MC/CD
Numéro 15/04693
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 03/12/2015
Dossier : 13/03723
Nature affaire :
Demande d'annulation d'une décision d'un organisme
Affaire :
CAISSE D'ASSURANCE RETRAITE ET DE LA SANTÉ AU TRAVAIL D'AQUITAINE
C/
[V] [C]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 03 Décembre 2015, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 07 Octobre 2015, devant :
Madame THEATE, Président
Monsieur GAUTHIER, Conseiller
Madame COQUERELLE, Conseiller
assistés de Madame HAUGUEL, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
CAISSE D'ASSURANCE RETRAITE ET DE LA SANTÉ AU TRAVAIL D'AQUITAINE (CARSAT AQUITAINE)
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Maître BARDET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Madame [V] [C]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/006569 du 15/01/2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PAU)
Représentée par Maître LARIE, avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 30 AOÛT 2013
rendue par le TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SÉCURITÉ SOCIALE DE BAYONNE
RG numéro : 20110401
FAITS ET PROCÉDURE
Madame [V] [D] née [C] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bayonne d'une contestation de la décision de la commission de recours amiable de la CARSAT AQUITAINE en date du 13 octobre 2011 qui a confirmé la décision de la Caisse de suspendre à compter du 1er mars 2008 le versement de la pension de réversion dont elle bénéficiait depuis le 1er septembre 2007 suite au décès de son époux.
En janvier 2010, la Caisse a adressé à Madame [C] un questionnaire de ressources et considérant qu'il ressortait des réponses de l'assurée que le montant d'une retraite complémentaire qui lui était servie par l'ISICA n'avait pas été pris en compte dans le calcul de ses ressources lors de l'examen de sa demande de pension de réversion et qu'elle ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de cette pension, en a suspendu le versement à compter du 1er mars 2008.
De plus, la Caisse a notifié à Madame [C] un trop-perçu de pension de réversion d'un montant de 7'478,55 euros que la commission de recours réduit à 6'441,03 euros en faisant application de la prescription biennale puis à 1'932 euros après remise partielle de la dette.
Par jugement contradictoire en date du 30 août 2013, auquel il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions initiales des parties ainsi que des moyens soulevés, le tribunal des affaires de sécurité sociale a infirmé la décision de la commission de recours amiable de la CARSAT AQUITAINE, a dit que la CARSAT AQUITAINE devra rétablir Madame [C] dans ses droits au bénéfice et pour l'entier montant de la pension de réversion qu'elle percevait antérieurement à sa suppression et a annulé le trop-perçu qui a été réclamé à Madame [C] du fait de cette suppression.
Par lettre recommandée adressée au greffe et portant la date d'expédition du 16 octobre 2013, la CARSAT AQUITAINE a interjeté appel à l'encontre de ce jugement qui lui a été notifié le 7 octobre 2013.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions enregistrées au greffe de la chambre sociale sous la date du 21 juillet 2015, reprises oralement à l'audience du 7 octobre 2015, la CARSAT AQUITAINE conclut à l'infirmation du jugement déféré. Elle sollicite qu'il soit dit qu'au, 1er mars 2008, les revenus de Madame [C] excédaient les plafonds qui lui permettaient de percevoir la pension de réversion et qu'en conséquence la décision de la commission de recours amiable en date du 13 octobre 2011 soit confirmée, la suspension du versement de la pension de réversion étant fondé et régulier.
A titre reconventionnel, elle sollicite qu'il soit dit que Madame [C] reste redevable d'une somme de 1'932 euros correspondant au trop-perçu à tort depuis le 1er mars 2008.
A l'appui de ses prétentions, elle expose que Madame [C] a été marié' pendant 26 ans avec Monsieur [B] lequel est décédé le [Date décès 1] 2004'; que le 9 août 2007, elle a soumis une demande de pension de retraite de réversion à la CARSAT AQUITAINE ; que cette demande était accompagnée d'un questionnaire sur ses ressources, questionnaire dûment complété par Madame [C]'; qu'à la suite de sa demande, le 28 novembre 2007, a été adressée à Madame [C] une notification de retraite l'informant qu'à compter du 1er septembre 2007 une retraite de réversion lui serait attribuée, cette retraite étant, cependant, réduite, au regard de ses ressources.
Elle précise que suite à la transmission d'un questionnaire relatif aux ressources de Madame [C], elle a effectué un examen de ces ressources et a déterminé que celles-ci excédaient les plafonds qui lui permettaient de percevoir la pension de retraite jusqu'alors servie.
C'est dans ces conditions que, le 19 juillet 2010, elle a adressé à Madame [C] une notification de retraite l'informant de la suspension du versement de ladite pension de réversion. De plus, elle déterminait que, au vu de ses ressources, Madame [C] avait perçu à tort la pension de réversion qui lui avait été versée.
La CARSAT AQUITAINE fait valoir que les conditions d'octroi d'une pension de réversion sont déterminées par l'article L. 353-1 du code de la sécurité sociale qui conditionne l'octroi d'une telle pension aux ressources du conjoint survivant, l'article R. 353-1-1 dudit code prévoyant, en outre, que la Caisse peut procéder à la révision du montant de cette pension de réversion en cas de variation des revenus du bénéficiaire ces dispositions prévoyant, cependant, que la date de la dernière révision ne peut être postérieure :
a) à un délai de trois mois après la date à la laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l'ensemble des avantages personnels de retraite de base et complémentaire lorsqu'il peut prétendre à de tels avantages ;
b) à la date à laquelle il atteint l'âge prévu par l'article L. 161-17-2 lorsqu'il ne peut pas prétendre à de tels avantages.
Les ressources à prendre en compte et celles exclues sont fixées à l'article R. 353-1 du code de la sécurité sociale.
La CARSAT AQUITAINE soutient que Madame [C] fait une interprétation erronée des dispositions de R. 353-1-1 qui posent deux conditions alternatives s'agissant des conditions de révision de la pension de réversion. Effectivement, Madame [V] [C] ayant cotisé au régime général avant son affiliation au régime spécial, pouvait prétendre à des avantages servis par la CARSAT et ne relève ainsi pas du b) mais du a) qui fixe un délai de « trois mois après la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l'ensemble des avantages personnels'».
Or, Madame [C] étant entrée en jouissance de tous ses avantages personnels au 1er septembre 2007, (en réalité au 1er décembre 2007) la date de cristallisation de ses droits à pension de retraite de réversion est donc le 1er janvier 2008 (en réalité au 1er mars 2008). Il s'agit, ainsi, précise la Caisse, d'un délai de cristallisation des ressources et non d'un délai dans lequel la Caisse doit agir.
La révision de la pension de réversion peut donc intervenir postérieurement au délai de 3 mois visé par le texte dès lors que le montant des ressources avait évolué à l'intérieur de ces 3 mois.
C'est donc, à tort, soutient la Caisse, que le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bayonne a estimé que le délai de 3 mois correspondait à un délai au-delà duquel elle ne pouvait plus notifier la révision de la pension de réversion.
En l'espèce, ce n'est qu'au mois d'avril 2010 qu'elle a eu connaissance des réelles ressources de Madame [C], et notamment du fait que celle-ci percevait une pension de retraite complémentaire servie par ISICA. Mais l'étude du dossier de l'assurée a été effectué le 1er mars 2008, date de cristallisation de la pension de réversion fixée à trois mois après la date d'entrée en jouissance de tous les avantages personnels de retraite de base et complémentaire. Or, les ressources de Madame [C] au 1er mars 2008 sont de 2'348,35 euros alors que le plafond à ne pas dépasser pour pouvoir prétendre au bénéfice de la pension de réversion pour un couple est de 1'340,69 euros.
La Caisse considère, par conséquent, que c'est à bon droit qu'elle a suspendu le versement de la pension de réversion et qu'elle sollicite remboursement du trop-perçu à compter du 1er mars 2008.
Par conclusions enregistrées au greffe de la chambre sociale sous la date du 24 septembre 2015, reprises oralement à l'audience du 7 octobre 2015, Madame [V] [C] conclut à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de la partie adverse à lui payer une indemnité de 2'500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que dès le 4 décembre 2007, la CARSAT AQUITAINE avait parfaite connaissance de ses ressources s'étant elle-même déplacée dans les locaux de l'agence de [Localité 1] pour y déposer une attestation émanant d'ISICA et indiquant la retraite versée par cet organisme. C'est donc à tort que la Caisse prétend n'avoir eu connaissance de cette situation qu'en avril 2010. Ainsi, elle ne peut être rendue responsable de l'erreur commise par la Caisse et il ne lui appartient pas d'en supporter les conséquences.
A titre subsidiaire, s'il était fait droit à la demande de remboursement de la Caisse, il convient de procéder par compensation avec des dommages et intérêts qu'elle est en droit de percevoir à hauteur de 1'932 euros, compte tenu de la mauvaise foi de la CARSAT AQUITAINE.
La Cour se réfère expressément aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens de fait et de droit développés par les parties.
MOTIVATION
L'appel, interjeté dans les formes et les délais prescrits par la loi, est recevable en la forme.
Aux termes de l'article R. 353-1-1 du code de la sécurité sociale (modifié par décret numéro 2007-56 du 12 janvier 2007), la pension de réversion est révisable en cas de variation dans le montant des ressources, calculé en application des dispositions de l'article R. 353-1, dans les conditions et selon les modalités fixées aux articles R. 815-20, R. 815-38, R. 815-39 et R. 814-42. La date de la dernière révision ne peut être postérieure :
- a) à un délai de trois mois après la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l'ensemble des avantages personnels de retraite de base et complémentaire lorsqu'il peut prétendre à de tels avantages ;
- b) à la date de son soixantième anniversaire lorsqu'il ne peut pas prétendre à de tels avantages.
L'article R. 353-1-1 pose le principe de la « révisabilité » de la pension en cas de variation dans le montant des ressources.
Le renvoi de ce texte aux articles R. 815-20, R. 815-38, R. 815-39 et R. 815-42 est un renvoi aux conditions et modalités de révision définies par ces textes, indépendamment du fait que ces textes soient relatifs à l'allocation de solidarité.
Toutefois, si le texte pose le principe d'une révision possible de la pension de réversion en cas de variation dans le montant des ressources, il pose aussi une limite à cette révision en disposant que la date de la dernière révision ne peut pas être postérieure soit au délai de trois mois après la perception par l'intéressé de ses avantages personnels de retraite de base et complémentaire, soit à la date de son 60ème anniversaire lorsqu'il ne peut pas prétendre à de tels avantages.
La notion de « dernière révision » peut signifier soit la révision qui vient après toutes les autres, soit la révision après laquelle il ne peut plus y en avoir d'autres.
Dans la première acception, il peut y avoir révision de la pension de réversion dans les cas de variation dans le montant des ressources déterminées selon les conditions et modalités fixées par les textes de renvoi, de sorte que la pension de réversion peut être révisée aussi souvent qu'apparaîtront des variations dans le montant des ressources, la dernière révision n'étant alors que la dernière révision intervenue mais qui peut être suivie de nouvelles révisions.
Tel ne peut, cependant, être l'hypothèse de l'article R 353-1-1 précité. Lorsque ce texte dispose que : « la date de la dernière révision ne peut être postérieure :
a) à un délai de trois mois après la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de l'ensemble des avantages personnels de retraite de base et complémentaire lorsqu'il peut prétendre à de tels avantages ;
b) à la date de son soixantième anniversaire lorsqu'il ne peut pas prétendre à de tels avantages ».
Il fixe la date de la dernière révision possible lorsque l'une ou l'autre des conditions visées est remplie, et vise donc la dernière révision possible, c'est-à-dire celle après laquelle il ne peut y en avoir d'autres, ainsi que cela résulte suffisamment de l'adjectif « postérieure » qui signifie qu'aucune révision ne peut intervenir après le délai fixé.
La position de la caisse qui considère que le délai de trois mois visé par le texte correspond à un délai de «' cristallisation » des ressources ne correspond ni à la lecture littérale de l'article R. 353-1-1 ni à une lecture imposée par sa compréhension ou son application effective et constitue dès lors une interprétation qui n'a pas lieu d'être.
En effet, l'article R. 353-1-1 renvoie notamment à l'article R. 815-20 lequel dispose : « les organismes ou services mentionnés à l'article L. 815-7 peuvent mettre en demeure, sous les sanctions prévues à l'article R. 815-49, toute personne, institution ou organisme de leur faire connaître dans un délai d'un mois le montant des pensions, retraites, rentes viagères ou allocations viagères autres que les avantages de vieillesse mentionnés à l'article L. 815-7, tels qu'ils sont définis à l'article R. 815-4, qu'il est tenu de servir à une personne bénéficiant ou ayant demandé le bénéfice de l'allocation de solidarité aux personnes âgées ».
Il résulte de ce texte que les organismes ou services débiteurs d'un avantage de vieillesse de base résultant de dispositions législatives ou réglementaires peuvent mettre en demeure, sous la sanction d'une contravention de 4ème classe (R. 815-49) toute personne, institution ou organisme de leur faire connaître dans un délai d'un mois le montant des avantages de vieillesse, autres que l'allocation de solidarité aux personnes âgées résultant des dispositions législatives ou réglementaires et l'allocation de solidarité aux personnes âgées qui ne relèvent d'aucun régime de base obligatoire d'assurance vieillesse, qu'ils sont tenus de servir.
Or, la CARSAT (caisse d'assurance retraite et de la santé au travail) est un organisme de sécurité sociale qui intervient, sous l'égide de la caisse nationale d'assurance vieillesse et de la caisse nationale d'assurance maladie, auprès des salariés, des retraités et des entreprises au titre de la retraite, de l'aide sociale et de la gestion des risques professionnels qui a donc le pouvoir de mettre en demeure toute personne, institution ou organisme de lui faire connaître dans un délai d'un mois le montant des pensions, retraites, rentes viagères ou allocations viagères, telles que rappelées ci-dessus, qu'ils sont tenus de servir.
Ainsi, la Caisse a les moyens de connaître dans le délai d'un mois le montant des avantages personnels de retraite de base et complémentaire, au titre du régime général ou autre, servis au bénéficiaire de la pension de réversion.
Dès lors que ce bénéficiaire fait valoir ses droits à la retraite et perçoit l'ensemble de ses avantages personnels de retraite de base et complémentaire, dont la Caisse peut avoir connaissance dans le délai d'un mois, alors la Caisse ne peut procéder à la révision de la pension de réversion que dans le délai de trois mois après la date d'entrée en jouissance de ses avantages par le conjoint survivant.
Et, à défaut, pour le bénéficiaire de la pension de réversion de prétendre à des avantages personnels de retraite de base et complémentaire, la caisse ne peut procéder à la révision du montant de sa pension de réversion au-delà de l'âge de son 60ème anniversaire.
Par conséquent, le délai de trois mois visé à l'article R. 353-1-1 n'est pas une période de « cristallisation » des ressources qui, comme le prétend la caisse, pourraient être prises en compte pour une révision de la pension de réversion à quelque moment que ce soit, y compris au-delà de ce délai de trois mois. Au contraire, dès lors que la caisse peut avoir connaissance dans un délai d'un mois de la perception par le bénéficiaire d'une pension de réversion de ses avantages personnels de retraite de base et complémentaire, alors elle n'est plus recevable à procéder à la révision de cette pension au-delà du délai de trois mois à compter de la date à laquelle le conjoint survivant est entré en jouissance de ses avantages.
En l'espèce, Madame [V] [C] est entrée en jouissance de ses droits personnels de retraite de base et complémentaire au 1er décembre 2007 de sorte que la caisse ne pouvait procéder à la révision du montant de sa pension de réversion au-delà du 1er mars 2008.
Par conséquent, la CARSAT ne pourra qu'être déboutée de ses prétentions et le jugement déféré sera confirmé.
Il n'y a pas lieu à dépens par application des articles L. 144-5 et R. 144-10 du code de la sécurité sociale.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale du 30 août 2013 en toutes ses dispositions,
Dit n'y avoir lieu à dépens en application des articles L. 144-5 et R. 144-10 du code de la sécurité sociale.
Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,