PC/AM
Numéro 12/1325
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRET DU 21/03/2012
Dossier : 10/05274
Nature affaire :
Demande d'exécution de travaux, ou de dommages-intérêts, formée par le maître de l'ouvrage contre le constructeur ou son garant, ou contre le fabricant d'un élément de construction
Affaire :
S.A.R.L. LES TOITS DU BEARN
C/
S.C.I. [Adresse 6]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 21 mars 2012, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 21 Novembre 2011, devant :
Monsieur CASTAGNE, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame PEYRON, Greffier, présente à l'appel des causes,
Monsieur CASTAGNE, en application des articles 786 et 910 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Monsieur BILLAUD et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame PONS, Président
Monsieur CASTAGNE, Conseiller
Monsieur BILLAUD, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.R.L. LES TOITS DU BEARN
[Adresse 2]
[Localité 4]
agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
représentée par Maître VERGEZ, avoué à la Cour
assistée de la SCP CASADEBAIG - GALLARDO, avocats au barreau de PAU
INTIMEE :
S.C.I. [Adresse 6]
[Adresse 1]
[Localité 3]
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
représentée par la SCP MARBOT / CREPIN, avoués à la Cour
assistée de Maître TEILLARD LAGARDERE, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 16 DECEMBRE 2010
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE TARBES
Vu l'acte d'huissier de justice du 9 juin 2009 par lequel la S.A.R.L. Les Toits du Béarn a, sur le fondement des articles 11 et suivants de la loi du 31 décembre 1975, fait assigner la S.C.I. [Adresse 6] en paiement de la somme principale de 106 357,71 € représentant le solde impayé de travaux de couverture et zinguerie par elle exécutés en sous-traitance de la S.A.R.L. Ferromonte France, placée en redressement judiciaire le 12 novembre 2008, sur un chantier de construction d'une résidence de tourisme à [Localité 5],
Vu le jugement du 16 décembre 2010 par lequel le tribunal de grande instance de Tarbes a débouté la S.A.R.L. Les Toits du Béarn de ses demandes et l'a condamnée à restituer à la S.C.I. [Adresse 6] la somme de 76 000 € versée à titre provisionnel en exécution d'une ordonnance de référé du 24 mars 2009 et à lui payer la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
Vu la déclaration d'appel de la S.A.R.L. Les Toits Du Béarn, enregistrée au greffe de la Cour le 30 décembre 2010,
Vu l'ordonnance de clôture du 20 septembre 2011.
Dans ses dernières conclusions déposées le 29 mars 2011, la S.A.R.L. Les Toits du Béarn demande à la Cour, réformant la décision entreprise, au visa des articles 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, 1382 et 1794 du code civil :
- de condamner la S.C.I. [Adresse 6] à lui payer la somme de 106 357,71 € en principal, représentant le montant des situations 6 et 7 - augmentée des intérêts au taux légal à compter du 11 juin 2008 -, les sommes de 21 485,04 € au titre de travaux supplémentaires et de 5 000 € à titre de dommages-intérêts,
- de dire qu'elle n'a commis aucune faute en suspendant l'exécution du contrat et de débouter la S.C.I. [Adresse 6] de ses demandes reconventionnelles,
- de condamner la S.C.I. [Adresse 6] à lui payer la somme de 3 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, avec autorisation pour Me Vergez, avoué à la Cour, de procéder au recouvrement des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la S.A.R.L. Les Toits du Béarn expose en substance :
- qu'après lui avoir réglé directement les deux premières situations émises au titre de l'exécution du lot couverture - zinguerie qui lui avait été confié en sous-traitance par la société Ferromonte, la S.C.I. [Adresse 6] a refusé d'acquitter les situations qui lui ont été adressées postérieurement à l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de son donneur d'ordre,
- que le comportement du maître de l'ouvrage caractérise un agrément et une acceptation tacites mais non équivoques du sous-traitant et du principe du paiement direct, s'agissant en particulier du règlement de situations de travaux émises bien après que le maître d'ouvrage a constaté que l'entrepreneur principal ne déférait pas à sa mise en demeure de garantir le paiement du sous-traitant,
- qu'en toute hypothèse, le maître de l'ouvrage a commis une double faute en laissant le chantier se poursuivre alors qu'il savait que les droits du sous-traitant n'étaient pas garantis et en créant une apparence de garantie par le paiement direct de situations de travaux au sous-traitant, alors qu'un maître d'ouvrage a l'obligation de ne pas continuer l'exécution du chantier si les droits du sous-traitant ne sont pas garantis, en suspendant les règlements à l'entrepreneur principal,
- qu'aucune faute ne peut être imputée au sous-traitant du fait de l'absence d'un mécanisme de garantie et qu'il était fondé à suspendre l'exécution du contrat à défaut de paiement des situations antérieures,
Dans ses dernières conclusions déposées le 20 septembre 2011, la S.C.I. [Adresse 6] conclut à la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la S.A.R.L. Les Toits du Béarn de ses demandes et l'a condamnée à lui restituer la somme de 76 000 € versée à titre provisionnel en exécution de l'ordonnance de référé du 24 mars 2009 et de condamner l'appelante à lui payer les sommes de 2 000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens avec autorisation pour la S.C.P. Marbot - Crépin, avoués à la Cour, de procéder au recouvrement des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle soutient pour l'essentiel :
- que les conditions d'application de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ne sont pas réunies, en l'absence d'une acceptation tacite mais non équivoque des conditions de paiement du sous-traitant qui ne peut s'évincer du seul règlement, pour compte, de deux factures de travaux,
- qu'à défaut d'avoir communiqué au maître d'ouvrage copie de la lettre de mise en demeure ou de la déclaration de créance valant mise en demeure de l'entrepreneur principal, la S.A.R.L. Les Toits du Béarn ne peut prétendre au bénéfice de l'action directe,
- que la S.A.R.L. Les Toits du Béarn ne justifie pas de la réalité des sommes réclamées au titre du solde restant prétendument dû.
MOTIFS
Il résulte de la combinaison des articles 3 et 12 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, que seul peut exercer une action directe le sous-traitant accepté par le maître de l'ouvrage et dont les conditions de paiement ont été agréées par celui-ci.
La loi n'impose aucune forme particulière pour cette acceptation et cet agrément qui peuvent être exprès ou simplement tacites, à condition de s'évincer d'actes révélant la volonté non équivoque du maître d'ouvrage.
En l'espèce, l'acceptation expresse du sous-traitant par le maître d'ouvrage s'évince des termes de la lettre recommandée avec accusé de réception du 25 mars 2008 adressée par la S.C.I. [Adresse 6] à la société Ferromonte ainsi rédigée : Nous revenons vers vous à la suite de votre courrier du 18 mars 2008 au terme duquel vous nous indiquez prendre la S.A.R.L. Les Toits du Béarn en sous-traitance pour les lots couverture et zinguerie. Au vu des pièces communiquées, nous acceptons votre sous-traitant...'.
Cette seule acceptation expresse de la personne du sous-traitant est cependant insuffisante à lui octroyer le bénéfice de l'action directe en paiement, qui nécessite la preuve cumulative d'un agrément de ses conditions de paiement.
L'acceptation expresse ou tacite, mais univoque, des conditions de paiement ne peut s'évincer du contenu des divers courriers versés aux débats dont :
- le courrier précité du 25 mars 2008 aux termes duquel le maître d'ouvrage poursuivait : Toutefois, en tant que maître d'ouvrage, nous sommes tenus de vous rappeler qu'il ressort expressément des termes de la loi du 31 décembre 1975 et plus particulièrement de son article 14-1 que vous êtes dans l'obligation de fournir à vos sous-traitants toute garantie de paiement. L'article 14-1 nous oblige à mettre en demeure l'entrepreneur principal de s'acquitter de cette obligation. Par conséquent, au vu de ce qui précède, nous vous mettons en demeure de nous fournir, dans un délai d'un mois à compter de la réception de la présente, le cautionnement bancaire de votre sous-traitant. A défaut de cette pièce, nous serions dans l'impossibilité de donner notre agrément aux conditions de paiement de votre sous-traitant,
- le mail du 20 juin 2008 adressé à l'entreprise principale avec copie au sous-traitant dans lequel le maître d'ouvrage indiquait qu'à la suite de la demande de la S.A.R.L. Les Toits du Béarn de conclure un avenant à son contrat de sous-traitance tendant à modifier les modalités de paiement, sauf à obtenir une ventilation précise des sommes déjà versées par l'entreprise principale et des sommes encore dues au titre du marché, il ne pouvait donner une suite favorable à cette demande de paiement direct, que par ailleurs, il était indispensable d'obtenir un arrêté des travaux déjà réalisés et des travaux demeurant à réaliser au titre du marché initial et, souhaitant voir apparaître une corrélation parfaite entre le marché initial et l'avenant, tant au niveau pécuniaire qu'au niveau des travaux et que dans l'attente de ces précisions, il n'acceptait pas le projet d'avenant ;
- le courrier du 25 septembre 2008 par lequel la S.C.I. [Adresse 6] indiquait à la S.A.R.L. Les Toits du Béarn 'Nous revenons vers vous à la suite de la demande de Ferromonte de modifier vos conditions de paiement. Au vu de l'imprécision des documents transmis, nous refusons de procéder à la modification des conditions de paiement et plus précisément de mettre en place un paiement direct sur le solde du marché. Faute d'avoir obtenu les justificatifs de la mise en place d'une caution bancaire, nous n'avons jamais agréé les conditions de paiement initiales' ;
- tous documents établissant au contraire le refus du maître d'ouvrage d'agréer les conditions de paiement du sous-traitant.
L'agrément tacite des conditions de paiement ne peut par ailleurs s'évincer du règlement de deux situations de travaux d'un montant respectif de 52 539,34 € et 21 188,40 €, ces paiements demeurant équivoques dès lors qu'ils sont intervenus sur requête de l'entreprise principale et pour le compte de celle-ci, étant observé que la demande de règlement d'une des situations dont paiement est sollicité (situation n° 6 d'un montant de 52 063,32 €) a été présentée par la société Ferromonte par un courrier du 4 novembre 2008, en sollicitant expressément le paiement pour le compte de Ferromonte.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a considéré que la S.A.R.L. Les Toits du Béran ne pouvait prétendre au bénéfice de l'action directe en paiement prévue par l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975.
Par ailleurs, aucune faute susceptible d'engager la responsabilité quasi-délictuelle du maître d'ouvrage sur le fondement de l'article 1382 du code civil n'est caractérisée dès lors :
- que la S.C.I. [Adresse 6] a, par le courrier précité du 25 mars 2008, rempli ses obligations légales en mettant régulièrement (et vainement) en demeure la société Ferromonte de fournir justification de la caution bancaire prévue par l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, subordonnant, à défaut d'établissement d'une délégation de créance au sens de l'article 1275 du code civil, l'agrément des conditions de paiement du sous-traitant à la production de cette garantie,
- que le droit de refuser les conditions de paiement relève du pouvoir discrétionnaire du maître d'ouvrage et ne peut dégénérer en faute que si est démontré un abus de droit résultant de la fausseté des motifs de refus et / ou d'une intention de nuire, tous éléments non caractérisés en l'espèce puisque le refus d'agrément était motivé et justifié par l'absence de production d'un cautionnement bancaire,
- qu'il ne peut être fait grief au maître d'ouvrage - qui avait respecté ses obligations légales et qui n'avait pas à s'immiscer dans les relations contractuelles entre l'entrepreneur principal et son sous-traitant - d'avoir laissé le chantier se poursuivre en la présence du sous-traitant non agréé,
- qu'il ne peut être fait grief au maître d'ouvrage d'avoir, en acquittant directement à la S.A.R.L. Les Toits du Béarn, deux situations de travaux, imprudemment créé une apparence d'acceptation et d'agrément alors même que le maître de l'ouvrage n'a pas l'obligation d'informer directement le sous-traitant de son accord et / ou de son refus d'acceptation de sa personne et d'agrément de ses conditions de paiement dont il appartient au sous-traitant de s'assurer de l'effectivité et que les paiements invoqués ont été effectués pour le compte de l'entrepreneur principal.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la S.A.R.L. Les Toits du Béarn de sa demande subsidiaire en dommages-intérêts et l'a condamnée à rembourser à la S.C.I. [Adresse 6] la somme de 76 000 € versée à titre provisionnel en exécution de l'ordonnance de référé du 24 mars 2009, sauf à préciser que cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la date de son encaissement CARPA au profit de l'appelante.
La S.A.R.L. Les Toits du Béarn qui succombe dans ses prétentions principales sera déboutée de sa demande complémentaire en dommages-intérêts au titre de préjudices matériels et moraux par ailleurs non justifiés.
A défaut de preuve d'une faute susceptible de faire dégénérer en abus le droit fondamental de l'appelante de poursuivre en justice la défense de ses intérêts, la S.C.I. [Adresse 6] sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive.
L'équité commande d'allouer à la S.C.I. [Adresse 6], en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme globale de 3 000 € au titre des frais irrépétibles par elle exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.
La S.A.R.L. Les Toits du Béarn sera condamnée aux entiers dépens d'appel et de première instance, avec autorisation pour la S.C.P. Marbot - Crépin de procéder au recouvrement des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Vu le jugement du tribunal de grande instance de Tarbes en date du 16 décembre 2010,
En la forme, déclare l'appel de la S.A.R.L. Les Toits du Béarn recevable,
Au fond :
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- débouté la S.A.R.L. Les Toits du Béarn de l'ensemble de ses demandes contre la S.C.I. [Adresse 6] et l'a condamnée à rembourser à celle-ci la somme de 76 000 € (soixante seize mille euros) versée en exécution de l'ordonnance de référé du 24 mars 2009,
- débouté la S.C.I. [Adresse 6] de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive,
Ajoutant au jugement déféré, dit que la somme de 76 000 € (soixante seize mille euros) devant être restituée par la S.A.R.L. Les Toits du Béarn produira intérêts au taux légal à compter de la date de son encaissement CARPA au profit de celle-ci,
Condamne la S.A.R.L. Les Toits du Béarn, en application de l'article 700 du code de procédure civile, à payer à la S.C.I. [Adresse 6] la somme globale de 3 000 € (trois mille euros) au titre des frais irrépétibles par elle exposés tant en première instance qu'en cause d'appel,
Condamne la S.A.R.L. Les Toits du Béarn aux entiers dépens d'appel et de première instance, avec autorisation pour la S.C.P. Marbot - Crépin de procéder au recouvrement des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Mme Françoise Pons, Président, et par Mme Mireille Peyron, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,
Mireille PEYRONFrançoise PONS