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10/05/2010 | FRANCE | N°08/00846

France | France, Cour d'appel de Pau, 1ère chambre, 10 mai 2010, 08/00846


RN/NL



Numéro 1996/10





COUR D'APPEL DE PAU



1ère Chambre







ARRET DU 10/05/10







Dossier : 08/00846





Nature affaire :



Demande en dommages-intérêts contre le prestataire de services pour mauvaise exécution















Affaire :



Consorts [T]





C/



[D] [V]

SARL LAINE MECANIQUE



























Grosse délivrée le :

à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R E T



prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 10 mai 2010, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'a...

RN/NL

Numéro 1996/10

COUR D'APPEL DE PAU

1ère Chambre

ARRET DU 10/05/10

Dossier : 08/00846

Nature affaire :

Demande en dommages-intérêts contre le prestataire de services pour mauvaise exécution

Affaire :

Consorts [T]

C/

[D] [V]

SARL LAINE MECANIQUE

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 10 mai 2010, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 17 Novembre 2009, devant :

Monsieur NEGRE, magistrat chargé du rapport,

assisté de Madame PEYRON, Greffier, présente à l'appel des causes,

Monsieur NEGRE, en application des articles 786 et 910 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Madame BELIN, et en a rendu compte à la Cour composée de :

Monsieur NEGRE, Président

Monsieur DEFIX, Conseiller

Madame BELIN, Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTS :

Madame [K] [T] épouse [E]

[Adresse 9]

[Localité 4]

Monsieur [S] [T]

[Adresse 10]

[Localité 4]

Madame [A] [T] épouse [H]

[Adresse 8]

[Localité 5]

Madame [J] [G] veuve [T]

[Adresse 10]

[Localité 4]

représentés par la SCP MARBOT / CREPIN, avoués à la Cour

assistés de Me ETESSE, avocat au barreau de PAU

INTIMES :

Monsieur [D] [V]

[Adresse 2]

[Localité 6]

représenté par Me VERGEZ, avoué à la Cour

assisté de la SCP MADAR-DANGUY-SUISSA, avocats au barreau de PAU

SARL LAINE MECANIQUE représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par la SCP DE GINESTET / DUALE / LIGNEY, avoués à la Cour

assistée de la société BELDEV, avocats au barreau de PARIS

sur appel de la décision

en date du 20 FEVRIER 2008

rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PAU

FAITS ET PROCEDURE

Monsieur [D] [V] est propriétaire d'une micro-centrale hydroélectrique située sur la [Localité 11] (Hautes-Pyrénées) produisant de l'électricité vendue à EDF.

Une avarie survenue le 1er juin 2002 a donné lieu à une expertise ordonnée en référé par ordonnance du 28 mai 2002 et confiée à Monsieur [P], portant sur la recherche des causes du bris de l'arbre tubulaire reliant la turbine au multiplicateur.

Selon devis du 6 août 2002, Monsieur [V] a passé commande à Monsieur [R] [T] du changement de cet arbre, incluant les travaux de démontage et remontage de la turbine et du multiplicateur, le transport et la mise en route, pour le prix total de 94.930 €.

Fin décembre 2002, Monsieur [T], renonçant à fournir un arbre neuf et proposant de réparer les pièces hors service, a confié l'arbre et la tige de commande à la société LAINE MECANIQUE en lui demandant de procéder à la mise en place, sur près de la moitié de la longueur de l'arbre, d'un tube centré sur le tube d'origine et fixé au moyen de perçages répartis sur toute la surface, une nouvelle bride étant soudée au bout de ce tube.

L'arbre fourni par Monsieur [T] a permis le redémarrage de la centrale le 9 avril 2003 mais son fonctionnement a été interrompu le 10 juin 2003, à la suite de la rupture de la tige de commande des pales à l'intérieur de l'arbre tubulaire.

A la requête de Monsieur [V], Monsieur [X] a été désigné en qualité d'expert par ordonnance de référé du 22 juillet 2003, avec mission de rechercher si les travaux réalisés par Monsieur [T] étaient affectés de malfaçons, d'en déterminer les causes, d'en envisager les conséquences, de décrire les travaux nécessaires à la remise en état de fonctionnement de la centrale et de fournir tous éléments permettant à la juridiction d'apprécier le préjudice subi au titre des pertes de recettes. L'expert a déposé son rapport le 3 mars 2005.

Par acte du 22 juin 2005, Monsieur [V] a assigné Monsieur [T] devant le tribunal de grande instance de PAU.

Par assignation du 21 novembre 2005, Monsieur [T] a appelé en garantie son sous-traitant, la SARL LAINE MECANIQUE.

Monsieur [T] étant décédé en cours d'instance, Monsieur [V] a assigné ses héritiers en intervention forcée, à savoir Madame [K] [T], Madame [J] [T], Madame [A] [T] et Monsieur [S] [T].

Selon jugement du 20 février 2008, le tribunal de grande instance de Pau  :

- a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer,

- a homologué le rapport d'expertise de Monsieur [X] du 3 mars 2005,

- a dit n'y avoir lieu à nouvelle expertise,

- a déclaré Monsieur [R] [T] entièrement responsable des préjudices subis par Monsieur [V] à la suite de l'avarie survenue le 10 juin 2003,

- a condamné solidairement les consorts [T] à payer à Monsieur [V] :

' la somme de 47.140 € hors taxes au titre du coût de la réparation, outre le montant de la TVA au taux de 19,6 %,

' la somme de 152.811 € hors taxes au titre de la perte d'exploitation,

- a dit que ces sommes porteraient intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2005, date de l'assignation,

- a débouté les consorts [T] de leurs demandes reconventionnelles,

- a condamné solidairement ces derniers à payer à Monsieur [V] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance comprenant les frais de l'expertise judiciaire,

- a débouté les consorts [T] de leur demande en garantie à l'encontre de la société LAINE MECANIQUE,

- a débouté la société LAINE MECANIQUE de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- a condamné solidairement les consorts [T] à verser à la société LAINE MECANIQUE la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'appel en garantie.

Par déclaration du 7 mars 2008, les consorts [T] ont interjeté appel de ce jugement.

Suivant conclusions du 17 mars 2009, ils demandent à la cour :

' A TITRE PRINCIPAL,

' I

- de surseoir à statuer jusqu'à l'issue des différents contentieux opposant devant diverses juridictions Monsieur [V] à la SCEA ESCALA d'une part, à la société MECAMONT, d'autre part et enfin, à EDF,

' II

- de constater que Monsieur [T] aujourd'hui décédé a été pressenti dans un premier temps par Monsieur [V] pour remettre en état de fonctionnement la micro-centrale électrique d'[Localité 7] lui appartenant,

- de constater que par la suitre, Monsieur [V] s'est réservé une partie de l'intervention qu'il a co-traitée à la société HANSEN,

- de constater que le travail confié à Monsieur [T] a été un travail en régie,

- de constater que pour l'exécution de ce travail, Monsieur [T] a fait appel à une entreprise sous-traitante en la personne de la société LAINE MECANIQUE,

- vu les dispositions de l'article 1147 du code civil, de dire et juger Monsieur  [V] irrecevable en son action introduite suivant acte du 22 juin 2005 au visa de ce texte,

- de constater en effet que Monsieur [V] n'a jamais réglé le solde des travaux dus à Monsieur [T],

- de constater que Monsieur [V] a écarté Monsieur [T] des opérations de réception et de mise en route de la centrale hydroélectrique d'[Localité 7], avec ce que cette mise en route comportait de réglages et de contrôles, s'agissant notamment du couplage qui devait être effectué avec le multiplicateur Hansen,

- de constater que Monsieur [V] s'est immiscé dans les travaux confiés à Monsieur [T],

- de dire et juger en conséquence que Monsieur [V] a pris la qualité de maître d'oeuvre et de directeur des opérations de remise en service de l'installation,

- de dire et juger que c'est sous sa pleine et entière responsabilité que la centrale a été mise en marche le 8 avril 2003,

- de dire et juger également que c'est sous la pleine et entière responsabilité de Monsieur [V] que s'est poursuivi le fonctionnement de cette centrale jusqu'à son arrêt définitif du 10 juin 2003 pour cause d'avarie, alors même que n'ont jamais été établies et communiquées aux débats les conditions de la mise en route et la mise au point des paramètres de fonctionnement qui devaient résulter notamment de la mise en place du multiplicateur Hansen,

- de constater qu'à la date de la remise en marche de l'installation le 8 avril 2003, Monsieur [V] n'avait réglé qu'une somme de 5.000 € sur un marché total de 84.416,07 € TTC,

- de constater que Monsieur [V] n'a réglé un acompte supplémentaire de 35.000 € qu'après réunion d'expertise du 6 juin 2003 et 4 jours avant l'arrêt définitif de la centrale,

- de constater qu'à cette date, il restait encore dû à Monsieur [T] une somme de 44.416,07 € TTC,

- de condamner en tant que de besoin Monsieur [V] à leur payer cette somme, outre une somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

' SUBSIDIAIREMENT SUR LE FOND,

- de débouter Monsieur [V] de l'intégralité de ses demandes,

- de ne retenir le rapport de Monsieur [X] que comme un simple élément d'information dépourvu de toute valeur d'expertise judiciaire proprement dite, s'agissant notamment des jugements de valeur qui s'y trouvent inscrits,

- de constater en effet que Monsieur [X] n'a pas constaté personnellement et dès l'origine des ses opérations les désordres qu'il retient ensuite pour conclure à la seule responsabilité de Monsieur [T],

- de dire et juger qu'il n'est nullement établi que Monsieur [T] soit à l'origine des désordres relevés et par conséquent, à l'origine de l'arrêt de l'activité de la centrale,

- de constater que ne sont fournis aux débats pas plus que lors de l'expertise judiciaire aucune des caractéristiques techniques qui ont présidé à la mise en marche de la centrale,

- de dire et juger en conséquence que même si l'origine de l'arrêt de la centrale a été déterminée par l'expert judiciaire, la cause de la rupture incriminée n'est nullement établie de façon contradictoire et technique,

- de dire et juger que les conclusions de Monsieur [X] ne sont que des hypothèses qui n'ont pas été confrontées à la réalité objective et technique du dossier,

- de dire et juger en conséquence que Monsieur [T] ne pouvait être tenu à garantir la bonne exécution des travaux non terminés et non intégralement réglés par Monsieur [V],

' PLUS SUBSIDIAIREMENT et dans l'hypothèse où une responsabilité si faible soit-elle serait retenue à la charge de Monsieur [T], outre celle prépondérante de Monsieur [V],

- de dire et juger que la société LAINE MECANIQUE doit être condamnée à les relever et garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées,

- de constater en effet que la rupture de l'arbre incriminé a eu lieu à l'endroit même où la société LAINE MECANIQUE est intervenue pour effectuer une soudure,

' PLUS SUBSIDIAIREMENT ENCORE,

- d'ordonner une nouvelle expertise confiée à tel autre expert que Monsieur [X], avec notamment pour mission d'entendre Monsieur [M], expert, d'une part, et Monsieur [P], expert judiciaire, d'autre part,

' TRES SUBSIDIAIREMENT,

- de dire et juger que le préjudice matériel de Monsieur [V] ne saurait excéder la somme de 40.000 € que ce dernier a exclusivement réglée à titre d'acompte,

- de dire et juger que cette somme viendra en déduction de celle de 44.416,07 € TTC qui leur est due,

- de dire et juger enfin n'y avoir lieu à homologation du rapport de Monsieur [X] s'agissant de la perte d'exploitation invoquée,

- d'ordonner une nouvelle expertise parfaitement contradictoire et portant à titre exclusif sur ce préjudice d'exploitation,

- de donner mission à l'expert désigné de se faire communiquer tous les documents comptables et fiscaux depuis l'acquisition de la centrale par Monsieur [V] jusqu'à la date de ses opérations 'à l'effet de pouvoir procéder par voie comparative sur la durée d'exploitation, le préjudice invoqué durant la période incriminée',

- en cas de refus d'expertise s'agissant de la perte d'exploitation, d'évaluer très subsidiairement cette perte à une somme qui ne saurait excéder celle de 49.550 € telle qu'exprimée et explicitée dans la note technique du cabinet SARETEC en date du 20 février 2009 versée aux débats,

- en cas de nouvelle expertise, de surseoir à statuer sur les dépens,

- dans le second cas principalement, de condamner Monsieur [V] aux entiers dépens,

- à tout le moins, de laisser à la charge de Monsieur [V] la plus grande partie de ces dépens, proportionnellement à la responsabilité qui sera retenue à sa charge pour avoir eu le rôle de maître d'oeuvre et pour s'être immiscé illégitimement dans les opérations de remise en route de la centrale.

Suivant conclusions du 30 juin 2009, Monsieur [V] demande à la cour :

- de débouter les consorts [T] de toutes leurs contestations,

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité exclusive de Monsieur [T], homologué le rapport de l'expert judiciaire et refusé d'organiser une nouvelle expertise, écarté les exceptions dilatoires de sursis à statuer, condamné solidairement les consorts [T] au paiement de la somme principale de 47.140 € hors taxes, au titre du coût de la réparation, de la somme de 158.811 € hors taxes au titre de la perte d'exploitation, outre les intérêts au taux légal, sur le fondement des articles 1147 et 1153 et suivants du code civil, 'débouté les consorts [T] du paiement du solde des prestations pour 39.165,63 € et condamné solidairement les consorts [T] au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- faisant droit à leur appel incident, de condamner solidairement les consorts [T] à lui payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 6.000 € pour la procédure de première instance et celle de 4.000 € pour la période d'appel, outre, à titre d'indemnité complémentaire, le remboursement du droit de recouvrement de l'article 10 du tarif des huissiers de justice, en cas de recours à l'exécution forcée de la décision faute de paiement spontané.

Suivant conclusions du 23 octobre 2008, la S.A.R.L. LAINE MECANIQUE demande à la cour, au visa des articles 1147 du code civil ainsi que des articles 32-1 et 370 du code de procédure civile,

' A titre principal,

- de confirmer le jugement entrepris et en conséquence,

' d'entériner le rapport d'expertise de Monsieur [X],

' de dire et juger que le rapport d'expertise ne retient aucune faute à son encontre,

' de prendre acte de ce que Monsieur [V] ne formule aucune demande à son encontre,

' de prononcer sa mise hors de cause pure et simple,

' de débouter les consorts [T] ainsi que tous requérants de l'ensemble de leurs demandes à leur encontre,

' A titre reconventionnel,

' de condamner solidairement les consorts [T] à la garantir et relever indemne de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre,

' de condamner solidairement les consorts [T] à lui payer la somme de 1.500 € pour procédure abusive,

' En tout état de cause,

- de condamner solidairement les consorts [T] et tous succombants à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'instruction de la procédure a été clôturée le 13 octobre 2009.

MOTIFS DE L'ARRET

Attendu que la relation contractuelle entre Monsieur [V] et Monsieur [T] s'est nouée sur la base d'un bon de commande se référant à un devis du 6 août 2002, commande qui prévoyait notamment le remplacement à l'identique de l'arbre reliant la turbine au multiplicateur en précisant que trois 'guidages d'arbre pales' seraient disposées dans le creux de l'arbre ;

Que c'est finalement une facture de réparation des pièces qui a été établie en date du 3 avril 2003, sans que soit produit d'avenant écrit à la commande ;

Attendu que la turbine a été remise en marche le 9 avril 2003 mais que le 10 juin 2003, son fonctionnement a été interrompu pour cause, précise l'expert [X], de la rupture de la tige de commande des pales, placée à l'intérieur de l'arbre tubulaire de la turbine ;

Attendu que l'expert [X] note, à l'issue d'un quatrième accedit et après audition d'un sachant demandée par le conseil de Monsieur [T] à l'époque, que Monsieur [T] a fait un premier devis sans examiner la totalité de l'arbre tubulaire, qu'il a estimé pouvoir remplacer par un neuf sans en voir les difficultés d'exécution, que se voyant incapable de fournir un arbre neuf à l'identique de celui qui était cassé, il a proposé de le réparer pour un prix similaire à celui de son devis initial, qu'il a agi seul 'en tant que maître d'oeuvre' dans sa réparation et qu'il a omis de se préoccuper du guidage de la tige de commande des pales sur l'arbre tubulaire qu'il a réparé ;

Attendu que le rapport de l'expert judiciaire fait ressortir que la rupture de la tige de commande est due à une 'sollicitation par fatigue', l'étendue du 'faciès de rupture' occupant 85 % de la surface de la tige qui est anormalement fléchie ; que cette flexion anormale a elle-même pour origine le coincement de la tige de commande dans son système de guidage réalisé à l'intérieur de l'arbre tubulaire ; qu'ayant finalement constaté que l'un des guides à l'intérieur de cet arbre était incomplet et que la tige de commande des pales était donc mal guidée, l'expert énonce que le mauvais guidage de la tige de commande des pales explique son coincement ainsi que la flexion qui a provoqué la rupture ;

Qu'il ressort de tout cela, poursuit l'expert, qu'il est impossible d'utiliser l'arbre tubulaire objet du litige à cause de sa déformation, qui produit un coincement de la tige de commande des pales dans son système de guidage, qui est lui-même déficient, alors que ladite tige 'flambe' sous la poussée du vérin lors de la fermeture des pales ;

Attendu que les consorts [T] versent aux débats un rapport d'expertise établi en date du 28 juin 2003 par Monsieur [P], désigné en référé dans une instance qui opposait Monsieur [V] à la société MECAMONT HYDRO dont il recherchait la responsabilité au titre d'une précédente réparation du multiplicateur, à la suite de laquelle la centrale avait été remise en fonctionnement avant de subir, le 1er juin 2002, un nouveau bris du multiplicateur accompagné de la rupture de l'arbre de la turbine ;

Attendu que l'expert [P] constatait au jour de son expertise que la réparation de l'avarie avait été réalisée par l'entreprise [T] ;

Que son rapport évoque une réparation du multiplicateur voulue à l'économie par Monsieur [V] après une précédente réparation incomplète en 2001, étant observé qu'il a été procédé à son remplacement après le sinistre du 1er juin 2002 ;

Attendu que si Monsieur [V] a accepté ou tout au moins ne s'est pas opposé à la réparation d'un arbre de turbine dont la 'fatigue', résultant probablement d'un mauvais calage de son alignement entre la turbine et le multiplicateur, était ancienne, l'expert [P] évoquant à ce propos un sinistre de 1994, et si ce dernier relevait lui-même qu'au cours des opérations de démontage, Monsieur [T] aurait constaté 'qu'il n'était plus possible de réaliser un arbre neuf, notamment par la spécificité de la cloche de fonderie assurant l'accouplement avec la turbine', il n'en demeure pas moins que Monsieur [V] est fondé à invoquer, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, l'existence d'une obligation de résultat dans le cadre de laquelle Monsieur [T] était tenu d'effectuer une réparation dans les règles de l'art ;

Attendu, d'abord, qu'il appartenait à Monsieur [T], avant de proposer de substituer une simple réparation de l'arbre existant au remplacement à l'identique pour lequel il avait émis un devis qu'il n'était pas en mesure d'exécuter en raison de la spécificité d'une pièce dont il n'est pas pour autant établi qu'elle était impossible à réaliser, au besoin en faisant appel à une entreprise spécialisée, d'examiner la totalité de l'arbre existant, même s'il fallait pour cela le dégager de la turbine dans l'aspirateur de laquelle il était inaccessible ; que Monsieur [T] ne l'ayant pas fait, la proposition substitutive n'a pas été soumise à un choix parfaitement éclairé de Monsieur [V] ;

Attendu, ensuite, qu'en omettant de se préoccuper du guidage de la tige de commande des pales sur l'arbre tubulaire réparé, alors que l'expert a constaté qu'il manquait au moins une pièce de guidage, que la tige de commande était donc mal guidée et que ce mauvais guidage expliquait son coincement et la flexion qui a provoqué la rupture, étant observé qu'il apparaît en définitive que ce coincement est résulté à la fois de la déformation de l'arbre tubulaire non examiné dans sa totalité et de la déficience du système de guidage dont il a négligé de se préoccuper, Monsieur [T] a fait preuve de négligence et à tout le moins d'insuffisance dans sa prestation professionnelle, dont l'expertise démontre qu'elle n'a pas été effectué dans le respect des règles de l'art ;

Que cette insuffisance concernant précisément les deux éléments qui apparaissent être ensemble la cause déterminante de la nouvelle avarie survenue le 10 juin 2003, le manquement contractuel de Monsieur [T] et le lien de causalité entre ce manquement et le sinistre litigieux sont établis ; qu'il en résulte que la responsabilité des consorts [T] est engagée ;

Attendu que les conditions de remise en fonctionnement de la centrale après la réparation effectuée par Monsieur [T] n'apparaissent pas devoir être mises en cause dans la survenance de ce nouveau sinistre et que l'immixtion de Monsieur [V], simple exploitant dont il n'est pas établi qu'il ait joué un rôle péremptoire dans la conduite du chantier, n'est pas davantage démontrée, le fait qu'il ait précédemment souhaité une réparation à l'économie et qu'il ait ensuite commandé lui-même le nouveau multiplicateur, ce qui montre qu'il avait finalement été acquis à l'idée d'un remplacement, n'y suffisant pas, étant observé que si dans son rapport concernant la réparation MECAMONT HYDRO, l'expert [P] a estimé avoir à rendre compte d'une discussion engagée sur le déroulement des opérations de réparation par Monsieur [T], il ne s'en déduit pas, contrairement à ce que les consorts [T] soutiennent d'une manière générale, que Monsieur [V] se soit comporté en maître d'oeuvre lors de ces opérations ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer en considération de litiges opposant Monsieur [V], ainsi que le premier juge s'en est particulièrement expliqué, à d'autres personnes qui ne sont pas parties à la présente instance et concernant des faits distincts de ceux présentement évoqués ;

Attendu que l'expert [X] a répondu aux dires présentés dans l'intérêt de Monsieur [T] et de son assureur, en précisant que 'LAINE MECANIQUE' avait réalisé ce que Monsieur [T] lui avait commandé de faire ; qu'il énonce clairement que ce n'est pas la réalisation de la liaison entre la tige de vérin et la tige de commande des pales qui est la cause de la rupture, mais que c'est l'arbre tubulaire qui est déformé et dont le système de guidage est déficient ;

Attendu que ni l'immixtion de Monsieur [V], ni un manquement de la société LAINE MECANIQUE à ses propres obligations n'étant établis, les consorts [T] sont seuls tenus de répondre des conséquences dommageables du sinistre litigieux ;

Attendu que l'expert judiciaire conclut qu'il faut remplacer l'arbre tubulaire hors service par un arbre neuf, opération pour laquelle il se réfère à un devis de 39.640 € HT auquel il précise qu'il faut ajouter le coût de la main d'oeuvre nécessaire à son montage pour 7.500 € HT, soit un montant total de 47.140 € HT, tout en précisant que s'agissant d'une fourniture complexe que peu d'entreprises sont réellement capables d'effectuer, le délai de réparation minimal est de l'ordre de huit mois ;

Qu'il observe, en effet, qu'il est impossible de réparer l'arbre tubulaire en cause car il est impossible de réparer le système de guidage de la tige de commande des pales située à l'intérieur du tube pour cause d'impossibilité d'accès et que de plus, le tube est déformé, ce qui accentue le coincement de la tige de commande des pales ;

Attendu que Monsieur [T] a émis à l'intention de Monsieur [V], au titre de la remise en état de la centrale hydroélectrique d'[Localité 7], une facture de 66.192 € HT ou 79.165,63 € TTC en date du 3 avril 2003 et une facture de 4.390 € HT ou 5.250,44 € TTC en date du 30 mai 2003 ;

Qu'il apparaît qu'un acompte de 5.000 € avait été versé et qu'un règlement supplémentaire de 35.000 € est intervenu ultérieurement ; que les consorts [T] réclament donc un solde de 44.416,07 € TTC ;

Attendu qu'il apparaît que Monsieur [T] a exécuté des prestations commandées pour une montant de 84.416,07 € TTC, sur lequel 40.000 € ont été réglés, mais que sa défaillance contractuelle a rendu nécessaires des travaux de reprise dont la responsabilité lui incombe pour un montant de 47.140 € HT, soit 56.379,44 € TTC ; qu'il en résulte par compensation un solde sur travaux de 8.963,47 € TTC en faveur des consorts [T] ;

Attendu que la production d'électricité a été interrompue par la panne de la centrale survenue le 10 juin 2003 et que compte tenu des délais d'investigation et du délai nécessaire pour exécuter les travaux de reprise, l'expert note que la réparation de la turbine aurait été terminée le 30 novembre 2004 mais que Monsieur [V] ayant préféré remplacer l'arbre et la roue de la turbine, le délai de fourniture s'en est trouvé allongé ; que la méthode de calcul appliquée par lui et arrêtée à juste titre au 30 novembre 2004 a consisté à calculer la perte de production correspondant à l'hydraulicité réelle de la rivière Neste jusqu'à cette date, à partir de la production d'une centrale voisine et avec application d'un taux de pondération de 72 % correspondant au différentiel moyen de production, répondant au dire de l'assureur de Monsieur [T] qu'il n'y avait aucune raison d'appliquer un coefficient modérateur de 85 % du préjudice calculé ;

Attendu que les consorts [T] opposent aujourd'hui au calcul de l'expert, effectué à partir de la production contemporaine d'une centrale par lui estimée comparable, un calcul basé sur les comptes de résultat de Monsieur [V] avant et après le sinistre ; que ce calcul sera rejeté en ce qu'il se rapporte à des chiffres d'affaires non significatifs pour la période litigieuse mais que la prise en compte d'un taux de marge sur coûts variable appliqué à la perte de production retenue par l'expert et raisonnablement chiffré à 67,38 % apparaît justifiée en l'absence de données chiffrées contraires ; que dès lors, la cour arrêtera à la somme de 102.964,05 € HT le montant du préjudice d'exploitation subi par Monsieur [V] ;

Attendu que la société LAINE MECANIQUE ne démontrant pas en quoi l'exercice par Monsieur [T] de son droit d'agir en justice et par les consorts [T] de leur droit de poursuivre ladite action aurait dégénéré en abus, la décision du premier juge sera confirmée en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Attendu qu'il convient de condamner solidairement les consorts [T] aux dépens d'appel ;

Et attendu qu'il est équitable, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et eu égard aux circonstances du litige, d'allouer la somme complémentaire de 1.500 € à Monsieur [V] et une somme complémentaire de même montant à la société LAINE MECANIQUE ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Reçoit en la forme l'appel des consorts [T],

Infirmant sur la condamnation solidaire des consorts [T] au paiement de la somme de 47.140 € (quarante sept mille cent quarante euros) outre TVA et de la somme de 152.811 € (cent cinquante deux mille huit cent onze euros) ainsi que sur le débouté des consorts [T] de leurs demandes reconventionnelles et statuant à nouveau,

Condamne Monsieur [V] à payer aux consorts [T] la somme de 8.963,47 € (huit mille neuf cent soixante trois euros et quarante sept centimes) toutes taxes comprises à titre de solde sur travaux,

Condamne solidairement les consorts [T] à payer à Monsieur [V] la somme de 102.964,05 € (cent deux mille neuf cent soixante quatre euros et cinq centimes) hors taxes à titre de dommages et intérêts pour préjudice d'exploitation,

Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions,

Déboute les parties de leurs demandes contraires ou plus amples,

Condamne solidairement les consorts [T] aux dépens d'appel ainsi qu'à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, les sommes complémentaires de 1.500 € (mille cinq cents euros) à Monsieur [V] et de 1.500 € (mille cinq cents euros) à la SARL LAINE MECANIQUE,

Accorde à Maître VERGEZ et à la SCP de GINESTET - DUALE - LIGNEY, avoués, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du même code.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roger NEGRE, Président, et par Madame Mireille PEYRON, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER,LE PRESIDENT,

Mireille PEYRONRoger NEGRE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 08/00846
Date de la décision : 10/05/2010

Références :

Cour d'appel de Pau 01, arrêt n°08/00846 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2010-05-10;08.00846 ?
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