PC/AM
Numéro 12/418
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRET DU 30/01/2012
Dossier : 10/01647
Nature affaire :
Demande relative à l'exercice du droit de préemption du preneur
Affaire :
[I] [O] [U]
C/
[S] [N]
[H] [N] née [Z]
[E] [N]
SA SAFER AQUITAINE ATLANTIQUE
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 30 janvier 2012, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 27 Septembre 2011, devant :
Monsieur CASTAGNE, Conseiller, faisant fonction de Président, chargé du rapport conformément à l'article 785 du code de procédure civile
Monsieur AUGEY, Conseiller
Madame BENEIX, Conseiller
assistés de Madame PEYRON, Greffier, présente à l'appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [I] [O] [U]
né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 6] (Landes)
de nationalité française
Maison '[Adresse 10]'
[Localité 6]
représenté par la SCP LONGIN / LONGIN-DUPEYRON / MARIOL, avoués à la Cour
assisté de Maître DAUGA, avocat au barreau de DAX
INTIMES :
Monsieur [S] [N]
né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 11] (40)
de nationalité française
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Madame [H] [N] née [Z]
née le [Date naissance 4] 1962 à [Localité 9] (64)
de nationalité française
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Monsieur [E] [N]
né le [Date naissance 5] 1984 à [Localité 9] (64)
de nationalité française
[Adresse 7]
[Localité 6]
représentés par la SCP PIAULT / LACRAMPE-CARRAZE, avoués à la Cour
assistés de Maître LAGASSE, avocat au barreau d'ALBI
SA SOCIETE D'AMENAGEMENT FONCIER ET D'ETABLISSEMENT RURAL AQUITAINE ATLANTIQUE (SAFER AQUITAINE ATLANTIQUE)
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 8]
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
représentée par la SCP DE GINESTET / DUALE / LIGNEY, avoués à la cour
assistée de Maître BONNET-LAMBERT, avocat au barreau de BORDEAUX
sur appel de la décision
en date du 07 AVRIL 2010
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE DAX
Les époux [S] [N] et [H] [Z] ont acquis, aux termes d'un jugement d'adjudication du tribunal de grande instance de Dax en date du 14 septembre 2006, diverses parcelles de terre de nature agricole sises à Josse et Saint Geours Maremne, d'une superficie totale de 15 ha 69 a 27 ca, pour un prix de 34 300 €, avec le projet de les louer à leur fils [E] [N] pour permettre à celui-ci d'y exploiter une activité d'élevage équin.
Le 11 octobre 2006, la SAFER Aquitaine Atlantique a notifié aux époux [N] sa décision d'exercer son droit de préemption aux motifs :
- que les biens sont situés dans le P.R.A. du Pays de Gosse, secteur où la concurrence est vive entre agriculteurs dont les besoins d'agrandissement restent non satisfaits et les non-agriculteurs à la recherche d'espaces de loisirs,
- que la maîtrise de ce bien par la SAFER devrait permettre l'agrandissement et l'amélioration parcellaire des exploitations voisines,
- qu'il existe notamment en contiguïté une exploitation de 0,47 UR mise en valeur par un agriculteur à titre exclusif qui serait susceptible de bénéficier de cette intervention,
- que cette situation ne saurait en aucun cas préjuger d'une attribution définitive, d'autres candidatures étant susceptibles de se manifester à l'occasion des formalités réglementaires de publicité qui pourraient conduire, éventuellement par échange, à une opération de restructuration plus générale.
Le 10 avril 2007, un acte authentique de vente des parcelles litigieuses était établi au profit de M. [I] [U] auquel la S.A.F.E.R. Aquitaine-Atlantique avait décidé de rétrocéder lesdites parcelles.
Contestant la légalité et l'opportunité de cette décision de préemption en ce qu'elle a été prise au bénéfice de M. [I] [U] à l'égard duquel M. [E] [N] estimait bénéficier d'une priorité d'attribution, les époux [N] et leur fils [E] [N] ont fait assigner la SAFER Aquitaine Atlantique et M. [I] [U] en annulation de la procédure de préemption, de la décision de rétrocession des parcelles au bénéfice de M. [I] [U] et de l'acte authentique de vente subséquent à ladite préemption.
Par jugement du 7 avril 2010, le tribunal de grande instance de Dax a :
- débouté les époux [N] de leur demande d'annulation de la décision de préemption,
- déclaré irrecevable la demande d'annulation de la décision de rétrocession formulée par M. [E] [N],
- déclaré recevable la demande d'annulation de la décision de rétrocession des parcelles formée par les époux [N],
- annulé la décision de rétrocession publiée le 17 avril 2007 pour non-respect des dispositions de l'article R.142-3 du code rural imposant la publication de l'appel à candidatures dans deux journaux diffusés dans l'ensemble du département, paraissant au moins deux fois par mois et figurant sur une liste établie par le préfet, dont l'un à caractère professionnel agricole,
- dit que l'annulation de cette décision emporte annulation de l'acte authentique de vente du 10 avril 2007,
- dit que les parties seront remises en l'état dans lequel elles se trouvaient avant la décision de rétrocession et avant la conclusion de l'acte authentique de vente du 10 avril 2007,
- dit qu'[I] [U] devra libérer les parcelles rétrocédées à compter de la signification du jugement,
- débouté [E] [N] et les époux [N] de leur demande de libération des terres dans les quinze jours de la décision, de leur demande d'indemnisation d'un préjudice d'exploitation,
- dit que la demande en dommages-intérêts pour procédure abusive formée par M. [U] est sans objet,
- condamné la SAFER Aquitaine Atlantique à payer aux époux [N] la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et débouté M. [E] [N] et M. [I] [U] de ce chef de demande,
- condamné la SAFER Aquitaine Atlantique aux entiers dépens.
M. [U] a interjeté appel de cette décision selon déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 23 avril 2010.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du magistrat de la mise en état en date du 28 juin 2011.
Dans ses dernières conclusions déposées le 17 juin 2011, M. [U] demande à la Cour de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté les consorts [N] de leur demande d'annulation de la décision de préemption et réformant la décision pour le surplus, de dire les consorts [N] irrecevables et en toute hypothèse mal fondés en leur demande d'annulation de la décision de rétrocession et de les condamner in solidum à lui payer la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens avec autorisation pour la S.C.P. Longin - Longin-Dupeyron - Mariol, avoués à la Cour, de procéder au recouvrement des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il soutient pour l'essentiel :
- que la décision de préemption est régulière en la forme et justifiée sur le fond, le pouvoir d'appréciation de la SAFER quant à sa décision de préempter n'étant pas soumis au contrôle du juge,
- que dans la mesure où il est constant que dans le cadre de la procédure d'instruction suivie par la SAFER c'est bien le projet d'installation de [E] [N] qui a été examiné, il convient de considérer que celui-ci avait donné mandat à ses parents pour le représenter dans le cadre de la procédure de rétrocession en sorte que le non-respect des dispositions de l'article R.142-3 du code rural n'a causé aux consorts [N] aucun grief susceptible de justifier l'annulation de la procédure,
- sur le fond, que les époux [N], qui n'ont pas la qualité d'exploitants agricoles n'étaient pas en situation de répondre à l'un des objectifs fixés aux candidats à une rétrocession par l'article L.142-3 du code rural et sont irrecevables à contester cette décision,
- que la situation de futur jeune agriculteur de [E] [N], maréchal-ferrant de profession, ne lui confère aucune priorité au titre d'une rétrocession alors que l'appelant est exploitant agricole depuis 1977 et exerce une activité exclusivement agricole ou assimilée,
- que le juge judiciaire ne peut se livrer à un contrôle de l'opportunité de la décision de rétrocession.
Dans leurs dernières conclusions déposées le 9 mai 2011, les consorts [N] demandent à la Cour,
- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevable leur demande d'annulation de la décision de préemption de la SAFER et d'annuler cette décision pour non-respect des dispositions des articles L.143-2, L.143-3, L.143-8, L.143-14, R.141-1, R.142-1, R.142-3 et R.343-3 du code rural,
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable leur demande d'annulation de la décision de rétrocession et en a prononcé l'annulation pour non-respect des dispositions des articles L.143-2, L.143-3, L.143-14, R.142-1, R.142-3 et R.343-3 du code rural,
- de condamner la SAFER au paiement de la somme de 30 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'exploitation de M. [E] [N],
- de condamner la SAFER à leur payer la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens avec autorisation pour la S.C.P. Piault / Lacrampe-Carraze, avoués à la Cour, de procéder au recouvrement des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Ils soutiennent pour l'essentiel :
- sur la décision de préemption :
$gt; que le texte de l'article L.143-2 du code rural institue une hiérarchie entre les objectifs de la préemption au bénéfice de l'installation des jeunes agriculteurs, que la rétrocession n'a permis ni l'agrandissement ni la restructuration ni l'amélioration parcellaire des terres de M. [U], tous objectifs pourtant prétendument poursuivis en l'espèce par la SAFER,
$gt; que la décision de préemption est justifiée par des motifs erronés puisque M. [U] n'exerce pas une activité agricole exclusive,
- sur la décision de rétrocession :
$gt; que la circonstance que la candidature de [E] [N] a été présentée, pour des raisons exclusivement financières, par ses parents ne permet pas d'en déduire qu'il n'était pas candidat à l'attribution des terres litigieuses alors même que le document de présentation des candidats le mentionne expressément, en sorte qu'il est personnellement recevable à contester cette décision,
$gt; que la SAFER ne justifie pas avoir procédé à la publication de l'appel à candidature dans les conditions exigées par l'article R.142-3, irrégularité de fond justifiant l'annulation de la procédure sans qu'il y ait lieu à rapporter la preuve d'un quelconque grief,
$gt; sur le fond, que la rétrocession à M. [U] ne répond matériellement pas aux critères exigés par l'article R.141-1-1 du code rural permettant la rétrocession au profit de propriétaires ou d'exploitants dont les propriétés ou exploitations sont mal adaptées à une mise en valeur rationnelle, ce qu'aucun élément du dossier n'établit,
$gt; que M. [U] n'a pas respecté l'orientation agricole des terres dont la DDAF avait fait un élément déterminant de sa décision, seuls 5 ha étant cultivés, le surplus étant incultivable et ne pouvant être affecté qu'à une activité d'élevage,
$gt; que les motifs de la décision querellée sont erronés, M. [U] n'exerçant pas une activité d'exploitant agricole à titre exclusif puisqu'il exploite également un camping à la ferme et exerce une activité de pêche, activités lui procurant un revenu supérieur à son activité agricole secondaire,
$gt; que [E] [N], titulaire de diplômes à vocation agricole, s'était inscrit en qualité d'éleveur de chevaux, profession connexe à l'agriculture,
$gt; que Mme [N] est affiliée à la MSA en sorte que les époux [N] peuvent en conséquence se porter candidats à la rétrocession.
Dans ses dernières conclusions déposées le 11 janvier 2011, la SAFER Aquitaine-Atlantique demande à la Cour :
- de déclarer M. [U] recevable et bien fondé en son appel,
- de déclarer les époux [N] irrecevables en leurs prétentions indemnitaires nouvelles devant la Cour,
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les consorts [N] de leur demande d'annulation de la décision de préemption et déclaré irrecevable la demande d'annulation de la décision de rétrocession formée par M. [E] [N],
- la réformant pour le surplus, de constater la régularité de cette décision et de débouter les consorts [N] de leurs demandes,
- subsidiairement, de dire que les consorts [N] ne justifient pas du préjudice par eux invoqué,
- de condamner les consorts [N] à lui payer la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens avec autorisation pour la S.C.P. de Ginestet - Dualé - Ligney, avoués à la Cour, de procéder au recouvrement des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle soutient en substance :
- que les époux [N] qui n'avaient formé à titre personnel aucune demande indemnitaire en première instance sont irrecevables à solliciter une indemnisation pour la première fois en cause d'appel,
- sur la préemption :
$gt; qu'il n'existe aucune priorité entre les objectifs visés par l'article L.143-2 du code rural,
$gt; que la seule obligation de la SAFER est de justifier sa décision par référence explicite et motivée à l'un ou à plusieurs de ces objectifs,
$gt; que le juge judiciaire ne peut procéder qu'à un contrôle de légalité à l'exclusion de tout contrôle d'opportunité,
$gt; qu'en l'espèce, la SAFER a expressément indiqué l'objectif poursuivi et motivé sa décision par référence à au moins une exploitation identifiable susceptible de répondre correctement à l'objectif poursuivi,
- sur la rétrocession :
$gt; que M. [E] [N] est irrecevable en sa contestation pour n'avoir fait à titre personnel aucune déclaration de candidature, qu'il ne peut être fait application de la théorie du mandat apparent dès lors qu'aucun élément n'établit que dans leurs rapports avec la SAFER les époux [N] ont agi au nom et pour le compte de leur fils ; que dès lors l'irrégularité résultant d'une publicité insuffisante des appels à candidature n'a causé aucun grief aux époux [N] et ne justifie pas l'annulation de la décision de rétrocession,
$gt; que le contrôle juridictionnel sur les décisions de rétrocession se limite à l'appréciation de leur légalité et de leur régularité et ne peut concerner leur opportunité,
$gt; qu'aux termes de l'acte authentique de vente, M. [U] s'est engagé à exploiter personnellement le bien vendu pendant une durée de 15 ans et à exercer la profession d'agriculteur à titre principal,
$gt; que les dispositions de l'article R.141-1 du code rural sont inapplicables en l'espèce, seules devant recevoir application celles de l'article L.143-2 du code rural respectées en l'espèce puisque la rétrocession a permis l'agrandissement et la restructuration de l'exploitation agricole de M. [U].
MOTIFS
I - Sur la contestation de la décision de préemption :
Aux termes de l'article L.143-3 du code rural, la SAFER qui exerce le droit de préemption à elle reconnu par l'article L.143-1 du code rural doit, à peine de nullité, justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l'un ou plusieurs des objectifs définis à l'article L.143-2 dudit code qui dispose que l'exercice du droit de préemption a pour objet, dans le cadre des objectifs définis par l'article 1 de la loi 99-574 du 9 juillet 1999 d'orientation agricole :
1° - l'installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs,
2° - l'agrandissement et l'amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes conformément à l'article L.331-2,
3° - la préservation de l'équilibre des exploitations...,
4° - la sauvegarde du caractère familial de l'exploitation,
5° - la lutte contre la spéculation foncière,
6° - la conservation d'exploitations viables existantes...,
7° - la mise en valeur et la protection de la forêt,
8° - la réalisation des projets de mise en valeur des paysages et de protection de l'environnement approuvés par l'Etat,
9° - la protection et la mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains...
Les articles L.143-1 et L.143-2 2 du code rural n'instaurent aucune hiérarchie ou ordre de priorité entre les différents objectifs pouvant justifier l'exercice du droit de préemption des SAFER en sorte qu'il ne peut être considéré que l'installation d'un (jeune) agriculteur constituerait automatiquement un objectif prioritaire et exclusif des autres.
Il y a lieu par ailleurs d'observer qu'il n'est pas établi qu'à la date de la décision de préemption, la SAFER était informée du projet d'installation de M. [E] [N] alors même que les biens préemptés avaient été acquis sur adjudication par les époux [N] qui ne justifient pas avoir été alors animés par un quelconque projet d'installation, personnel ou de couple.
Il convient enfin de considérer que la motivation de la décision de préemption telle que retranscrite ci-dessus répond aux exigences de l'article L.143-3 du code rural en ce qu'elle emporte référence explicite et motivée à l'un des objectifs assignés par l'article L.143-2 du code rural (en l'espèce, l'agrandissement et l'amélioration de la répartition parcellaire des exploitations existantes) et qu'elle comporte des données concrètes permettant de vérifier la réalité de l'objectif allégué, la décision précisant en outre que la référence (nécessaire et indispensable sauf à encourir le grief d'une absence de motivation concrète) à une exploitation existante ne préjuge en aucun cas d'une attribution définitive.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les consorts [N] de leur demande en annulation de la décision de préemption.
II - Sur la contestation de la décision de rétrocession :
1 - Sur la recevabilité même de la contestation :
Il résulte de la combinaison des articles L.143-14 et R.143-11 du code rural que seuls les candidats non retenus et l'acquéreur évincé ont qualité pour contester la légalité d'une décision de rétrocession prise par une SAFER ayant exercé son droit de préemption en application des articles L.143-1 et suivants du code rural.
En l'espèce, la SAFER Aquitaine-Atlantique dénie à M. [E] [N] la qualité de candidat évincé au motif qu'aucune déclaration de candidature n'a été régularisée à son nom mais seulement aux noms des époux [S] et [H] [N], ses parents.
La circonstance, même connue de la SAFER, que les époux [N], acquéreurs évincés et candidats à la rétrocession, entendaient mettre les terres dont s'agit à la disposition de leur fils [E] pour permettre à celui-ci d'y exploiter une activité d'élevage équin est insuffisante à conférer à ce dernier la qualité de candidat au sens de l'article R.143-12 du code rural.
Il ne peut par ailleurs être considéré que les époux [N] sont intervenus en qualité de mandataires de leur fils dès lors que l'existence d'un mandat est exclusive de tout lien contractuel entre le mandataire et le tiers, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisqu'à supposer la candidature des époux [N] retenue, la (rétro)cession n'aurait pu éventuellement intervenir qu'à leur profit personnel.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande d'annulation de la rétrocession formée par M. [E] [N] et déclaré recevable la demande d'annulation formée par les époux [N].
2 - Sur la contestation de la régularité formelle de la procédure de rétrocession :
Les époux [N] concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé l'annulation de la décision de rétrocession (et des actes juridiques subséquents) pour non-respect des dispositions de l'article L.143-3 du code rural aux termes desquelles :
- à peine de nullité, la SAFER doit justifier sa décision de préemption par référence explicite et motivée à l'un ou à plusieurs des objectifs qui lui sont assignés et la porter à la connaissance des intéressés,
- elle doit également motiver et publier la décision de rétrocession et annoncer préalablement à toute rétrocession son intention de mettre en vente les fonds acquis par préemption ou à l'amiable.
Il n'est pas contesté qu'en l'espèce, la SAFER n'a pas procédé à la publication d'un appel de candidatures dans les conditions prévues par l'article R.142-3 du code rural puisque l'avis emportant appel de candidatures prévu par ce texte n'a été publié que dans un seul journal diffusé sur l'ensemble du département, paraissant au moins deux fois par mois et figurant sur une liste établie par le préfet.
Cette irrégularité ne constitue cependant qu'un vice de forme au sens de l'article 114 du code de procédure civile et elle ne peut justifier l'annulation de l'acte qu'à charge pour celui qui l'invoque de prouver le grief qu'elle lui cause, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public.
Or, les époux [N] ne rapportent la preuve d'aucun grief résultant de la violation de cette disposition tendant à assurer la transparence de la procédure de rétrocession et à favoriser une pluralité de candidatures puisqu'ils ont régulièrement fait acte de candidature à la rétrocession des terres dont s'agit.
Par ailleurs, nonobstant sa qualité de tiers à la procédure de rétrocession, M. [E] [N] ne peut se prévaloir de la cause de nullité résultant du non-respect des dispositions des articles L.143-3 et R.142-3 du code rural puisqu'il est établi qu'il avait effectivement connaissance de la procédure de rétrocession dans le cadre de laquelle ses parents ont déposé une candidature afin de mettre les terres litigieuses à sa disposition pour lui permettre de réaliser son projet d'élevage équin.
Le jugement déféré sera donc réformé en ce qu'il a prononcé l'annulation de la décision de rétrocession (et de l'acte authentique de vente intervenu entre la SAFER Aquitaine-Atlantique et M. [U]) pour violation des articles L.143-3 et R.142-3 du code rural et de débouter les époux [N] de ce chef de demande d'annulation.
3 - Sur la contestation du motif retenu pour la rétrocession :
Il convient de rappeler qu'il n'appartient pas à la Cour de s'immiscer dans le choix de l'attributaire des terres préemptées mais de vérifier l'existence et l'exactitude, à la date de la décision de rétrocession, des motifs retenus par la SAFER au regard des missions et objectifs à elle assignés par les articles :
- L.141-1 du code rural aux termes duquel les SAFER peuvent, dans le but de les rétrocéder, acquérir des biens ruraux et choisir un attributaire en fonction de leurs missions d'amélioration des structures foncières par l'installation ou le maintien d'exploitants agricoles, par l'accroissement de la superficie de certaines exploitations agricoles, par la mise en valeur des sols et éventuellement par l'aménagement et le remaniement parcellaires,
- R.142-1 du code rural disposant que les biens sont attribués par les S.A.F.E.R. aux aux candicats capables d'en assurer la gestion, la mise en valeur ou la préservation compte-tenu notamment de leur situation familiale, de leur capacité financière d'acquérir le bien et de le gérer, de l'existence de revenus non-agricoles, de leurs compétences professionnelles et de leurs qualités personnelles ainsi que de l'intérêt économique, social ou environnemental de l'opération,
- L.143-2 du code rural dont les dispositions spécifiques à l'exercice du droit de préemption ont été ci-dessus rappelées.
En l'espèce, la décision de rétrocession au profit de M. [U] est ainsi motivée : agrandissement et restructuration d'une exploitation contiguë de 0,47 UR mise en valeur par un agriculteur à titre exclusif.
Ce motif entre, en soi, dans le cadre des objectifs assignés par les textes précités aux SAFER en matière de rétrocession consécutive à l'exercice d'un droit de préemption.
Cette motivation est suffisante au regard des exigences des textes précités, elle ne traduit aucune erreur manifeste d'appréciation de la SAFER et elle ne repose pas sur des considérations de fait et/ou de droit erronées dès lors :
- que l'agrandissement des exploitations existantes figure parmi les objectifs assignés aux SAFER dans le cadre des procédures de préemption-rétrocession (article L.143-2 2° et R.142-1 du code rural),
- que la circonstance que l'attributaire, qui justifie de sa qualité de chef d'exploitation agricole à la date de la décision de rétrocession, exerce diverses activités en complément de son activité d'élevage de volailles (soit l'exploitation d'un camping à la ferme et une activité de pêcheur de pibales) doit demeurer sans incidence dès lors qu'aux termes de l'article L.311-1 du code rural sont réputées agricoles toutes les activités correspondant à la maîtrise et à l'exploitation d'un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle ainsi que les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation, les activités de culture marine étant réputées agricoles nonobstant le statut social dont relèvent ceux qui les pratiquent,
- que la circonstance que l'avis d'imposition 2006 de M. [U] fait état de la perception de bénéfices industriels et commerciaux (au titre de l'activité de camping exercée au siège de l'exploitation) est également sans incidence dès lors que la qualité d'agriculteur à titre exclusif de M. [U] doit être appréciée, comme le soutient ce dernier, au sens du droit rural et non du droit fiscal qui retient une définition autonome et restrictive de la notion de revenus agricoles (cf. article 63 du Code Général des Impôts)
Il convient donc, ajoutant au jugement déféré, de débouter les époux [N] de ce chef de demande d'annulation de la décision de rétrocession et de l'acte authentique de vente intervenu entre la SAFER Aquitaine-Atlantique et M. [U].
III - Sur les demandes indemnitaires :
Il échet de constater que dans le dernier état de leurs conclusions, les consorts [N] ne sollicitent plus que la condamnation de la SAFER Aquitaine-Atlantique à payer à M. [E] [N] exclusivement la somme de 30 000 € en réparation d'un préjudice d'exploitation en sorte que la contestation de la recevabilité de la demande indemnitaire des époux [N] soulevée par la SAFER Aquitaine-Atlantique du chef des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile est dépourvue de tout intérêt pratique et juridique, les époux [N] ayant renoncé à cette demande.
En l'absence de preuve d'une faute de la SAFER Aquitaine-Atlantique dans la gestion de la procédure de préemption-rétrocession objet de la présente instance, M. [E] [N] sera débouté de sa demande en dommages-intérêts en réparation du préjudice d'exploitation par lui allégué.
IV - Sur les demandes accessoires :
L'équité commande, réformant le jugement entrepris, de débouter les consorts [N] de leur demande en application de l'article 700 du code de procédure civile et de les condamner in solidum à payer de ce chef à la SAFER Aquitaine-Atlantique d'une part et à M. [U] d'autre part, la somme de 2 000 € chacun, au titre des frais irrépétibles par eux exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.
Les consorts [N] seront condamnés in solidum aux entiers dépens d'appel et de première instance, avec autorisation pour la S.C.P. de Ginestet - Dualé - Ligney et la S.C.P. Longin - Longin-Dupeyron - Mariol, avoués à la Cour, de procéder au recouvrement des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Vu le jugement du tribunal de grande instance de Dax en date du 7 avril 2010,
En la forme, déclare l'appel principal de M. [I] [U] recevable,
Au fond :
Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- débouté les consorts [N] de leur demande d'annulation de la décision de préemption des parcelles litigieuses,
- déclaré irrecevable la demande d'annulation de la décision de rétrocession formée par M. [E] [N],
- déclaré recevable la demande d'annulation de la décision de rétrocession formée par les époux [S] et [H] [N],
- débouté M. [E] [N] et les époux [N] de leur demande d'indemnisation d'un préjudice d'exploitation,
Réformant le jugement entrepris pour le surplus :
- Déboute les époux [N] de leur demande d'annulation de la décision de rétrocession au profit de M. [I] [U] publiée le 17 avril 2007 et de l'acte authentique de vente intervenu le 10 avril 2007 entre la SAFER Aquitaine-Atlantique et M. [I] [U],
- Condamne les époux [S] et [H] [N] et M. [E] [N], in solidum, à payer, en application de l'article 700 du code de procédure civile, à la SAFER Aquitaine-Atlantique d'une part et à M. [U] d'autre part, la somme de 2 000 € (deux mille euros) chacun, (soit globalement 4 000 € (quatre mille euros)) au titre des frais irrépétibles par eux exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.
- Condamne in solidum les époux [S] et [H] [N] et M. [E] [N] aux entiers dépens d'appel et de première instance, avec autorisation pour la S.C.P. de Ginestet - Dualé - Ligney et la S.C.P. Longin - Longin-Dupeyron - Mariol, avoués à la Cour, de procéder au recouvrement des dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par M. Castagné, Conseiller, faisant fonction de Président, et par Mme Peyron, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,
[J] PEYRONPatrick CASTAGNE