AB/AM
Numéro 11/ 5498
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 08/12/2011
Dossier : 10/04443
Nature affaire :
Demande d'exécution de travaux, ou de dommages-intérêts, formée par le maître de l'ouvrage contre le constructeur ou son garant, ou contre le fabricant d'un élément de construction
Affaire :
[W] [H] épouse [R]
[J] [R]
C/
SARL ERAIKI
SA SAGENA
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 8 décembre 2011, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 05 Octobre 2011, devant :
Monsieur BILLAUD, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame PEYRON, greffier, présente à l'appel des causes,
Monsieur BILLAUD, en application des articles 786 et 910 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame PONS, Président
Monsieur BILLAUD, Conseiller
Madame BENEIX, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTS :
Madame [W] [H] épouse [R]
née le [Date naissance 2] 1937 à [Localité 10]
[Adresse 9]
[Localité 3]
Monsieur [J] [R]
né le [Date naissance 1] 1934 à [Localité 11]
[Adresse 9]
[Localité 3]
représentés par la SCP LONGIN / LONGIN-DUPEYRON / MARIOL, avoués à la Cour
assistés de Maître VERMOTE, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMEES :
SARL ERAIKI
[Adresse 6]
[Localité 5]
agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
représentée par la SCP DE GINESTET / DUALE / LIGNEY, avoués à la Cour
assistée de Maître BRIFFE, avocat au barreau de BAYONNE
SA SAGENA
[Adresse 4]
[Localité 7]
représentée par la SCP RODON, avoués à la Cour
assistée de la SCP PERSONNAZ - HUERTA, avocats au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 25 OCTOBRE 2010
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BAYONNE
Faits et procédure :
Le 11 mars 2005, M. et Mme [R] ont passé avec la SARL Eraiki un marché de travaux de gros 'uvre dans le cadre de la construction d'une maison individuelle à [Localité 8].
Des désordres importants sont apparus dans la réalisation des travaux achevés en mai 2006.
Suivant ordonnance de référé en date du 4 juillet 2007, M. [C] a été désigné en qualité d'expert afin de décrire les désordres entachant la construction, d'en rechercher les causes, de dire les travaux nécessaires pour y remédier, d'en chiffrer le coût et la durée.
La société générale d'assurances Sagena assure la garantie décennale et la responsabilité professionnelle de la SARL Eraiki.
En lecture du rapport d'expertise de M. [C] déposé le 9 avril 2008 et suivant actes d'huissier des 29 mai 2009 et 4 juin 2009, M. et Mme [R] ont fait assigner la SARL Eraiki et son assureur Sagena devant le tribunal de grande instance de Bayonne afin qu'ils soient solidairement condamnés à leur payer la somme principale de 39 597,60 € ainsi que 20 000 € de dommages-intérêts pour trouble de jouissance et 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 25 octobre 2010, le tribunal de grande instance de Bayonne a déclaré les époux [R] irrecevables en leur action sur le fondement des articles 1382 et 1792 du code civil, a débouté la SARL Eraiki de sa demande de dommages-intérêts, et, par décision spéciale visant l'article 696 du code de procédure civile, a condamné la SARL Eraiki aux entiers dépens comprenant les frais d'expertise et de référé.
Suivant déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 9 novembre 2010, M. et Mme [R] ont relevé appel de cette décision.
Moyens et prétentions des parties :
Dans leurs dernières conclusions en date du 9 février 2011, M. et Mme [R] demandent à la Cour de réformer le jugement entrepris, et, à titre principal, de condamner la SARL Eraiki, garantie par sa compagnie d'assurances à leur payer la somme de 39 597,60 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter de la date du rapport d'expertise, cela, sur le fondement de l'article 1792 du code civil, outre 60 000 € de dommages-intérêts pour préjudice de jouissance, et à titre subsidiaire, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, de dire que la société Eraiki a commis une faute dans l'exécution des travaux mis contractuellement à sa charge et en conséquence la condamner à réparer les désordres entachant la villa, désordres chiffrés à 39 597,60 euros TTC avec les mêmes intérêts légaux ainsi que 60 000 € pour trouble de jouissance. Elle réclame 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions en date du 12 mai 2011, la SARL Eraiki demande à la Cour de dire qu'il n'y a pas eu réception des travaux et de déclarer les époux [R] irrecevables en leur demande fondée sur les dispositions de l'article 1792 du code civil ; elle demande par ailleurs à la Cour de constater que les époux [R] ne sont plus dans le délai légal pour mettre en 'uvre la garantie de parfait achèvement, de les déclarer irrecevables à ce titre et de les déclarer mal fondés en leur demande de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1147 du code civil, cette demande étant une demande nouvelle, en tout état de cause de constater qu'aucune faute contractuelle ne peut lui être reprochée ; subsidiairement, de dire que seuls des travaux de reprise relatifs à des appuis de poteaux et au bouchage de trous dans les briques peuvent être mis à sa charge pour 3 600 € hors taxes.
Elle demande la condamnation des époux [R] à lui payer 5 000 € pour procédure abusive et 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions en date du 10 mai 2011, la société Sagena demande à la Cour de confirmer en son principe le jugement dont appel et de juger que la garantie décennale ne peut s'appliquer ; subsidiairement, à supposer que la réception soit intervenue, de dire qu'il s'agit d'une réception avec réserves pour laquelle la garantie de parfait achèvement aurait dû être mise en 'uvre et par conséquent mettre totalement hors de cause la compagnie d'assurances et lui allouer 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 juin 2011.
SUR QUOI :
La situation de fait :
Attendu que le rapport d'expertise de M. [C] en date du 9 avril 2008 a été établi contradictoirement, qu'il a été répondu aux dires des parties dans ce même rapport, que ce rapport n'a pas été critiqué par les parties et qu'il doit donc servir de fondement à la décision de la Cour ;
Attendu qu'il est formellement établi et par ailleurs non contesté par les appelants que les plans de leur maison ont été dressés par M. [R] lui-même, qu'aucun architecte n'a été saisi, qu'il n'y a pas eu d'étude de sol ;
Attendu que la réalité des désordres invoqués pas les maîtres de l'ouvrage a été confirmée par l'expertise, qu'il s'agit uniquement de problèmes d'exécution concernant les bétons armés et le montage des briques dites 'monomur' ;
Attendu que l'expert a constaté le manque de soins et de finition concernant les bétons armés, le fait que des poutres ne sont pas exactement à l'aplomb, qu'il existe un doute sur l'existence et la position des armatures après le sondage fait par le propriétaire, qu'il s'agit de défauts d'exécution qui ne mettent pas en cause la solidité des ouvrages concernés ;
Attendu par ailleurs que l'expert a relevé des désordres beaucoup plus sérieux concernant les briques et leur montage totalement défectueux dans la mesure où les consignes de pose n'ont pas été respectées, qu'elles ont été posées à sec sans aucun joint vertical que par conséquent les principes d'isolation thermique ne sont pas respectés, qu'il y a donc lieu d'effectuer des travaux de reprise en respectant les préconisations du fabricant ;
Attendu que le coût total des réparations a été chiffré à 39 597,60 euros TTC ;
En droit :
Attendu que l'existence du marché de travaux passé le 11 mars 2005 entre les parties n'est ni contestable ni contestée ;
Attendu que l'article 1792-6 du code civil prévoit que la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve ; qu'il est constant en droit que ces dispositions n'excluent pas la possibilité d'une réception tacite mais qu'il convient dans ce cas de rechercher si la prise de possession manifeste une volonté non équivoque des maîtres de l'ouvrage d'accepter celui-ci ;
Et attendu sur ce point qu'il résulte expressément de la lettre adressée par M. [J] [R] à la SARL Eraiki le 5 juillet 2006 que les maîtres de l'ouvrage, par ailleurs maîtres d''uvre, étaient prêts à payer la société à certaines conditions et que, pour en terminer, ils proposaient de procéder à une réception des travaux avec d'éventuelles réserves, que par ailleurs dans cette même lettre, M. [R] confirme à la SARL Eraiki qu'elle n'exécuterait pas l'enduit extérieur et qu'il existait un désaccord entre eux au niveau du produit demandé et du métré estimé ;
Attendu que dans leurs propres conclusions, M. et Mme [R] prétendent que la réception des travaux est intervenue le 10 mai 2006, ce qui est en totale contradiction avec la lettre du 5 juillet 2006 ci-dessus rappelée dans laquelle le maître de l'ouvrage propose une réception ultérieure accompagnée en outre de certaines réserves ;
Attendu qu'en l'absence de preuve de la manifestation de volonté de M. et Mme [R] d'accepter l'ouvrage avant qu'ils ne demandent la réparation de leur préjudice et le paiement du coût de reprise des désordres dénoncés, aucune réception tacite de l'ouvrage n'est démontrée ;
Attendu qu'il y a donc lieu d'écarter toute possibilité de mise en 'uvre de la responsabilité de la SARL Eraiki en tant que constructeur d'ouvrage sur le fondement des dispositions des articles 1792 du code civil et suivants ;
Et attendu qu'il est constant en droit que la responsabilité contractuelle de droit commun trouve à s'appliquer pour les dommages se situant en dehors du domaine de la garantie décennale, pour les désordres n'affectant pas les ouvrages au sens des dispositions de l'article 1792 du code civil, pour des défauts ne compromettant pas la solidité de l'immeuble et ne le rendant pas impropre à sa destination, et qu'en tout état de cause, la responsabilité contractuelle de droit commun de l'entrepreneur subsiste avant la levée des réserves concurremment avec la garantie de parfait achèvement ;
Attendu par conséquent que la SARL Eraiki doit être déclarée responsable du désordre affectant la construction des époux [R] sur le fondement des dispositions de l'article 1147 du code civil ;
Le préjudice :
Attendu que le chiffrage de l'expert pour la reprise des désordres comprenait 2 500 € hors taxes au titre d'honoraires de maitre d''uvre, que ce dernier chiffre ne sera pas repris par la Cour, qu'ainsi le coût total des réparations s'élève à :
réparations en sous-sol des appuis poutres et poteaux : 1 600 € HT
rebouchage des trous dans les briques : 2 000 € HT
mise en place d'une isolation extérieure : 27 000 € HT
soit 30.600 € HT ou 36.597,60 € TTC ;
Attendu qu'il y a lieu de déclarer la société Eraiki entièrement responsable du préjudice subi par M. et Mme [R] et de la condamner à leur payer cette somme ;
Attendu que la société d'assurances Sagena a produit aux débats une attestation d'assurance en date du 8 décembre 2004 prévoyant la garantie de responsabilité civile professionnelle de la société Eraiki pour toutes les conséquences que peut encourir l'assuré en raison de dommages matériels causés à des tiers et résultant de ses activités professionnelles que ce soit en cours ou après exécution des travaux dans la limite de 915.000 € ;
Attendu par conséquent que cette société d'assurances doit relever et garantir la SARL Eraiki de toute condamnation prononcée à son encontre dans le présent arrêt ;
Attendu qu'il y a lieu d'infirmer la décision entreprise ;
Attendu que la SARL Eraiki qui succombe à titre principal doit les entiers dépens ainsi que les frais et honoraires de l'expert ;
Attendu qu'il résulte de l'exposé qui précède que les époux [R] n'ont subi aucun autre préjudice que celui résultant des désordres dont la réparation a été chiffrée ci-dessus ;
Qu'ils seront déboutés de leur demande de dommages-intérêts pour préjudice complémentaire de jouissance dont ils ne justifient pas ;
Attendu cependant qu'ils ont dû exposer des frais irrépétibles pour assurer la défense de leurs droits, qu'il y a lieu de condamner la SARL Eraiki à leur payer la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme la décision rendue le 25 octobre 2010 par le tribunal de grande instance de Bayonne sauf en ce qu'elle a déclaré les époux [R] irrecevables en leur action sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil ;
Statuant à nouveau,
Déclare la SARL Eraiki responsable du préjudice subi par les époux [R] ;
Condamne cette société à payer à M. et Mme [R] la somme de 36.597,60 € TTC (trente six mille cinq cent quatre vingt dix sept euros et soixante centimes) avec intérêts au taux légal à compter du rapport d'expertise du 9 avril 2008 ;
Déboute M. et Mme [R] de leur demande de dommages-intérêts complémentaires ;
Rejette toutes autres demandes des parties ;
Condamne la SARL Eraiki à payer à M. et Mme [R] la somme de 2 500 € (deux mille cinq cents euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamne aux entiers dépens en ce compris les frais et honoraires de l'expert avec possibilité de recouvrement direct pour la SCP Rodon, avoués, selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Condamne la société d'assurances Sagena à relever et garantir la SARL Eraiki des condamnations prononcées à son encontre dans le présent arrêt.
Le présent arrêt a été signé par Mme Pons, Président, et par Mme Peyron, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,
Mireille PEYRONFrançoise PONS