MC/SB
Numéro 15/04694
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 03/12/2015
Dossier : 14/01163
Nature affaire :
Demande en paiement de prestations
Affaire :
CARSAT AQUITAINE
C/
[E] [D]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 03 Décembre 2015, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 07 Octobre 2015, devant :
Madame THEATE, Président
Monsieur GAUTHIER, Conseiller
Madame COQUERELLE, Conseiller
assistés de Madame HAUGUEL, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
CARSAT AQUITAINE, CAISSE D'ASSURANCE RETRAITE ET DE LA SANTE AU TRAVAIL D'AQUITAINE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Maître BARDET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMEE :
Madame [E] [D]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Maître SESMA, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 10 FEVRIER 2014
rendue par le TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE PAU
RG numéro : 20130051
FAITS ET PROCÉDURE
Le 23 août 2007, Madame [E] [D] a sollicité de la CARSAT AQUITAINE la liquidation d'une pension de réversion du chef de son époux décédé, Monsieur [D], le 9 juillet 2007. Etait jointe à ce formulaire de demande une déclaration de ressources dument complétée par Madame [E] [D].
Le 29 août 2007, la CARSAT AQUITAINE a notifié à Madame [E] [D] qu'à compter du 1er août 2007, la pension de réversion sollicitée lui était versée à hauteur de 84,62 euros.
Le 4 octobre 2010, Madame [E] [D] a sollicité la liquidation de sa retraite personnelle.
Elle joignait à sa demande une nouvelle déclaration de revenus.
Par courrier en date du 17 mars 2011, la CARSAT AQUITAINE a notifié à Madame [E] [D] la liquidation de sa retraite personnelle à compter du 1er février 2011 et la suppression, en raison du montant de ses ressources, de la pension de réversion précédemment liquidée à compter du 1er janvier 2008.
Par courrier en date du 26 décembre 2011, la CARSAT AQUITAINE a indiqué à Madame [E] [D] que pour la période courant du 1er mai 2011 au 30 novembre 2011, elle avait perçu, à tort, au titre de la pension de réversion, la somme de 1.683,92 euros, montant dont elle sollicitait le remboursement.
Par courrier du 6 janvier 2012, Madame [E] [D] a contesté le trop perçu réclamé qu'elle a, cependant, remboursé par chèque de 1.683,92 euros le 16 mars 2012 pour éviter les prélèvements mensuels exigés par la CARSAT AQUITAINE.
Par courrier du 29 avril 2012, Madame [E] [D] a de nouveau contesté l'arrêt du versement de la pension de réversion, contestant les ressources prises en compte pour le calcul de cette pension.
Par courrier du 9 mai 2012, la CARSAT AQUITAINE a informé Madame [E] [D] qu'elle procédait à une nouvelle étude de son dossier.
Par courrier du 5 juillet 2012, la CARSAT AQUITAINE a informé Madame [E] [D] qu'à compter du 1er août 2007, le montant de la pension de réversion était réduite.
Par courrier du 30 août 2012, Madame [E] [D] a saisi la commission de recours amiable de la caisse pour contester les éléments de calcul et la modification du montant de sa pension de réversion. Elle a maintenu sa contestation dans un courrier du 18 octobre 2012 après que la CARSAT AQUITAINE lui ait apporté de nouvelles explications sur le mode de calcul de ses revenus et le montant de sa pension de réversion.
Par décision en date du 11 décembre 2012, la commission de recours amiable a rejeté la contestation de Madame [E] [D] qui a saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale par lettre simple reçue le 11 février 2013.
Par jugement contradictoire en date du 10 février 2014, auquel il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions initiales des parties et des moyens soulevés, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale a dit que Madame [E] [D] est en droit de réclamer la pension de réversion qui lui a été attribuée par la CARSAT AQUITAINE dans la notification qui lui a été faite le 24 mars 2011 à hauteur de 280,05 euros bruts par mois et a condamné la CARSAT AQUITAINE à lui payer la somme de 5.881,05 euros au titre de la pension de réversion due sur la période du 1er mai 2011 au 28 février 2013 ainsi que la pension de réversion due chaque mois à compter de mars 2013.
Par lettre recommandée adressée au greffe et portant la date d'expédition du 12 mars 2014 et reçue le 13 mars 2014, la CARSAT AQUITAINE a interjeté appel à l'encontre de ce jugement qui lui a été notifié le 4 mars 2014.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions enregistrées au greffe de la chambre sociale le 22 juillet 2015, reprises oralement à l'audience du 7 octobre 2015, la CARSAT AQUITAINE conclut à l'infirmation du jugement déféré et à la confirmation de la décision de la commission de recours amiable en date du 11 décembre 2012. Elle sollicite, ainsi, qu'il soit dit qu'au 1er mai 2011, les revenus de Madame [E] [D] excédaient les plafonds lui permettant de percevoir la pension de réversion et qu'ainsi, la suspension de la pension de réversion servie à Madame [E] [D] est fondée et régulière.
Elle sollicite, également, qu'il soit donné acte à Madame [E] [D] qu'elle a d'ores et déjà remboursé à la CARSAT AQUITAINE la somme de 1.683,92 euros qu'elle a indûment perçue pour la période courant du 1er mai 2011 au 30 novembre 2011.
A l'appui de ses prétentions, la CARSAT AQUITAINE fait valoir qu'il résulte clairement des dispositions de l'article L 353-1 du code de la Sécurité sociale, qui posent les conditions d'octroi d'une pension de réversion, que celle-ci est conditionnée aux ressources du conjoint survivant'; que l'article R 353-1 du même code détermine les modalités d'appréciation de ces ressources, l'article R 353-1-1 posant le principe que la caisse peut procéder à la révision du montant de la pension de réversion en cas de variation des revenus du bénéficiaire, la date de la dernière révision ne pouvant, cependant, pas être postérieure :
a)A un délai de 3 mois après la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l'ensemble des avantages personnels de retraite de base et complémentaire lorsqu'il peut prétendre à de tels avantages
b)A la date à laquelle il atteint l'âge prévu par l'article L 161-17-2 lorsqu'il ne peut pas prétendre à de tels avantages
En l'espèce, souligne la Caisse, Madame [E] [D] bénéficiant d'une pension personnelle depuis le 1er février 2011, c'est cette date qu'il convient de retenir comme étant celle à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l'ensemble des avantages personnels de retraite de base et complémentaire. Ainsi, le délai de 3 mois visé au a) de l'article R 353-1-1 au vu de cette date du 1er février 2011 prenait fin au 1er mai 2011.
Ce délai de 3 mois fixé par les textes n'est pas un délai d'instruction dans lequel la Caisse est dans l'obligation d'agir mais un délai de cristallisation des ressources appréciées.
En l'espèce, c'est bien au 1er mai 2011 que les ressources de Madame [E] [D] ont été appréciées. Ceux-ci s'élevaient à 1.806,89 euros (retraite CARSAT, retraite ARRCO et CREPA, forfait immobilier, forfait mobilier) alors qu'à cette date, le plafond de ressources posé par les textes était fixé à hauteur de 4.680 euros par trimestre soit 1.560 euros par mois.
La CARSAT AQUITAINE conclut que les revenus de Madame [E] [D] excédant incontestablement le plafond de ressources règlementairement posé à l'article R 353-1 du code de la sécurité sociale au 1er mai 2011, c'est à bon droit qu'elle a considéré que l'assurée ne pouvait bénéficier d'une pension de réversion née du chef de Monsieur [D], décédé.
La CARSAT AQUITAINE précise que, comme Madame [E] [D] a indûment perçu cette pension de réversion entre le 1er mai 2011 et le 30 novembre 2011, elle était redevable d'une somme de 1.683,92 euros, laquelle a été réglée.
Par conclusions enregistrées au greffe de la chambre sociale sous la date du 23 septembre 2015, reprise oralement à l'audience du 7 octobre 2015, Madame [E] [D] conclut à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Elle fait valoir que la date de cristallisation de ses droits doit être, effectivement, fixée au 1er mai 2011, soit 3 mois après avoir fait liquider sa retraite personnelle de base et complémentaire au 1er février 2011 mais que cette date de cristallisation correspond à une date au-delà de laquelle la pension de réversion de l'assurée n'est plus révisable par la CARSAT. Le droit et le montant de la pension de réversion ont été figés au 1er mai 2011. Par conséquent, la notification faite le 26 décembre 2011 concernant l'existence d'un trop perçu déterminé à la suite d'une révision de la prestation sur la période du 1er mai au 30 novembre 2011 ainsi que les notifications ultérieures sont irrecevables.
La Cour se réfère expressément aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens de fait et de droit développés par les parties.
MOTIVATION
L'appel, interjeté dans les formes et les délais prévus par la loi, est recevable en la forme.
Aux termes de l'article R 353-1-1 du code de la sécurité sociale (modifié par décret numéro 2007-56 du 12 janvier 2007), la pension de réversion est révisable en cas de variation dans le montant des ressources, calculé en application des dispositions de l'article R 353-1, dans les conditions et selon les modalités fixées aux articles R 815-20, R 815-38, R 815-39 et R 814-42. La date de la dernière révision ne peut être postérieure':
A) à un délai de trois mois après la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l'ensemble des avantages personnels de retraite de base et complémentaire lorsqu'il peut prétendre à de tels avantages
B) à la date de son soixantième anniversaire lorsqu'il ne peut pas prétendre à de tels avantages.
L'article R 353-1-1 pose le principe de la «' révisabilité » de la pension en cas de variation dans le montant des ressources.
Le renvoi de ce texte aux articles R 815-20, R 815-38, R 815-39 et R 815-42 est un renvoi aux conditions et modalités de révision définies par ces textes, indépendamment du fait que ces textes soient relatifs à l'allocation de solidarité.
Toutefois, si le texte pose le principe d'une révision possible de la pension de réversion en cas de variation dans le montant des ressources, il pose aussi une limite à cette révision en disposant que la date de la dernière révision ne peut pas être postérieure soit au délai de trois mois après la perception par l'intéressé de ses avantages personnels de retraite de base et complémentaire, soit à la date de son 60ième anniversaire lorsqu'il ne peut pas prétendre à de tels avantages.
La notion de «'dernière révision »'peut signifier soit la révision qui vient après toutes les autres, soit la révision après laquelle il ne peut plus y en avoir d'autres.
Dans la première acception, il peut y avoir révision de la pension de réversion dans les cas de variation dans le montant des ressources déterminées selon les conditions et modalités fixées par les textes de renvoi, de sorte que la pension de réversion peut être révisée aussi souvent qu'apparaîtront des variations dans le montant des ressources, la dernière révision n'étant alors que la dernière révision intervenue mais qui peut être suivie de nouvelles révisions.
Tel ne peut, cependant, être l'hypothèse de l'article R 353-1-1 précité. Lorsque ce texte dispose que': «' la date de la dernière révision ne peut être postérieure':
A)A un délai de trois mois après la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l'ensemble des avantages personnels de retraite de base et complémentaire lorsqu'il peut prétendre à de tels avantages
B)A la date de son soixantième anniversaire lorsqu'il ne peut pas prétendre à de tels avantages'»
Il fixe la date de la dernière révision possible lorsque l'une ou l'autre des conditions visées est remplie, et vise donc la dernière révision possible, c'est à dire celle après laquelle il ne peut y en avoir d'autres, ainsi que cela résulte suffisamment de l'adjectif «' postérieure'» qui signifie qu'aucune révision ne peut intervenir après le délai fixé.
La position de la caisse qui considère que le délai de trois mois visé par le texte correspond à un délai de « cristallisation »' des ressources ne correspond ni à la lecture littérale de l'article R 353-1-1 ni à une lecture imposée par sa compréhension ou son application effective et constitue dès lors une interprétation qui n'a pas lieu d'être.
En effet, l'article R 353-1-1 renvoie notamment à l'article 815-20 lequel dispose': «' les organismes ou services mentionnés à l'article L 815-7 peuvent mettre en demeure, sous les sanctions prévues à l'article R 815-49, toute personne, institution ou organisme de leur faire connaître dans un délai d'un mois le montant des pensions, retraites, rentes viagères ou allocations viagères autres que les avantages de vieillesse mentionnés à l'article L 815-7, tels qu'ils sont définis à l'article R 815-4, qu'il est tenu de servir à une personne bénéficiant ou ayant demandé le bénéfice de l'allocation de solidarité aux personnes âgées'».
Il résulte de ce texte que les organismes ou services débiteurs d'un avantage de vieillesse de base résultant de dispositions législatives ou réglementaires peuvent mettre en demeure, sous la sanction d'une contravention de 4ième classe (R 815-49) toute personne, institution ou organisme de leur faire connaître dans un délai d'un mois le montant des avantages de vieillesse, autres que l'allocation de solidarité aux personnes âgées résultant des dispositions législatives ou réglementaires et l'allocation de solidarité aux personnes âgées qui ne relèvent d'aucun régime de base obligatoire d'assurance vieillesse, qu'ils sont tenus de servir.
Or, la CARSAT (caisse d'assurance retraite et de la santé au travail) est un organisme de sécurité sociale qui intervient, sous l'égide de la caisse nationale d'assurance vieillesse et de la caisse nationale d'assurance-maladie, auprès des salariés, des retraités et des entreprises au titre de la retraite, de l'aide sociale et de la gestion des risques professionnels qui a donc le pouvoir de mettre en demeure toute personne, institution ou organisme de lui faire connaître dans un délai d'un mois le montant des pensions, retraites, rentes viagères ou allocations viagères, telles que rappelées ci-dessus, qu'ils sont tenus de servir.
Ainsi, la Caisse a les moyens de connaître dans le délai d'un mois le montant des avantages personnels de retraite de base et complémentaire, au titre du régime général ou autre, servis au bénéficiaire de la pension de réversion.
Dès lors que ce bénéficiaire fait valoir ses droits à la retraite et perçoit l'ensemble de ses avantages personnels de retraite de base et complémentaire, dont la caisse peut avoir connaissance dans le délai d'un mois, alors la caisse ne peut procéder à la révision de la pension de réversion que dans le délai de trois mois après la date d'entrée en jouissance de ses avantages par le conjoint survivant.
Et, à défaut, pour le bénéficiaire de la pension de réversion de prétendre à des avantages personnels de retraite de base et complémentaire, la caisse ne peut procéder à la révision du montant de sa pension de réversion au-delà de l'âge de son 60ième anniversaire.
Par conséquent, le délai de trois mois visé à l'article R 353-1-1 n'est pas une période de «' cristallisation »' des ressources qui, comme le prétend la caisse, pourraient être prises en compte pour une révision de la pension de réversion à quelque moment que ce soit, y compris au-delà de ce délai de trois mois. Au contraire, dès lors que la caisse peut avoir connaissance dans un délai d'un mois de la perception par le bénéficiaire d'une pension de réversion de ses avantages personnels de retraite de base et complémentaire, alors elle n'est plus recevable à procéder à la révision de cette pension au-delà du délai de trois mois à compter de la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de ses avantages.
En l'espèce, la demanderesse est entrée en jouissance de ses droits personnels de retraite de base et complémentaire au 1er février 2011 de sorte que la caisse ne pouvait procéder à la révision du montant de sa pension de réversion au-delà du 1er mai 2011.
Par conséquent, la CARSAT ne pourra qu'être déboutée de ses prétentions et le jugement déféré sera confirmé.
Il n'y a pas lieu à dépens par application des articles L 144-5 et R 144-10 du code de la sécurité sociale.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement du Tribunal des Affaires de sécurité sociale du 10 février 2014 en toutes ses dispositions.
Dit n'y avoir lieu à dépens en application des articles L 144-5 et R 144-10 du code de la sécurité sociale.
Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,