FA/PP
Numéro 5166/10
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRET DU 06/12/10
Dossier : 09/04198
Nature affaire :
Demande en paiement du prix, ou des honoraires formée contre le client et/ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix, ou des honoraires
Affaire :
[L] [E]
C/
Epoux [O],
SARL CIB,
SARL SAINT PIERRE IMMO
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 06 Décembre 2010, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 05 Octobre 2010, devant :
Madame PONS, Président
Monsieur AUGEY, Conseiller, magistrat chargé du rapport conformément à l'article 785 du code de procédure civile
Madame BENEIX, Conseiller
assistés de Madame PEYRON, Greffier, présent à l'appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [L] [E]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par la SCP DE GINESTET / DUALE / LIGNEY, avoués à la Cour
assistée de Me TORTIGUE, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMES :
Monsieur [U] [O]
[Adresse 4]
[Localité 5]
Madame [C] [X] épouse [O]
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentés par la SCP PIAULT / LACRAMPE-CARRAZE, avoués à la Cour
assistés de Me ARAEZ, avocat au barreau de BAYONNE
SARL CIB, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social
[Adresse 7]
[Adresse 8]
[Localité 2]
représentée par la SCP LONGIN, LONGIN-DUPEYRON, MARIOL, avoués à la Cour
assistée de Me BLAZY-ANDRIEU, avocat au barreau de BAYONNE
SARL SAINT PIERRE IMMO, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social
ORPI
[Adresse 6]
[Localité 3]
Assignée
sur appel de la décision
en date du 09 NOVEMBRE 2009
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BAYONNE
Par acte sous seing privé du 4 avril 2007, Mme [E] a acheté à M. et Mme [O] par l'intermédiaire de la société Saint Pierre Immo une maison située à [Localité 5] moyennant le prix de 360'000 €, outre une commission de 25'000 € à la charge de l'acquéreur.
Cette acquisition devait être financée au moyen d'un prêt de 204'000 €, la condition suspensive d'obtention du prêt devant être réalisée au plus tard le 19 mai 2007.
La somme de 19'000 € a été versée par Mme [E] à titre de dépôt de garantie, et la société Côte Basque Immobilier (CIB) a été désignée en qualité de séquestre.
L'acte authentique devait être réitéré le 25 juin 2007 et une clause de l'acte sous seing privé stipule qu'en cas de refus de régularisation, une clause pénale de 30'000 € sera appliquée.
Mme [E] a obtenu le financement de cette opération le 9 mai 2007, mais elle ne s'est pas présentée à la signature de l'acte authentique, et elle a déclaré renoncer à son achat par lettre du 9 juillet 2007, motivée par la présence de termites dans l'immeuble non signalée par les vendeurs.
Une procédure a été engagée par actes d'huissier des 18 novembre 2007 et 18 février 2008 par la SARL CIB et par M. et Mme [O] à l'encontre de Mme [E], et par jugement du 9 novembre 2009, le tribunal de grande instance de Bayonne a jugé que la rétractation de Mme [E] est tardive, et l'a condamnée à payer au vendeur la somme de 11'000 € représentant le montant de la clause pénale dont le montant contractuel a été jugé excessif, et a débouté la SARL Côte Basque Immobilier de sa demande, au motif qu'aucune vente n'est intervenue entre les parties.
Par déclaration au greffe du 1er octobre 2009, Mme [E] a relevé appel de ce jugement.
Dans ses dernière écritures déposées le 25 juin 2010, Mme [E] a conclu à sa réformation, ainsi qu'à la condamnation solidaire des intimés au paiement de la somme de 19'000 €, et au remboursement de celle de 11'000 €, outre une indemnité pour frais irrépétibles.
Elle fait valoir qu'elle a exercé sa faculté de rétractation dans le délai légal par courrier du 12 avril 2007 ; que l'agence ne peut prétendre au paiement de sa commission puisque l'opération n'a pas été menée à bonne fin, et qu'enfin, le prix de l'appartement a été surestimé.
Dans leurs dernières conclusions du 11 mai 2010, les époux [O] ont conclu à la condamnation de Mme [E] au paiement de l'intégralité de l'indemnité contractuelle représentant la clause pénale, ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 000 € à titre de dommages intérêts et d'une indemnité du même montant correspondant aux frais irrépétibles.
Ils soutiennent que la rétractation n'est pas valable car elle a été formulée après l'expiration du délai de sept jours suivant la signature de l'acte sous seing privé.
Ils font observer que Mme [E] avait reconnu sa carence, puisqu'elle avait accepté de régler la somme de 30'000 € représentant le montant de la clause pénale.
Ils font valoir que ce comportement leur a causé un préjudice financier et moral manifeste.
Dans ses dernières conclusions du 11 mai 2010, la SARL Côte Basque Immobilier a conclu à la condamnation de Mme [E] au paiement de la somme de 25'000 € représentant le montant de la commission, ainsi que d'une indemnité de 3 500 € au titre des frais irrépétibles.
Elle fait observer que la demande de rétractation a été formulée hors délai, puisque la lettre a été postée le 13 avril 2007, c'est-à-dire le lendemain de l'expiration du délai légal de sept jours.
Elle soutient encore que sa commission est due, puisque la vente est parfaite entre les parties, et qu'il importe donc peu qu'elle ne se soit pas concrétisée par la signature de l'acte authentique.
Elle ajoute enfin que la faute de Mme [E] étant établie, le préjudice correspond à la perte de commission à laquelle l'agence était en droit de prétendre.
La SARL Saint Pierre Immo a été assignée à la personne de son gérant par acte d'huissier du 19 mars 2010. Celle-ci n'a pas constitué avoué.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 septembre 2010.
MOTIFS DE L'ARRET
Par acte sous seing privé du 4 avril 2007, Mme [E] a acheté à M. et Mme [O] par l'intermédiaire de la société Saint Pierre Immo une maison située à [Localité 5] moyennant le prix de 360'000 €, outre une commission de 25'000 € à la charge de l'acquéreur.
Mme [E] a obtenu le financement de cette opération le 9 mai 2007, mais elle ne s'est pas présentée à la signature de l'acte authentique, et elle a déclaré renoncer à son achat par lettre du 9 juillet 2007, motivée par la présence de termites dans l'immeuble non signalée par les vendeurs.
L'acte de vente sous seing privé a été signé par les époux [O] et par Mme [E] le 4 avril 2007 et il a été établi en autant d'originaux qu'il y a de parties.
L'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation prévoit un délai de rétractation de sept jours, et son alinéa 3 précise que lorsque l'acte est conclu par l'intermédiaire d'un professionnel ayant reçu mandat pour prêter son concours à la vente, cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation. Dans ce cas, le délai de rétractation court à compter du lendemain de la remise de l'acte, qui doit être attestée selon des modalités fixées par décret.
En l'espèce, la preuve de la remise en mains propres de cet acte à Mme [E] le jour de sa rédaction n'a pas été rapportée.
En conséquence, il y a lieu de faire application des dispositions de l'alinéa 3 de l'article L. 271-1 du code de la construction et de l'habitation dont il résulte que l'acquéreur non professionnel peut se rétracter dans un délai de sept jours à compter du lendemain de la première présentation de la lettre lui notifiant l'acte, la notification devant être effectuée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
Il résulte de l'examen du procès-verbal de carence du 13 juillet 2007 établi par le notaire chargé de la vente que cet acte de vente a été notifié à Mme [E] par lettre recommandée du 5 avril 2007, et que la première présentation a eu lieu le 7 avril 2007.
En conséquence, le délai de rétractation a commencé à courir le 8 avril 2007.
Or la première lettre de rétractation présentée par Mme [E] est datée du 12 avril 2007, et elle a été postée le 13 avril 2007, ainsi qu'en fait foi le cachet de la poste.
Elle a donc exercé sa faculté de rétractation dans le délai légal.
Cependant, il résulte des pièces du dossier que Mme [E] s'est pratiquement immédiatement rétractée, puisqu'elle a adressé le 17 avril 2007 à l'agent immobilier un courrier dans lequel elle a expressément annulé le contenu de sa correspondance du 12 avril 2007, et elle a confirmé dans des termes dépourvus d'équivoque son engagement d'acquérir cet immeuble aux conditions contractuelles.
Au surplus, par lettre du 3 septembre 2007 adressée à la société d'assurance DAS, assureur garantissant la protection juridique des époux [O], elle a reconnu expressément sa carence en lui adressant un chèque de 11'000 € accompagné de la formule suivante : « veuillez recevoir ce jour un chèque d'un montant de 11'000 € en complément d'un premier versement effectué à la signature du sous seing privé le 4 avril 2007 d'un montant de 19'000 € ».
Il résulte de ce qui précède que Mme [E] a expressément renoncé à se prévaloir de la faculté de rétractation, et il y a donc lieu de faire application de la stipulation contractuelle relative à la clause pénale qui est ainsi libellée : « il est convenu qu'au cas où l'une des parties viendrait à refuser de régulariser par acte authentique la présente vente dans le délai imparti,... que la partie qui n'est pas en défaut percevra à titre d'indemnisation forfaitaire de son préjudice la somme de 30'000 € de l'autre partie ».
Il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté que l'immeuble objet de ce contrat de vente est resté immobilisé du mois d'avril au mois d'août 2007, c'est-à-dire pendant une période assez courte.
Par ailleurs, M. et Mme [O] ne justifient pas de la perte de valeur de leur bien résultant du retard pris pour le mettre en vente.
En conséquence, il y a lieu de juger que le montant de la clause pénale est excessif, de confirmer le jugement du 9 novembre 2009 qui l'a limitée à la somme de 11'000 €, et d'ordonner la restitution à Mme [E] de la somme de 19'000 € séquestrée entre les mains de Me [H], notaire.
Par contre, M et Mme [O] seront déboutés de leur demande en dommages-intérêts, faute par eux de rapporter la preuve du caractère abusif de la procédure engagée par Mme [E].
Cependant, il serait inéquitable de laisser à leur charge les frais irrépétibles qu'ils ont dû engager en cause d'appel ; Mme [E] sera condamnée à leur payer à ce titre une indemnité de 1 500 €.
La SARL CIB est l'agent immobilier par l'intermédiaire duquel l'acte sous seing privé du 4 avril 2007 a été conclu.
Sa demande est recevable en la forme, puisqu'elle a déjà été présentée en première instance contrairement à ce que soutient Mme [E].
Cette agence a accompli des diligences ainsi que des démarches pour présenter le bien à la vente, et un mandat portant le numéro 1809 a été passé entre cette société et les époux [O] le 19 juillet 2006.
Il prévoyait le règlement d'une commission de 25'000 € à la charge de l'acquéreur.
L'acte sous seing privé signé le 4 avril 2007 entre les époux [O] et Mme [E] sous l'égide de cette agence stipule qu'en cas de refus de régularisation de l'acte authentique, « la rémunération du mandataire restera due intégralement, l'opération étant définitivement conclue ».
Cette stipulation est issue de l'article 74 du décret numéro 72-618 du 20 juillet 1972 qui dispose que lorsque l'engagement des parties contient une clause de dédit, l'opération ne peut être regardée comme effectivement conclue par l'application du dernier alinéa de l'article 6 de la loi du 2 janvier 1970, s'il y a dédit ou tant que la faculté de dédit subsiste ou tant que la condition suspensive n'est pas réalisée.
Cette disposition doit être combinée avec l'article 6 alinéa 6 de la loi du 2 janvier 1970 dont il résulte qu'aucune commission ne peut être réclamée avant qu'une des opérations visées à l'article premier de la loi ait été effectivement conclue et constatée dans un seul acte écrit contenant l'engagement des parties.
Mais l'article 73 du décret du 20 juillet 1972 précise que l'écrit exigé par ce texte est l'acte authentique de vente.
En l'espèce, l'acte authentique de vente n'a pas été passé et la commission n'est donc pas due.
Cependant, si la vente ne se réalise pas par la faute de l'acquéreur, des dommages intérêts peuvent être alloués à l'agent immobilier.
Il est manifeste que Mme [E] a commis une faute qui est à l'origine directe du préjudice subi par l'agent immobilier, puisque sans aucun motif légitime, elle a renoncé à cette acquisition, et qu'elle avait en outre obtenu le financement nécessaire.
Le préjudice de la SARL CIB est constitué par la perte d'une chance de percevoir la commission d'un montant de 25'000 €.
Au regard de cet aléa, il y a lieu de fixer à la somme de 20'000 € le montant des dommages-intérêts que Mme [E] sera condamnée à payer à la SARL CIB.
L'équité et la situation économique respectives des parties ne commandent pas de faire droit à la demande en paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles ; la SARL CIB sera donc déboutée de cette demande.
Mme [E] qui succombe dans cette procédure sera déboutée de ses demandes en dommages-intérêts et indemnités.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort ;
Confirme le jugement du 9 novembre 2009 rendu par le tribunal de grande instance de Bayonne en ce qu'il a :
- condamné Mme [L] [E] à payer aux époux [O] la somme de onze mille euros (11'000 €) au titre de la clause pénale,
- ordonné la restitution à Mme [L] [E] de la somme de dix neuf mille euros (19'000 €) séquestrée entre les mains du notaire Me [H],
- condamné Mme [L] [E] à payer à la SARL Côte Basque Immobilier et aux époux [O] la somme de mille cinq cents euros (1 500 €) chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les époux [O] de leur demande en dommages-intérêts ;
Le réforme pour le surplus ;
Et statuant à nouveau,
Condamne Mme [L] [E] à payer à la SARL Côte Basque Immobilier prise en la personne de son représentant légal la somme de vingt mille euros (20'000 €) à titre de dommages-intérêts ;
Condamne Mme [L] [E] à payer aux époux [O] pris comme une seule et même partie une indemnité de mille cinq cents euros (1 500 €) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Mme [E] de ses demandes en dommages-intérêts et indemnités ;
Déboute la SARL Côte Basque Immobilier de sa demande en paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles ;
Condamne Mme [L] [E] aux dépens, et autorise la SCP Piault-Lacrampe-Carraze et la SCP Longin, avoués, chacune pour ce qui les concerne, à recouvrer directement ceux d'appel, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Mme Françoise Pons, Président, et par Mme Mireille Peyron, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,
Mireille PEYRONFrançoise PONS