REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 10
ARRET DU 22 AOÛT 2024
(n° , 27 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/10606 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2CC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Mai 2021 - Tribunal judiciaire d'EVRY RG n° 14/04980
APPELANTE
Madame [WZ] [RF]
née le [Date naissance 8] 1942 à [Localité 23] (VIETNAM)
[Adresse 2]
[Localité 11]
Représentée et assistée à l'audience par Me William BOURDON et Me Bertrand REPOLT de l'AARPI BOURDON & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R143
INTIMÉES
Société OCCIDENTAL CHEMICAL CORPORATION, société de droit américain, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège, anciennement dénommée Hooker Chemical Corporation puis Hooker Chemicals & Plastics Corporation, venant aux droits de :
' la société Occidental Electrochemicals Corporation - anciennement dénommée Diamond Shamrock Chemicals Company, issue de la fusion en 1967 de la société Diamond Alkali Company et de la société Shamrock Oil & Gas Corporation - suite à une fusion du 30 novembre 1987
' la société Hooker Chemical Far East Corporation suite à une fusion du 24 novembre 1987
[Adresse 4]
[Localité 15] - TEXAS - [Localité 15] - ETATS UNIS
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocate au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée à l'audience de Me Lucile MERIGUET, avocate au barreau de PARIS, toque P0419
Société DOW CHEMICAL, société de droit américain, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 7],
[Localité 20] - MICHIGAN - [Localité 20] - ETATS UNIS
Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistée à l'audience de Me Laurent MARTINET du PARTNERSHIPS PAUL HASTINGS (Europe) LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : P0177
Société T-H AGRICULTURE & NUTRITION LLC, autrement dénommée THAN, venant aux droits de THOMPSON HAYWARD CHEMICAL.CO prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 6]
[Adresse 6] - ETATS UNIS
Représentée par Me Christophe PACHALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K148
Assistée de Me Sophie LAGAYETTE de la SELAS CARAT LEGAL, avocate au barreau de LILLE, toque : 0093, substituée à l'audience par Me Anne-Sophie BERTRAND, avocate au barreau de LILLE
Société MONSANTO COMPANY prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 10]
[Localité 22] - MISSOURI-[Localité 22] - ETATS UNIS
Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Assistée à l'audience de Me Jean-Daniel BRETZNER de la SAS BREDIN PRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : T12
Société HERCULES LLC, anciennement dénommée HERCULES INC, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 25] - DELAWARE [Localité 25] - ETATS UNIS
Représentée par Me Michel GUIZARD de la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020
Assistée à l'audience de Me Emmanuel ROSENFELD de l'ASSOCIATION VEIL JOURDE, avocat au barreau de PARIS, toque : T06
Société UNIROYAL CHEMICAL CO., INC, société de droit américain, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 5]
[Localité 21] - PA - [Localité 21] - ETATS UNIS
ET
Société UNIROYAL CHEMICAL ACQUISITION CORPORATION, société de droit américain, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 5]
[Localité 21] - PA - [Localité 21] - ETATS UNIS
ET
Société UNIROYAL INC, société de droit américain, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 5]
[Localité 21] - PA - [Localité 21] - ETATS UNIS
ET
Société UNIROYAL CHEMICAL HOLDING COMPANY, société de droit américain, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 5]
[Localité 21] - PA - [Localité 21] - ETATS UNIS
Toutes représentées par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151
Toutes assistées à l'audience de Me Alexandre BISCH, avocat au barreau de PARIS, toque : J016
Société HARCROS CHEMICALS INC, (HARRISONS AND CROSFIELD), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 9]
[Localité 19] - KANSAS - [Localité 19] - ETATS-UNIS
Défaillante, régulièrement avisée le 14 octobre 2021 par transmission de l'acte à l'étranger
Société MAXUS ENERGY CORPORATION, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
Désistement de Madame [RF] à son encontre le 7 décembre 2022
[Adresse 1],
[Localité 18] - TEXAS - [Localité 18] - ETATS-UNIS
Désistement à son égard par ordonnance du 7 décembre 2022
Société TIERRA SOLUTIONS INC, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
Désistement de Madame [RF] à son encontre le 7 décembre 2022
[Adresse 24],
[Localité 16], - NEW JERSEY - [Localité 16] - ETATS-UNIS
Désistement à son égard par ordonnance du 7 décembre 2022
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'ESSONNE
[Adresse 14]
[Localité 12]
Défaillante, régulièrement avisée le 7octobre 2021 par procès-verbal de remise à personne morale
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été plaidée le 07 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Florence PAPIN, Présidente
Madame Valérie MORLET, Conseillère
Madame ANNE ZYSMAN, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Florence PAPIN dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Catherine SILVAN
ARRET :
- réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Catherine SILVAN, présent lors de la mise à disposition.
***
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Dans le cadre de la guerre du Vietnam, en novembre 1961, le président [M] a approuvé le lancement du programme nommé « Operation trail dust » consistant, pour l'armée américaine intervenue au soutien de la République du sud Vietnam, à procéder à l'épandage de plusieurs herbicides sur la végétation, aux fins de défoliation.
L'armée a notamment eu recours, à partir de 1965, à un produit dénommé « agent orange », composé de deux molécules qui agissent sur la croissance végétale, l'acide 2,4 - dichlorophénoxyacétique (2,4-D) et l'acide 2,4,5- trichlorophénoxyacétique (2,4,5-T).
La fabrication de cet agent peut conduire, selon le processus utilisé, à la production indésirable, plus ou moins élevée, d'une molécule 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-para-dioxine (TCDD), communément appelée dioxine, laquelle présente un caractère de dangerosité pour l'homme.
À la suite d' une étude gouvernementale révélant les risques à long terme sur la santé des pesticides, l'usage de « l'agent orange » a d'abord été restreint à des zones éloignées des populations puis abandonné en avril 1970.
En vue d'obtenir la désignation d'un expert et la réparation de dommages corporels qu'elle attribue à son exposition à « l'agent orange », durant la guerre du Vietnam, par actes d'huissier de justice délivrés courant juillet 2014, Madame [WZ] [RF] a assigné devant le tribunal de grande instance d'Evry, devenu tribunal judiciaire, 26 sociétés de droit américain qui l'auraient produit ou fourni et engagé leur responsabilité soit les sociétés :
1 - Dow chemical company,
2 - Monsanto company,
3 - Hercules inc.,
4 - Thompson Hayward chemical company, devenue Harcros chemical inc.,
5 - Harcros chemical inc.,
6 - Uniroyal chemical company, inc., détenue par Uniroyal chemical holding company acquise par Chemtura corporation,
7 - Uniroyal chemical acquisition corporation, détenue par Uniroyal chemical holding company, acquise par Chemtura corporation,
8 - Uniroyal inc., détenue par Uniroyal chemical holding company acquise par Chemtura corporation,
9 - Uniroyal chemical holding company, acquise par Chemtura corporation,
10 - Diamond shamrock agricultural chemical inc., devenue Ultramar diamond shamrock corporation acquise en 2001 par Valero energy corporation,
11 - Diamond shamrock chemical company, devenue Ultramar diamond shamrock corporation acquise en 2001 par Valero energy corporation,
12 - Occidental electrochemical corporation, détenue par Occidental petroleum corporation,
13 - Occidental chemical corporation, détenue par Occidental petroleum corporation,
14 - Hooker chemical corporation, rachetée en 1968 par Occidental petroleum corporation,
15 - Hooker chemical far east corporation, détenue par Hooker chemical corporation, elle-même rachetée en 1968 par Occidental petroleum corporation,
16 - Hooker chemical & plastics corporation, détenue par Hooker chemical corporation elle-même rachetée en 1968 par Occidental petroleum corporation,
17 - Chemical land holdings inc., devenue Tierra solutions inc.,
18 - T-H agriculture & nutrition company, soit Thompson-Hayward agriculture & nutrition company, aussi connue sous le nom de Than, acquise par Harcros chemical incorporation,
19 - Riverdale chemical company, acquise par Nufarm americas inc.,
20 - Pharmacia & Upjohn incorporated, précédemment Pharmacia corporation, elle-même précédemment appelée Monsanto company,
21 - Ultramar diamond shamrock corporation,
22 - Maxus energy corporation, devenue Diamond shamrock chemical company elle-même devenue Ultramar diamond shamrock corporation acquise en 2001 par Valero energy corporation,
23 - Diamond alkali company devenue Diamond shamrock chemical company elle-même devenue Ultramar diamond shamrock corporation acquise en 2001 par Valero energy corporation,
24 - Ansul incorporated, aujourd'hui devenue Ansul brand,
25 - WYETH inc.,
26 - Valero marketing and supply company appartenant à Valero energy corporation,
en présence de la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne (CPAM), elle-même régulièrement assignée par acte d'huissier de justice du 28 juillet 2014, devant le tribunal judiciaire d'Evry.
Madame [RF] s'est désistée de ses demandes à l'encontre de six sociétés :
- Wyeth LLC succédant à la société Wyeth inc.,
- Tyco fire product LLP, venant aux droits de la société Ansul incorporated, devenue Ansul brand,
- Valero marketing and supply company, appartenant à Valero energy,
- Riverdale chemical company,
- Diamond shamrock agricultural chemical inc., devenue Ultramar diamond shamrock corporation, acquise en 2001 par Valero energy corporation,
- Ultramar diamond shamrock corporation.
Ces désistements d'instance et d'action ont été constatés par ordonnances du juge de la mise en état des 5 novembre 2015, 7 avril 2016, 26 mai 2016, 29 juin 2017 et 4 mars 2019, qui a par cet effet, également constaté l'extinction de l'instance à l'égard de ces sociétés.
Par jugement réputé contradictoire (la société Harcros Chemical Inc n'ayant pas constitué avocat) du 10 mai 2021, le tribunal judiciaire d'Evry a :
- Déclaré Madame [WZ] [RF] irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Pharmacia & Upjohn, LLC pour défaut de qualité pour défendre de cette dernière ;
- Déclaré Madame [WZ] [RF] irrecevable en ses demandes à l'encontre de :
1 - Dow chemical company,
2 - Monsanto company,
3 - Hercules inc., nouvellement dénommée Hercules LLC,
4 - Uniroyal chemical co inc.,
5 - Uniroyal chemical acquisition corporation,
6 - Uniroyal inc.,
7 - Uniroyal chemical holding company,
8 - Occidental chemical corporation,
9 - Maxus energy corporation,
10 - Tierra solutions inc.,
11 - Chemical land holdings inc., devenue Tierra solutions inc.,
12 - T-H agriculture & nutrition co, soit Thompson-Hayward agriculture & nutrition, aussi connue sous le nom de THAN,
13 - Harcros chemical inc.,
pour défaut de droit d'agir devant les juridictions françaises ;
- Dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes de la CPAM de l'Essonne tendant à garantir ses droits quant au recouvrement de sa créance ;
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire;
- Laissé à chacune des parties, la charge de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné Madame [WZ] [RF] aux entiers dépens.
Le 7 juin 2021, Madame [RF] a interjeté appel de ce jugement intimant devant la cour les sociétés Dow chemical company, Monsanto company, Hercules LLC, Uniroyal chemical co inc., Uniroyal chemical acquisition corporation, Uniroyal inc., Uniroyal chemical holding company, Occidental chemical corporation, Maxus energy corporation, Tierra solutions inc.,T H agriculture & nutrition co, soit Thompson-Hayward agriculture & nutrition, et Harcros chemicals inc..
Par ordonnance de désistement partiel du 7 décembre 2022, le conseiller de la mise en état a constaté l'extinction d'instance et le dessaisissement de la Cour à l'égard des sociétés Maxus energy corporation et Tierra solutions inc.
Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 30 novembre 2023, Madame [RF] demande à la cour de :
Vu les principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des Etats étrangers,
Vu l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
Vu les alinéas 1 et 11 du préambule de la constitution de 1946,
Vu l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme,
Vu l'article 1382 du code civil, en sa version applicable à la présente instance,
Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
Déclaré Madame [WZ] [RF] irrecevable en ses demandes l'encontre des sociétés intimées, pour défaut de droit d'agir devant les juridictions françaises ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Laissé à chacune des parties, la charge de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné Madame [WZ] [RF] aux entiers dépens de l'instance.
Statuant de nouveau,
- Rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'immunité de juridiction des sociétés intimées ;
- Déclarer recevables les demandes de Madame [WZ] [RF] ;
- Renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire d'Evry pour qu'il soit statué sur les autres points du litige ;
- Condamner in solidum les sociétés intimées précitées à payer à Madame [WZ] [RF] une somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance et de l'instance d'appel ;
- Condamner in solidum les sociétés intimées précitées aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pourra être faite directement entre les mains de Maître William Bourdon, avocat au barreau de Paris, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 30 janvier 2024, la société Dow chemical demande à la cour de :
À titre principal :
Vu les principes de droit international relatifs à l'immunité de juridiction des états étrangers,
Vu le defense production act de 1950,
Vu l'immunité de juridiction dont la société Dow chemical est fondée à se prévaloir,
- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Evry du 10 mai 2021 en toutes ses dispositions ;
À titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour infirmait le jugement entrepris :
Vu l'article 568 du code de procédure civile,
- Renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire d'Evry pour qu'il statue sur les points non jugés en première instance ;
En tout état de cause :
- Débouter Madame [RF] [WZ] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner Madame [RF] [WZ] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024, la société Hercules LLC, anciennement dénommée Hercules Inc, ci-après la société Hercules, demande à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Déclaré les demandes de Madame [WZ] [RF] à l'encontre d'Hercules irrecevables pour défaut de droit d'agir devant les juridictions françaises ;
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- Condamné Madame [WZ] [RF] aux entiers dépens.
Subsidiairement, si la cour infirmait le jugement entrepris :
Vu l'article 568 du code de procédure civile,
- Renvoyer l'affaire au tribunal judiciaire d'Evry ;
En tout état de cause :
- Débouter l'appelante de toutes ses demandes ;
- Condamner Madame [WZ] [RF] en tous les dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme de 75.000 euros sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile au titre de l'appel.
Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024, la société Monsanto company (ci-après Monsanto) demande à la cour de :
Déclarer mal fondé l'appel interjeté par Madame [WZ] [RF] ;
L'en débouter ;
Vu l'immunité de juridiction dont la société Monsanto est fondée à se prévaloir,
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Si par extraordinaire la cour devait considérer que la fin de non-recevoir tirée de l'immunité de juridiction de Monsanto ne peut être accueillie,
- Renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire d'Evry pour qu'il soit statué sur les autres points du litige ;
En tout état de cause,
- Débouter Madame [WZ] [RF] de toutes demandes, fins ou conclusions contraires ;
- Condamner Madame [WZ] [RF] à s'acquitter d'une somme de 5.000 euros au profit de Monsanto company, par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner Madame [WZ] [RF] aux entiers dépens de l'appel, dont distraction au profit de Maître Boccon-Gibod (SELARL Lexavoué Paris Versailles), avocat au barreau de Paris.
Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024, la société Occidental chemical corporation qui vient aux droits suite à des fusions de la société Hooker chemical far east corporation et de la société Occidental electrochemicals corporation anciennement dénommée Diamond shamrock chemicals company (cette dernière étant issue de la fusion de la société Diamond alkali company et de la société Shamrock oil and gas corporation) demande à la cour de :
Vu notamment le principe de l'immunité de juridiction, l'ordre public international, vu l'article 122 du code de procédure civile, l'article 51 de la charte des nations unies,
- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Evry du 10 mai 2021 en toutes ses dispositions en ce qu'il a :
Déclaré Madame [WZ] [RF] irrecevable en ses demandes l'encontre des sociétés intimées, pour défaut de droit d'agir devant les juridictions françaises ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
Laissé à chacune des parties, la charge de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné Madame [WZ] [RF] aux entiers dépens de l'instance.
En conséquence statuant à nouveau,
- Déclarer irrecevables les demandes et prétentions de Madame [WZ] [RF] sur le fondement de l'immunité de juridiction ;
Subsidiairement, si par impossible, la cour infirmait le jugement du tribunal judiciaire d'Evry du 10 mai 2021 en ce qu'il a jugé les demandes de Madame [WZ] [RF] irrecevables sur le fondement de l'immunité de juridiction :
- Renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire d'Evry pour qu'il soit statué sur les autres fins de non-recevoir soulevées par les intimées en première instance et les points du litige qui n'ont pas été tranchés par le jugement de première instance ;
En tout état de cause,
- Débouter Madame [WZ] [RF] de sa demande de condamnation in solidum de Hooker et Diamond, aux droits desquelles vient Occidental chemical corporation, au paiement d'une somme de 20.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejeter les entières demandes à l'encontre de Hooker et Diamond, aux droits desquelles vient Occidental Chemical Corporation ;
- Rejeter les entières demandes à l'encontre d'Occidental chemical corporation ;
- Condamner Madame [WZ] [RF] au paiement de la somme de 2.000 euros à Occidental chemical corporation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024, la société T- H agriculture & nutrition LLC (autrement dénommée THAN) venant aux droits de Thompson hayward chemical co (THCC) demande à la cour de :
Vu les principes et la jurisprudence de droit international public en matière d'immunité de juridiction,
Vu l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et libertés fondamentales,
A titre principal,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré Madame [WZ] [RF] irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société T-H agriculture & nutrition LLC, aussi connue sous le nom de THAN, venant aux droits de Thompson Hayward chemical company (THCC) retenant la fin de non-recevoir tirée de l'immunité de juridiction, et en ce qu'il l'a condamnée aux dépens.
Subsidiairement et si la cour infirmait le jugement entrepris :
Vu l'article 568 du code de procédure civile,
- Juger que la cour ne pourra user de son pouvoir d'évocation
- En conséquence, renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire d'Évry
En tout état de cause,
- Débouter Madame [WZ] [RF] de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées
contre la société T-H agriculture & nutrition en ce compris la demande de condamnation in solidum des intimés au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de première instance et d'appel.
- Condamner Madame [WZ] [RF] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de
l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner Madame [WZ] [RF] aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel dont distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024, les sociétés Uniroyal chemical co. Inc., Uniroyal chemical acquisition corporation, Uniroyal Inc., et Uniroyal chemical holding company demandent à la cour de :
Vu le principe de l'immunité de juridiction des États étrangers et les articles 122 et suivants du code de procédure civile,
Vu l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales,
Vu l'article 568 du code de procédure civile,
- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire d'Évry du 10 mai 2021 en ce qu'il a déclaré Madame [WZ] [RF] irrecevable en ses demandes à l'encontre des sociétés intimées pour défaut de droit d'agir devant les juridictions françaises.
- Condamner Madame [WZ] [RF] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner Madame [WZ] [RF] aux entiers dépens.
À titre subsidiaire, si la cour ne devait pas confirmer le jugement :
- Renvoyer l'affaire devant le tribunal judiciaire d'Évry pour qu'il soit statué sur tous les points non-jugés en première instance.
La CPAM de l'Essonne, qui a reçu la déclaration d'appel remise à personne qui s'est déclarée habilitée à la recevoir, le 7 octobre 2021 et la société Harcros chemical Inc, qui a reçu la déclaration d'appel remise à personne habilitée à la recevoir le 22 octobre 2021, n'ont pas constitué avocat.
Le présent arrêt sera réputé contradictoire.
La clôture a été prononcée le 27 mars 2024.
MOTIFS
La cour observe que la déclaration d'appel faite par Madame [RF] ne critique pas le jugement déféré en ce qu'il l'a déclarée irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Pharmacia & Upjohn LLC pour défaut de qualité pour défendre de cette dernière. Cette société n'a pas été mentionnée dans la déclaration d'appel qui ne lui a donc pas été signifiée.
Comme le relève Madame [RF] dans ses conclusions, page 19, l'ensemble des parties se sont entendues entre elles pour que la Cour ne statue que sur l'irrecevabilité retenue en première instance sans évoquer, en cas d'infirmation de la décision déférée, les points non jugés, demandant à être renvoyées dans cette hypothèse, devant le tribunal judiciaire d'Evry pour qu'il soit statué sur les autres points du litige.
Les premiers juges ont déclaré Madame [RF] irrecevable en ses demandes en retenant la fin de non-recevoir tirée de l'immunité de juridiction, principe du droit international coutumier issu de la règle selon laquelle aucun État souverain ne peut assujettir un autre État souverain à sa juridiction, dont les sociétés intimées, qui ont agi sur ordre et pour le compte de l'État américain dans l'accomplissement d'un acte de souveraineté, sont bien fondées à se prévaloir.
Ils ont rappelé que l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne consacre pas un droit d'accès absolu à un tribunal, ce dernier pouvant faire l'objet d'une limitation dès lors qu'elle est consacrée par le droit international et ne s'inscrit pas au-delà des règles généralement reconnues en la matière.
I - Sur l'immunité de juridiction :
Madame [RF] soutient qu'elle a exercé le métier de journaliste et se trouvait dans les zones d'épandage de « l'agent orange » lors de la guerre du Vietnam, qu'elle souffre de diverses pathologies liées à l'exposition à ce produit ainsi que deux de ses filles alors que sa première fille, née avec une pathologie cardiaque grave, est décédée prématurément, que les conditions de l'immunité de juridiction ne sont pas réunies rappelant que selon un arrêt de la Cour de cassation, chambre mixte, du 20 juin 2003, l'acte qui donne lieu au litige doit participer, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et ne pas être un acte de gestion et qu'une société commerciale ayant un patrimoine propre ainsi qu'une autonomie décisionnelle ne peut
être considérée comme une émanation de l'Etat d'autant que les sociétés intimées n'avaient aucun lien capitalistique avec les Etats-Unis.
Elle rappelle, page 29 de ses conclusions, que l'acte qu'elle dénonce n'est pas d'avoir fourni « l'agent orange » à l'armée américaine mais de l'avoir livré avec de la dioxine alors que les spécifications militaires ne le prescrivaient pas.
Elle ajoute que cette présence est le fruit de l'autonomie des fabricants qui avaient une connaissance dès les années 50, en raison des problèmes de santé rencontrés par leurs ouvriers, de la dangerosité du produit en ce qu'il provoquait la chloracné et des atteintes au foie, information qui n'a pas été diffusée par eux à l'armée, pour éviter une législation restrictive.
Elle précise que la présence de dioxine est le résultat du processus de fabrication, non imposé par l'Etat, que ces sociétés avaient décidé de mettre en oeuvre ce qu'elles ont compris dès le début de l'année 1965 recherchant un processus de fabrication alternatif, que ce processus dit « Boehringer », limitant la quantité de dioxine, n'a été mis en oeuvre que fin 1966 par la société Dow chemical à destination du marché commercial domestique et n'a été généralisé à l'ensemble des unités de production des sociétés intimées, pour des raisons mercantiles, qu'en 1967 au plus tôt.
Elle indique aussi qu'il est exclu que ces commandes aient le caractère d'un ordre de l'Etat puisque les sociétés mises en cause ont répondu à un appel d'offre.
Elle conclut que la fourniture de « l'agent orange » était un acte commercial, profitable aux sociétés intimées, que ces dernières avaient deux marchés distincts et qu'il convient d'interpréter le concept de l'immunité de juridiction à la lumière de l'évolution du droit international qui connaît une demande croissante de lutte contre l'impunité en cas de graves violations des droits humains.
La société Dow chemical fait valoir qu'en tant qu'entité privée (et non émanation de l'Etat), elle a agi sur ordre ou pour le compte de ce dernier dans le cadre légal du « Defense Production Act » (DPA) qui donnait pouvoir au Président des Etats-Unis pour adresser des injonctions à des entreprises privées sous peine de pénalités en raison de l'intérêt supérieur de la défense nationale américaine, a accompli un acte qui participe par sa nature ou sa finalité à l'exercice de la souveraineté et a contribué au service public en fournissant du matériel militaire dans le but unique de protéger les troupes américaines contre les embuscades de l'ennemi. Elle en déduit que les conditions de l'immunité de juridiction sont réunies.
Elle précise que les juridictions américaines ont reconnu la contrainte exercée par l'Etat
(voir notamment la décision du tribunal de première instance du district est de New York du 9 février 2004).
Elle ajoute qu'elle a respecté le cahier des charges et les spécifications établies par l'armée et n'avait pas de marge de manoeuvre dans la fabrication et la production de « l'agent orange », que le gouvernement américain, qui avait réalisé ses propres recherches, avant d'envisager de l'utiliser, a pris en compte les risques liés à la présence potentielle de dioxine.
Elle indique que lorsqu'elle a été confrontée à un épisode de chloracné (« forme d'irritation de la peau rapidement identifiable et curable » selon le juge [RE]) fin 1964 parmi ses ouvriers, seul risque dont on avait connaissance à l'époque, elle a informé les autorités et immédiatement pris les mesures pour assurer la sécurité de ses employés et garantir qu'il n'existait pas de risque dans l'utilisation du produit final en mettant en oeuvre en mai 1965 un nouveau procédé de fabrication dit « Boehringer » (inventé par la société allemande du même nom), protégé par un accord de confidentialité lui interdisant de le divulguer à des tiers, et partagé ses informations sur les problématiques relatives à la chloracné et la détection de dioxine avec les autres fabricants et les autorités américaines auxquelles elle a livré de « l'agent orange » ne contenant, grâce à ce procédé, aucune dioxine.
La société Monsanto soutient que les personnes morales de droit privé peuvent bénéficier de l'immunité de juridiction si elles agissent sur ordre ou pour le compte des Etats et que leur action constitue un acte de puissance publique ou a été accompli dans l'intérêt d'un service public, qu'en l'espèce, l'Etat américain a confié la fabrication de « l'agent orange », selon un cahier des charges précis et sous surveillance permanente et stricte, à plusieurs sociétés privées en vertu de la loi DPA adoptée en 1950 (pour lui garantir un approvisionnement optimal en période de conflit armé et lui permettre de disposer d'un outil coercitif à l'égard des fabricants) et qu'elle ne disposait d'aucune marge de manoeuvre. Elle précise que le gouvernement était conscient que ses exigences pourraient provoquer l'apparition de dioxine. De plus elle fait valoir qu'à supposer qu'elle ait bénéficié d'une certaine marge de manoeuvre et n'ait pas agi sur ordre, elle serait fondée à invoquer l'immunité de juridiction ayant agi pour le compte de l'Etat américain (s'agissant d'une condition alternative) et qu'aucune réciprocité n'est exigée, l'immunité pouvant lui bénéficier même si le droit américain ne reconnaît pas une telle immunité aux sociétés privées. En produisant « l'agent orange », il est selon elle indiscutable qu'elle a agi dans l'intérêt du service public de la défense nationale et remplit la seconde condition cumulative pour bénéficier de l'immunité de juridiction, peu importe le fait qu'elle en ait retiré un profit.
Elle ajoute que les connaissances de l'époque ne permettaient pas d'imputer un rôle à « l'agent orange » dans l'apparition des quatre pathologies évoquées par Madame [RF] (diabète de type 2, alpha-thalassémie, tuberculose et cancer du sein), lien toujours pas scientifiquement démontré à ce jour, rappelant également que plusieurs herbicides et un insecticide ont été diffusés par voie aérienne pendant la guerre du Vietnam et que la description d'une pluie gluante par l'appelante dans son livre ne correspond pas aux épandages de « l'agent orange » .
La société Hercules expose que la jurisprudence a admis que l'immunité du juridiction puisse bénéficier à des personnes privées agissant pour ordre et pour le compte de l'État étranger, pour les actes de puissance publique et accomplis dans l'intérêt d'un service public, qu'elle a produit l'herbicide sur ordre de l'État en application du DPA et n'avait pas de marge de man'uvre, que la production pour l'agriculture aurait été plus rentable et qu'en tout état de cause, il n'est pas nécessaire d'être spolié par l'État pour agir sur ordre, qu'elle était tenue de livrer un produit strictement conforme aux spécifications imposées par l'armée alors que c'est le 2-4-5 T inclus dans la formule par l'armée américaine qui créait le risque de générer la dioxine et que le choix d'utiliser ce composant était celui de l'armée qui était consciente des dangers. Elle précise qu'elle-même ignorait alors tout de la dioxine n'ayant jamais connu d'incident ni reçu de réclamation concernant la présence de cette molécule dans le défoliant et que dès qu'elle a été informée par la société Dow du risque de chloracné, elle a pris des précautions supplémentaires en réduisant la température de fabrication et en achetant un produit dissolvant les impuretés. Elle conclut avoir agi dans l'intérêt du service public et ajoute que les conditions de l'immunité de juridiction sont réunies.
La société Occidental Chemical Corporation rappelle qu'elle vient aux droits suite à des fusions de la société Hooker chemical far east corporation et de la société Diamond shamrock chemicals company, que la société Hooker n'a fourni aux fabricants de « l'agent orange » que du tétrachlorobenzène (TCB) qui ne contenait pas de dioxine et n'a jamais fabriqué « l'agent orange » et que la société Diamond s'est vue imposer par l'Etat en vertu du DPA de 1950 sous peine de sanctions pénales de livrer un produit dont la composition était strictement définie, qu'elles n'ont pas eu de connaissance précoce de risques pour la santé hormis la chloracné, maladie de peau guérissable et que lorsqu'elles ont eu connaissance d'effets potentiellement nocifs, la société Diamond a expérimenté plusieurs méthodes pour les limiter au maximum et installé un système d'absorption par carbone qui s'est révélé efficace. Elle ajoute qu'aucun défaut d'information de l'Etat américain ne peut lui être reproché, la société Diamond ayant informé les autorités de santé des cas de chloracné survenus dans son usine.
Elle remplit selon elle les conditions pour bénéficier de l'immunité de juridiction, rappelant qu'en tout état de cause, l'acte en lui-même, sa gravité ou réprobation morale sont sans emport dans ce cadre.
Les quatre sociétés Uniroyal intimées font valoir qu'aucune d'elles n'a jamais fabriqué « l'agent orange » et qu'une seule d'entre elles (Uniroyal inc) a fourni de « l'agent orange » au gouvernement américain qu'elle avait acheté à une filiale canadienne juridiquement indépendante (la société Uniroyal Ltd non mise en cause dans la présente instance) agissant sur ordre et pour le compte de l'Etat dans le cadre d'actes participant
à l'exercice de la souveraineté des États-Unis et remplissant donc les conditions pour bénéficier de l'immunité de juridiction.
Elles ajoutent qu'elles n'avaient aucune connaissance d'une quelconque toxicité de « l'agent orange » livré, n'ont jamais détecté aucune dioxine dans le TCP (2,4, 5 ' triclorophénol) utilisé qui leur était fourni et qu'elles ne produisaient pas.
La société T H Agriculture & nutrition, qui se décrit comme une petite société, sollicite la confirmation du jugement déféré.
Elle indique avoir reçu en juin 1967 ses premières commandes dans le cadre très contraignant et strictement encadré par l'État américain du DPA et remplir les conditions pour bénéficier de l'immunité de juridiction.
Elle ajoute qu'elle n'a pas produit de triclorophénol, molécule en cause, qu'elle n'a pas été tenue informée des cas d'accidents survenus dans des usines produisant l'herbicide, qu'elle ne participait pas à la réunion informative du 29 mars 65 à l'initiative de la société Dow chemical, qu'elle a uniquement reçu une information en décembre 1964 du service de santé publique selon laquelle la dioxine pouvait causer des problèmes dermatologiques (urticaire) et hépatiques pour le personnel de production, n'a jamais été informée des risques de chloracné et que l'État américain était à l'origine de la mise au point de la formule de « l'agent orange » et des recherches sur la toxicité du produit. Elle ajoute que l'appelante confond Thompson hayward et Thompson chemical qui sont deux sociétés différentes, sa pièce 60 étant une note interne de la société Dow relatant une discussion téléphonique avec un représentant de la société Thompson chemical et non de la société Thompson hayward aux droits desquels elle vient.
Elle fait valoir qu'il n'était ni dans sa capacité ni dans son pouvoir de modifier les spécifications officielles pour tenir compte d'une potentielle dangerosité de « l'agent orange » dont elle n'avait pas été informée.
Sur ce,
Les traductions citées par la cour, produites par les parties, sont admises de toutes parts.
* Sur le contexte historique:
L'arrêt en date du 22 février 2008 de la Cour Fédérale du deuxième circuit des Etats-Unis (pièces 1 et 1 bis de Madame [RF], les plaignants étaient des ressortissants vietnamiens et l'Association vietnamienne des victimes de « l'agent orange » et agissaient contre diverses sociétés chimiques l'ayant fabriqué) retrace le contexte historique de la fabrication et de l'usage du produit.
Il expose ainsi que les propriétés herbicides des composants de « l'agent orange » ont été identifiées dans le cadre de recherches menées par l'armée américaine dans les années 40 (au cours de la seconde guerre mondiale), que dans les années 50, elle a effectué des tests de dispersion de ces produits par des avions puis qu'en 1961, l'Advanced Research Projects Agency du ministère de la défense américain a évalué la faisabilité de la défoliation tropicale au Vietnam, afin de priver les forces ennemies qui s'infiltraient dans le sud du Vietnam de la couverture et de la protection fournie par la végétation et de détruire les récoltes procurant à l'ennemi des ressources en nourriture, en recommandant l'exploitation des formules adéquates de 2-4 D et 2-4-5 T pour un usage immédiat (le nom de code du produit était « l'agent pourpre ») et qu'en 1962, une équipe de recherche est parvenue à la conclusion que le mélange 50/50 de 2-4 D (dichlorophénoxyacétale) et de 2-4-5 T (trichlorophénoxyacétique) était plus efficace (formule connue sous le nom de « l'agent orange »).
Il est précisé que les spécifications officielles du mélange ont été intégrées dans les contrats signés avec les producteurs de « l'agent orange » et que, après l'approbation du Président [M], le 30 novembre 1961, l'opération de défoliation dénommée « Trail Dust » ( ou « Ranch Hand ») a été lancée par l'aviation américaine en 1962.
L'utilisation des herbicides a été jugée efficace selon l'armée et le gouvernement a soutenu, en réponse aux critiques, que le protocole de Genève de 1925 relatif à la prohibition de l'usage à la guerre de gaz et d'armes bactériologiques n'interdisait pas l'usage de l'herbicide.
Il est indiqué dans cette décision qu'à partir de 1967, les fabricants ont dû consacrer la totalité de leur capacité de production à la fabrication de « l'agent orange », le Président des Etats Unis (et ses délégués) utilisant les pouvoirs que leur conférait le paragraphe 101 du DPA puis que fin 1966, une étude du gouvernement dite « Bionetics Study » a révélé les risques à long terme sur la santé des pesticides (notamment de défauts congénitaux) ce qui a conduit, en octobre 1969, à une restriction de l'usage de « l'agent orange » aux zones éloignées des populations puis le 15 avril 1970, à la suspension de son usage militaire.
Dans sa déposition en date du 15 décembre 1982, devant le tribunal de première instance des États-Unis district est de New York, le docteur [G] [KK] [W] (ancien directeur de la recherche au secrétariat de la défense) mentionne : « ce qu'il est capital de clarifier c'est que nous étions en guerre. Des mécanismes incroyablement ingénieux et insidieux nous faisaient perdre beaucoup d'hommes. Les soldats empruntant des pistes dans des feuillages épais étaient abattus à bout portant par des gens qu'ils ne pouvaient pas voir. Nous avions en l'air des appareils qui ne pouvaient tout simplement pas distinguer les pistes en dessous, de sorte que nous avions des forces nombreuses et que cependant elles étaient terriblement vulnérables à un petit nombre de gens cachés dans une jungle proliférante. Dans cette situation, l'intérêt prédominant était de déterminer si la science et la technologie disponibles pouvaient ou non être utilisées pour nous débarrasser d'une partie de ce couvert végétal. Il me semble aujourd'hui qu'il s'agissait d'une action tout à fait rationnelle et raisonnable, même rétrospectivement.
(...) D'après mes souvenirs cette utilisation a été très sélective et elle a sans doute sauvé bon nombre de nos hommes ».
Dans les suites d'un règlement à l'amiable d'une action collective intentée par des vétérans à la fin des années 1970 (certifiée par le tribunal en 1983), un fonds de « l'agent orange » a été créé et alimenté à hauteur de 180 millions par les fabricants (rappel effectué notamment dans la décision du tribunal de première instance du district est de New York du 9 février 2004).
Le Congrès américain a adopté une loi sur les règles d'indemnisation des anciens combattants exposés à la dioxine et aux radiations le 24 octobre 1984. Des experts ont reçu, dans les suites de cette loi, instruction d'évaluer les preuves scientifiques sur les effets sur la santé de l'exposition à « l'agent orange ». « En reconnaissant la situation incertaine des preuves scientifiques et l'incapacité d'établir un lien causal absolu entre l'exposition à des herbicides contenant de la dioxine et le développement de divers cancers rares, le congrès a ordonné, qu'en cas de doute, l'administrateur de la VA (ministère des Anciens Combattants) tranche en faveur de l'Ancien Combattant demandant une indemnisation.» (rapport de l'amiral [BO] produit par Madame [RF]).
* Sur la fin de non-recevoir :
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfixe, la chose jugée.
Le moyen tiré du défaut de pouvoir juridictionnel constitue une fin de non-recevoir.
Selon les principes de droit international coutumier, les Etats étrangers bénéficient d'une immunité de juridiction lorsque l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion.
Cette règle trouve son origine dans la règle coutumière selon laquelle les Etats étant égaux, un Etat ne peut être jugé par un autre Etat et vise à protéger leur indépendance et leur souveraineté.
Sous l'égide des Nations Unies, une Convention sur les immunités juridictionnelles des
Etats et de leurs biens a été adoptée à New-York le 2 décembre 2004. Elle a été signée le 17 janvier 2007 par la France qui l'a ratifiée le 12 août 2011, mais elle n'est pas encore entrée en vigueur, faute d'avoir été ratifiée par trente Etats comme le prévoit son article 4.
Toutefois, la France l'applique comme reflétant le droit coutumier.
La Cour européenne des droits de l'homme considère que l'immunité de juridiction constitue un des « principes de droit international généralement reconnus (...) afin de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre Etats » (CEDH, 21 novembre 2001 Al-Adsani c/Royaume-Uni, Forgaty C/Royaume-Uni, Mc Elhinney c/Royaume-Uni).
Pour caractériser les actes d'autorité manifestant la souveraineté de l'Etat étranger et permettant la mise en oeuvre de l'immunité de juridiction, il convient de prendre en compte deux critères :
- un critère objectif, ou formaliste qui prend en considération la nature intrinsèque de l'acte et la forme dans laquelle il a été passé,
- un critère finaliste tiré du but poursuivi par l'auteur de l'acte qui doit avoir été accompli dans l'intérêt d'un service public.
Les Etats étrangers et les organismes qui en constituent l'émanation ne bénéficient ainsi de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et n'est donc pas un acte de gestion.
L'immunité protège non seulement la personne étatique elle-même mais aussi toute autorité, organe, entité devant être considérée comme un démembrement ou une émanation de l'état, tout délégataire ou dépositaire de fonctions qu'entend exercer l'Etat.
Les délégataires peuvent être des entités de droit privé disposant d' une personnalité juridique distincte de celle de l'Etat, comme c'est ici le cas pour les sociétés intimées, et non uniquement les émanations de l'Etat comme allégué par Madame [RF], dès lors qu'elles agissent sur ordre ou pour le compte des Etats étrangers.
Elles bénéficient alors de l'immunité de juridiction mais uniquement pour les actes de puissance publique ou ceux accomplis dans l'intérêt d'un service public et qui ne sont pas des actes de gestion (critère finaliste cité ci-dessus).
Madame [RF] soutient que la présence de dioxine dans « l'agent orange » ne participait pas à l'exercice de la souveraineté des Etats-Unis, était le fruit de l'autonomie des fabricants (1), de leur connaissance de la toxicité du produit (2) et de l'absence de diffusion de l'information et de mesures correctrices prises par elles (3).
1 - Sur la marge de manoeuvre des sociétés productrices :
La cour doit rechercher si les sociétés intimées ont agi sur ordre ou pour le compte de l'Etat (ces conditions étant alternatives comme l'exprime la conjonction « ou »).
Il est observé qu'en produisant « l'agent orange », les sociétés intimées ont agi pour le compte de l'Etat qui ne pouvait ou ne souhaitait pas lui-même produire l'agent défoliant que l'armée entendait utiliser au Vietnam.
Il sera cependant examiné surabondamment si les sociétés intimées n'ont pas également agi sur ordre de l'Etat.
Madame [RF] produit elle-même un arrêt de la Cour suprême des Etats Unis en date du 4 mars 1996 (rendu dans le cadre d'une action de deux sociétés Hercules Inc. et Thompson co. pour obtenir le remboursement par l'Etat américain des frais générés par les procédures initiées à leur encontre par des vétérans américains, action rejetée en l'absence d'accord implicite d'indemnisation par l'Etat des pertes alors que la loi prévoyait une immunité) qui mentionne s'agissant des requérants, page 420, que « le gouvernement conformément au Defense Production Act de 1950 a conclu une série de contrats de production à prix fixe avec les pétitionnaires. Les militaires prescrivaient la formule et les spécifications détaillées pour la fabrication (...) ».
Il résulte de l'examen des contrats produits aux débats, conclus avec les sociétés Dow Chemical, Monsanto, Hercules, Uniroyal, THAN et Diamond, qu'ils contenaient une certification « Défense nationale référencé DO-C-9e » attribuée par les États-Unis au titre du Defense Production Act (loi sur la production en matière de défense) du 8 septembre 1950, signifiant, selon le règlement du bureau d'administration de l'exportation du ministère du Commerce des Etats-Unis, que la commande devait être traitée en priorité.
Ils précisent « que les éléments achetés s'inscrivent dans le cadre de la mise en 'uvre du programme d'assistance militaire ».
Il n'est pas allégué par Madame [RF], qui ne distingue pas selon les sociétés mises en cause, que les contrats conclus entre la société Harcros chemical, non comparante, et l'Etat auraient été différents des contrats produits aux débats.
Le DPA est une « loi visant à établir un système de priorité et d'allocations pour les matériels et installations, autoriser les réquisitions en conséquence, fournir une assistance financière pour l'expansion de la capacité de production et d'approvisionnement, (...) et, par ces mesures, faciliter la production des biens et des services nécessaires pour la sécurité nationale et à des objectifs divers ».
La section 101 du DPA « habilite le Président (des Etats-Unis) à requérir que l'exécution des contrats ou de commandes (...) qu'il estime nécessaires ou appropriés pour promouvoir la défense nationale soit prioritaire sur l'exécution de tout autre contrat ou commande, et, afin de garantir cette priorité, de requérir que ces contrats ou commandes soient acceptés et exécutés avant tout autre contrat ou commande par toute personne qu'il estime en mesure de les exécuter et à affecter les matériels, et installations de la manière, dans les conditions et dans la mesure qu'il juge nécessaires ou appropriées pour la défense nationale ».
La section 103 précise que les contrevenants s'exposent à des pénalités (une amende d'un montant maximum de 10.000 dollars et un emprisonnement d'une durée maximale d'un an).
Le fait qu'un appel d'offre, d'ailleurs allégué mais non prouvé par l'appelante, ait pu être émis par l'Etat ne remet pas en cause le caractère contraignant des commandes passées dans le cadre du Defense Production Act que les sociétés intimées ne pouvaient ainsi pas refuser d'exécuter comme cela résulte de la section 700.13.a du DPAS (Defense priorities and allocations system), règlement d'application du DPA : « toute personne est tenue d'accepter chaque commande référencée reçue et doit exécuter cette commande quelles que soient les autres commandes qu'elle a acceptées ».
Ainsi il est précisé aux termes du jugement en date du 9 février 2004 du tribunal de première instance du district est de New York (les plaignants sont des vétérans) que : « les contrats (concernant la société Diamond, la société Occidental chemical corporation venant à ses droits à la suite d'une fusion ) contenaient ou étaient considérés comme s'ils contenaient une note « DO-C9e » attribuée par les États-Unis au titre du DPA de 1950, tel que modifié, article 50 USC App§ 2061 et suivants et des réglementations promulguées en vertu de cette loi. Ces notes exigeaient la livraison du produit aux fins d'aider la mise en 'uvre des actions militaires au Vietnam et prévoyaient les moyens permettant d'obtenir les matériaux et équipements rares servant à produire l'agent orange.
Dès septembre 1966, les États-Unis avaient déterminé que les besoins de l'armée de l'air en agent orange excédaient la capacité de production nationale totale, et que les quantités disponibles étaient insuffisantes pour satisfaire les exigences de l'armée de l'air pour l'exercice 1967. L'approvisionnement des États-Unis en agent orange était alors urgent.
Ce problème de capacité de production insuffisante était exacerbé par une pénurie de TCB (tétrachlorobenzène), l'ingrédient de base nécessaire à la production du TCP. Diamond dépendait de Hooker chemical corporation (société aux droits de laquelle vient la société Occidental chemical corporation) pour son approvisionnement en TCB.
(..) Les États-Unis avaient également fait en sorte qu'Hooker chemical ne fournissent l'ingrédient de base, le TCB, qu'aux entreprises fabriquant l'agent orange » (pièces 2 et 2 bis de la société Hercules, p. 15).
Plus loin dans cet arrêt (page 16 de la pièce 2 bis avant dernier paragraphe), il est indiqué que l'État américain instituait « des procédures pour s'assurer que toute la capacité de production du 2,4,5 ' T qui est le composant essentiel de l'agent orange soit utilisée sur ordre de l'armée (...). Aussi, même en supposant que le defense production Act autorisait Diamond à refuser d'exécuter les directives, en pratique un tel refus aurait été vain : Diamond aurait été forcé de fermer son usine car les États-Unis contrôlaient tous les accès aux composants de base dont il avait besoin pour la production de tout 2,4,5 -T ».
Il résulte également des pièces produites par la société Occidental chemical corporation que l'Etat a adressé en 1967 et 1968 plusieurs sommations à la société Hooker (qui vient à ses droits suite à une fusion) de fournir, selon un planning précis, du tétrachlorobenzène (TCB) aux sociétés Monsanto company, Hercules, Thompson chemicals corporation et Diamond (pièces 14 et 14 bis de la société Occidental Chemical).
Le 24 mars 1967, les sociétés Diamond, Dow, Monsanto et Hercules ont été sommées par le BDSA ( Business and defense services : section défense du ministère du commerce) d'accélérer les livraisons « qualifiées DO », de fournir un rapport mensuel de leur production, de leurs expéditions et un inventaire du 2,4,5-T et du 2,4-D sur le fondement de l'article 101 du DPA précité. Il est précisé dans le courrier que les demandes de TCB seront satisfaites par la société Hooker en lui adressant des « commandes DO ».
Comme indiqué dans le jugement précité, l'Etat a également exigé que toute la production de « l'agent orange » et de ses composants essentiels soit livrée à l'armée comme cela résulte de la lettre en date du 20 mars 1967 du directeur du bureau des urgences du bureau exécutif du Président des Etats-Unis adressée au ministre de la défense, [XC] [KG] (pièces 19 et 19 bis de la société Occidental chemical), et plus spécifiquement d'une lettre du 3 mai 1967 adressée par le BDSA à la société Diamond, visant expressément la section 101 du DPA, et qui mentionne l'injonction délivrée à la société Hooker concernant le TCB.
Il résulte aussi des contrats versés par les sociétés intimées comparantes qu'ils décrivaient très précisément la composition de l'herbicide commandé : « Esthers butyliques de 2,4 ' D et 2,4, 5 ' T selon un mélange à parts égales. Le produit sera composé comme suit : 50 % de N- Butyl 2,4 ' D conformément à la MIL H ' 51'147( MU), DTD 19 juillet 63, excepté que la pureté d'acide sera de 99 % au moins en poids ; l'équivalent en acide sera compris entre 79 et 80 % ; l'acide libre ne sera pas supérieur à 0,5 %/ N- Butyl 2,4 -T conformément à la MILH ' 51'148( MU), DTD 19 juillet 63 excepté que la pureté d'acide sera de 98 % au mois en poids. Le poids du mélange sera de 10,64 livres par galon ».
Les « MIL H ' 51'147 et MIL H ' 51'148 »,auxquelles les contrats font référence, sont des spécifications militaires qui viennent encore préciser la composition de l'herbicide définissant son aspect, sa teneur en humidité, sa densité et les essais à réaliser.
Il est également mentionné dans la décision en date du 30 octobre 2001 de la cour d'appel des Etats-Unis cinquième circuit (dans le cadre d'une affaire opposant des personnels civils travaillant sur des avions qui utilisaient le défoliant) que « chaque expédition de l'agent orange était inspectée par l'Etat et les inspecteurs rédigeaient un formulaire DD 250 pour chaque lot à expédier, ayant été inspecté et accepté » (pièces 39 et 39 bis de la société Occidental chemical).
Ceci est confirmé par le témoignage sous serment devant le tribunal de première instance du district nord du Texas, division de Dallas, en date du 24 juin 1994, de Monsieur [R], spécialiste assurance qualité des produits chimiques au département contrats de défense, chargé du contrôle qualité à l'usine de la société Diamond à Newark, qui expose qu'un échantillon de chaque baril était prélevé puis analysé pour examiner sa conformité aux spécifications (pièces 37 et 37 bis de la société Occidental Chemical) ainsi que par le témoignage sous serment devant le tribunal de première instance du district est de New-York de Monsieur [G] [WY][O], directeur du service toxicologique de la société Hercules, qui déclare que « tout le processus de production, d'emballage et d'expédition était soumis à son inspection. L'inspecteur du gouvernement inspectait de visu des échantillons de production afin de contrôler le respect des spécifications » (pièces 11 et 11 bis de la société Dow chemical).
Les contrats produits mentionnaient également très précisément l'étiquetage des barils qui ne devaient contenir aucune autre identification sur le contenu qu'une bande orange entourant leur centre.
La note du 11 août 1966 (pièce 23 de Madame [RF]) à l'entête de la société Dow chemical s'analyse en une étude pour faire face aux demandes de l'armée au regard des capacités de production de l'industrie chimique et sur la façon de répondre à ses besoins à un stade où ses demandes étaient encore imprécises. Elle évoque déjà la possibilité que l'armée exige toute la production de 2,4,5 T. Il ne saurait être déduit de cette note la marge de manoeuvre dont la société Dow chemical a effectivement disposée.
Il résulte du dossier (notamment de la pièce 23 et de la pièce 24 de Madame [RF], une lettre du responsable de la division des cultures en date du 11 septembre 1966) que le tordon (ou « agent blanc ») fabriqué par la société Dow chemical, a été produit en tant que substitut de « l'agent orange » pour faire face aux problèmes d'approvisionnement de l'armée et la « stratégie commerciale pour écouler ce produit » ou « la logique de profit » alléguées par Madame [RF] ne sont pas démontrées.
Madame [RF] invoque au soutien de son argument d'une marge de manoeuvre dont les sociétés disposeraient, en pièce 27, une note de la société Monsanto en date du 30 janvier 1968 à l'attention du colonel [C], directeur du centre d'approvisionnement de la défense.
La lettre fait état de difficultés pour cette société à respecter les exigences de l'Etat américain mais ne démontre pas que la société Monsanto ait disposé d'une latitude quelconque dans l'exécution des contrats.
Elle produit une pièce 28 en date du 24 octobre 1967 émanant de la société Hercules qui rappelle les spécifications et propose une méthode de test mais ne démontre également pas que cette société ait bénéficié de marges de manoeuvre.
2 - Sur la connaissance du risque pour la santé humaine lié à l'utilisation de « l'agent orange » par l'Etat américain et la présence de dioxine :
La dioxine, qui existe également à l'état naturel, est définie par la pièce 5 de Madame [RF] émanant de l'Organisation Mondiale de la Santé, comme un « sous-produit des processus industriels ». On peut lire page 4 en note 1 du rapport de l'amiral [BO] à l'intention du ministère des anciens combattants sur « l'association entre les effets néfastes pour la santé et l'exposition à l'agent orange « en date du 5 mai 1990 que « le terme dioxine désigne une famille de molécules chimiques (75 en tout) qui n'est pas produite naturellement, ni fabriquée intentionnellement par aucune industrie. La dioxine la plus toxique est appelée 2,3,7,8 TCDD ».
La décision en date du 30 octobre 2001 de la cour d'appel des Etats-Unis cinquième circuit précitée relève que « (7) de plus l'agent orange n'aurait pas pu être fabriqué conformément aux spécifications de l'Etat sans que la dioxine soit incluse puisque l'Etat a spécifiquement demandé que l'agent orange soit fabriqué avec du 2,4,5-T (....) En conséquence le défaut allégué ne provenait pas du non-respect des spécifications requises par l'Armée mais de leur stricte application par les défenderesses. »
Il résulte de la pièce 56 versée par Madame [RF], un courrier en date du 9 septembre 1988 du Dr [P] [EJ][I] (scientifique appartenant au laboratoire de développement de l'armée de l'air comme cela résulte du rapport de l'amiral [BO] qui cite ce courrier) à Monsieur [XB] [K], Sénateur : « lorsque nous avons lancé le programme herbicide dans les années 1960, nous étions conscients du danger potentiel résultant de la contamination de l'herbicide par la dioxine. Nous étions même conscients que la formulation « militaire » avait une concentration plus élevée en dioxine que la version destinée aux civils en raison du coût plus faible de la vitesse de fabrication. Cependant étant donné que la substance était destinée à être utilisée sur « l'ennemi » aucun de nous ne s'en est excessivement préoccupé ( ...) ».
Par décision du tribunal de première instance du district Est de New York en date du 9 février 2004 (les plaignants étant des vétérans de la guerre du Vietnam agissant contre les sociétés ayant fabriqué « l'agent orange » et leur argument était que les affections résultaient de la négligence des fabricants de préciser au gouvernement que « l'agent orange » contenait de la dioxine), il a été retenu que le gouvernement, qui avait émis des cahiers des charges « détaillés relatifs à l'agent orange devant être fourni au gouvernement et au 2-4 D et 2-4-5 T que le produit contenait » dont le respect « était certifié par des inspecteurs du gouvernement dans des rapports d'inspection et de réception du matériel » , connaissait les possibles dangers de « l'agent orange » précisant que dès 1949, le Public Heath Service (service de santé publique) avait enquêté sur des affaires de chloracné potentiellement causées par la dioxine au sein de l'usine de production de 2,4,5 -T de la société Monsanto et avait, au cours des années 50 et 60 « développé une expertise considérable en ce qui concerne la toxicité de la dioxine, l'apparition de chloracné chez les personnes exposées à de fortes concentration de dioxine et la présence potentielle de dioxine en tant que produit dérivé de la production de 2,4,5 -T (...) ».
Il est précisé que dès 1959, un grand nombre de scientifiques travaillant au sein des Chemical Warfare Laboratories ( laboratoires militaires spécialisés en armes chimiques) de l'Edgewood Arsenal savaient que la dioxine était toxique et était associée à la chloracné et qu'au début des années 60 (...) les scientifiques de l'armée travaillant au sein des Chemical Warfare Laboratories de l'Edgewood Arsenal évaluaient la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine en tant que potentielle arme chimique, qu'ils avaient découvert en 1957 une épidémie de chloracné dans une usine allemande de fabrication du 2,4,5 -T et avaient étudié sa toxicité et ses dangers potentiels (ainsi que du 2-4 D) ce dont le comité consultatif du Président des Etats-Unis avait été informé ainsi que de l'existence de dioxine dans « l'agent orange ».
Ainsi il est relevé que « tout au long de la période au cours de laquelle Diamond et les autres défendeurs produisaient l'agent orange pour les Etats-Unis, le gouvernement savait que la dioxine était produite dans le cadre de la fabrication de TCP, que la dioxine était présente dans le 2,4,5 -T, qu'elle était présente dans l'agent orange fabriqué par Diamond et chacun des autres défendeurs et que la dioxine était toxique (...) qu'il existait un risque que la dioxine soit carcinogène et responsable d'autres maladies. Leurs connaissances et information étaient toujours plus approfondies que celles des défendeurs. » ( page 18).
Il est également indiqué dans cet arrêt que le caractère plus concentré de « l'agent orange » commandé par l'armée (par rapport aux herbicides existant dans le commerce considéré comme sûrs) en augmentait la toxicité, qu'en 1963 l'Institut for Defense Analyses ( l'institut d'analyses pour la défense) l'a signalé au ministère de la défense qui « a déterminé que des doses extrêmement élevées d'herbicides étaient nécessaires pour garantir l'efficacité de leur utilisation militaire( Déclaration sous serment de [EK] [KI][Y]) ».
Il est dit que « les fabricants ne contrôlaient pas les avertissements, l'utilisation ou les précautions. »
L'étude menée, à la demande du gouvernement, Bionetics Study, (entamée en 1963 et achevée en 1968) sur de possibles effets tératogènes (risques de provoquer des malformations) y est enfin mentionnée.
Il est conclu page 19 qu' « Il n'y a jamais eu de période durant laquelle les défenderesses ont pu posséder un savoir équivalent à celui du gouvernement s'agissant de la dioxine contenue dans « l'agent orange « et de ses dangers tels qu'utilisés au Vietnam. »
Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel du second circuit des Etats -Unis en date du 22 février 2008 qui mentionne, page 37, que « étant donné que le gouvernement a continué à commander l'agent orange après avoir évalué ses niveaux de toxicité et les avoir déclarés acceptables nous ne pouvons remettre en cause la décision des fabricants de produire l'agent orange de la manière dont il l'ont fait » ( en réponse au fait que la méthode Boehringer qui permettait la production d'un défoliant moins dangereux aurait pu être utilisée) et conclut que « les défendeurs n'ont pas omis d'informer le gouvernement des dangers connus à l'époque de la production de l'agent orange susceptibles d'avoir une influence sur la décision discrétionnaire de l'armée concernant la toxicité de l'agent orange ».
Ces deux décisions, citant la décision de la Cour Suprême « Boyle V.United Technologies Corp. » en date du 27 juin 1988, ont rejeté les demandes en réparation des dommages allégués sur le fondement du Government Contractor defense qui protège les contractants de l'Etat américain de toute responsabilité délictuelle pour les produits fabriqués pour le gouvernement à condition que des spécifications suffisamment précises aient été émises par lui, que les produits livrés aient été conformes à ces spécifications et que le fournisseur ait averti les Etats-Unis des dangers liés à l'utilisation de ces produits qui ne lui auraient pas été pas connus.
Il résulte de la décision de la cour d'appel du second circuit des Etats-Unis en date du 22 février 2008 Twinam etc C/ Dow chemical et autres (vétérans), page 46, que les fabricants se sont inquiétés des conséquences que pouvait avoir la dioxine sur la santé de leurs salariés à savoir la chloracné et des dommages au foie, qu'aucune preuve n'est rapportée de leur connaissance de risques cancérigènes ni que la toxine pouvait causer des maladies longtemps après son exposition et que les représentants du gouvernement militaires et civils avaient connaissance de ce risque (chloracné) ( PV réunion d'avril 63 à Edgewood).
Page 51, il est dit qu'« aucun enquêteur raisonnable ne pourrait considérer que les défendeurs avaient connaissance d'un danger qui aurait pu influencer la conclusion de l'armée selon laquelle « l'utilisation opérationnelle » de l'agent orange ne posait « aucun risque pour la santé ..des personnes ou des animaux domestiques » (Procès-verbal d'avril 63 pp.3 et 5 à [Localité 17]) ; (..) Nous ne trouvons rien dans le dossier permettant d'affirmer que les défendeurs aient dissimulé des informations particulièrement pertinentes pour..les décisions discrétionnaires du gouvernement ( ...) c'est-à- dire qu'ils avaient connaissance de dangers inconnus du gouvernement qui s'ils avaient été communiqués auraient pu influencer la décision du gouvernement concernant l'étendue du risque que présentait l'utilisation de l'agent orange ou son choix de poursuivre son utilisation ».
Il découle également de la lettre du 3 décembre 1964 du Docteur [F], travaillant au service de santé publique américain adressée à Monsieur [V] [BK] de la société Thompson-Hayward que la toxicité pour la peau et le foie de la dioxine contenue dans « l'agent orange » était déjà connue à cette date (pièce 88 de la société Dow Chemical). Ce courrier se réfère à un article d'un certain [RB] publié en 1956 dans une revue dénommée Dermatologita et mentionne la poursuite par son service de l'étude à ce sujet.
Il résulte de la déposition du docteur [KE], toxicologue au service de Santé publique de la division de la Santé au travail que Monsieur [RG], appartenant au laboratoire de recherche de la société Dow Chemical, lui a fait part de problèmes de chloracné au sein de la société en 1965 et 1966. Madame [WX], fonctionnaire du ministère du commerce, a été également informée de ce problème durant la période où elle travaillait à l'achat de « l'agent orange ».
Dans un courrier du 20 avril 1967, la société Dow chemical rappelle au directeur adjoint des achats, alors que l'Etat envisageait de construire sa propre usine de production, le risque sanitaire pour les ouvriers.
De même, il se déduit des pièces 46 et suivantes de la société Occidental chemical qu'antérieurement le ministère de la santé avait été informé des incidents survenus en juillet 1962 et jusqu'en janvier 1963 dans une usine de la société Diamond Alkali où plusieurs salariés ont été affectés de chloracné.
Il résulte également des pièces communiquées qu'informés par la société Dow chemical, le général [Z] et le docteur [KF], chef de division du laboratoire d'[Localité 17], partageaient l'opinion que ce problème ne concernait que la production et non l'armée.
Aucune des pièces versées par Madame [RF] ne rapporte la preuve que les fabricants aient dissimulé des informations sur la nocivité de « l'agent orange » au gouvernement alors que l'état des connaissances des scientifiques des laboratoires de l'armée était complet et antérieur aux éléments produits émanant des sociétés intimées. Des articles de journaux ou de différents auteurs ne constituent pas des preuves.
La pièce 35 de Madame [RF], une lettre adressée au docteur [T] [H] (travaillant au sein de la société Monsanto) en date du 12 juin 1956 est relative à un incident ayant eu lieu dans une usine située à [Localité 13] (Allemagne) mettant en cause du trichlorophénol à l'origine de cas de chloracné et n'identifiait pas encore que le contaminant était la dioxine.
Sa pièce 34, à l'entête de la société Dow, en date du 10 mars 1965, relatant une étude sur des oreilles de lapins au regard de la chloracné, démontre, à cette date, une absence de certitude sur le fait que le produit final sera contaminé et évoque la nécessité de tests supplémentaires.
Le courrier du 30 mars 1965 adressé par le docteur [T] [H] au docteur [E] selon lequel la dioxine serait « vraisemblablement un cancérigène puissant » ne fait état que d'une hypothèse que ce chercheur émet qui n'est pas scientifiquement étayée.
Le compte rendu en date du 10 décembre 1969 de l'appel téléphonique du Dr [L] du bureau des sciences et technologies (pièce 60 de madame [RF]) démontre que la société Dow était en contact avec l'administration et qu'à cette date, proche de l'arrêt total des épandages (en avril 1970) suite à une étude gouvernementale (Bionetics study achevée en 1968 évoquant de possibles effets teratogènes du 2,4,5 T), des tests tératologiques (concernant des malformations) étaient aussi en cours au sein de la société. Il ne démontre pas que cette dernière avait des connaissances plus étendues que le gouvernement sur la toxicité du produit.
Aucun reproche ne peut être formulé du chef de la transmission d'informations au gouvernement sur les risques pour la santé humaine à l'encontre des sociétés Uniroyal qui ne fabriquaient pas « l'agent orange » ni à l'encontre de la société THAN.
Il résulte du dossier qu'au contraire, cette dernière a eu connaissance de risques de chloracné et de lésions au foie liés à un agent toxique dans l'acide 2,4,5-T par le service de santé publique le 3 décembre 1964 ( déclaration sous serment devant la cour fédérale des Etats-Unis, circonscription de l'est de New-York en avril 1983 (jour non précisé) de Monsieur [A] [D] [X], ancien président de la société et courrier du 3 décembre 1964 sus-mentionné du docteur [F] produit par la société Dow chemical).
Madame [RF], qui a la charge de la preuve, n'a produit aux débats aucun élément concernant de façon spécifique la société Harcros chemical non comparante.
Il doit être conclu, au vu de ces éléments, que les fabricants n'ont commis aucune omission sur l'information délivrée à l'Etat concernant les risques liés à la présence de dioxine dans « l'agent orange » et qu'il ne peut leur être reproché d'avoir fourni de « l'agent orange » avec de la dioxine, quand bien même ils seraient restés libres de leurs méthodes de fabrication, alors que la présence de dioxine, sous-produit industriel qui n'est pas produit volontairement, résultait de la formule commandée par l'Etat américain, fruit des recherches des laboratoires militaires, était connue ab initio par les autorités militaires et civiles (qui vérifiaient la conformité aux spécifications comme mentionné au paragraphe précédent) et jugée acceptable.
3 - Sur le partage d'information avec les autres sociétés et les mesures correctrices :
a - Sur le partage d'informations entre les sociétés productrices :
Au soutien de son argument d'une absence de partage d'informations de la société Dow chemical avec les autres sociétés intimées, Madame [RF] s'appuie sur le courrier en date du 24 juin 1965 de Monsieur [KH] [RC] qui, en tant que responsable Canada de la société Dow Chemical, demandait que la confidentialité soit gardée concernant des cas de chloracné en lien avec la présence de dioxine (sa pièce 49).
Il résulte cependant d'un courrier antérieur émanant de Monsieur [KJ] [RG], directeur du laboratoire de recherche de la société Dow chemical de [Localité 20] (Michigan) en date du 19 mars 1965 (pièce 86 par la société Dow chemical) et de sa pièce 43 que la société Dow avait, aux USA, partagé avec tous les autres producteurs (les sociétés Monsanto, Hooker, Diamond et Hercules étant précisé que les sociétés THAN et Uniroyal n'avaient alors pas encore été sollicitées par l'Etat pour produire du défoliant) la nature du risque pour la santé (apparition de chloracné) ainsi qu'une nouvelle méthode de détection de la dioxine au cours d'une réunion qui s'est tenue en mars 1965 mais ne pouvait partager son savoir-faire quant à l'élimination de ce risque en raison de l'accord de confidentialité en date du 19 mars 1965 la liant à la société Boehringer (pièces 66 et 66 bis de la société Dow chemical).
b-Sur les mesures correctrices :
Le tribunal de première instance du district est de New York, par décision en date du 9 février 2004 précité, a considéré, page 29 de sa décision, que « le gouvernement connaissait des processus de fabrication alternatifs qui auraient pu minimiser la présence de dioxine dans l'agent orange. Dans sa recherche d'une production maximale d'agent orange, utilisé comme outil de guerre, le gouvernement a choisi d'ignorer les autres méthodes de fabrication et a interdit aux défendeurs (les sociétés Monsanto, Dow Chemical, Occidental Chemical, THAN) d'utiliser la technologie alors disponible ce qui a conduit à la présence de dioxine dans l'agent orange ».
Il résulte des pièces 43 et 43 bis de la société Dow chemical, un témoignage de son vice-directeur [J] [B] [S] devant le comité sénatorial du commerce en date du 15 avril 1970 que suite au développement de cas de chloracné chez des travailleurs fin 64, elle a fermé son usine fabriquant du 2,4,5 T et l'a restructurée, la nouvelle usine ayant été mise en service en 1966 et que dans l'intervalle du 2,4,5 T a été acheté présentant un teneur en dioxine la plus faible possible.
De même, il résulte des pièces 40 et 40 bis de la société Occidental chemical corporation que la société Diamond a mis en place dans les suites de la réunion de mars 1965, après des recherches, un procédé utilisant du carbone pour supprimer la dioxine et à cette fin construit une nouvelle unité qui a ouvert en 1967.
Au sein de la société Hercules, après cette réunion, il a également été porté une attention plus grande aux températures lors du processus de fabrication afin de les abaisser et mis en place une extraction au toluène alors que la dioxine était soluble dans le toluène (déposition de Monsieur [N] [B] [EL] devant le tribunal est de district de New York du 6 mars 1984) .
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La mission de fabrication de « l'agent orange » par les sociétés intimées donnant lieu au litige participe par sa nature et sa finalité à l'accomplissement d'un acte dans l'intérêt du service public de défense militaire. La souveraineté de l'état est en jeu.
Il résulte de l'ensemble des éléments ci-dessus l'absence de marge de manoeuvre dans l'exécution des commandes des fabricants astreints à un cahier des charges concernant la composition de « l'agent orange » spécifiée précisément dans les contrats, la présence de dioxine résultant de la formule du produit commandé par l'Etat américain comme cela a été dit ci-dessus. Il s'en déduit que les sociétés intimées ont bien agi sur ordre et pour le compte des Etats-Unis.
Aucune condition de réciprocité n'est par ailleurs exigée, l'immunité de juridicition pouvant bénéficier aux sociétés intimées quand bien même le droit américain ne reconnaitrait pas une telle immunité aux sociétés privées, allégation de Madame [RF] contestée par les sociétés intimées, la société Hercules soutenant pour sa part que la Government contractor defense pourrait bénéficier aux entreprises françaises.
Dès lors le tribunal a, à juste titre, considéré que les sociétés intimées ont, dans le cadre légal du DPA, texte régissant la fourniture de matériel militaire, sur ordre et pour le compte des Etats Unis, sous peine de pénalités, exécuté des commandes qui avaient pour but de satisfaire les besoins de la défense nationale américaine et ont ainsi agi dans l'intérêt du service public de la défense.
Répondant à des réquisitions et au détriment de leurs propres clients, en produisant « l'agent orange », produit à finalité militaire, les intimées ne se sont pas livrées à des actes de gestion ou commerciaux, le fait qu'elles aient pu percevoir un prix (qualifié de « fixe » dans la décision de la Cour suprême des Etats Unis en date du 4 mars 1996) pour ces commandes étant sans emport.
En conséquence, le tribunal a justement considéré que les critères pour bénéficier de l'immunité de juridictions étaient réunis par les sociétés intimées.
II - Sur le droit d'accès à un juge consacré par les dispositions de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et sur les droits à la santé, à la dignité et à l'intégrité humaine :
Madame [RF] soutient qu'elle ne dispose d'aucune autre voie d'action raisonnable que la présente procédure aux motifs :
- que les victimes vietnamiennes de « l'agent orange » ont introduit aux Etats Unis une class action par l'intermédiaire de l'association Vava sur le fondement de l'Alien Tort Statute qui a été rejetée au motif que « l'agent orange » n'a pas été utilisé comme une arme de guerre contre les populations mais pour protéger les troupes américaines contre les embuscades des ennemis,
- que de nationalité française et résidant en France, le juge français est son juge naturel.
Elle expose que la confirmation de la décision déférée conduirait à un déni de justice.
Elle ajoute que le bénéfice de l'immunité de juridiction accordé aux sociétés intimées, qui sont des sociétés commerciales privées et qui la priverait de tout recours, n'est pas proportionné au but poursuivi à savoir les bonnes relations inter étatiques d'autant que le droit américain (Foreign Sovereign act de 1976) ne le garantit pas comme le précise le professeur [U] dans un commentaire du jugement déféré. Il n'est dès lors pas proportionné au but poursuivi.
Elle conclut que de son exposition à « l'agent orange » ont résulté des atteintes à son droit à la santé, à la dignité et à l'intégrité humaine, droits fondamentaux, qui justifient que son droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction soit tout particulièrement respecté.
La société Dow chemical fait valoir que l'octroi de l'immunité de juridiction est une limitation admise lorsqu'elle est accordée conformément aux normes internationales, qu'elle ne constitue pas un atteinte illégitime et disproportionnée au droit d'accès à un tribunal dès lors qu'il est loisible à l'appelante de saisir une autre juridiction, une action similaire ayant été intentée aux Etats Unis par des citoyens vietnamiens qui, après examen au fond, a été rejetée.
La société Monsanto soutient qu'une décision qui accorde le bénéfice de l'immunité de juridiction est à l'abri de toutes critiques au regard de l'article 6 de la convention si la juridiction a bien examiné que les critères de l'immunité sont réunis. Elle ajoute que d'autres alternatives existent comme une action devant le juge administratif en responsabilité contre l'Etat pour rupture d'égalité devant les charges publiques.
La société Occidental chemical corporation soutient que Madame [RF] ne se voit pas interdire de porter son action devant les juridictions américaines, que l'octroi de l'immunité poursuit le but légitime d'observer le droit international et de favoriser la courtoisie et les bonnes relations entre Etats grâce au respect de la souveraineté d'un autre Etat comme le juge la cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et ne constitue pas un déni de justice.
Les sociétés Uniroyal soutiennent qu'aucune atteinte à l'article 6 de la convention ne résulte du bénéfice de l'immunité de juridiction qu'a retenu le premier juge ni aux droits fondamentaux de l'appelante.
La société T H Agriculture et nutrition fait valoir que la jurisprudence a de manière constante consacré la légitimité et la proportionnalité de l'atteinte aux droits d'accès au tribunal lorsque était mise en 'uvre l'immunité de juridiction et que sa compatibilité avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne dépend pas de l'existence d'alternative raisonnable pour la résolution du litige comme cela a été jugé par un arrêt du 12 octobre 2021 de la CEDH.
Sur ce,
Le droit d'accès à un tribunal, tel que garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (DDH), n'est pas absolu et ne s'oppose pas à une limitation à ce droit, découlant de l'immunité des Etats étrangers et de leurs représentants, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles généralement reconnues en matière d'immunité des Etats (1re Civ 28 mars 2013).
La CEDH considère que le droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6 n'est pas absolu et qu'il se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même une réglementation de l'Etat (CEDH plénière 21 février 1975).
Elle juge que l'immunité des Etats poursuit un but légitime justifiant certaines restrictions à l'accès à la justice, dans la mesure où il s'agit d'un concept de droit international généralement admis favorisant la courtoisie et les bonnes relations entre Etats (CEDH Al-Adsani c. Royaune Uni 21 novembre 2001) mais que néanmoins un rapport de proportionnalité doit exister entre les moyens employés et l'objectif légitime poursuivi (CEDH Fayed c. Royaune- Uni 21 septembre 1994).
La CEDH écarte toute violation de l'article 6,§1 de la convention européenne des DDH lorsque le requérant n'est pas privé de tout recours et dispose d'autres voies raisonnables pour protéger les droits garantis par la convention et faire valoir ses droits à l'égard de la partie bénéficiaire de l'immunité.
Le droit d'accès à un juge n'est en l'espèce pas atteint dans son effectivité par l'immunité de juridiction des sociétés intimées dès lors que Madame [RF] ne se voit pas interdire de porter son action devant les juridictions américaines comme cela résulte de l'action intentée par des citoyens vietnamiens et une association vietnamienne des victimes de « l'agent orange » qui a été examinée au fond par le tribunal de première instance du district est de New-York qui a rendu sa décision le 10 mars 2005 puis par la cour fédérale d'appel du second circuit (décision en date du 22 février 2008), le droit d'accès à un tribunal et le fait d'obtenir gain de cause (dont on ne peut préjuger concernant l'appelante en ce qu'il dépend du fondement de son action et de l'évolution de la jurisprudence) étant distincts.
Madame [RF] ne rapporte ainsi pas la preuve d'être privée de tout recours.
La restriction apportée au droit à l'accès au juge par l'immunité de juridiction, règle qui interdit aux tribunaux français de connaître un litige, ne constitue donc pas un déni de justice. Elle n'est pas disproportionnée au regard de la nécessité de favoriser la courtoisie entre Etats.
Madame [RF] soutient à la fois qu'elle a subi du fait de son exposition à « l'agent orange » des atteintes graves à ses droits à la santé, à la dignité et à l'intégrité humaine et que ces droits justifient que l'immunité de juridiction soit écartée.
Le droit à la santé signifie que l'Etat doit garantir celui-ci au profit de tous en permettant l'accès aux soins (l'article 11 du préambule à la constitution du 27 octobre 1946 prévoit en effet que « Elle (la nation) garantit à tous notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs »).
L'accès aux soins n'est pas en cause dans la présente affaire, Madame [RF] bénéficiant en France de cet accès.
Aucune atteinte à la santé de Madame [RF] ne résulte de l'application du principe d'immunité de juridiction en faveur des sociétés intimées.
Le droit à la dignité de la personne humaine renvoie à la prohibition de tout traitement dégradant ou de toute forme d'asservissement.
La gravité de l'acte est sans emport sur l'octroi du bénéfice de l'immunité de juridiction.
La violation de droits fondamentaux allégués par Madame [RF] non établie n'est par conséquent pas de nature à faire obstacle à l'immunité de juridiction.
En conséquence, la décision déférée, qui a déclaré Madame [RF] irrecevable en ses demandes est confirmée.
Le motif de l'irrecevablité, à savoir que ses demandes se heurtent à l'immunité de juridiction dont les sociétés intimées bénéficient devant les juridictions françaises, sera ajouté au dispositif de la décision déférée.
III - Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
La décision déférée est confirmée en ce qui concerne les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [RF] est condamnée aux dépens d'appel distraits au profit de Maître Boccon-Gibod (SELARL Lexavoué Paris-Versailles), conseil de la société Monsanto Company et de Maître Christophe Pachalis (SELARL Récamier Avocats Associés), conseil de la société T-H agriculture & nutrition LLC, avocats au barreau de Paris, qui seuls en font la demande.
Elle est également condamnée à payer à chacune des sociétés intimées (les sociétés Uniroyal ayant un seul avocat étant considérées comme constituant un seul intimé) la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de la saisine,
Confirme la décision entreprise en ce qu'elle a déclaré Madame [WZ] [RF] irrecevable en ses demandes,
Y ajoutant,
Dit que les demandes de Madame [WZ] [RF] se heurtent à l'immunité de juridiction dont les sociétés Dow chemical company, Monsanto company, Hercules LLC, Uniroyal chemical co inc., Uniroyal chemical acquisition corporation, Uniroyal inc., Uniroyal chemical holding company, Occidental chemical corporation,T-H agriculture & nutrition, et Harcros chemicals inc. bénéficient,
Condamne Madame [WZ] [RF] à verser à la société Dow chemical, la société Monsanto, la société Occidental Chemical Corporation, la société Hercules LLC, la société T-H agriculture & nutrition LLC, aux sociétés Uniroyal chemical co., Inc, Uniroyal chemical acquisition corporation, Uniroyal Inc et Uniroyal chemical holding company une indemnité de 1500 euros, chacune, étant précisé que les sociétés Uniroyal sont considérées comme constituant un seul intimé, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Madame [WZ] [RF] aux dépens de l'appel qui seront recouvrés par Maître Boccon-Gibod, (SELARL Lexavoué Paris-Versailles), conseil de la société Monsanto Company, et par Maître Christophe Pachalis (SELARL Récamier Avocats Associés), conseil de la société T-H agriculture & nutrition LLC, avocats au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,