La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/10/2014 | FRANCE | N°12/03188

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 30 octobre 2014, 12/03188


RC/CD



Numéro 14/03695





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 30/10/2014









Dossier : 12/03188





Nature affaire :



Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution















Affaire :



[P] [T]



C/



S.A.S. MILABIA

















r>




















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 30 Octobre 2014, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de...

RC/CD

Numéro 14/03695

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 30/10/2014

Dossier : 12/03188

Nature affaire :

Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

Affaire :

[P] [T]

C/

S.A.S. MILABIA

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 30 Octobre 2014, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 01 Septembre 2014, devant :

Monsieur CHELLE, Président

Madame PAGE, Conseiller

Monsieur GAUTHIER, Conseiller

En présence de Madame COQUERELLE, Conseiller

assistés de Madame HAUGUEL, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur [P] [T]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Comparant et assisté de Maître SOULEM, avocat au barreau de DAX

INTIMÉE :

S.A.S. MILABIA

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée par la SELARL HONTAS & MOREAU, avocats au barreau de BORDEAUX

sur appel de la décision

en date du 24 SEPTEMBRE 2010

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BAYONNE

RG numéro : 09/00450

FAITS ET PROCÉDURE

M. [T] a été engagé par la société Milabia, société par actions simplifiée qui gère un magasin «'Centre Leclerc'» à [Localité 4], en qualité de directeur du magasin par contrat à durée indéterminée en date du 30 avril 1996. Il travaillait auparavant depuis le 4 mars 1994 en qualité de chef de rayon pour une autre société gérant un autre centre Leclerc à [Localité 3].

La convention collective applicable est celle des commerces de gros et détail à prédominance alimentaire.

M. [T] a été convoqué le 21 août 2009 à un entretien préalable qui a eu lieu le 28 août suivant.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 2 septembre 2009, la société Milabia a notifié à M. [T] son licenciement pour faute grave.

Par requête reçue en date du 28 septembre 2009, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Bayonne aux fins de contester son licenciement et obtenir la condamnation de la société Milabia à lui payer des dommages et intérêts et diverses indemnités.

Par jugement en date du 24 septembre 2010, auquel il y a lieu de renvoyer pour plus ample exposé des faits et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Bayonne, section encadrement, a ainsi statué :

- juge que c'est à bon droit que Monsieur [P] [T] a été licencié pour faute grave,

- déboute Monsieur [P] [T] de l'ensemble de ses demandes,

- déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamne Monsieur [P] [T] aux dépens.

Par lettre recommandée avec avis de réception de son conseil mentionnant la date d'expédition du 5 octobre 2010 et reçue au greffe de la Cour le 11 octobre suivant, M. [T] a interjeté appel de la décision.

L'affaire a été fixée à l'audience du 8 juin 2011 pour laquelle les parties ont été convoquées avec proposition d'un calendrier de procédure, puis renvoyée à leur demande à l'audience du 25 janvier 2012. Par arrêt de cette date, la Cour a prononcé la radiation de l'affaire, celle-ci n'étant pas en état d'être plaidée.

L'affaire a été réinscrite au rôle sur demande du conseil de M. [T] reçue le 6 février 2012 et fixée à l'audience du 17 septembre 2012. Par arrêt de cette date, la Cour a de nouveau prononcé la radiation de l'affaire, qui, de nouveau, n'était pas en état d'être plaidée, les parties n'ayant pas respecté le calendrier de procédure.

Elle a été réinscrite au rôle sur une nouvelle demande du conseil de M. [T] reçue le 21 septembre 2012 avec ses conclusions récapitulatives.

L'affaire a donc été une nouvelle fois fixée, à l'audience du 1er septembre 2014, pour laquelle les parties ont été convoquées avec proposition d'un nouveau calendrier de procédure.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions récapitulatives n° 2 écrites déposées le 25 juillet 2014, reprises oralement, auxquelles il convient de se référer pour le détail de l'argumentation, M. [T] demande à la cour, outre de le déclarer recevable et de déclarer irrecevables celles de son adversaire, de :

In limine litis,

- déclarer nul et de nul effet le jugement rendu le 24 septembre 2010 par la section encadrement du conseil de prud'hommes de Bayonne, et ce, par application de l'article 455 alinéa 1 in fine du code de procédure civile,

- évoquer par conséquent le litige et statuer de nouveau sur les moyens et prétentions de Monsieur [P] [T] ;

Subsidiairement, si pour le cas où par improbable et extraordinaire, la cour rejetait cette exception,

- réformer purement et simplement ce jugement,

- dire et juger de ce fait que le licenciement intervenu est sans cause réelle et sérieuse et d'une particulière brutalité et abusiveté,

- condamner par conséquent, la SAS MILABIA à verser à Monsieur [P] [T] les sommes suivantes : indemnité de licenciement, 23 331,33 €, indemnité de préavis, 13 290 € bruts, indemnité de congés payés sur préavis, 1 329 € bruts, dommages et intérêts, 199 650 €, la gratification bénévole, 20 000 €, la mise à pied à titre conservatoire, 1 818,28 € bruts, indemnité compensatrice de congés payés sur mise à pied à titre conservatoire, 181,82 € bruts, le droit individuel à la formation, 1 145,33 € bruts,

- débouter la SAS MILABIA de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la SAS MILABIA à verser à Monsieur [P] [T] la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour obligation de plaider et frais irrépétibles,

- la condamner aux entiers dépens.

Le salarié appelant soutient que son adversaire n'a pas respecté le calendrier de procédure, ce qui justifie que ses écritures et pièces soient déclarées irrecevables ; que les premiers juges n'ont absolument pas analysé les documents versés aux débats ; que cette absence de motivation sera sanctionnée par la nullité du jugement ; que les faits qui lui sont reprochés se seraient déroulés sur une période extrêmement brève ; qu'il les conteste avec véhémence ; que l'intimée ne produit aux débats aucun document attestant de la situation ; que les témoignages versés aux débats par l'intimée et frappés au sceau d'une subjectivité évidente seront purement et simplement écartés des débats, et le licenciement déclaré comme sans cause réelle et sérieuse et d'une particulière abusivité ; qu'il faut chercher ailleurs les raisons ayant poussé les salariés à rédiger ce qu'il faut bien considérer comme de faux témoignages ; que l'intimée avait pris dès l'année 2009 la décision de s'installer à la zone industrielle d'[Adresse 3] et que le magasin de la Milady allait fermer ses portes'; que lui-même n'avait plus sa place à [Adresse 3] puisque la direction de ce nouveau magasin allait être confiée à une nouvelle équipe ;

M. [T] revient longuement dans ses écritures sur sa personnalité (pages 12 à 16 de ses conclusions), en se référant à plusieurs témoignages qu'il verse aux débats. Il justifie ses demandes chiffrées, et particulièrement les dommages-intérêts correspondant à 36 mois de salaire à raison des conditions parfaitement vexatoires, injustifiées, voire humiliantes pour lui.

Sur la gratification bénévole, il fait valoir qu'il aurait dû percevoir au titre de l'exercice 2008, la gratification contractuelle versée en août et décembre 2009'; que d'une façon régulière, il a perçu une gratification toujours fixée à 10 000 € ; sur le droit individuel à la formation, qu'il est fondé à solliciter à ce titre la somme qu'il demande.

Par conclusions écrites déposées le 10 juillet 2014 et reprises oralement, auxquelles il convient de se référer pour le détail de l'argumentation, la société Milabia demande à la cour de :

- déclarer irrecevable et en tout cas mal fondé M. [T] en son appel et en ses demandes et en tout état de cause l'en débouter,

- dire et juger que M. [T] n'a pas communiqué de conclusions avant la date qui lui était impartie au 6 mai 2014,

- dire et juger que M. [T] n'a pas communiqué avant cette date les pièces 22, 23 et 24 dont il entend se prévaloir,

- écarter des débats les prétentions, moyens et pièces communiquées par M. [T] après la date du 6 mai 2014 dont la tardiveté d'une éventuelle communication porte atteinte aux droits à la défense de l'intimée,

- dire et juger n'y avoir lieu à prononcer la nullité du jugement entrepris,

- confirmer dans toutes ces dispositions le jugement du conseil de prud'hommes rendu le 24 septembre 2010 ;

En conséquence,

- dire et juger que le licenciement de M. [T] repose sur une faute grave,

- dire et juger que M. [T] ne peut prétendre à aucune indemnité de licenciement,

- dire et juger que M. [T] ne peut prétendre à aucune somme au titre de la mise à pied conservatoire, du préavis et de l'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés y afférente,

- dire et juger que M. [T] ne peut prétendre à aucune indemnité pour un licenciement abusif intervenu dans des conditions vexatoires, faute d'établir une faute, un préjudice et un lien de causalité distinct du licenciement,

- dire et juger que M. [T] n'a pas droit à la prime annuelle,

- dire et juger que M. [T] ne saurait prétendre d'une quelconque gratification au titre des exercices 2008 et 2009,

- dire et juger que M. [T] ne saurait prétendre à une quelconque somme au titre du DIF,

- prendre acte de ce que la SAS MILABIA a versé les sommes dues au titre de la participation à M. [T],

- condamner M. [T] à payer à la SAS MILABIA une indemnité de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

La société intimée fait valoir, après avoir repris les motifs de sa lettre de licenciement, les différences entre les demandes de M. [T] en première instance puis désormais devant la Cour'; que cet ajustement de cause caractérise l'absence de crédibilité de l'appelant'; sur la réalité de la faute grave, que la réalité des faits reprochés est démontrée par les nombreuses attestations de salariés mais également de clients qui décrivent le comportement agressif et l'attitude injurieuse de M. [T]'; que par ses fonctions de directeur il occupait une place primordiale et se devait d'avoir une attitude correcte et exemplaire à l'égard des salariés qu'il dirigeait'; que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat à l'égard de ses salariés, et ne pouvait rester sans réagir face à la détresse que ses salariés lui avait exprimée'; que la gravité de la faute résulte également du caractère particulièrement agressif des comportements et dénigrement de M. [T] à l'égard de ses salariés.

La société répond aux arguments de l'appelant.

Sur la prime annuelle, la société Milabia fait valoir qu'elle n'est pas due lorsque le contrat de travail n'est pas en cours au jour de son versement, en l'espèce en décembre, et n'est pas due au prorata temporis'; Sur les gratifications 2008 et 2009, que M. [T] avait déjà perçu une prime au cours des années 2007 et 2008'; que pour 2009, il a été licencié avant la date de versement de la gratification en décembre'; qu'il lui appartient de rapporter la preuve d'un droit au paiement prorata temporis, ce qu'il ne fait pas'; Sur le DIF, que le texte alors en vigueur prévoyait que la faute grave était alors privative du droit à la transférabilité du DIF'; qu'il n'a formulé aucune demande au titre du DIF suite à son licenciement'; qu'au surplus, la convention collective ne permettait pas au salarié de percevoir directement son droit au DIF.

La Cour se réfère expressément aux conclusions visées ci-dessus pour un plus ample exposé des moyens de fait et de droit développés par les parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la forme et la procédure :

L'appel, interjeté dans les formes et délais prescrits par la loi, est recevable en la forme.

Il n'y a pas lieu à écarter des débats des pièces ou écritures, l'ensemble de celles-ci ayant été communiquées, et ce en temps utile pour assurer le respect du contradictoire dans le cadre de la présente procédure orale. La procédure est régulière.

M. [T] soulève la nullité du jugement du conseil de prud'hommes, en faisant valoir que cette décision ne détaille pas les motifs invoqués à l'appui du licenciement, ni ne motive leur appréciation.

Il résulte, notamment, des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile que le jugement doit être motivé.

En l'espèce, sur le licenciement, et comme motivation de la validation du licenciement pour faute grave, le conseil de prud'hommes se limite à énoncer':

- que l'attitude de M. [T] «'s'est modifiée fin 2008, début 2009'», sans aucunement caractériser, ni même énoncer les faits relatifs à un tel changement d'attitude';

- que les motifs de licenciement exposés dans la lettre de licenciement «'sont réels, sérieux, pertinents et nullement fallacieux'», sans aucunement exposer ces motifs, ni expliciter en quoi ils justifient l'appréciation portée par la juridiction.

Cette insuffisance manifeste de motifs équivaut à leur absence, ce qui, par application des dispositions de l'article 458 du code de procédure civile, fait encourir la nullité à la décision attaquée, nullité qui sera prononcée.

La cour, saisie par l'appel du salarié et les demandes des parties, statuera en conséquence de nouveau sur l'ensemble du litige.

Sur le licenciement :

M. [T] a été licencié pour faute grave, et il conteste ce licenciement.

Aux termes de l'article L. 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

La faute grave dont la preuve appartient à l'employeur se définit comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Pour qualifier la faute grave il incombe donc au juge de relever le ou les faits constituant pour le salarié licencié une violation des obligations découlant de son contrat de travail ou des relations de travail susceptible d'être retenue, puis d'apprécier si ledit fait était de nature à exiger le départ immédiat du salarié.

La lettre de licenciement sert de cadre strict au contrôle du juge qui forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 2 septembre 2009 énonce des motifs ainsi rédigés :

« Durant le mois d'août, plusieurs salariées de la SAS MILABIA (notamment Mesdames [H], [I], [W], [O], [D] et [C]) se sont plaintes non seulement de votre attitude générale, mais aussi du comportement agressif que vous tenez à leur égard (exemple': vous avez empoigné Madame [W] par le tee-shirt).

De même, il apparaît que vous avez tenu des propos injurieux et/ou désobligeants, voire humiliants à l'égard des salariés.

De même, les salariées précitées ont toutes manifesté leur mal être et leur appréhension quant à votre comportement lorsqu'elles prennent leur poste et certaines ont manifesté leur souhait de quitter la société.

L'ensemble de ces faits, délibérés et volontaires de votre part sont graves, mais également ils sont susceptibles de provoquer des poursuites civiles et pénales à l'encontre de la Société, mais aussi de porter atteinte à son image.

De plus, de tels agissements, au surplus parfois accomplis au vu et au su des autres salariés et des clients, d'une part, sont contraires aux règles de management des équipes dont vous avez la charge et que vous devez appliquer, mais aussi d'autre part, aux obligations de loyauté et de bonne foi auxquelles vous êtes tenu en votre qualité de directeur de magasin... ».

La société Milabia, sur laquelle repose la charge de la preuve, soutient que la réalité des faits reprochés est démontrée par les attestations qu'elle produit :

Mme [H], salariée (pièce n° 10 de l'employeur), écrit notamment « De temps en temps, il nous envoyait une méchanceté pour nous provoquer. (') J'ai vu plusieurs fois traiter ma chef de caisse comme une moins que rien devant les clients. (') Bien entendu tout ceci finissait par des crises de larmes à l'accueil. (') Parfois, il criait si fort de son bureau après les responsables que les clients étaient choqués de son comportement. (...) Depuis le début de l'été son comportement avait beaucoup changé, nous pouvions plus lui adresser la parole, il nous faisait peur. ».

M. [K], salarié, écrit (pièce n° 11) : « En effet, depuis quelques mois son caractère est devenu exécrable, 'il pète les plombs' pour un rien. (...) Les réprimandes deviennent quotidiennes (') il m'est arrivé de trouver certaines de mes collègues en pleurs dans les vestiaires. ».

Mme [O], salariée, écrit (pièce n° 12) : « Vers fin juillet, je me trouvais accroupie à l'accueil à faire du rangement, lorsque M. [T] arrive à 15 h 30 / 16 h, me regarde méchamment et me jette un carton d 'appareils photos et cartes mémoire qu'il ramène d'[Localité 3] (...). Lorsque nous demandons un renseignement à M. [T], la réponse est « Vous vous démerdez, ça me fait chier », etc... plusieurs fois j'ai trouvé ma responsable en pleurs à l 'accueil ».

Madame [C], salariée, écrit (pièce n° 13) : « Quand on embauche on a la boule au ventre (') souvent il tend la main pour dire bonjour sans même prononcer le mot bonjour'». Et':«'Il y a trois semaines, j'étais avec [F] au téléphone pour faire des recherches de chèques. Il est arrivé vers 15 h 30 - 16 h 00 avec sa valise à roulettes de monnaie. Il a poussé la valise d'un coup de pied vers moi, j'ai fait un écart pour qu'elle ne tape pas dans mes tibias. ».

Madame [W], salariée, écrit (pièce n° 14)': «'Dans un premier temps, il usait d'agressivité verbale dévalorisant l'équipe entière avec pour exemple cette phrase « Je travaille qu'avec des mongoles », puis à titre personnel, me dévalorisant auprès d 'un membre de mon équipe lui disant «'Ta chef fait n'importe quoi », il me faisait aussi régulièrement des remarques désobligeantes sur leur vie privée (...) Il usait également d'un ton agressif devant la clientèle (...) A l'agressivité verbale s'est ajoutée l'agressivité physique. Pour exemple, je citerais les fois où étant dans mon bureau, il m'apportait les bons de livraisons ou me les jetait du seuil de la porte ('). Mais la limite a été franchie cet après-midi de début juillet où je me suis rendue à son bureau à sa demande pour lui donner un renseignement qu'il me demandait, la discussion est devenue tendue et il m'a claqué la porte au nez, par réflexe j'ai rouvert la porte, là M. [T] est sorti de son bureau et me bousculant, a saisi violemment mon tee-shirt au niveau du cou. Un geste de trop. ».

Madame [D], salariée, écrit (pièce n° 15) : « De jour en jour, il est de plus en plus difficile de venir travailler avec M. [T]. Dès son arrivée le matin, l'ambiance devient plus lourde, (...) Il ne respecte personne, même les clients ouvrent des yeux ronds aux caisses lorsqu'il hurle depuis son bureau. Il est impossible de discuter avec lui, venir travailler tous les jours devient un calvaire, je suis toujours tendue et pleure souvent. ».

Madame [Q], qui se présente comme une cliente, écrit (pièce n° 16) : « J'ai pu constater à maintes reprises la façon irrespectueuse dont le directeur traitait son personnel et ce même devant les clients avec lesquels il n'était guère plus aimable. Il exerçait visiblement du harcèlement moral.'».

Les attestations de salariés, si elles paraissent se faire l'écho d'un contexte tendu, n'énoncent sauf rare exception aucun fait précis, ni aucune date, et sont souvent exprimées par des clichés en termes qui, s'ils relèvent d'un langage courant relâché, restent vagues («'une méchanceté'», «'traiter comme une moins que rien'», «'péter les plombs'», «'me regarde méchamment'», «'la boule au ventre'», ...) ou ne décrivent que des situations anodines (scène de la valise à roulettes'; serrer la main sans prononcer le mot «'bonjour'»). Ces témoignages sont insuffisamment circonstanciés pour apporter la preuve de griefs susceptibles de justifier le licenciement de M. [T].

La seule cliente ayant versé un écrit, d'ailleurs non conforme aux règles prévues par le code de procédure civile pour les attestions, n'explique pas comment, même en tant que «'cliente assidue'», elle aurait été en mesure de constater qu'il existait au sein du magasin un «'harcèlement moral'» qui n'est reproché à M. [T] ni par les salariés placés sous ses ordres, ni par son employeur.

Seul le grief relatif au fait d'avoir saisi une salariée, Mme [W], par le col de son t-shirt, circonstancié et précis, apparaît réel. Le fait de saisir une salariée par le col de son vêtement dénote pour un directeur de magasin un manque de maîtrise qui revêt un caractère fautif. Toutefois, ce geste doit être remis dans son contexte d'énervement mutuel, alors que la salariée elle-même reconnaît qu'elle venait de rouvrir brusquement la porte du bureau de M. [T] après une première scène vive. Ce fait fautif unique n'est pas susceptible, particulièrement au regard de l'ancienneté de M. [T], de constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, encore moins de licenciement pour faute grave au sens de la définition ci-dessus rappelée.

Si des difficultés causées par le comportement de M. [T] ou par sa façon de gérer le personnel placé sous son autorité étaient apparues, il appartenait à la société Milabia de vérifier préalablement les faits et de les caractériser pour pouvoir engager une procédure disciplinaire.

C'est donc à juste titre que M. [T] conteste son licenciement, qui sera déclaré être intervenu sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement :

Licencié pour faute grave, M. [T] n'a pas perçu d'indemnité de licenciement et n'a pas bénéficié d'un préavis payé ou d'une indemnité compensatrice.

Son licenciement étant jugé sans cause réelle et sérieuse, il a vocation à se voir allouer les sommes correspondantes.

Il demande au titre de l'indemnité de licenciement une somme de 23 331,33 €, en faisant état d'un calcul fondé sur une ancienneté de 15 ans et demi en raison de la reprise de son ancienneté, au 14 mars 1994.

La société Milabia, qui se limite à soutenir la faute grave, ne conteste ni l'ancienneté ni le montant sollicité.

Il sera en conséquence alloué à M. [T] la somme de 23 331,33 € à titre d'indemnité de licenciement.

De même, la société Milabia ne conteste pas le montant de 13 290 € demandé par M. [T] au titre de l'indemnité de prévis, pour un salaire brut de 4 430 €.

Cette somme sera en conséquence allouée à M. [T] au titre d'indemnité compensatrice de préavis, ainsi que celle de 1 329 € au titre des congés payés afférents, en application de l'article L. 1234-1 du code du travail.

Il demande également une somme de 1 818,28 € correspondant à la somme déduite de son salaire de septembre 2009 en raison de la mise à pied conservatoire prononcée par l'employeur, outre congés payés afférents, et il doit être fait droit à cette demande.

M. [T] demande des dommages-intérêts.

Aux termes de l'article L 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires bruts des six derniers mois.

Compte tenu de l'ancienneté de M. [T] au moment de son licenciement (15 ans et 6 mois), de son âge, des salaires perçus au cours des six mois précédant la rupture des relations contractuelles, de sa situation après le licenciement, et des justificatifs produits aux débats, notamment les bulletins de salaire, il convient de fixer à la somme de 68 665 € le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de ce texte.

Sur les autres demandes :

Exposant qu'il aurait dû recevoir la «'gratification contractuelle'» versée annuellement pour un montant de 10 000 €, M. [T] réclame la somme de 20 000 € au titre des années 2008 et 2009.

La société Milabia objecte que M. [T] a déjà perçu une prime au cours de l'année 2007 et 2008, mais ne justifie de ses affirmations que par un bulletin de paie de décembre 2005 (sa pièce n° 29) et un document listant de façon manuscrite des noms de salariés suivis d'un montant de gratification, en l'espèce 7 500 € pour M. [T], assorti de la mention manuscrite «'débité le 8/09/08'» (sa pièce n° 31).

Ces pièces sont insuffisantes pour établir que M. [T] aurait perçu les sommes qu'il demande.

Or, celui-ci justifie par la production de ses bulletins de paie qu'il percevait tous les ans en décembre une somme intitulée, en dernier lieu, «'gratification bénévole'», d'un montant de 10 000 € en décembre 2008 et décembre 2007, de 9 600 € en décembre 2006.

Il établit ainsi suffisamment l'usage qui lui permet d'étayer sa demande, quoiqu'il apparaisse qu'il a été rempli de ses droits en décembre 2008.

La société Milabia soutient alors que M. [T] ayant été licencié antérieurement au versement de la gratification, il ne peut prétendre à aucun droit d'une quelconque prime au titre de l'année 2009.

Pour autant, si le licenciement de M. [T] pour faute n'était pas intervenu au mois de septembre, il aurait pour le moins effectué un préavis de 4 mois, de sorte qu'il aurait bien été présent dans l'entreprise en décembre 2009.

Il a donc vocation à percevoir la gratification annuelle pour l'année 2009, et la société Milabia sera condamnée à lui verser la somme de 10 000 € à ce titre.

Enfin, M. [T] demande la somme de 1 145,33 € bruts au titre de son droit individuel à la formation (DIF), sans davantage motiver sa demande.

Or, c'est à juste titre que la société Milabia objecte qu'il résulte de l'article 12-17.2 de la convention collective applicable, que le financement des actions de formation dans le cadre du DIF est versé à un organisme spécialisé, le FORCO, de sorte que M. [T] ne peut prétendre percevoir directement le montant de son droit.

Par ailleurs, il résulte des termes de l'article L. 1235-4 du code du travail que, dans les cas où le licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé, et que ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il est constant que le licenciement de M. [T] est jugé sans cause réelle et sérieuse au sens de l'article L. 1235-3, et que, en conformité avec les dispositions de l'article L. 1235-5 du code du travail, il avait plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés.

Il convient donc, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, et bien que cet organisme ne soit pas dans la présente cause, de condamner l'employeur à rembourser les indemnités versées par Pôle Emploi à M. [T], à concurrence de six mois.

Partie tenue aux dépens de première instance et d'appel, la société Milabia paiera à M. [T] la somme de 2'500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en compensation de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière prud'homale et en dernier ressort,

Déclare l'appel recevable en la forme,

Prononce la nullité du jugement rendu entre les parties par le conseil de prud'hommes de Bayonne en date du 24 septembre 2010,

Et, statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. [T] par la société Milabia est sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Milabia à verser à M. [T] les sommes suivantes :

- 23 331,33 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 13 290 € au titre de l'indemnité de prévis, et 1 329 € au titre des congés payés afférents,

- 1 818,28 € au titre de la somme déduite de son salaire de septembre 2009 en raison de la mise à pied conservatoire, et 181,82 euros au titre des congés payés afférents,

- 68 665 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10 000 € au titre de la gratification bénévole annuelle pour 2009,

Déboute M. [T] de sa demande de percevoir directement le montant de son droit individuel à la formation,

Condamne la société Milabia à payer à M. [T] la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Milabia à rembourser les indemnités versées par Pôle Emploi à M. [T], à concurrence de six mois,

Condamne la société Milabia aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt signé par Monsieur CHELLE, Président, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 12/03188
Date de la décision : 30/10/2014

Références :

Cour d'appel de Pau 3S, arrêt n°12/03188 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-10-30;12.03188 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award