à tout poste dans l'entreprise et sur les autres sites de l'entreprise'.

Par lettre du 20 novembre 2011, l'Association ADMR interrogeait le médecin du travail sur les 'aptitudes restantes' de Madame [T] [R].

Par lettre du 22 novembre 2011, l'Association ADMR a informé Madame [T] [R] qu'après réception de l'avis d'inaptitude sus évoqué 'Malgré cette formulation qui limite considérablement les possibilités de reclassement, nous sommes toutefois tenus, conformément aux dispositions légales, à une obligation de tentative de reclassement.

Par ailleurs, nous avons également pris note de l'avis du comité médical départemental du date du 23 août 2011, que vous nous avez communiqué le 31 octobre 2011 et qui stipule 'inaptitude totale et définitive à l'exercice de toute fonction.'.

Je vous informe que cette recherche s'avère infructueuse. En effet, nous ne disposons d'aucun poste susceptible de vous être proposé car tous comportent à un moment ou à un autre une situation incompatible avec votre état de santé.

Je vous signale que l'association CAP EMPLOI est un partenaire - service spécialisé dans l'adéquation emploi compétence et handicap. Ses coordonnées : [Adresse 1], Tél : (...)'.

Deux jours plus tard, soit le 24 novembre 2011, l'Association ADMR convoquait Madame [T] [R] à un entretien préalable à son licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception dont la première phrase est la suivante :

'Comme suite à notre courrier du 22 novembre 2011, par lequel je vous informais que nous étions dans l'impossibilité de vous reclasser, je suis au regret de devoir engager une procédure de licenciement pour inaptitude avec impossibilité de reclassement en application de l'article 1226-12 du code du travail...'.

Il n'est pas inutile de relever que c'est seulement par lettre du 25 novembre 2011 que le médecin du travail a répondu à la demande exprimée par l'Association ADMR par lettre du 20 novembre 2011, en confirmant l'avis de la visite de reprise du 10 novembre 2011 et précisant que l'état de santé de Madame [T] [R] ne lui avait pas permis d'établir des 'aptitudes restantes.'.

Il découle de la chronologie de ces échanges épistolaires et de la teneur de ces lettres, la preuve que l'employeur a méconnu l'obligation qui lui incombait, non seulement au regard de la hâte avec laquelle il a licencié Madame [T] [R] (soit moins d'un mois après l'avis d'inaptitude émis à la suite de la visite unique du médecin du travail) mais surtout parce que l'Association ADMR n'a proposé aucun poste de reclassement, et n'a envisagé aucune solution de mutation, transformations de postes ou aménagement du temps de travail, recherches qui s'imposent à lui-même lorsque l'inaptitude est totale et pour tout poste dans l'entreprise. Or, il sera relevé que l'Association ADMR n'a pas même attendu la réponse du médecin du travail pour notifier à la salariée :

* d'abord l'absence de tout poste disponible au sein de l'entreprise (lettre du 22 novembre 2011) ;

* ensuite sa convocation à l'entretien préalable à son licenciement (lettre du 24 novembre 2011).

La communication des coordonnées de CAP EMPLOI ne satisfait pas à l'obligation en cause étant rappelé que c'est à l'employeur et non au salarié qu'il incombe d'entreprendre les recherches et qu'il ne peut s'en exonérer en communiquant au salarié les coordonnés d'organismes susceptibles de l'assister dans ces recherches. Quant à l'échange de courriel - au demeurant incomplet - avec CAP EMPLOI (dont on relèvera qu'il date du 6 décembre 2011 soit trois jours seulement avant l'envoi de la lettre de licenciement) il a trait non pas aux possibilités effectives de reclassement susceptibles d'être offertes à la salariée, mais à des conseils sur la procédure à suivre par l'employeur.

L'indifférence manifeste de l'Association ADMR vis-à-vis de l'avis du médecin du travail, établie par la mise en oeuvre de la procédure de licenciement avant même que l'employeur ait eu connaissance de la teneur de cet avis, suffit à démontrer que les recherches de l'Association ADMR n'ont été ni sérieuses, ni loyales.

Le licenciement pour cause d'inaptitude prononcé à l'encontre de Madame [T] [R] est dans ces conditions dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il y a donc lieu d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Tarbes de ce chef.

L'Association ADMR sera également condamnée à rembourser aux organismes intéressés (Pôle Emploi) les indemnités de chômage éventuellement versées à Madame [T] [R] du jour de son licenciement au jour du jugement du conseil de prud'hommes, dans la limite de 3 mois d'indemnités, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail dès lors que la salariée avait plus de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise qui employait plus de dix salariés.

Conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, Madame [T] [R] est en droit d'obtenir l'indemnisation de ce licenciement abusif, cette salariée employée dans une entreprise d'au moins 10 salariés, ayant une ancienneté de près de 25 ans.

Selon les écritures et les pièces communiquées par Madame [T] [R], cette salariée percevait un salaire moyen mensuel brut de 1.193,60 € sur les six derniers mois (voir attestation Pôle Emploi communiquée en pièce 12 par Madame [T] [R]).

L'appelante n'ayant pas produit la moindre pièce justificative sur sa situation actuelle pas plus que sur les revenus dont elle dispose, il y a lieu au vu de l'ancienneté dont elle bénéficiait et des conditions à la fois hâtives et manifestement douloureuses dans lesquelles ce licenciement a été prononcé de fixer le montant dû par la l'Association ADMR à la somme de 21.500 €.

S'agissant de l'indemnité de préavis, Madame [T] [R] fait à juste titre valoir que si le salarié ne peut en principe prétendre au paiement d'une indemnité pour un préavis qu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter en raison d'une inaptitude à son emploi, cette indemnité est due au salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement consécutive à l'inaptitude. Compte tenu de l'ancienneté de Madame [T] [R] (plus de deux ans dans l'entreprise) elle est en droit de prétendre au versement d'une indemnité équivalent à deux mois de salaire moyen mensuel brut calculés sur la base des trois derniers mois, plus favorables que les douze derniers mois, soit une somme due à ce titre de 2.393,44 €, à laquelle il convient d'ajouter 239,34 € au titre des congés payés.

La demande de Madame [T] [R] ayant été rejetée sur le fondement du harcèlement moral elle ne peut prétendre au paiement d'une indemnité à ce titre.

Madame [T] [R] réclame également un complément d'indemnité légale de licenciement au motif que l'Association ADMR aurait calculé cette indemnité sur la base des douze derniers mois alors qu'il convenait de retenir comme base de calcul la moyenne des trois derniers mois, qui lui sont plus favorables.

L'Association ADMR ne le conteste pas et parvient d'ailleurs à une moyenne sur les trois derniers mois supérieure (1.220,07 €) à celle de Madame [T] [R] (1.196,72 €) tout en calculant le montant de l'indemnité légale de licenciement sur la base d'une ancienneté de 22 ans et 6 mois. Or, il ressort de l'attestation Pôle Emploi établie par l'employeur que la période d'emploi de Madame [T] [R] au service de l'Association ADMR s'est étendue du 29 janvier 1987 au 10 décembre 2011 soit une durée de 24 ans et 10 mois, l'ancienneté à prendre en compte au titre de l'article R. 1234-1 du code du travail correspondant aux années de service tenant compte des mois de service accomplis - c'est-à-dire 'pleins' - au-delà des années pleines. Madame [T] [R] aurait dès lors et par application des dispositions de l'article R. 1234-2 du code du travail dû percevoir une somme de 8.310,54 € à ce titre alors qu'elle n'a perçu qu'un montant de 7.695,59 € (voir bulletin de salaire du 1er décembre 2011 au 31 décembre 2011), soit un solde restant dû de 614,95 €.

Sur la demande reconventionnelle de l'Association ADMR

La demande de dommages et intérêts de l'Association ADMR fondée sur la procédure prétendument abusive engagée par Madame [T] [R] à son encontre est sans objet dès lors qu'il est en partie fait droit aux prétentions de cette salariée. Il y a donc lieu de débouter l'Association ADMR de sa demande fondée tant sur l'application des dispositions de l'article 1382 du code civil que de l'article 32-1 du code de procédure civile.

Sur les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Il appartient à l'Association ADMR qui succombe de supporter la charge des dépens de première instance et d'appel et de verser à Madame [T] [R] une indemnité de procédure de 1.500 €.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe et en dernier ressort :

CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de [Localité 2] du 7 octobre 2013 en ce qu'il a débouté Madame [T] [R] de ses demandes de nullité du licenciement et d'indemnisation du préjudice subi au titre du harcèlement moral ;

L'INFIRME pour le surplus ;

ET STATUANT à nouveau :

DIT que le licenciement de Madame [T] [R] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE l'Association ADMR à payer à Madame [T] [R] une somme de 21.500 € (vingt et un mille cinq cents euros) à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

CONDAMNE l'Association ADMR à payer à Madame [T] [R] une somme de 2.393,44 € (deux mille trois cent quatre-vingt-treize euros et quarante-quatre centimes) à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

CONDAMNE l'Association ADMR à payer à Madame [T] [R] une somme de 239,34 € (deux cent trente-neuf euros et trente-quatre centimes) à titre de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis ;

CONDAMNE l'Association ADMR à payer à Madame [T] [R] une somme de 614,95 € (six cent quatorze euros et quatre-vingt-quinze centimes) à titre de solde sur indemnité légale de licenciement ;

CONDAMNE l'Association ADMR à rembourser aux organismes intéressés (Pôle emploi) les indemnités de chômage versées à Madame [T] [R] du jour de son licenciement au jour du jugement du conseil de prud'hommes, dans la limite de trois mois d'indemnités, en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail,

DIT que conformément aux dispositions des articles L. 1235-4 et R. 1235-2 du code du travail, une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe au Pôle Emploi du lieu où demeure le salarié,

DÉBOUTE l'Association ADMR de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et fondée sur les dispositions de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l'Association ADMR aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Madame [T] [R] une indemnité de procédure de 1.500 € (mille cinq cents euros).

Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 13/03726
Date de la décision : 24/03/2016

Références :

Cour d'appel de Pau 3S, arrêt n°13/03726 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-24;13.03726 ?
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