REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 02 SEPTEMBRE 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/20208 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGY4F
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 03 Novembre 2022 -Juge de la mise en état de Paris RG n° 21/14498
APPELANTE
Madame [N] [H]
[Adresse 3]
[Localité 6]
née le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 13]
Représentée par Me Anne-Sophie RAMOND, avocat au barreau de PARIS, toque : E0391
INTIMEES
S.A.S. EDELIS
Agissant en la personne de ses représentants légaux en exercice, domiciliés audit siège en cette qualité
[Adresse 2]
[Localité 7]
N° SIRET : 338 .434.152
Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Assistée de Me Armelle AMICHAUD-DABIN de la SELARL AAD du Barreau de Toulouse
Avocat plaidant
S.A.S. EXELL FINANCE
Agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 5]
N° SIRET : 424 582 823
Représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 29 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente
Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller
Monsieur Edouard LOOS, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Edouard LOOS, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente et par Sylvie MOLLÉ, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCEDURE
Le 4 février 2016 la société Akerys Promotion qui exerce une activité de promoteur a transféré son siège social de [Localité 14] à [Localité 12] et a changé de dénomination sociale pour prendre le nom d'Edelis.
Dans le cadre de son activité de promotion immobilière, la société Edelis commercialise des lots sous le régime de la vente en l'état futur d'achèvement.
La société Exell Finance développe quant à elle une activité de conseil en investissement immobilier, d'entremise et de placement de produits immobiliers.
En 2006, la société Akerys Promotion devenue Edelis a entrepris la construction et la commercialisation d'une résidence située sur la commune de [Localité 9], dite " Résidence [11] ".
Elle a donné mandat à la société Exell Finance de commercialiser certains des lots de cette résidence.
Elle a, pour ce faire, mis à la disposition de la société Exell Finance la documentation ayant vocation à présenter le programme immobilier et ses avantages, notamment en matière de défiscalisation.
Le 18 décembre 2006, Madame [H] a signé un contrat de réservation préliminaire avec la société Akerys Promotion pour un appartement de type T2 d'une surface de 48 m2, portant le lot n°16 ainsi qu'un emplacement de parking portant le lot n°13 dans un ensemble immobilier dénommé " [11] ", situé à [Localité 10] pour un prix de 127.500,00 €.
Pour financer cet achat, Madame [H] a souscrit un prêt auprès du Crédit Foncier.
Par acte authentique reçu le 19 avril 2007, Madame [H] s'est portée acquéreuse du bien en l'état futur d'achèvement, auprès de la société Akerys Promotion.
Par exploit d'huissier des 25 octobre et 19 novembre 2021, Mme. [H] a fait assigner les sociétés Edelis et Exell Finance devant le tribunal judiciaire de Paris en indemnisation de ses préjudices.
* * *
Vu l'ordonnance prononcée le 3 novembre 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris qui a statué comme suit :
-Déclare Madame [N] [H] irrecevable à agir à l'encontre de la SAS Edelis anciennement Akerys Promotion pour défaut de qualité à agir ;
-Déclare Madame [N] [H] irrecevable en son action dirigée contre la société Exell Finance à raison de la prescription ;
-Condamne Madame [N] [H] aux dépens ;
-Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'appel déclaré le1er décembre 2022 par Mme [H],
Vu les dernières conclusions signifiées le 26 janvier 2023 par Mme. [H],
Vu les dernières conclusions signifiées le 20 février 2023 par la société Edelis,
Vu les dernières conclusions signifiées le 21 février 2023 par la société Exell Finance,
Mme [H] demande à la cour de statuer comme suit :
-Infirmer l'ordonnance rendu par le Juge de la mise en état de Paris en date du 30 novembre 2022 ;
En statuant a nouveau :
-Recevoir Madame [H] en ses demandes et les dire bien fondées.
-Débouter la société Edelis et Exell Finance de l'ensemble de leur demande, fin et conclusions ;
-Dire et juger que l'action de Madame [H] n'est pas prescrite ;
-Renvoyer l'affaire devant la formation de jugement pour statuer sur le fond du dossier ; En tout état de cause,
-Condamner les sociétés Exell Finance et Edelis France à payer à Madame [H] la somme de 10.000,00 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
-Prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
La société Edelis demande à la Cour de statuer comme suit :
Vu les articles 2222 et 2224 du Code civil ; vu les articles 32 et 122 du Code de procédure civile ; vu l'ordonnance du 3 novembre 2022 du Juge de la Mise en état du Tribunal Judiciaire de Paris.
Au principal
-Juger que la société Akerys Promotion aujourd'hui dénommée Edelis a signé le 12 juillet 2006 avec la société Exell Finance un mandat de vente des biens de la résidence " [11] " à [Localité 8] ;
-Juger que Madame [H] fonde son action en dommages et intérêts à l'encontre de la SAS Edelis au motif des man'uvres dolosives commises par la société Exell Finance lors de l'établissement du plan d'épargne fiscal,
-Par conséquent, confirmer l'ordonnance rendue le 3 novembre 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris.
A titre subsidiaire
-Juger que l'acte authentique de vente a été signé entre Madame [H] et la Société Edelis le 19 avril 2007 ;
-Juger que Madame [H] a assigné la Société Edelis par acte en date du 22 octobre 2021.
-Par conséquent, confirmer l'ordonnance rendue le 3 novembre 2022 par le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'elle a jugé irrecevables comme étant prescrites les demandes de Madame [H].
- La condamner au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de la Selarl 2H Avocats prise en la personne de Maître Audrey Schwab et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.
La société Exell Finance demande à la Cour de statuer comme suit :
Vu les dispositions de l'article 122 du Code de procédure civile, vu les dispositions des articles 1147 (ancien), 1382 (ancien), 2222 et 2224 du Code civil.
- Confirmer l'ordonnance rendue par le Juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de PARIS le 2 novembre 2022 en toutes ses dispositions.
- Débouter Madame [N] [H] de l'ensemble de ses demandes. Ajoutant à l'ordonnance,
- Condamner Madame [N] [H] à payer à la société Exell Finance une somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile en cause d'appel.
- Condamner Madame [N] [H] au paiement des entiers dépens, en ce compris les dépens d'appel, dont distraction au profit de la Scp Brodu Cicurel Meynard Gauthier Marie, Société d'avocats, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
a) Sur la qualité à agir de Madame [H] à l'encontre de la société Edelis
In limine litis, Mme. [H] soutient qu'elle a intérêt et qualité à agir envers la société Edelis, promoteur-vendeur, cette dernière n'étant pas étrangère au discours commercial du commercialisateur tel que cela ressort des écritures de la société EF. En effet, cette dernière lui a remis les documents de présentation qui lui avaient été transmis par Akerys Promotion (devenue Edelis). D'ailleurs, il existe un lien juridique entre ces deux sociétés.
La société Edelis souligne que Mme. [H] n'apporte aucun élément permettant de corroborer ses dires et rétorque être étrangère à cette projection financière. Elle rappelle que le mandat conclu entre elle et la société EF n'est qu'un simple mandat de vente. Ainsi, la responsabilité du mandant qu'elle est, ne peut être engagée que dans la mesure où le mandataire a commis des fautes dans les limites de son mandat, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En effet, elle affirme que les prétendues fautes reprochées au mandataire ont été commises hors les limites du mandat de vente puisque le contrat de mandat signé en 2006, prévoit que la société EF reçoit mandat de la société Edelis uniquement de commercialiser les biens de la résidence [11]. Elle n'a jamais reçu mandat de proposer aux acquéreurs une projection financière avec en support le bien immobilier pour lequel elle avait reçu mandat de vente.
Ceci étant exposé , Mme [H] reproche à la société Akeris Promotion devenue Edelis d'être l'instigatrice du projet immobilier et rappelle avoir été démarché par M. [R] intervenant pour le compte de la société Exell Finance, ce dernier revendiquant ses liens avec le groupe Akeris.
Mme [H] qui soutient que la responsabilité de la société Edelis est engagée au-delà du simple mandat de vente qu'elle a consenti à la société Exelle Finance et qu'elle doit répondre du discours commercial tenu par son mandataire commercialisateur a qualité à agir contre son vendeur, la société Edelis . Il appartiendra ensuite au juge du fond d'apprécier le bien fondé des demandes présentées par Mme [H] à l'encontre de la société Edelis .
L'ordonnance doit être infirmée de ce chef.
b)Sur la prescription
Mme [H] soutient que son action n'est pas prescrite. En effet, l'art. 2224 du code civil prévoit un point de départ " glissant et subjectif ". Ainsi, au visa de diverses jurisprudences, Mme. [H] affirme qu'en matière de dol, le départ du délais de prescription n'est jamais fixé la date de conclusion du contrat mais, au jour où l'investisseur a pu effectivement avoir connaissance du dommage dont il est la victime. En matière de défiscalisation immobilière, la jurisprudence considère qu'il est nécessairement postérieure à la date de conclusion du contrat de vente. En l'espèce, elle ne s'est réellement rendu compte des manquements à l'obligation d'information et de conseil dont elle a été victime que lorsque qu'elle a fait estimer son bien le 1er mars 2021 et qu'elle a pu constater qu'il avait été surévalué et que l'ensemble des informations contenues dans le package s'avérait erroné. En outre, elle ajoute que le dommage est nécessairement global dans une telle opération de sorte que le point de départ de la prescription s'apprécie également de manière globale.
La société Edelis soutient que le point de départ du délai de prescription de l'action en nullité pour erreur ou dol est soit le jour où " l'acquéreur a découvert " le vice, soit " le jour où il aurait dû découvrir le vice ", rien n'excluant que ces jours soit le jour de la conclusion du contrat. Elle considère que toutes les demandes qui sont fondées sur le dol et/ou années sur le manquement à l'obligation de conseil sont prescrites depuis le 19 juin 2013.
La société EF soutient, en application des arts. 1304, 2222 et 2224 du code civil dans leur rédaction issue de la loi de 2008, que le point de départ du délai de prescription d'une action en nullité doit donc être fixé à la date de conclusion du contrat. Ainsi, toutes les actions dont le point de départ de la prescription est antérieur au 19 juin 2008 sont prescrites depuis le 19 juin 2013 au plus tard (ou plus tôt si la prescription était acquise avant cette date en raison de l'écoulement de la durée de prescription prévue par la loi antérieure).
Ceci étant exposé, Mme [H] fonde ses demandes sur le dol et sur le manquement au devoir d'information et de conseil imputables aux sociétés Edelis et Exell Finance. Elle situe le point de départ de la prescription au 1er mars 2021, date à laquelle elle a fait estimer son bien immobilier par l'agence Foncia. Elle soutient avoir alors pu constater que le bien ne pouvait pas être revendu pour le montant investi, le bien ayant été finalement revendu au prix de 54 000 euros.
La cour relève que l'opération complexe dénoncée par Mme [H] a fait l'objet d'un plan d'épargne fiscal personnalisé daté du 16 janvier 2007 établi par la société Exell Finance, concomitamment à la signature du contrat préliminaire de réservation conclu avec cette même société le 18 décembre 2006.
Selon le plan d'épargne fiscal, 2 hypothèses sont prévues à l'issue de la période de 9 années prévue par la loi dite Robien du 11 juin 1996 avec une rentabilité de 10,63% pour la première et une rentabilité de 20,01% pour la seconde.
Dans l'hypothèse retenue par Mme [H] dans laquelle le point de départ de la prescription se situe au jour de la révélation du risque, il doit être relevé que l'économie générale de l'opération se trouvait entièrement réalisée à l'issue de la période locative de 9 années constituant le terme des économies fiscales en relation avec la durée maximale de location prévue par la loi. A cette date, Mme [H] disposait de toutes les informations lui permettant d'agir en intégrant le prix de de l'appartement si elle estimait cet élément utile à sa contestation.
La première location ayant suivi la vente du bien le 19 avril 2007, le point de départ de la prescription de 5 années de l'article 2224 du code civil doit alors être fixé au 19 avril 2016 correspondant à la date d'expiration du délai de 9 années au terme duquel l'investisseur pouvait connaître dans son intégralité la réalisation du risque.
Le point de départ de la prescription ne saurait être différé par le choix postérieur de Mme [H] de faire procéder à une estimation immobilière
Les assignations délivrées les 25 octobre et 19 novembre 2021 sont ainsi postérieures au 19 avril 2021, date d'expiration du délai de 5 années suivant le 19 avril 2016 pendant lequel Mme [H] pouvait agir en justice.
L'ordonnance déférée doit être confirmée.
Une indemnité complémentaire doit être allouée aux sociétés intimées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme l'ordonnance déférée sur la qualité à agir ;
Statuant de nouveau de ce chef :
Dit que Madame [N] [H] a qualité à agir contre la société Edelis ;
Confirme l'ordonnance déférée sur la prescription ;
Condamne Madame [N] [H] aux dépens et accorde à la SCP d'avocats Brodu Cicurel Meynard Gauthier Marie et à la Selarl 2H Avocats prise en la personne de maître Audrey Schwab le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code du code de procédure civile ;
Condamne madame [N] [H] à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, 750 euros à la société Edelis et 750 euros à la société Exell Finance ;
Rejette toutes autres demandes.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE
S.MOLLÉ C.SIMON-ROSSENTHAL