SG/NG
Numéro 1005/10
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRET DU 04/03/2010
Dossier : 08/01965
Nature affaire :
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
Affaire :
[J] [O]
C/
S.A.S. S.E.C.P.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 04 MARS 2010, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 07 Janvier 2010, devant :
Monsieur PUJO-SAUSSET, Président
Madame PAGE, Conseiller
Monsieur GAUTHIER, Conseiller
assistés de Madame HAUGUEL, Greffière, présente à l'appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [J] [O]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Maître MONTAMAT, avocat au barreau de TARBES
INTIMEE :
S.A.S. S.E.C.P.
représentée par son Président,M. [C] [G]
Casino de CAUTERETS
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Maître SANS, avocat au barreau de TARBES
sur appel de la décision
en date du 18 AVRIL 2008
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE TARBES
LES FAITS, LA PROCÉDURE :
M. [J] [O] a été engagé par la SARL SECP CASINO DE CAUTERETS, devenue SAS SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES CASINOS PYRÉNÉENS, ci-après désignée la SAS S.E.C.P, à compter du 15 mai 1998 en qualité d'adjoint du directeur d'exploitation, par contrat de travail à durée indéterminée modifié par avenant du 26 juin 2003 en vertu duquel à compter du 1er juin 2003 le poste occupé par le salarié était référencé comme MCD Confirmé & sous-directeur, niveau VI, indice 205 de la convention collective du personnel des jeux dans les casinos.
Par décision du 13 mars 2007 le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a désigné les six membres du comité de direction de la SAS S.E.C.P, dont ne faisait plus partie M. [J] [O].
Par courrier du 29 mars 2007, M. [C] [G], président- directeur responsable de la SAS S.E.C.P, informait M. [J] [O] de cette décision du ministre de l'intérieur en vertu de laquelle il ne faisait plus partie du comité de direction et de ce qu'en vertu d'une décision de l'assemblée de la société du 8 mars 2007 il n'était plus directeur général délégué.
Par courrier du 14 avril 2007 M. [J] [O] demandait à M. [C] [G] dans quelles nouvelles fonctions et à quelles conditions il comptait le réintégrer dans le personnel du casino à l'expiration de son arrêt maladie, à quoi l'employeur lui répondait par courrier du 19 avril 2007 qu'il n'y avait « rien de déshonorant » à accepter un emploi de croupier « surtout dans les conditions financières qui resteront inchangées ».
M. [J] [O] répondait par courrier du 24 avril 2007 qu'il ne pouvait accepter cette rétrogradation.
Par requête en date du 9 juillet 2007 M. [J] [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Tarbes pour, au terme de ses dernières demandes de première instance : qu'il soit dit que son éviction de fait s'analyse en un licenciement abusif et irrégulier de la part de la SAS S.E.C.P et en conséquence que celle-ci soit condamnée à lui payer : 7 869 € au titre du préavis ; 787 € titre des congés payés sur le préavis ; 2 360,70 € au titre de l'indemnité de licenciement ; 31 476 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ; 15 738 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ; 30 000 € à titre de préjudices de carrière reconstitution de carrière pour les cotisations ARRCO du 15 mai 2998 au 31 décembre 2003 ; 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et remise sous astreinte des documents de fin de contrat.
À défaut de conciliation le 21 septembre 2005 l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement rendu le 18 avril 2008, auquel il conviendra de se reporter pour plus ample exposé des faits , des moyens et de la procédure , le Conseil de Prud'hommes de Tarbes ( section encadrement) :
- a dit qu'il n'y a pas lieu de prononcer la rupture du contrat de travail de M. [J] [O],
- a débouté les parties de leurs demandes,
- a pris acte que la SAS S.E.C.P s'est engagée à vérifier les cotisations ARRCO concernant M. [J] [O] pour la période du 15/05/98 au 31/12/03 et à corriger le cas échéant les cotisations patronales qui la concernent,
- a dit qu'en cas d'erreur M. [J] [O] s'acquittera des cotisations salariales ARRCO le concernant pour la même période,
- a dit n'y avoir lieu à dépens.
Par lettre recommandée avec avis de réception en date du 29 mai 2008 M. [J] [O], représenté par son conseil, a interjeté appel du jugement qui lui a été notifié le 09 mai 2008.
DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :
M. [J] [O], par conclusions écrites, reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer, demande à la Cour de :
- réformer le jugement entrepris,
- dire que son éviction de fait s'analyse en un licenciement abusif et irrégulier de la
part de la SAS S.E.C.P,
- en conséquence, condamner la SAS S.E.C.P à lui payer :
- 7.869,00 € au titre du préavis ;
- 787,00 € titre des congés payés sur le préavis ;
- 2.360,70 € au titre de l'indemnité de licenciement ;
- les congés payés (mémoire)
- 31.476,00 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;
- 15.738,00 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;
- 30.000,00 € à titre de préjudice de carrière ;
- la reconstitution de carrière pour les cotisations ARRCO du 15 mai 2998 au
31 décembre 2003 (mémoire) ;
- 3.000,00 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- la remise sous astreinte des documents de fin de contrat.
M. [J] [O] expose qu'alors qu'il se trouvait en arrêt de travail depuis le 3 janvier 2007, il a incidemment appris qu'à la suite d'un changement de majorité absolue au sein de l'actionnariat de la SAS S.E.C.P, une autre personne occupait son bureau et ses fonctions sans qu'il en ait été avisé.
Il soutient que l'employeur a failli dans ses obligations contractuelles justifiant que la rupture du contrat de travail soit prononcée à ses torts aux motifs qu'il a été rétrogradé à la fonction de croupier et que l'employeur n'a cotisé à l'ARRCO qu'à compter du 1er janvier 2004, le privant ainsi de ses droits correspondants pour la période du 15 mai 1998 au 31 décembre 2003.
Il fait valoir qu'il n'a pas été frappé d'interdit par le ministère de l'intérieur comme membre du comité de direction, et qu'il n'a tenu qu'à l'employeur de ne pas le faire figurer sur la liste soumise au ministre pour agrément.
La SAS S.E.C.P, par conclusions écrites, reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer, demande à la Cour de :
- débouter M. [J] [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- réformer le jugement dont appel et dire la rupture du contrat de travail à la date du 24 avril 2007 aux torts de M. [J] [O],
- condamner M. [J] [O] aux entiers dépens ainsi qu'à la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SAS S.E.C.P fait valoir que M. [J] [O] a donné pouvoir à M. [P] de le représenter à l'assemblée générale mixte de la société du 21 février 2007 au cours de laquelle a été présentée la demande d'agrément adressée au ministère de l'intérieur qui, par décision qui n'a fait l'objet d'aucun recours, n'a pas reconduit l'agrément de ce salarié, de sorte qu'il ne pouvait être maintenu à son poste de directeur du casino.
La SAS S.E.C.P demande que le contrat de travail soit rompu aux torts de M. [J] [O], à compter du 24 avril 2007, date de son refus du poste de croupier qui lui était proposé, qui ne constituait qu'une modification de ses conditions de travail.
Sur les cotisations ARRCO, la S.A.S S.E.C.P. fait valoir que M. [J] [O] est devenu cadre qu'à compter du 1er juin 2003.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'appel, interjeté dans les formes et délais prescrits par la loi, sera déclaré recevable en la forme.
Concernant la rupture des relations contractuelles :
M. [J] [O] a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 15 mai 1998 en qualité d'adjoint du directeur d'exploitation.
Par avenant du 26 juin 2003 M. [J] [O] a été classé statut cadre, à compter du 1er juin 2003, comme MCD Confirmé & sous-directeur, niveau VI, indice 205 de la convention collective du personnel des jeux dans les casinos.
En lui proposant un emploi de croupier l'employeur envisageait donc nécessairement une modification du contrat de travail, puisqu'il s'agissait d'une modification des fonctions du salarié, quand bien même son niveau de rémunération aurait été maintenu.
En effet, la fonction de croupier apparaît dans la convention collective applicable dans la catégorie des employés-ouvriers du niveau I au niveau III, et n'apparaît plus dans les classifications supérieures qui relèvent de la catégorie Agents de maîtrise ou techniciens, niveau IV, ni a fortiori dans la catégorie cadre.
La SAS S.E.C.P fait valoir que cette proposition d'un nouvel emploi était rendue nécessaire par l'absence de reconduction de l'agrément de M. [J] [O], qui ne lui permettait donc plus d'exercer dans son précédent emploi.
La modification du contrat de travail proposée par l'employeur n'était donc pas fondée sur un motif personnel inhérent au salarié, de sorte que cette modification était nécessairement fondée sur un motif économique au sens des dispositions des articles L321-1 et L321-1-2 du code du travail, devenus L1233-3 et L1222-6.
Dans ces conditions l'employeur devait respecter les dispositions de l'article L.1222-6 ( ancien L. 321-1-2) du Code du travail, en vertu desquelles lorsqu'un employeur, pour l'un des motifs énoncés à l'article L.1233-3 ( ancien L. 321-1) du même Code, envisage une modification substantielle d'un contrat de travail, il en informe le salarié par lettre recommandée avec accusé de réception, en lui impartissant un délai de 1 mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus, et à défaut de réponse dans le délai d'un mois le salarié est réputé avoir accepté la modification proposée.
La méconnaissance de cette formalité interdit à l'employeur de se prévaloir d'un refus ou d'une acceptation de la modification par le salarié.
C'est également ce que rappelle l'article 25-1 de la convention collective nationale des casinos du 29 mars 2002, applicable au cas d'espèce, aux termes duquel « toute modification substantielle du contrat de travail doit faire l'objet d'une notification écrite à l'intéressé. Si ce dernier n'accepte pas cette modification et si, sans préjudice de l'application des articles L. 122-14 ou L321-1-1 du code du travail, selon les cas l'employeur maintient sa décision, le contrat de travail est considéré comme rompu du fait de l'employeur ».
Or, en l'espèce, d'une part l'employeur n'a pas notifié la proposition de modification du contrat de travail conformément aux conditions légales et conventionnelles et d'autre part a maintenu sa décision malgré le refus exprimé par le salarié, de sorte qu'il y a lieu de dire le contrat de travail rompu du fait de l'employeur, étant en outre souligné que celui-ci, disposant du pouvoir de licencier le salarié, n'a pas la possibilité de solliciter la résiliation judiciaire du contrat de travail comme il l'a fait dans ses conclusions écrites devant la cour.
Par conséquent, il y a lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, à la date de la présente décision. Cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence, la SAS S.E.C.P sera condamnée à payer à M. [J] [O] :
- 7 869 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 787 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur le préavis,
- 2 360,70 € au titre de l'indemnité de licenciement,
étant souligné que les quantum de ces sommes ne sont pas contestés.
Compte-tenu de la perte d'ancienneté de M. [J] [O], engagé le 15 mai 1998, de son âge (né en 1949), du montant de son salaire mensuel moyen (2415 €), mais aussi de l'absence de justificatifs sur le préjudice subi et de nature à justifier l'octroi de la somme sollicitée à ce titre, il convient de fixer à la somme de 30 000 € le montant des dommages-intérêts, en ce compris la réparation du préjudice moral et du « préjudice de carrière ».
En outre, la SAS S.E.C.P sera condamnée à remettre à M. [J] [O] les documents de rupture, conformes à la présente décision (bulletin de salaire, certificat de travail et attestation POLE-EMPLOI).
Concernant les cotisations ARRCO :
Il ressort des pièces versées aux débats que c'est par avenant du 26 juin 2003 que M. [J] [O] a été classé statut cadre, à compter du 1er juin 2003, aucune pièce produite par le salarié ne venant justifier sa demande au titre des cotisations auprès de l'ARRCO à compter du 15 mai 1998.
En revanche, la SAS S.E.C.P, qui reconnaît le statut de cadre de M. [J] [O] à compter du 1er juin 2003, ne produit aucun élément justifiant le paiement des cotisations auprès de l'ARRCO à compter de cette date, de sorte qu'elle ne justifie pas du fait qui aurait produit extinction de son obligation pour la période comprise entre le 1er juin 2003 et le 1er janvier 2004, en application des dispositions de l'article 1315, alinéa 2 du Code civil.
La SAS S.E.C.P sera donc condamnée à reconstituer et régulariser auprès de l'ARRCO les cotisations dues au profit de M. [J] [O] pour la période comprise entre le 1er juin 2003 et le 31 décembre 2003, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification de la présente décision.
Concernant la demande au titre des congés payés :
M. [J] [O] ne produit aucun élément, ni aucune explication quant à sa demande de congés payés, par ailleurs non chiffrée, de sorte qu'il sera débouté de sa demande à ce titre.
Sur les articles 696 et 700 du Code de Procédure Civile :
La SAS S.E.C.P, succombant, sera condamnée aux entiers dépens, de première instance et d'appel, et à payer à M. [J] [O] la somme de 1 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière prud'homale et en dernier ressort ;
REÇOIT l'appel principal formé le 29 mai 2008 par M. [J] [O] à l'encontre du jugement rendu le 18 avril 2008 par le conseil de prud'hommes de Tarbes (section encadrement), notifié le 9 mai 2008, et l'appel incident formé par la SAS SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES CASINOS PYRÉNÉENS (SAS S.E.C.P),
CONFIRME ledit jugement en ce qu'il a débouté M. [J] [O] de sa demande au titre des congés payés,
INFIRME les autres dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [J] [O], aux torts de l'employeur, avec effet à la date de la présente décision,
CONDAMNE la SAS SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES CASINOS PYRÉNÉENS (SAS S.E.C.P) à payer à M. [J] [O] :
- 7. 869,00 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 787,00 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur le préavis,
- 2.360,70 € au titre de l'indemnité de licenciement,
- 30.000,00 € au titre des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat de travail,
CONDAMNE la SAS SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES CASINOS PYRÉNÉENS (SAS S.E.C.P) à remettre à M. [J] [O] les documents de rupture, conformes à la présente décision (bulletin de salaire, certificat de travail et attestation POLE-EMPLOI),
CONDAMNE la SAS SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES CASINOS PYRÉNÉENS (SAS S.E.C.P) à reconstituer et régulariser auprès de l'ARRCO les cotisations dues au profit de M. [J] [O] pour la période comprise entre le 1er juin 2003 et le 31 décembre 2003, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la signification de la présente décision,
CONDAMNE la SAS SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES CASINOS PYRÉNÉENS (SAS S.E.C.P) à payer à M. [J] [O] la somme de 1 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SAS SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DES CASINOS PYRÉNÉENS (SAS S.E.C.P) aux entiers dépens, de première instance et d'appel.
Arrêt signé par Monsieur PUJO-SAUSSET, Président, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT,