CB/AM
Numéro 13/4504
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 29/11/2013
Dossier : 13/00239
Nature affaire :
Demande en dommages-intérêts contre le prestataire de services pour mauvaise exécution
Affaire :
ASSOCIATION [Adresse 1]
C/
SAS APAVE SUD EUROPE
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 29 novembre 2013, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 30 septembre 2013, devant :
Madame BENEIX, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame PEYRON, greffier, présente à l'appel des causes,
Madame BENEIX, en application des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame PONS, Président
Monsieur AUGEY, Conseiller
Madame BENEIX, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
ASSOCIATION [Adresse 1]
[Adresse 2]
[Localité 2]
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
représentée et assistée de Maître Thierry DE TASSIGNY, avocat au barreau de PAU
INTIMEE :
SAS APAVE SUDEUROPE
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par son Directeur Général en exercice domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître Valérie TRICART, avocat au barreau de BAYONNE
assistée de Maître Philippe PENSO, avocat au barreau de MARSEILLE
sur appel de la décision
en date du 13 SEPTEMBRE 2012
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE TARBES
FAITS
L'Association [Adresse 1] exploite à [Localité 2] une scène de spectacle.
Le 26 mai 2006 un rideau d'avant-scène, composé d'une toile peinte fixée sur un polichinelle (c'est-à-dire des tubes en acier) est tombé depuis les cintres sur la scène, d'une hauteur de 10 mètres environ, occasionnant des dommages au plateau de scène, aux projecteurs et au rideau lui-même.
L'Association [Adresse 1] recherche la responsabilité de l'APAVE Sud Europe qui avait réalisé un contrôle des équipements en application de l'article R. 4323-3-1 du code du travail, le 27 avril 2006, soit un mois auparavant.
PROCEDURE
Suivant acte en date du 26 novembre 2010, l'Association [Adresse 1] a assigné l'APAVE Sud Europe devant le tribunal de grande instance de Tarbes en responsabilité et réparation des préjudices non pris en charge par son assureur.
Suivant jugement en date du 13 septembre 2012, le tribunal, estimant que la preuve de la cause du sinistre, de l'étendue de la mission de l'APAVE Sud Europe et la preuve des préjudices non indemnisés n'était pas rapportée (à défaut de production du rapport), a débouté l'Association [Adresse 1] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée à payer à l'APAVE Sud Europe la somme de 1 200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'Association [Adresse 1] a interjeté appel de cette décision suivant déclaration au greffe en date du 18 janvier 2013.
MOYENS et PRETENTIONS des PARTIES
L'Association [Adresse 1] dans ses dernières écritures en date du 16 avril 2013, sollicite la réformation du jugement et demande à la Cour de :
- dire et juger que la toile composant le rideau de scène est partie intégrante du système de levage,
- dire et juger que l'APAVE Sud Europe était tenue réglementairement de procéder à l'examen de tous les systèmes de levage et donc de la toile en cause, qu'elle n'a pas procédé à la vérification de cette toile et qu'elle a failli à sa mission et à ses obligations réglementaires,
- la déclarer en conséquence, entièrement responsable des causes du dommage subi à la suite de la chute du rideau d'avant-scène constitué d'une toile peinte fixée sur un polichinelle,
- condamner l'APAVE Sud Europe à payer à l'Association [Adresse 1] la somme de 86'376 € correspondant à l'indemnisation de son préjudice,
- débouter l'APAVE Sud Europe de l'ensemble de ses demandes ainsi qu'à lui verser la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que :
- l'APAVE ne l'a pas informée du risque imminent de chute du rideau en raison de sa vétusté,
- son contrôle ne se cantonne pas au seul examen visuel'dès lors qu'elle ne pouvait ignorer la vétusté du rideau'; il lui appartenait de procéder à un essai destiné à s'assurer de l'efficacité du fonctionnement de l'ensemble de l'appareillage,
- elle a implicitement reconnu sa défaillance dès lors qu'elle a préconisé dans un rapport postérieur du 22 mars 2007, l'installation d'un dispositif 'stop-chute',
- son préjudice n'a pas été intégralement évalué par l'expert ; il comprend le coût du polichinelle totalement détruit, la réparation d'éléments de scène restés à charge malgré indemnisation de l'assurance et la console de son, indemnisée seulement à hauteur de 25 %.
L'APAVE Sud Europe dans ses dernières écritures en date du 29 août 2013, conclut à la confirmation du jugement et demande à la Cour subsidiairement, de fixer le montant de l'indemnisation à la somme de 2 811,86 € sur la base de l'expertise réalisée par le cabinet Grossier & Cerutti et de débouter l'appelante de toute autre demande.
En tout état de cause, elle sollicite la condamnation à lui verser la somme de 3 500 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que la preuve irréfutable n'est pas rapportée que la cause du sinistre résulterait de la vétusté de la toile qui se serait déchirée en dehors de toute manoeuvre ou défaillance de l'un des équipements, sous l'effet du polichinelle.
Aux termes de l'article R. 4323-23 du code du travail, elle n'est tenue que d'un contrôle visuel sans démontage. Or, le contrôle de l'état de la toile exigeait un démontage préalable au regard des problèmes d'accessibilité que présentaient les équipements de l'association.
Elle n'était chargée que d'une mission de contrôle et non d'une mission de maintenance de sorte qu'elle n'avait pas à s'interroger sur l'état de vieillissement de la toile.
Elle expose que l'indemnisation sollicitée est hors de proportion : l'expert fixe à 11'247,44 € le montant des dommages subis et évalue à 25 % la responsabilité éventuelle de l'APAVE Sud Europe, de sorte qu'elle ne saurait être tenue qu'à la somme de 2 811,86 €. Il est sollicité l'indemnisation de l'oeuvre d'art réalisée sur le polichinelle ainsi que le coût du polichinelle : or, l'association n'en a jamais fait état en phase amiable. Par ailleurs, elle précise que sur la base de l'évaluation de l'expert l'assureur de l'association lui a réglé la somme de 9 780 €.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 septembre 2013.
MOTIVATION
L'APAVE Sud Europe a effectué les 27 et 28 avril 2006 le contrôle annuel des équipements de la salle de spectacle exploitée par l'Association [Adresse 1], dans le cadre de sa mission règlementaire prévue':
- à l'article R. 4323-23 du code du travail qui dispose que':
«'Des arrêtés du ministre chargé du travail ou du ministre chargé de l'agriculture déterminent les équipements de travail ou les catégories d'équipement de travail pour lesquels l'employeur procède ou fait procéder à des vérifications générales périodiques afin que soit décelée en temps utile toute détérioration susceptible de créer des dangers.
Ces arrêtés précisent la périodicité des vérifications, leur nature et leur contenu'»,
- aux arrêtés des 1er mars 2004 et 30 novembre 2001 rappelés dans le corps de son rapport, qui fixent l'étendue des vérifications exigées notamment en matière d'appareils et accessoires de levage.
La mission de base confiée à l'APAVE Sud Europe aux termes de ces textes comporte':
- l'examen visuel de l'état de conservation des parties visibles et accessibles sans démontage de l'équipement et le cas échéant pour les appareils de levage, de son chemin de roulement ou de ses supports,
- l'essai de fonctionnement de l'équipement et des dispositifs de protection et dans le cas des appareils de levage, les essais permettant de vérifier expérimentalement l'efficacité des dispositifs suivants': frein, limiteurs de vitesse, limiteurs de course, limiteurs de charges ou de moment (sic),
- sont exclus des missions de base, les opérations qui relèvent de la responsabilité des constructeurs, des utilisateurs, des services de l'établissement chargés d'assurer la surveillance, le nettoyage, le démontage périodique des parties cachées et des exploitants lorsqu'ils sont soumis à des dispositions particulières fixées par arrêtés préfectoraux ou municipaux'».
En l'espèce, l'APAVE Sud Europe a procédé au contrôle de 28 équipements listés en pages 4 et 5 de son rapport. Le contrôle de la toile litigieuse, a été effectué sous le numéro d'ordre 25 et mentionne':
« CONTENU DES CONDITIONS DE LA VÉRIFICATION':
Levage - examen de l'état de conservation avec essais de fonctionnement.
La mission ne comprend pas l'examen de l'état de conformité aux règles de conception, ainsi que les mesures d'organisation et les règles générales de prévention.
RÉSULTATS DE LA VÉRIFICATION':
Les examens et les essais réalisés dans les limites de la présente mission ont fait apparaître des anomalies ou des défectuosités mentionnées ci-après, auxquelles il convient de remédier.
MOUVEMENT DE LEVAGE': étancher la fuite du motoréducteur d'enroulement'».
Il apparaît donc clairement que, contrairement à ses affirmations, l'APAVE Sud Europe a bien procédé à un essai de fonctionnement de la toile constitutive du rideau de scène. Cette toile fait partie intégrante de l'appareil de levage dont elle est l'accessoire. S'il ne lui appartenait pas de procéder à l'examen des « règles générales de prévention », il entrait dans sa « mission de base'», de procéder à l'examen de l'état de conservation de la toile, constitutive d'une partie visible et accessible sans démontage de l'équipement, puisqu'il s'agit d'un rideau de scène manipulé à l'occasion de chaque spectacle et que l'APAVE Sud Europe ne justifie nullement de ses affirmations suivant lesquelles un contrôle nécessitait un «'démontage préalable, au regard des problèmes d'accessibilité que présentaient les équipements de l'association'».
Admettre, comme elle le fait, qu'elle n'était pas tenue de s'interroger sur l'état de vieillissement de la toile, reviendrait à vider de son sens la mission générale qui lui a été clairement dévolue par les textes réglementaires ci-dessus rappelés.
Dès lors, elle ne pouvait ignorer l'état de vétusté de cette toile acquise en 1991, soit 15 ans plus tôt et, considérant le poids du polichinelle lui-même (1,5 tonne), elle devait alerter l'Association [Adresse 1] du risque accru de chute, susceptible de causer des dommages tant matériels qu'humains et proposer tout système de prévention spécifique et adapté tel que par exemple, un système «'Stop Chute'» qu'elle a d'ailleurs préconisé en 2007 en ce qui concerne «'l'écran ciné'».
Le défaut d'information et de conseil de l'APAVE Sud Europe est à l'origine du dommage et engage sa responsabilité. Elle ne justifie d'aucun fait exonératoire tel que l'intervention d'un tiers dans la manipulation du rideau le jour du sinistre. Et, bien qu'interpellée par l'expert suivant courrier du 20 février 2007, elle n'a pas donné suite à sa proposition de réaliser une analyse du coton de la toile. En effet, dès lors qu'elle contestait les conclusions de l'expert sur la vétusté de la toile, il lui appartenait de procéder à une telle analyse, de sorte qu'elle ne peut reprocher à l'Association [Adresse 1] sa carence dans l'administration de cette preuve dont la charge ne lui incombait pas.
Le jugement sera donc réformé.
Mais, considérant que l'Association [Adresse 1], en sa qualité de propriétaire utilisateur du matériel, ne pouvait ignorer l'état de vétusté de la toile, de même que le constructeur ([R] selon l'expert) devait en connaître la durée de vie, la participation de la faute de l'APAVE Sud Europe aux dommages a été justement évaluée à 25 % par l'expert.
L'expert a fixé le montant total des dommages à 55'398 € HT comprenant':
- l'oeuvre d'art (toile peinte constituant le rideau de scène devenue inutilisable) selon facture du 15 septembre 1992': 22'867 € HT (valeur 1992) ;
- Polichinelle': 30'977 € HT correspondant à 50 % de la valeur d'achat au 17 octobre 1991 (61'955 €) considérant que seuls deux moteurs dont la valeur peut être estimée à 5 000 € et les herses ont pu être conservées ;
- découpe du polichinelle pour évacuation': 1 100 € HT ;
- console « Son'» vétusté non prise en charge par les assureurs': 454 € HT.
L'Association [Adresse 1] soutient que son préjudice n'a pas été intégralement évalué par l'expert. En effet, à l'exception des seuls équipements conservés, d'une valeur de 5 000 € estimée par l'expert, la destruction totale du polichinelle n'est pas contestée de sorte qu'en application du principe de la réparation intégrale du préjudice, il doit lui être alloué la somme réclamée au titre de la valeur de remplacement, estimée au prix d'achat en 1991 soit 61'957 €. Dès lors, le montant total du préjudice s'élève à 86'376 € HT.
A défaut pour l'APAVE Sud Europe de justifier que l'association a perçu des provisions ou indemnisations de ces mêmes préjudices, il convient de la condamner à lui verser la somme de 21'594 € HT correspondant à sa part de responsabilité dans le dommage subi.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
- Réforme le jugement du tribunal de grande instance de Tarbes en date du 13 septembre 2012';
- Statuant à nouveau :
- Déclare l'APAVE Sud Europe responsable à hauteur de 25 % des dommages subis par l'Association [Adresse 1] à l'occasion du sinistre du 26 mai 2006';
- Condamne l'APAVE Sud Europe à verser à l'Association [Adresse 1] la somme de 21'594 € (vingt et un mille cinq cent quatre vingt quatorze euros) HT en réparation de ses préjudices non indemnisés';
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'APAVE Sud Europe à verser à l'Association [Adresse 1] la somme de 2 000 € (deux mille euros) au titre des frais de première instance et d'appel restés à sa charge';
- Condamne l'APAVE Sud Europe aux dépens de première instance et d'appel';
- Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.
Le présent arrêt a été signé par Mme Pons, Président, et par Mme Peyron, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,
Mireille PEYRONFrançoise PONS