FA/NL
Numéro 12/863
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRET DU 23/02/12
Dossier : 10/05246
Nature affaire :
Demande en réparation des dommages causés par l'activité médicale ou para-médicale
Affaire :
[B] [Z] épouse [C]
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE [Localité 2],
L'ONIAM (OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX)
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 23 février 2012, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 22 Novembre 2011, devant :
Monsieur CASTAGNE, Conseiller, faisant fonction de Président
Monsieur AUGEY, Conseiller, Magistrat chargé du rapport conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Madame BENEIX, Conseiller
assistés de Madame PEYRON, Greffier, présente à l'appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [B] [L] [Z] épouse [C]
[Adresse 5]
[Localité 3]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2011/00350 du 28/01/2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PAU)
représentée par la SCP DE GINESTET DUALE LIGNEY, avoués à la Cour
assistée de Me SAUGE, avocat au barreau de PAU
INTIMES :
L'ONIAM (OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX) pris en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représenté par la SCP MARBOT CREPIN, avoués à la Cour
assisté de Me BIROT, avocat au barreau de BAYONNE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE PAU prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
assignée
sur appel de la décision
en date du 08 DECEMBRE 2010
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PAU
Mme [C] souffrait depuis plusieurs années de céphalées migraineuses et l'intensification des douleurs a conduit son médecin traitant à solliciter au cours de l'année 2005 l'avis d'un neurologue.
L'examen réalisé au scanner le 17 janvier 2006 a permis de diagnostiquer la présence d'un kyste épidermoide intracrânien, et le 27 février 2006, le Dr [P] a procédé à l'ablation de ce kyste, et dès le réveil de Mme [C], une hémiplégie droite non réversible a été diagnostiquée.
Une expertise médicale a été ordonnée et il ressort du rapport du 5 février 2007 du professeur [N] qu'aucune faute technique du chirurgien ou de son équipe n'a été relevée à l'occasion de cette intervention.
Selon l'expert cette intervention était justifiée, dans la mesure où aucune radiothérapie ou un autre traitement médical n'était envisageable.
Mme [C] a alors fait assigner le Dr [P] ainsi que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) afin de solliciter une nouvelle mesure d'expertise, et un autre médecin expert a déposé un rapport définitif le 13 janvier 2010, à la suite de quoi Mme [C] a fait assigner l'ONIAM devant le tribunal de grande instance de Pau par acte d'huissier du 22 mars 2010 afin de solliciter la prise en charge de ce préjudice qu'elle a évalué à la somme globale de 582.170,54 €.
Par jugement du 8 décembre 2010, cette juridiction a débouté Mme [C] de ses demandes en relevant que les conditions édictées par l'article L. 1142 -1-1 du code de la santé publique pour la prise en charge des accidents médicaux ne sont pas réunis en l'espèce.
Par déclaration au greffe du 29 décembre 2010, Mme [C] a relevé appel de ce jugement.
Dans ses dernières écritures déposées le 27 avril 2011, elle a conclu à la réformation de cette décision, à l'homologation des rapports d'expertise des professeurs [N] et [U], en demandant à la cour d'appel de juger que l'ONIAM sera tenue de prendre en charge les conséquences de cet accident médical en application des dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, en faisant valoir que l'ensemble des conditions légales requises sont réunies, que son préjudice est d'une particulière gravité par rapport à son état antérieur, puisqu'il s'élève à la somme de 582.170,54 €.
A titre subsidiaire elle a soutenu que le fait dommageable a entraîné l'accélération du processus justifiant une compensation pour la réduction de la durée de latence, et qu'ainsi elle doit être indemnisée au titre de la perte d'une chance qu'elle évalue à 70 %, soit une somme de 407.519 €.
Elle soutient que les lésions dont elle est atteinte ne sont pas un simple développement de la maladie, qu'elles n'ont aucun lien avec un état antérieur, et constituent des conséquences de l'intervention, et que ce type de kyste connaît une évolution lente, ce qui signifie que son évolution prévisible n'est pas caractérisée systématiquement par l'apparition d'une hémiplégie.
Elle ajoute que l'intervention médicale pouvait être différée et qu'elle ne présentait pas un caractère d'urgence, et qu'au surplus, le risque d'hémiplégie est exceptionnel.
Dans ses dernières écritures du 17 juin 2011, l'Office National d'Indemnisation des Accidents Médicaux a conclu à la confirmation du jugement en soutenant que les dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ne sont pas applicables, au motif que le dommage présenté par Mme [C] n'est pas anormal au regard de son état de santé comme de son évolution prévisible.
A titre subsidiaire il a conclu au débouté de Mme [C] de ses demandes relatives à l'aménagement du domicile, à l'incidence professionnelle, au préjudice esthétique temporaire et à celui d'agrément, et sollicité une mesure de sursis à statuer sur le préjudice relatif à la nécessité d'une tierce personne dans l'attente de la connaissance du montant des prestations qui lui ont été servies à ce titre.
L'intimé soutient que la complication présentée par Mme [C] était prévisible au regard de la taille de la tumeur et de sa localisation, que l'intervention chirurgicale était seule envisageable, que la patiente a été parfaitement informée des risques d'hémiplégie liés à cette intervention, et qu'en raison de la localisation de la grosseur de ce kyste, le risque d'hémiplégie était forcément et inéluctablement élevé.
Il ajoute que cette complication était celle à laquelle aurait été exposée la patiente en l'absence d'intervention, ainsi que l'a relevé l'expert dans son rapport, et que dès lors, quel que soit le mode de traitement, le risque d'une évolution vers l'hémiplégie était inéluctable.
L'ONIAM soutient que l'état antérieur de cette patiente a participé à l'aggravation de son préjudice, et que l'hémiplégie ne constitue pas une conséquence anormale au regard de son état de santé comme de son évolution prévisible.
La CPAM Pau Pyrénées, régulièrement assignée, n'a pas constituée avoué.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 septembre 2011.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Un examen neurologique pratiqué au scanner le 17 janvier 2006 a permis de diagnostiquer chez Mme [C] la présence d'un kyste épidermoide intracrânien.
Le Dr [P] a procédé à l'ablation de ce kyste le 27 février 2006, et dès son réveil, Mme [C] a présenté une hémiplégie droite non réversible.
Les expertises médicales ont toutes démontré que, malgré la gravité évidente et indiscutable des conséquences corporelles, aucune faute ne peut être imputée au Dr [P].
Mme [C] a donc engagé une procédure en indemnisation sur le fondement de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique dont il résulte que lorsque la responsabilité d'un professionnel n'est pas engagée, un accident médical ouvre droit à la réparation des préjudices du patient lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de soins, et qu'il ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci, et qu'ils présentent un caractère de gravité fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacité fonctionnelle et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte tenu du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail.
Il est établi et non discuté que Mme [C] a subi des préjudices d'une très grande gravité, et qu'ils sont d'autant plus caractérisés qu'elle ne souffrait d'aucun déficit neurologique avant l'intervention.
Il est également établi que l'hémiplégie est la conséquence directe du geste médical non fautif pratiqué au cours de l'intervention chirurgicale du 27 février 2006.
Par contre, les parties s'opposent sur la question portant sur l'anormalité des conséquences résultant de cet acte de soins au regard de l'état de santé de Mme [C] avant l'intervention, mais également de l'évolution prévisible de celui-ci.
L'affection dont souffre Mme [C] a donné lieu à deux rapports d'expertise médicale, la première confiée au professeur [N], et la suivante au professeur [U].
Dans son rapport du 5 février 2007, le professeur [N] a souligné que la chirurgie d'exérèse, c'est-à-dire d'ablation des kystes épidermoides, connaît une morbidité importante.
Il a souligné que ce type d'intervention comporte des risques de récidive, de paralysie, ainsi que des risques hémorragiques et infectieux.
Il a indiqué que dans le cas de Mme [C], ce kyste ne pouvait faire l'objet d'un traitement médical ou radiothérapique et qu'en raison de sa localisation et de son importance, seul le recours à la chirurgie était envisageable et devait intervenir rapidement en raison de l'hypertension intracrânienne dont souffrait la patiente.
Le professeur [U] a également souligné que les kystes épidermoides ont une évolution lente mais régulière qui aurait plus tardivement entraîné le même type de troubles que ceux présentés actuellement par Mme [C], c'est-à-dire une hémiplégie droite.
Mme [C] a soutenu que cette intervention chirurgicale aurait pu être retardée, d'autant que selon elle, l'hypertension intracrânienne n'était pas manifeste.
Elle s'appuie sur l'avis émis par le Dr [I] auquel elle a remis les rapports de ces deux experts.
La cour constate d'une part que le Dr [I] est un médecin généraliste, qui ne justifie donc une compétence particulière dans le domaine de la chirurgie et de la neurologie, et qu'il s'agit par ailleurs d'un simple avis donné de manière non contradictoire sur la base de la lecture d'un rapport d'expertise judiciaire.
Contrairement à ce qu'a soutenu Mme [C], les deux médecins experts ont mis en évidence une hypertension intracrânienne importante, et justifié de manière motivée que l'intervention chirurgicale était la seule possible en raison de la taille de ce kyste et de sa localisation.
Le praticien qui l'avait opéré, le Dr [P] avait d'ailleurs noté dans un courrier du 17 mars 2006 adressé à son médecin traitant « que ces céphalées étaient en rapport avec une hypertension intracrânienne sur un processus de type de kyste épidermoide de gros volume avec effet de masse important. Devant cette masse et les signes d'hypertension intracrânienne, nous avions donc retenu l'indication chirurgicale sur cette lésion ».
D'autre part, l'expert judiciaire a évoqué dans son rapport le fait que, lors de l'examen pratiqué sur la personne de Mme [C] le 29 octobre 2009 pour les besoins de l'expertise, celle-ci avait reconnu que le risque d'une hémiplégie définitive avait été évoqué par le Dr [P] préalablement à l'intervention de neurochirurgie, mais qu'elle n'avait pas réalisé que ce trouble éventuel pouvait s'avérer définitif.
Mme [C] a effectivement signé le 21 février 2006 un document attestant de la délivrance de l'information relative aux risques liés à l'intervention.
Il y a donc lieu de juger qu'elle a été suffisamment informée de l'évolution des troubles en l'absence d'opération, des risques opératoires, mais également des bénéfices attendus.
Mme [C] a déclaré que c'est son mari et non elle qui aurait apposé sa signature sur ce document, mais elle n'en rapporte pas expressément la preuve, et elle a reconnu néanmoins avoir reçu une information sur la nécessité de l'intervention et sur les risques et les conséquences post-opératoires.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le risque d'une hémiplégie consécutive à l'opération d'ablation du kyste était connu de l'équipe médicale, et que l'information tenant au risque de paralysie a été délivrée à la patiente.
En outre, à défaut d'intervention, même si l'hémiplégie n'était pas inéluctable, l'accroissement lent et régulier du kyste sans possibilité de résorption naturelle laissait présager de graves difficultés médicales pour Mme [C].
Il convient de rappeler que selon le professeur [N], l'évolution d'une hypertension intracrânienne est le risque mortel, et dès lors les conséquences de l'intervention réalisée par le Dr [P] ne peuvent être considérées comme anormales au regard de l'évolution prévisible de l'état de santé de Mme [C].
L'hémiplégie est une complication possible d'une opération consistant dans l'ablation d'un kyste logé dans la région cervicale, et dans la mesure où ce risque est prévisible, cette complication ne présente pas un caractère suffisamment rare dans sa survenance pour pouvoir considérer que les préjudices qui en découlent sont anormaux.
En conséquence, il y a lieu de juger que les conditions requises par l'article L.1142-1 du code de la santé publique ne sont pas remplies, et de confirmer le jugement du 8 décembre 2010 déboutant Mme [C] de ses demandes.
A titre subsidiaire, Mme [C] a présenté une demande fondée sur la notion de perte de chance, en faisant valoir que le fait dommageable a entraîné « l'accélération du processus ce qui justifie une compensation pour la réduction de la durée de latence ».
L'ONIAM a conclu à l'irrecevabilité de cette demande comme nouvelle en cause d'appel.
Il s'agit effectivement d'une demande qui n'avait pas été présentée en première instance, et elle ne rentre pas dans le champ d'application de l'article 564 du code de procédure civile, puisque cette demande n'a pas été présentée pour opposer la compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
En conséquence, cette demande sera déclarée irrecevable.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort ;
Confirme le jugement du 8 décembre 2010 rendu par le tribunal de grande instance de Pau ;
Y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes présentées à titre subsidiaire par Mme [B] [C] ;
Condamne Mme [C] aux dépens de l'instance, et autorise la SCP Marbot - Crepin, avoués, à recouvrer directement ceux d'appel, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par M. Patrick Castagné, Président, et par Mme Mireille Peyron, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Mireille PEYRON Patrick CASTAGNE