REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 10
ARRET DU 22 AOÛT 2024
(n° , 13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/13090 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIBU2
Décision déférée à la Cour :
Sur renvoi après cassation - arrêt de la Cour de Cassation en date du 28 juin 2023 - pourvoi n° D 22-11.568 ayant cassé et annulé partiellement l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles en date du 9 décembre 2021 - n° RG 21/00801
Jugement du 06 novembre 2020 - Tribunal Judiciaire de Nanterre - n° RG 17/05364
APPELANT
Monsieur [P] [D]
né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 21]
[Adresse 8]
[Localité 18]
Représenté et assisté par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119
INTIMÉS
Madame [G] [S] veuve [D]
née le [Date naissance 11] 1936 à [Localité 20]
[Adresse 13]
[Localité 15]
ET
Madame [N] [D] épouse [F]
née le [Date naissance 12] 1956 à [Localité 21]
[Adresse 4]
[Localité 16]
ET
Madame [Z] [D] épouse [L]
née le [Date naissance 7] 1955 à [Localité 21]
[Adresse 3]
[Localité 1]
ET
Monsieur [C] [D]
né le [Date naissance 5] 1950 à [Localité 21]
[Adresse 19]
[Localité 14] (ALLEMAGNE)
ET
Madame [B] [D] épouse [W]
née le [Date naissance 6] 1973 à [Localité 23]
[Adresse 17]
[Localité 15]
Tous représentés et assistés par Me Gabriel DUMENIL de YL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, substitué à l'audience par Me Margaux LACLEF de YL AVOCATS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été plaidée le 13 Juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Florence PAPIN, Présidente
Madame Valérie MORLET, Conseillère
Madame Anne ZYSMAN, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Florence PAPIN
dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Catherine SILVAN
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Catherine SILVAN, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
***
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par acte du 30 avril 2008, Monsieur [P] [D] a reconnu devoir à [X] [D], sa tante, la somme de 170.000 euros qu'il s'était engagé à lui rembourser avant le 31 décembre 2009.
[X] [D] est décédée le [Date décès 9] 2009, laissant pour lui succéder son frère, [R] [D] (père de Monsieur [P] [D]), qui, par décision en date du 16 août 2012, a été placé sous tutelle. Madame [G] [S], sa seconde épouse, a été désignée en qualité de tutrice.
[R] [D] est décédé le [Date décès 10] 2014, laissant pour lui succéder Monsieur [C] [D], Mesdames [Z] [D] épouse [L], [N] [D] épouse [F] et [B] [D] épouse [W], enfants de sa première et seconde union et Madame [G] [S], sa seconde épouse (les consorts [D]) ainsi que Monsieur [P] [D] (enfant né de sa première union). Ce dernier a renoncé à la succession de son père le 22 janvier 2016.
Le 19 avril 2017, les consorts [D] ont assigné Monsieur [P] [D] en paiement de la somme de 160.000 euros restant due au titre du prêt sus mentionné.
Le 6 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
Déclaré recevable et bien fondée l'action engagée par Madame [G] [S] veuve [D], Monsieur [C] [D], Madame [Z] [D] épouse [L], Madame [N] [D] épouse [F] et Madame [B] [D] épouse [W],
Condamné Monsieur [P] [D] à payer entre les mains de Maître [M] [E] [J], notaire à [Localité 22] (Indre) et pour le compte de Madame [G] [S] veuve [D], de Monsieur [C] [D], de Madame [Z] [D] épouse [L], de Madame [N] [D] épouse [F] et de Madame [B] [D] épouse [W] la somme de 160.000 euros assortie des intérêts au taux légal sur la somme de 170.000 euros entre le 31 décembre 2009 et le 27 novembre 2010, puis la somme de 160.000 euros à partir du 28 novembre 2010 et jusqu'à parfait paiement,
Ordonné l'exécution provisoire,
Condamné Monsieur [P] [D] aux dépens ainsi qu'à payer à Madame [G] [S] veuve [D], à Monsieur [C] [D], à Madame [Z] [D] épouse [L], à Madame [N] [D] épouse [F] et à Madame [B] [D] épouse [W], une indemnité de procédure de 4.000 euros.
Monsieur [P] [D] a interjeté appel de ce jugement le 8 février 2021.
Le 9 décembre 2021, la cour d'appel de Versailles a :
Confirmé le jugement susvisé en toutes ses dispositions ;
Déclaré irrecevable la demande en paiement de Monsieur [P] [D] de la somme de 10.000 euros ;
Condamné Monsieur [P] [D] à payer à Madame [G] [S] veuve [D], Monsieur [C] [D], Madame [Z] [D] épouse [L], Madame [N] [D] épouse [F] et Madame [B] [D] épouse [W] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné Monsieur [P] [D] aux entiers dépens.
Monsieur [P] [D] a formé un pourvoi.
Le 28 juin 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation a :
Cassé et annulé, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande en paiement de la somme de 10.000 euros formée par Monsieur [P] [D], l'arrêt rendu le 9 décembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remis, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamné Monsieur [C] [D], Mesdames [Z], [N] et [B] [D], et Madame [G] [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par Monsieur [C] [D], Mesdames [Z], [N] et [B] [D], et Madame [G] [S] et les condamne à payer à Monsieur [P] [D] la somme globale de 3.000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.
La cour d'appel de Paris a été saisie par déclaration de Monsieur [P] [D] le 4 juillet 2023.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 mai 2024, Monsieur [P] [D] demande à la cour de :
Vu les articles 2224 et 2235 du code civil,
Vu l'article 12340 du code civil
Vu l'article 805 du code civil
Vu les articles 864 et 865 du code civil,
Vu la reconnaissance de dette en date du 30 avril 2008,
Vu la déclaration de succession initiale de Madame [X] [D],
Infirmer le jugement rendu le 6 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Nanterre en ce qu'il :
déclare recevable et bien fondée l'action engagée par Monsieur [C] [D], Mesdames [Z], [N] et [B] [D], et Madame [G] [S],
condamne Monsieur [P] [D] à payer entre les mains de Maître [M] [E] [J], Notaire à [Localité 22] (Indre) et pour le compte de Madame [G] [S] veuve [D] Monsieur [C] [D], Mesdames [Z], [N] et [B] [D], la somme de 160 000 euros assortie des intérêts au taux légal sur la somme de 170 000 euros entre le 31 décembre 2009 et le 27 novembre 2010, puis sur la somme de 160 000 euros à partir du 28 novembre 2010 et jusqu'à parfait paiement,
condamne Monsieur [P] [D] aux dépens, ainsi qu'à payer à Madame [G] [S] veuve [D] Monsieur [C] [D], Mesdames [Z], [N] et [B] [D], une indemnité de procédure de 4 000 euros.
Statuant à nouveau :
Dire et juger que :
La déclaration de succession initiale de Madame [X] [D] matérialise la volonté de Monsieur [R] [D] de renoncer à cette créance. Cette renonciation est définitive.
Seul Monsieur [R] [D] pouvait revendiquer le bénéfice des dispositions des articles 2234 et 2235 du code civil ;
Il n'y a pas eu de suspension de la prescription pour les intimés.
Si par extraordinaire, les intimés étaient en droit de prétendre au bénéfice des dispositions des articles 2234 et/ou 2235 du code civil ; une fois la suspension levée, les intimés avaient le temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription. Leur action est prescrite.
Monsieur [P] [D] n'a jamais été héritier. Les articles 864 et 865 du code civil ne sont pas applicables.
En conséquence ;
Juger que la créance de 170.000 euros est éteinte.
A titre subsidiaire ;
Juger que l'action des intimés est prescrite.
Juger Madame [G] [S] veuve [D], Monsieur [C] [D], Madame [Z] [D] épouse [L], Madame [N] [D] épouse [F], Madame [B] [D] épouse [W], prescrits de leur demande en paiement des sommes visées par la reconnaissance de dette souscrite le 30 avril 2008 par Monsieur [P] [D] au bénéfice de sa tante feu [X] [D],
En conséquence, et en tout état de cause :
Débouter Madame [G] [S] veuve [D], Monsieur [C] [D], Madame [Z] [D] épouse [L], Madame [N] [D] épouse [F], Madame [B] [D] épouse [W], de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
Dire et juger que les intérêts au taux légal sont de droits.
Condamner solidairement Madame [G] [S] veuve [D], Monsieur [C] [D], Madame [Z] [D] épouse [L], Madame [N] [D] épouse [F], Madame [B] [D] épouse [W], à payer à Monsieur [P] [D] la somme de 10 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Condamner solidairement Madame [G] [S] veuve [D], Monsieur [C] [D], Madame [Z] [D] épouse [L], Madame [N] [D] épouse [F], Madame [B] [D] épouse [W], à payer à Monsieur [P] [D] la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Il fait valoir qu'il a toujours soutenu que le prêt avait été apuré, que la déclaration initiale de succession de sa tante faite par son père [R] [D] ne mentionnait pas ce prêt ce qui démontre que le défunt le considérait comme remboursé puis que son épouse a, en qualité de tutrice, établi une déclaration de succession rectificative pour s'établir une preuve et prétendre que le prêt restait dû.
Il soutient que :
- les dispositions de l'article 2235 du code civil ont été établies au bénéfice de la personne sous tutelle et ne peuvent profiter aux intimés,
- ces derniers avaient le temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription,
- la tutrice, qui représentait [R] [D], était en mesure d'intenter l'action en application de l'article 504 du code civil de sorte qu'il n'y a pas eu de suspension,
- qu'ayant renoncé à la succession, il n'a jamais hérité et les dispositions 864 et 865 du code civil doivent être écartées,
- en application de l'article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt la prescription qu'à condition de démontrer la volonté claire et non équivoque du solvens de reconnaître l'existence de la dette par son paiement,
- le paiement du 27 novembre 2010, réalisé par chèque à l'ordre de Madame [G] [D] et non d'[R] [D], seul titulaire de la créance, et à une date où elle n'était pas encore sa tutrice, ne peut être considéré comme un paiement partiel volontaire à son père de la créance litigieuse,
- ce chèque est impropre à établir sa volonté claire et non équivoque de rembourser la créance de son père,
- dès lors, le délai de prescription, qui a commencé à courir le 31 janvier 2009, date d'exigibilité du prêt, a expiré au 31 janvier 2017, en tenant compte de la suspension du délai entre le 16 août 2012, date de placement sous tutelle d'[R] [D] et le [Date décès 10] 2014, date de son décès et l'action des consorts [D] est prescrite,
- à titre subsidiaire, elle l'est également si l'on considère que le paiement du 27 novembre 2010 est interruptif de prescription, l'indivision successorale disposant encore, à la cessation de l'empêchement, du temps nécessaire (14 mois) pour agir avant l'expiration du délai,
- rien ne prouve qu'en 2009, [R] [D] n'avait pas toutes ses facultés mentales, et sa déclaration de succession de sa soeur démontre qu'il a volontairement renoncé au recouvrement de cette prétendue créance, sans contrainte morale de sa part étant absent,
- aucune contestation de la déclaration de la succession initiale de [X] [D] faite par son père n'est intervenue dans le délai de cinq ans,
- cette action en paiement, qui remet en cause la volonté du défunt, est contraire aux principes constitutionnels et à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 mai 2024, Madame [G] [S] veuve [D], Monsieur [C] [D], Madame [Z] [D] épouse [L], Madame [N] [D] épouse [F], Madame [B] [D] épouse [W] demandent à la cour de :
Vu les articles 864 à 867, 1312 et 2230 à 2239 et suivants du code civil ;
Vu les articles 564, 566, 695 et suivants du code de procédure civile ;
Vu le contrat de prêt sous seing privé du 30 avril 2008 ;
Vu la jurisprudence ;
Sur l'argumentation principale de l'appelant :
Juger que le paiement de 10.000 euros du 27 novembre 2010 constitue sans équivoque une reconnaissance certaine du droit de Monsieur [R] [D] sur Monsieur [P] [D], et a dès lors interrompu la prescription conformément aux dispositions de l'article 2240 du code civil ;
Sur l'argumentation subsidiaire de l'appelant :
Juger que le délai de prescription de l'action en paiement à l'encontre de Monsieur [P] [D] a nécessairement été suspendu, au sens de l'article 2234 du code civil et a minima, depuis 2009 et jusqu'au décès de Monsieur [R] [D], de telle sorte qu'au jour de l'assignation, le délai de prescription de 5 ans n'était pas atteint ;
Juger que le délai de prescription de l'action en paiement à l'encontre de Monsieur [P] [D] a nécessairement été suspendu, au sens de l'article 2235 du code civil, depuis le 16 août 2012 et jusqu'au décès de Monsieur [R] [D], de telle sorte qu'au jour de l'assignation, le délai de prescription de 5 ans n'était pas atteint ;
Juger que la règle selon laquelle la prescription ne court pas ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore, au moment où cet empêchement a pris fin, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription ne concerne que l'hypothèse de l'article 2234 du code civil de celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement quelconque résultant soit de la loi, soit de la convention ou de la force majeure, et non pas les hypothèses prévues par les articles 2235 à 2239 de ce code ;
En tout état de cause :
Juger que l'action en paiement de la créance que détient la succession à l'encontre de Monsieur [P] [D] ne commencera à se prescrire qu'au jour de la clôture des opérations de partage de la succession de Monsieur [R] [D], opérations qui n'ont pas encore débutées, nonobstant sa renonciation à succession ;
Déclarer irrecevables les prétentions nouvelles formées pour la première fois en cause d'appel, et tendant à voir « juger que la créance de 170.000 euros est éteinte » et à « condamner solidairement Madame [G] [S] veuve [D], Monsieur [C] [D], Madame [Z] [D] épouse [L], Madame [N] [D] épouse [F], Madame [B] [D] épouse [W], à payer à Monsieur [P] [D] la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive » ;
En conséquence :
Juger que l'action en paiement intentée par Madame [G] [Y] [T] [S], veuve [D], Monsieur [C] [O] [V] [H] [D], Madame [Z] [H] [U] [A] [D], épouse [L], Madame [N] [I] [H] [K] [D], épouse [F], Madame [B] [H] [D], épouse [W] n'est pas prescrite ;
Juger que Madame [G] [Y] [T] [S], veuve [D], Monsieur [C] [O] [V] [H] [D], Madame [Z] [H] [U] [A] [D], épouse [L], Madame [N] [I] [H] [K] [D], épouse [F], Madame [B] [H] [D], épouse [W], sont bien fondés en leur demande en paiement et y faire droit ;
Confirmer en tous points le jugement rendu par la 6ème chambre civile du tribunal judiciaire de Nanterre en date du 6 novembre 2020, dont appel ;
Condamner Monsieur [P] [D] à payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause de premier appel ;
Condamner Monsieur [P] [D] à payer une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause de cassation ;
Condamner Monsieur [P] [D] à payer une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause de second appel ;
Condamner Monsieur [P] [D] aux entiers dépens des procédures de première instance, d'appel et de cassation.
Ils font valoir que :
- Monsieur [P] [D] est dans l'impossibilité de justifier d'un remboursement du prêt,
- le délai de prescription a fait l'objet d'une interruption puis de plusieurs suspensions,
- il a été interrompu par le paiement du 27 novembre 2010, par un chèque au nom de Madame [G] [D], qui gérait les finances du couple et porté au crédit de leur compte courant,
- il est possible de lire sur la copie du chèque la mention selon laquelle cette dernière atteste avoir reçu ce chèque en remboursement de l'emprunt litigieux, mention portée concomitamment à sa réception,
- Monsieur [P] [D] n'explique pas sinon à quel titre il aurait établi un chèque de 10.000 euros à sa belle-mère, postérieurement à la déclaration de la succession de sa tante faite par [R] [D] le 27 juillet 2010,
- le délai a été suspendu en raison de l'impossibilité morale d'[R] [D] d'agir contre son fils,
- bien avant la requête en tutelle, déposée le 7 février 2012, [R] [D] était malade ayant eu plusieurs AVC en 2006 qui avaient endommagé sa mémoire et ses fonctions cognitives qui étaient affectées, qu'en novembre 2011, il est entré à l'EPHAD, son comportement étant de plus en plus perturbé,
- à compter pour le moins de 2009, il n'était plus en état d'agir en justice,
- la prescription a été suspendue conformément aux dispositions de l'article 2235 du code civil à compter du placement sous tutelle d'[R] [D] jusqu'à son décès,
- en qualité d'héritiers de ce dernier, ils sont fondés à invoquer la suspension de la prescription générée par le placement sous tutelle,
- le seul cas où la règle selon laquelle la suspension de la prescription ne s'applique pas lorsque le titulaire du droit disposait encore au moment où l'empêchement a pris fin du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai ne concerne que l'impossibilité d'agir prévue par l'article 2234 du code civil,
- sauf lorsqu'elle est relative aux biens indivis, la créance de la succession à l'encontre de l'un des copartageants n'est pas exigible et ne peut pas se prescrire avant la clôture des opérations de partage de la succession,
- la présomption de l'article 805 du code civil, qui énonce que l'héritier qui renonce est censé n'avoir jamais hérité, n'a pas vocation à s'appliquer aux questions de prescription mais se limite aux intérêts patrimoniaux d'autant que Monsieur [P] [D] n'a renoncé à la succession que le 22 janvier 2016,
- les demandes de constat d'extinction de la créance et de dommages et intérêts pour procédure abusive sont des prétentions nouvelles dès lors irrecevables en application de l'article 564 du code de procédure civile.
MOTIFS
L'arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 9 décembre 2021 n'a pas été cassé par la Cour en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en paiement (remboursement) de la somme de 10.000 euros formée par Monsieur [P] [D] à l'encontre de Madame [S].
La présente cour de renvoi n'est pas saisie de ce chef.
I - Sur la demande principale de Monsieur [D] de constater l'extinction de la créance :
- Sur la recevabilité de la demande :
Selon l'article 564 du code de procédure civile à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter des prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Sont admises les demandes qui sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes soumises au premier juge (article 566 du code de procédure civile).
La demande de Monsieur [D] tendant à faire constater l'extinction de la créance de l'indivision successorale à son encontre vise à faire écarter les prétentions des consorts [D] et n'est dès lors pas une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile. Elle est par conséquent recevable.
- Sur le bien-fondé de la demande :
Monsieur [P] [D] allègue que son père aurait décidé de ne pas recouvrer la créance litigieuse, intention qu'il déduit du fait qu'elle n'est pas mentionnée dans la première déclaration de succession de sa tante et qu'à défaut d'action en nullité sur le fondement de l'article 464 du code civil, la dette est définitivement éteinte.
Cependant affirmer n'est pas prouver et il n'est pas démontré par Monsieur [P] [D] que le fait que cette créance ne figure pas dans la déclaration de succession ne résulte pas d'une omission de la part d'[R] [D].
En outre, il n'est pas allégué que la déclaration rectificative en date du 28 mars 2013 effectuée par Madame [G] [D], en sa qualité de tutrice de son époux, serait entachée de nullité.
Dès lors, la preuve n'est pas rapporté que la créance de l'indivision successorale envers Monsieur [P] [D] est éteinte.
II- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription :
Le tribunal judiciaire de Nanterre a déclaré recevable car non prescrite l'action des consorts [D]. Il a retenu que le versement de la somme de 10.000 euros le 27 novembre 2010 interrompait le délai de prescription et que ce dernier avait été suspendu entre la date de placement sous tutelle d'[R] [D] et son décès.
Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Les parties s'accordent sur le fait que le point de départ de la prescription doit être fixé au 31 décembre 2009, date de remboursement prévu aux termes du contrat de prêt du 30 avril 2008.
Monsieur [P] [D] soutient à titre subsidiaire que la demande en paiement des consorts [D] est prescrite.
Les consorts [D] soutiennent que le délai de prescription a fait l'objet d'une interruption (1) puis de plusieurs suspensions (2).
1 - Sur la cause d'interruption :
Aux termes de l'article 2231 du code civil, l'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien.
En application de l'article 2240 du code civil, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
Interrompt la prescription la reconnaissance du droit du créancier figurant dans un document qui ne lui est pas adressé s'il contient l'aveu non équivoque par le débiteur de l'absence de paiement.
Il s'agit à travers cette disposition du code civil de renverser la présomption de paiement tirée de l'écoulement du temps. Seul compte le fait de l'absence de paiement que révèle explicitement ou implicitement l'aveu du débiteur de ce qu'il est encore tenu de régler la dette.
Au soutien de l'argument d'une interruption de la prescription suite à un paiement partiel en application des dispositions de l'article 2240 du code civil, les consorts [D] font état de la remise par Monsieur [P] [D], le 27 novembre 2010, d'un chèque de 10.000 euros établi au nom de Madame [G] [D].
Il résulte des pièces produites que cette dernière a encaissé le chèque sur le compte commun du couple après avoir porté dessus la mention 'je soussignée [G] [D], atteste avoir reçu la somme de 10.000 euros de la part de [P] [D] au titre du remboursement d'un emprunt contracté auprès de [X] [D], décédée en [Date décès 9] 2009. Emprunt =170.000 euros'.
Cependant cette mention émane de Madame [G] [D] et non du débiteur.
Monsieur [P] [D], qui soutient que ce chèque est impropre à établir sa volonté claire et non équivoque à rembourser la créance litigieuse, après avoir donné plusieurs versions, n'explique pas dans ses dernières écritures, qui seules lient la cour, pour quel autre motif il aurait remis à sa belle-mère ce chèque postérieurement à la déclaration de la succession de sa tante par son père le 27 juillet 2010, qui ne mentionnait pas cette dette.
Il n'allègue pas de l'existence d'un autre prêt dont il se serait acquitté par ce versement.
Il y a aussi lieu de rappeler que les termes du prêt prévoyaient que ' Monsieur [P] [D] aura la faculté de se libérer de sa dette par anticipation, en totalité ou fraction non inférieures à 10.000 euros' soit exactement le montant du chèque.
Dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que ce paiement partiel constituait une reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait, que le délai de prescription a été interrompu par la remise de ce chèque et qu'un nouveau délai de cinq ans a commencé à courir à compter du 27 novembre 2010.
2 - Sur les causes de suspension :
Il résulte des dispositions de l'article 2230 du code civil que la suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru.
* pour impossibilité à agir :
Il résulte des dispositions de l'article 2234 du code civil que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
Les consorts [D] soutiennent que les troubles mentaux et physiques d'[R] [D] avant l'instauration de la tutelle constituaient une impossibilité absolue d'agir de sa part depuis 2009 de même que les liens de famille l'unissant à son fils.
Au soutien de leur argument, ils visent la pièce 16 (en fait 17 selon la citation faite dans les conclusions ) qui est un extrait de la requête en date du 7 février 2012 adressée au juge des tutelles par Madame [G] [D], partie à ce procès, et qui ne peut être accueilli nul ne pouvant prouver pour lui-même.
Ils se réfèrent également à un courrier de Monsieur [P] [D] en date du 10 septembre 2012, donc postérieur à cette requête évoquant la maladie d'Alzheimer de son père, courrier qui ne mentionne pas depuis quand il était atteint de cette maladie ni ne permet de connaître son stade d'évolution.
De même, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 16 octobre 2013 qui indique 'qu'il ressort des éléments du dossier que la santé mentale et physique de M.[R] [D] qui souffre d'une altération de ses fonctions cognitives et qui est grabataire s'est dégradée au point de ne plus pouvoir rester au domicile familial avec son épouse...' ne permet pas de savoir depuis quand le défunt souffrait de cette altération et donc de caractériser l'impossibilité absolue d'agir d'[R] [D] depuis 2009.
Il n'est pas démontré au soutien de l'impossibilité morale invoquée par les consorts [D] que des liens particulièrement proches d'[R] [D] avec son fils [P] aient constitué pour lui une impossibilité morale absolue d'agir, le texte sus-visé se référant à la force majeure qui doit présenter un caractère d'irresistibilité.
Dès lors, aucune suspension de la prescription ne sera retenue par la cour sur le fondement de l'article 2234 du code civil pour la période antérieure à la mise sous tutelle du défunt.
* pour incapacité d'agir :
Il résulte des dispositions de l'article 2235 du code civil que la prescription ne court pas ou est suspendue contre les majeurs en tutelle sauf pour un certain nombre d'actions en justice au titre desquelles ne figure pas la présente action en remboursement d'un prêt.
Cependant selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation antérieure à la réforme de la prescription résultant de la loi du 17 juin 2008 et maintenue depuis, la règle qui prévoit que la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d'agir ne s'applique pas lorsque le titulaire de l'action disposait encore à la cessation de l'empêchement du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription.
En effet, la prorogation accordée ne doit pas aller au-delà de ce qu'il est nécessaire pour introduire l'action et si le titulaire du droit dispose d'un temps suffisant pour introduire l'action, c'est la raison même de la règle qui fait défaut.
Cette exclusion de la règle qui prévoit que la prescription ne court pas contre celui qui est empêché d'agir résulte du sens et de l'objectif poursuivi par les dispositions de l'article 2224 du code civil et n'est pas attachée à une cause de suspension particulière comme allégué par les consorts [D], la tutelle faisant de plus partie des empêchements "résultant de la loi" prévus à l'article 2234 du code civil.
Les consorts [D] ont disposé de plus d'un an après le décès d'[R] [D] intervenu le [Date décès 10] 2014 pour assigner Monsieur [P] [D] en justice avant l'expiration du délai de prescription le 27 novembre 2015 et ont donc disposé du temps nécessaire pour introduire leur action.
Ils ne peuvent donc se prévaloir de la cause de suspension de la prescription prévue à l'article 2235 du code civil.
* jusqu'à la clôture des opérations de partage de la succession :
Les consorts [D] font enfin valoir que le délai de prescription aurait été suspendu à compter du décès d'[R] [D] jusqu'à la clôture des opérations de partage.
Selon l'article 865 du code civil, sauf lorsqu'elle est relative aux biens indivis, la créance de la succession à l'encontre de l'un des copartageants n'est pas exigible et ne peut se prescrire avant la clôture des opérations de partage.
Les sommes dues à la succession par un héritier étant sujettes à rapport, lequel constitue une opération de partage, la dette n'est pas exigible pendant la durée de l'indivision et ne peut se prescrire avant la clôture des opérations de partage.
Cependant Monsieur [D] ayant renoncé à la succession le 22 janvier 2016 et sa qualité d'héritier disparaissant rétroactivement au jour de l'ouverture de la succession en application des dispositions de l'article 805 du code civil, les dispositions de l'article 865 du code civil qui ne concernent que les copartageants ne peuvent lui être opposées par les consorts [D] pour faire échec à la prescription.
*****
Dès lors, aucune des causes de suspension n'étant retenue par la cour, l'action engagée le 19 avril 2017 par Monsieur [C] [D], Mesdames [Z] [D] épouse [L], [N] [D] épouse [F], [B] [D] épouse [W] et [G] [S] est prescrite.
La décision déférée est par conséquent infirmée.
III - Sur la demande de Monsieur [D] de dommages et intérêts pour procédure abusive :
Selon l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter des prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Sont admises les demandes qui sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes soumises au premier juge (article 566 du code de procédure civile) .
Monsieur [D] demande devant la cour la condamnation des consorts [D] à lui payer la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive, demande qu'il n'avait pas faite devant le premier juge.
Cependant cette demande qui n'est que l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de la demande de Monsieur [D] tendant au rejet de la demande en paiement des consorts [D] n'est dès lors pas une demande nouvelle et est par conséquent recevable.
Monsieur [D] soutient que l'action des consorts [D], qui remet en cause la volonté du défunt et sa liberté de léguer, est contraire aux principes constitutionnels et à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne au visa de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme de 1789, qui énonce que ' la propriété est un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée l'exige évidemment et sous condition d'une juste et préalable indemnité' et de l'article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dont les termes sont similaires.
Il a déjà été dit plus haut que la preuve n'est pas rapporté que cette action remette en cause la volonté du défunt.
Monsieur [D] n'explicite dès lors pas en quoi l'action des consorts [D] serait contraire aux principes constitutionnels et à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
L'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi, d'erreur grossière équivalente au dol, de légèreté blâmable ou de faute dont la preuve n'est pas rapportée en l'espèce.
Une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières constituer un abus de droit, lorsque sa légitimité a été reconnue par la juridiction du premier degré, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet en appel.
Dès lors, Monsieur [P] [D] est débouté de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
IV-Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
La décision déférée est infirmée en ce qui concerne les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
Les consorts [D], partie perdante, sont condamnés aux dépens de première instance et d'appel y compris ceux afférents à la décision cassée en application de l'article 639 du code de procédure civile. La Cour de cassation a statué sur ses propres dépens et il n'y a pas lieu de statuer à nouveau de ce chef.
L'équité ne commande pas de faire droit aux demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt de cassation partielle en date du 28 juin 2023,
Infirme la décision déférée,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare recevable la demande de Monsieur [P] [D] de constater l'extinction de la créance de l'indivision successorale à son encontre,
L'en déboute,
Déclare prescrite l'action en paiement engagée sur le fondement d'une reconnaissance de dette en date du 30 avril 2008 par Monsieur [C] [D] et Mesdames [Z] [D] épouse [L], [N] [D] épouse [F], [B] [D] épouse [W] et [G] [S],
Déclare recevable la demande de Monsieur [P] [D] de dommages et intérêts pour procédure abusive,
L'en déboute,
Condamne Monsieur [C] [D], Mesdames [Z] [D] épouse [L], [N] [D] épouse [F], [B] [D] épouse [W] et [G] [S] aux dépens de première instance et d'appel y compris ceux afférents à la décision cassée,
Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires notamment de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,