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18/07/2024 | FRANCE | N°21/10840

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 18 juillet 2024, 21/10840


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 5



ARRET DU 18 JUILLET 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 21/10840 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD236



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 mars 2021 - Tribunal de Commerce de Creteil, 3ème chambre - RG n° 2018F00488





APPELANTES



SAS NIKON FRANCE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exer

cice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Créteil sous le numéro 337 554 698

[Adresse 3]

[Localité 8]



Société NIKON EUROPE B.V., société de droit étra...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 5

ARRET DU 18 JUILLET 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/10840 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD236

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 mars 2021 - Tribunal de Commerce de Creteil, 3ème chambre - RG n° 2018F00488

APPELANTES

SAS NIKON FRANCE, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Créteil sous le numéro 337 554 698

[Adresse 3]

[Localité 8]

Société NIKON EUROPE B.V., société de droit étranger, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 13]

[Adresse 13]

[Localité 10] PAYS-BAS

Société TOKIO MARINE KILN INSURANCE LIMITED, société de droit étranger, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 16] - ROYAUME-UNI

Société TOKIO MARINE EUROPE SA, société de droit étranger, agissant poursuites et diligences de tous représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

LUXEMBOURG

Représentées par Me François Teytaud de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de Paris, toque : J125

Assistées de Me Régine Guedj, avocat au barreau de Paris

INTIMEES

Société DHL FREIGHT (NETHERLANDS) B.V., société de droit étranger, dont le siège social est situé [Adresse 9], PAYS-BAS, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au registre du commerce des Pays-Bas sous le numéro 30130193

Elisant domicile au cabinet de Me Axel Engelsen,

[Adresse 6],

[Localité 7]

Société DHL SUPPLY CHAIN (NETHERLANDS) B.V., société de droit étranger, dont le siège social est [Adresse 11], PAYS-BAS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au registre du commerces des Pays-bas sous le numéro 24168570

[Adresse 6],

[Localité 7]

Représentées par Me Emmanuel JARRY de la SELARL RAVET & ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : P0209

Assistées de Me Benoit Graffin de cabinet LBEW Avocats, avocat au barreau de Paris

Société BATIM TRANSPORT MIEDZYNARODOWYI I SPEDYCJA SP J société de droit polonais prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit pièce et faisant élection de domicile pour les besoins de la procédure au cabinet de Maître Martine LEBOUCQ BERNARD, Avocat au Barreau de Paris, demeurant [Adresse 2]

[Adresse 18]

[Localité 5]

Représentée par Me Martine Leboucq Bernard de la SCP d'avocats HUVELIN & associés, avocat au barreau de Paris, toque : R285

Assistée de Me Sigrid Preissl de la SELARL BOUROGNE & PREISSL, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Nathalie Renard, présidente de la chambre 5.5

Madame Christine Soudry, Conseiller

Madame Marilyn Ranoux-Julien, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Christine Soudry dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Monsieur Maxime Martinez

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie Renard, présidente de la chambre 5.5 et par Monsieur Maxime Martinez, greffier, auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Nikon Europe BV (ci-après société Nikon Europe), dont le siège social est aux Pays-Bas, distribue en France, par l'intermédiaire de sa filiale, la société Nikon France, du matériel photographique et d'optique.

La société Nikon Europe dispose d'une plateforme logistique à [Localité 12] aux Pays-Bas gérée par la société hollandaise DHL Supply Chain.

La société Nikon Europe confie les transports routiers de ses marchandises entre les Pays-Bas et la France à la société DHL Freight (Netherlands) (ci-après société DHL Freight).

Par un ordre de transport du 25 avril 2018, la société Nikon Europe a confié à la société DHL Freight le transport de produits de marque Nikon depuis les entrepôts de [Localité 12] jusqu'à [Localité 14].

Le même jour, la société DHL Freight a émis un ordre de transport à l'attention de la société Batim Transport Miedzynarodowy/Spedycja SPJ (ci-après société Batim), société polonaise exerçant une activité de transports routiers de marchandises, pour le transport de deux lots distincts de marchandises :

-3 palettes de marchandises de marque Samsung d'un poids de 336 kg depuis [Localité 17] (Pays-Bas) jusqu'à [Localité 15] (France),

-18 palettes de marchandises d'un poids de 5.000 kg depuis [Localité 12] jusqu'à [Localité 14].

La marchandise expédiée par la société Nikon Europe a été chargée le 26 avril 2018 dans un ensemble routier conduit par un chauffeur de la société Batim. La livraison de la marchandise en France était prévue le 27 avril 2018.

Le chauffeur a stationné l'ensemble routier sur un parking jouxtant une station-service, près de [Localité 19], pour y passer la nuit.

Lors de cette halte, une partie des marchandises transportée a été dérobée.

Après avoir déposé plainte pour vol, le chauffeur a reçu l'instruction de rapporter la marchandise restante à [Localité 12].

Par lettre du 8 mai 2018, la société Nikon Europe a adressé des réserves à la société DHL Freight.

Une expertise amiable a été diligentée.

Le cabinet Interlloyd Averij, expert désigné par l'assureur de la société Nikon Europe, a établi un rapport le 21 septembre 2018.

Le cabinet EVH Surveys International, expert désigné par l'assureur de la société DHL Freight, a établi un rapport le 19 octobre 2018.

Par acte du 2 mai 2018, les sociétés Nikon Europe et Nikon France ont assigné la société DHL Freight devant le tribunal de commerce de Créteil en indemnisation du préjudice subi au titre de la perte de marchandise.

Par acte du 22 mai 2018, les sociétés DHL Freight et DHL Supply Chain ont assigné en garantie la société Batim.

Par conclusions du 4 juin 2019, la société Tokio Marine Kiln Insurance et la société Tokio Marine Europe sont intervenues volontairement à l'instance en qualité d'assureurs de la société Nikon Europe.

Par jugement du 16 mars 2021, le tribunal de commerce de Créteil a :

- Dit recevable l'action en justice des sociétés Nikon Europe, Nikon France et Tokyo Marine Kiln Insurance,

- Dit que la faute commise par les sociétés DHL Freight et Batim ne constitue pas une faute inexcusable,

- Condamné in solidum les sociétés DHL Freight et Batim à verser à la société Tokyo Marine Kiln Insurance une indemnité de 18 151,73 euros, avec intérêts au taux de 5% l'an à compter du 2 mai 2018,

- Condamné la société DHL Freight à payer aux parties demanderesses la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamné la société Batim à payer aux parties demanderesses la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouté les parties demanderesses du surplus de leur demande, et débouté les parties défenderesses de leur demande formée de ce chef,

- Ordonné la capitalisation des intérêts à compter du 2 mai 2018, pourvu que ces intérêts soient dus au moins pour une année entière,

- Ordonné l'exécution provisoire du jugement, sous réserve qu'en cas d'appel, il soit fourni par les bénéficiaires d'une caution bancaire égale au montant de la condamnation prononcée à leur profit,

- Condamné solidairement les sociétés DHL Freight et Batim aux dépens.

Par déclaration du 9 juin 2021, les sociétés Tokio Marine Europe, Tokio Marine Kiln Insurance, Nikon Europe et Nikon France ont interjeté appel du jugement en ce qu'il a :

- Dit que la faute commise par les sociétés DHL Freight et Batim ne constitue pas une faute inexcusable ;

- Débouté la société Tokio Marine de sa demande de voir condamner la société DHL Freight à lui payer la somme de 639 654,07 euros, outre les intérêts aux taux de 5% de l'article 27 CMR à compter de l'assignation du 2 mai 2018 et en limitant à la seule somme de 18 151,73 euros l'indemnité à payer par les sociétés DHL Freight et Batim à la société Tokyo Marine Kiln Insurance Limited.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par leurs dernières conclusions notifiées le 6 mai 2022, les sociétés Tokio Marine Europe, Tokio Marine Kiln Insurance, Nikon Europe et Nikon France demandent, au visa des articles 31 du code de procédure civile, 1346-1 et 1321 du code civil, et L.133-8 du code de commerce, de la convention de Genève du 19 mai 1956 relative au transport international de marchandises par route (CMR), de :

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé recevable l'action de la société Tokio Marine Kiln Insurance, subrogée dans les droits de la société Nikon Europe, à l'encontre de la société DHL Freight,

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société DHL Freight était de plein droit responsable du vol des marchandises en cours de transport,

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

Dit que la faute commise par la société DHL Freight ne constituait pas une faute inexcusable,

Débouté la société Tokio Marine Kiln Insurance Limited de sa demande de voir condamner la société DHL Freight à lui payer la somme de 639 654.07 euros outre les intérêts au taux de 5% de l'article 27 CMR à compter de l'assignation du 2 mai 2018,

Limité à la seule somme de 18 151,73 euros, correspondant aux limitations prévues à l'article 23.3 CMR, l'indemnité à payer par la société DHL Freight à la société Tokio Marine Kiln Insurance,

Statuant à nouveau,

- Juger que la société DHL Freight, alors qu'elle connaissait la nature sensible de la cargaison et les risques d'un arrêt nocturne non sécurisé, a néanmoins confié plusieurs tonnes de matériels sensibles à un chauffeur inexpérimenté qui n'a pas reçu d'instructions propres à assurer la sécurité des marchandises,

- Juger que la société DHL Freight a stationné son camion pour la nuit sur une aire d'autoroute non sécurisée d'une zone à risque plutôt que sur le parking sécurisé voisin alors qu'elle savait qu'elle transportait quatre tonnes de marchandises sensibles,

- Juger que ces circonstances constituent un manquement délibéré aux règles de base de sécurité à l'origine du vol de plusieurs tonnes d'appareils photo,

- Juger que la société DHL Freight ne pouvait ignorer le risque pris et la probabilité du dommage, sans qu'aucune raison valable ne vienne justifier la témérité de ce choix,

- Juger que ces éléments caractérisent une faute délibérée devant être qualifiée de faute inexcusable au sens de l'article L133-8 du code de commerce, privant la société DHL Freight du droit de limiter sa responsabilité,

En conséquence,

- Ecarter les limitations de responsabilité de l'article 23 CMR,

- Condamner la société DHL Freight à payer à la société Tokio Marine Kiln Insurance Limited la somme de 639 654.07 euros, outre les intérêts aux taux de 5% de l'article 27 CMR à compter de l'assignation du 2 mai 2018,

- Subsidiairement, condamner la société DHL Freight à indemniser Tokio Marine Kiln Insurance à hauteur de la valorisation des matériels en stock au départ des entrepôts de [Localité 12], soit 328 229,36 euros, ce chiffre ayant été validé par la société DHL Supply Chain, outre les intérêts au taux de 5 % de l'article 27 CMR à compter de l'assignation du 2 mai 2018,

- Ordonner la capitalisation des intérêts,

En tout état de cause,

- Condamner la société DHL Freight à payer à la société Tokio Marine Kiln Insurance la somme de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens de l'instance.

Par leurs dernières conclusions notifiées le 31 janvier 2023, les sociétés DHL Freight et DHL Supply Chain demandent, au visa de l'article 331 du code de procédure civile et de la convention de Genève du 19 mai 1956, de :

- Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a dit que la faute commise par les sociétés DHL Freight et Batim ne constitue pas une faute inexcusable ;

- Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Créteil en toutes ses autres dispositions ;

Et statuant de nouveau,

- Débouter les sociétés Nikon France, Nikon Europe et Tokio Marine Europe faute pour ces dernières de justifier de leur qualité et de leur intérêt à agir ;

- Mettre hors de cause la société DHL Supply Chain qui n'est pas impliquée dans le transport litigieux ;

- En l'absence de faute personnelle en lien avec le sinistre de la société DHL Freight, débouter les sociétés Nikon France, Nikon Europe, Tokio Marine Kiln Insurance et Tokio Marine Europe de toute demande à ce titre ;

- Limiter la responsabilité de la société DHL Freight à la responsabilité du fait de son substitué Batim qui lui doit sa garantie ;

- En l'absence de faute inexcusable de la société DHL Freight, limiter la responsabilité de la société DHL Freight et de la société Batim à la somme de 15 126,44 DTS ou sa contrevaleur en euros ;

- En l'état du règlement satisfactoire des sociétés Batim et DHL Freight à hauteur des limitations de responsabilité, débouter les sociétés Nikon France, Nikon Europe, Tokio Marine Kiln Insurance et Tokio Marine Europe de toutes leurs demandes, fins et conclusions, ces dernières ayant été intégralement indemnisées de leur préjudice ;

- Les condamner à payer aux sociétés DHL Freight et DHL Supply Chain une somme de 5000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Subsidiairement,

- Débouter les sociétés Nikon France, Nikon Europe, Tokio Marine Kiln Insurance et Tokio Marine Europe de leurs demandes faute de justification du montant de leur prétendu préjudice ;

- En tout état de cause, limiter le quantum des demandes à la somme de 201 185,55 euros ou, subsidiairement, à la somme de 328 229,36 euros ;

En tout état de cause,

- Recevoir comme bien fondé l'appel en garantie exercé par les sociétés DHL Freight et DHL Supply Chain BV à l'encontre de la société Batim ;

- Condamner la société Batim à garantir et relever indemne les sociétés DHL Freight et DHL Supply Chain de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre, au profit des appelantes principales, en principal, intérêts, dommages-intérêts, article 700, frais et dépens ;

- Condamner la société Batim à payer à la société DHL Freight et DHL Supply Chain une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ses dernières conclusions notifiées le 6 décembre 2021, la société Batim demande, au visa des articles 17, 23 et 29 de la convention internationale de Genève du 19 mai 1956, L121-12 du code des assurances, 1346-1 du code civil, et 9 du code de procédure civile, de :

A titre principal,

- Confirmer le jugement entrepris du tribunal de commerce de Créteil du 16 mars 2021.

A titre subsidiaire,

- Limiter toute condamnation susceptible d'être mise à la charge de la société Batim à la somme de 201 410,03 euros et subsidiairement à celle de 366 665,49 euros.

En toute hypothèse,

- Condamner solidairement les sociétés DHL Freight et DHL Supply Chain et/ou toute partie succombante à payer à la société Batim une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- Arrêter le cours des intérêts au taux CMR à la date du 12 janvier 2021, date de l'exécution de la décision de première instance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mars 2024.

La cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la demande de mise hors de cause de la société DHL Supply Chain

La société DHL Supply Chain demande sa mise hors de cause en faisant valoir qu'elle n'est pas impliquée dans le transport litigieux et qu'aucune demande de condamnation n'est formulée à son encontre.

Il sera toutefois relevé que la société DHL Supply Chain est intervenue volontairement en première instance et sollicite en appel la garantie de la société Batim.

En conséquence, il n'y a pas lieu de la mettre hors de cause.

Sur la recevabilité de l'action des sociétés Nikon France et Nikon Europe

Les sociétés DHL Freight et DHL Supply Chain soutiennent que les sociétés Nikon France et Nikon Europe n'ont ni intérêt ni qualité à agir.

La société Nikon Europe soutient avoir intérêt et qualité à agir dès lors qu'elle est expéditeur de la marchandise sur la lettre de voiture et qu'elle était propriétaire de la marchandise volée.

En vertu de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention.

L'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action.

En l'espèce, la société Nikon Europe figurant en qualité d'expéditeur sur la lettre de voiture afférente au transport litigieux et la société Nikon France figurant en qualité de destinataire sur la lettre de voiture afférente au transport litigieux justifient toutes deux de leur intérêt et de leur qualité à agir.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a jugé recevable l'action des sociétés Nikon France et Nikon Europe.

Sur la recevabilité de l'action de la société Tokio Marine Europe

Les sociétés DHL Freight et DHL Supply Chain affirment que la société Tokio Marine Europe n'a ni intérêt ni qualité à agir.

La société Tokio Marine Europe ne fait valoir et ne justifie d'aucun intérêt ou qualité à agir. Son intervention volontaire sera déclarée irrecevable.

Sur l'action en responsabilité à l'encontre de la société DHL Freight

Les sociétés Tokio Marine Kiln Insurance, Nikon Europe et Nikon France invoquent la responsabilité de la société DHL Freight en qualité de transporteur sur le fondement des dispositions de la Convention de Genève du 19 mai 1956 relative au transport international de marchandises par route. Elles font valoir qu'en vertu de l'article 3 de cette convention, la société DHL Freight est responsable du fait des personnes auxquelles elle a recours pour l'exécution du transport et qu'il importe ainsi peu que le transport ait été réalisé par la société Batim. Elles soutiennent que la société DHL Freight a commis une faute inexcusable de sorte qu'elle ne peut pas se prévaloir des limitations de responsabilité. Elles affirment que la société DHL Freight avait connaissance du caractère sensible de la marchandise transportée et avait conscience des risques d'un arrêt nocturne sur un parking non sécurisé situé dans une zone à risque alors qu'il existait un parking sécurisé à proximité. Elles ajoutent que les marchandises ont été transportées par un chauffeur inexpérimenté et dans une remorque bâchée.

La société DHL Freight réplique qu'elle n'a pas transporté la marchandise et n'est intervenue qu'en qualité d'intermédiaire de transport. Elle fait valoir qu'il convient de distinguer ses actes de ceux de la société Batim. Elle dément avoir commis une faute personnelle. Elle explique n'avoir reçu aucune instruction de recourir à un parking sécurisé de la part de la société Nikon. Elle fait valoir qu'elle a néanmoins donné de telles instructions à la société Batim. Elle ajoute qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le choix de la remorque et le vol. Elle affirme que le groupage des marchandises a été sans incidence sur le vol. Elle soutient qu'aucune faute inexcusable n'est caractérisée ni à son encontre ni à l'encontre de la société Batim.

La société Batim ne dénie pas sa responsabilité de plein droit en qualité de transporteur des marchandises volées mais réfute toute faute inexcusable. Elle fait valoir qu'elle n'avait connaissance ni de la nature ni de la valeur des marchandises transportées. Elle ajoute qu'elle n'avait reçu aucune consigne quant à l'usage de parkings sécurisés par la société DHL Freight. Elle affirme que c'est la société DHL Freight qui a fait le choix de mettre à sa disposition une remorque bâchée et non tôlée. Elle soutient que l'aire de stationnement était adaptée au stationnement de poids lourds, y compris la nuit. Elle souligne que les portes de la remorque étaient fermées, scellées et protégées par un cadenas et que son chauffeur a eu un comportement normal et diligent.

En vertu de l'article 1er de la Convention relative au contrat de transport international de marchandises par route (CMR) conclue à Genève le 19 mai 1956, ladite convention s'applique à tout contrat de transport de marchandises par route à titre onéreux au moyen de véhicules, lorsque le lieu de la prise en charge de la marchandise et le lieu prévu pour la livraison, tels qu'ils sont indiqués au contrat, sont situés dans deux pays différents dont l'un au moins est un pays contractant. Il en est ainsi quels que soient le domicile et la nationalité des parties.

En l'espèce, il est produit aux débats une lettre de voiture CMR datée du 26 avril 2018 concernant le transport de la marchandise litigieuse entre [Localité 12] (Pays-Bas) et [Localité 14] (France) sur laquelle il est indiqué que l'expéditeur est « Nikon Europe BV », que le destinataire est « Nikon France SAS » et que le transporteur est « DHL Freight Euroline ». Cette lettre de voiture comporte, dans un encart n°17 intitulé « Transporteurs successifs », le nom de la société Batim.

Il sera ainsi relevé que le transport litigieux concerne un transport de marchandises par route entre les Pays-Bas et la France, pays tous deux signataires de la convention CMR. Cette convention est donc applicable au litige.

L'article 3 indique que :

« Pour l'application de la présente Convention, le transporteur répond, comme de ses propres actes et omissions, des actes et omissions de ses préposés et de toutes autres personnes aux services desquelles il recourt pour l'exécution du transport lorsque ces préposés ou ces personnes agissent dans l'exercice de leurs fonctions. »

L'article 17.1 précise que :

« Le transporteur est responsable de la perte totale ou partielle, ou de l'avarie, qui se produit entre le moment de la prise en charge de la marchandise et celui de la livraison, ainsi que du retard à la livraison. »

L'article 29 dispose que :

« 1. Le transporteur n'a pas le droit de se prévaloir des dispositions du présent chapitre qui excluent ou limitent sa responsabilité ou qui renversent le fardeau de la preuve, si le dommage provient de son dol ou d'une faute qui lui est imputable et qui, d'après la loi de la juridiction saisie, est considérée comme équivalente au dol.

2. Il en est de même si le dol ou la faute est le fait des préposés du transporteur ou de toutes autres personnes aux services desquelles il recourt pour l'exécution du transport lorsque ces préposés ou ces autres personnes agissent dans l'exercice de leurs fonctions. Dans ce cas, ces préposés ou ces autres personnes n'ont pas davantage le droit de se prévaloir, en ce qui concerne leur responsabilité personnelle, des dispositions du présent chapitre visées au paragraphe 1. »

Aux termes de l'article L133-8 du code de commerce, « Seule est équipollente au dol la faute inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable. Toute clause contraire est réputée non écrite. »

La faute inexcusable ne peut être retenue qu'à condition que soient réunis quatre critères cumulatifs :

- une faute délibérée,

- la conscience de la probabilité d'un dommage,

- l'acceptation téméraire d'un tel dommage,

- et l'absence de raison valable d'agir comme il l'a été.

En l'espèce, il résulte des débats que le vol a eu lieu alors que les marchandises étaient transportées par la société Batim à laquelle la société DHL Freight avait confié l'exécution du transport.

La responsabilité de la société DHL Freight doit donc être examinée à la fois pour son fait personnel et pour le fait de son substitué, la société Batim.

Si la société DHL Freight ne pouvait ignorer le caractère sensible des marchandises qui a été indiqué dans un courriel du 25 avril 2018 qui lui a été adressé, elle n'a pas précisé la nature des marchandises à transporter à la société Batim. Cette nature n'apparaît ainsi ni dans l'ordre de transport du 25 avril 2018 dans lequel il est mentionné dans l'encart « description des marchandises », « à compléter » ni dans la lettre de voiture du 26 avril 2018 dans laquelle les marchandises transportées sont décrites comme « electrical goods ». Il sera observé que la nature sensible des marchandises ne saurait résulter de la seule mention de la société Nikon comme expéditeur ou comme destinataire. Le chauffeur de la société Batim indique, dans son témoignage, ne pas avoir eu connaissance de la nature de la marchandise, celle-ci étant enveloppée d'un film plastique. Il ajoute que la remorque bâchée et non tôlée fournie par la société DHL Freight pour le transport des marchandises n'avait pas permis d'attirer son attention sur l'éventuelle nature sensible des marchandises.

Il ressort des expertises amiables et des déclarations du chauffeur produites aux débats que le vol des marchandises s'est produit de nuit alors que le chauffeur avait stationné l'ensemble routier qu'il conduisait sur le parking poids lourds d'une aire d'autoroute pour y effectuer sa coupure journalière et alors qu'il dormait dans la cabine du tracteur.

Pourtant l'accord liant la société Nikon Europe et la société DHL Freight conclu le 18 septembre 2016 prévoyait que le chauffeur devrait, le cas échéant, utiliser des parkings sécurisés (« The driver will in all cases, if applicable, use secured parkings »). La société DHL Freight a répercuté cette consigne à la société Batim dans l'ordre de transport qu'elle lui a adressé de sorte qu'aucune faute ne peut lui être reprochée sur ce point.

Cet accord prévoyait également que le transport devrait s'effectuer dans des remorques tôlées « mega hardbox trailer ». Or il est constant que le transport a été effectué dans une remorque bâchée en violation de ces instructions. Toutefois il résulte des débats que les portes de la remorque étaient fermées, scellées et protégées par un cadenas et les rapports d'expertise indiquent que la bâche du camion transportant la marchandise litigieuse n'a été ni coupée ni endommagée. Ainsi il n'est pas démontré que l'utilisation d'un tel équipement ait pu avoir un rôle causal dans la survenance du vol.

Aucune faute inexcusable n'est donc caractérisée à l'encontre de la société DHL Freight.

L'ordre de transport délivré par la société DHL Freight à la société Batim indiquait que le camion devait être stationné uniquement sur des aires sécurisées et qu'une liste de parkings sécurisés pouvait être fournie sur demande. L'expert de la société DHL Freight a relevé que la société Batim disposait d'une telle liste et que celle-ci avait été retrouvée dans le camion dans lequel se trouvait la marchandise dérobée. Or les deux rapports d'expertise ont souligné qu'un parking sécurisé se trouvait à 380 mètres du parking public dans lequel avait stationné le camion conduit par le chauffeur de la société Batim.

Toutefois la société Batim, qui ignorait la nature sensible des marchandises, n'a pas pu avoir conscience de la probabilité d'un dommage résultant du stationnement du véhicule sur un parking non sécurisé, à proximité d'autres poids lourds et d'une station-service, ni avoir témérairement accepté ce dommage. Contrairement à ce que les sociétés appelantes soutiennent, il n'est aucunement démontré que le parking sur lequel s'est produit le vol était situé dans une zone à risque. De plus, le fait que le chauffeur ait stationné le véhicule sur une partie du parking où l'éclairage ne fonctionnait pas ne saurait caractériser un comportement téméraire alors que le chauffeur déclare que le parking était presque complet et qu'il s'est garé alors qu'il faisait encore jour de sorte qu'il n'a pas pu se rendre compte de l'absence d'éclairage. Enfin il résulte des débats que le chauffeur conduisant l'ensemble routier, bien qu'âgé de 21 ans, avait deux ans d'expérience en matière de transport de marchandises, de sorte qu'il ne peut pas être qualifié de chauffeur inexpérimenté.

En tout état de cause, il apparaît que la société DHL Freight a à différentes reprises fait part à la société Batim de son refus de participer aux frais de parking sur des sites sécurisés de sorte qu'il ne peut pas être reproché à la société Batim d'avoir préféré stationner le véhicule sur un parking gratuit que sur un parking sécurisé et payant.

En conséquence, aucune faute inexcusable ainsi que l'ont jugé les premiers juges n'est caractérisée et les limitations de responsabilité prévues par la convention CMR sont applicables.

L'article 23 de cette convention prévoit que :

1. Quand, en vertu des dispositions de la présente convention, une indemnité pour perte totale ou partielle de la marchandise est mise à la charge du transporteur, cette indemnité est calculée d'après la valeur de la marchandise au lieu et à l'époque de la prise en charge.

2. La valeur de la marchandise est déterminée d'après le cours en bourse ou, à défaut, d'après le prix courant sur le marché ou, à défaut de l'un et de l'autre, d'après la valeur usuelle des marchandises de même nature et qualité.

3.2 Toutefois, l'indemnité ne peut dépasser 8,33 unités de compte par kilogramme du poids brut manquant.

L'art. 27 de la même convention précise que :

« L'ayant droit peut demander les intérêts de l'indemnité. Ces intérêts, calculés à raison de cinq pour cent l'an, courent du jour de la réclamation adressée par écrit au transporteur ou, s'il n'y a pas eu de réclamation, du jour de la demande en justice. »

En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise du cabinet EVH Surveys International que la valeur des marchandises volées correspond à 328.229,36 euros.

Le poids des marchandises volées tel qu'il ressort du rapport d'expertise du cabinet EVH Surveys International et du listing établi par la société Nikon a été évalué à 1.815,90 kg de sorte que l'indemnité maximale due en vertu de la convention CMR doit être fixée à 15.126,44 DTS (8,33 x 1.815,90 kg) ou 18.151,73 euros.

La société DHL Freight soutient que la société Batim s'est acquittée d'une somme de 18.151,73 euros à la société Tokyo Marine Kiln Insurance et revendique le rejet de sa demande de condamnation.

Toutefois la simple photocopie d'un chèque ne saurait rapporter la preuve d'un tel paiement.

En l'absence de preuve du paiement de cette somme à la société Tokyo Marine Kiln Insurance, il n'y a pas lieu de rejeter la demande de condamnation formulée par cette société à l'encontre de la société DHL Freight.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société DHL Freight à verser à la société Tokyo Marine Kiln Insurance une indemnité de 18 151,73 euros, avec intérêts au taux de 5% l'an à compter du 2 mai 2018. Il sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Batim au paiement d'une telle somme à la société Tokyo Marine Kiln Insurance, celle-ci ne formulant aucune demande de condamnation à l'encontre de la société Batim.

Sur l'appel en garantie de la société Batim

La société DHL Freight et la société DHL Supply Chain revendiquent la garantie de la société Batim de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre.

Aucune condamnation n'ayant été prononcée à l'encontre de la société DHL Supply Chain, sa demande en garantie sera rejetée.

L'article 37 de la convention CMR prévoit que :

« Le transporteur qui a payé une indemnité en vertu des dispositions de la présente Convention a le droit d'exercer un recours en principal, intérêts et frais contre les transporteurs qui ont participé à l'exécution du contrat de transport conformément aux dispositions suivantes :

a) le transporteur par le fait duquel le dommage a été causé doit seul supporter l'indemnité, qu'il l'ait payée lui-même ou qu'elle ait été payée par un autre transporteur ;

b) lorsque le dommage a été causé par le fait de deux ou plusieurs transporteurs, chacun d'eux doit payer un montant proportionnel à sa part de responsabilité ; si l'évaluation des parts de responsabilité est impossible, chacun d'eux est responsable proportionnellement à la part de rémunération du transport qui lui revient ;

c) si l'on ne peut déterminer quels sont ceux des transporteurs auxquels la responsabilité est imputable, la charge de l'indemnité due est répartie, dans la proportion fixée en b, entre tous les transporteurs. »

En l'espèce, il ressort de ce qui précède que le vol des marchandises a eu lieu alors qu'elles étaient transportées par la société Batim. Celle-ci doit donc supporter seule l'indemnité résultant de la perte des marchandises. Il sera en conséquence fait droit à la demande de garantie de la société DHL Freight à son encontre.

En l'absence de preuve du paiement de paiement de l'indemnité par la société Batim, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'arrêt du cours des intérêts.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Les sociétés Tokio Marine Europe, Tokio Marine Kiln Insurance, Nikon Europe et Nikon France succombent à l'instance d'appel. Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées. Les sociétés Tokio Marine Europe, Tokio Marine Kiln Insurance, Nikon Europe et Nikon France seront condamnées in solidum aux dépens d'appel. Elles seront condamnées in solidum à payer à la société DHL Freight et à la société Batim une somme de 5.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile. Les autres demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Rejette la demande de mise hors de cause de la société DHL Supply Chain ;

Déclare irrecevable l'intervention de la société Tokio Marine Europe ;

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Batim à verser à la société Tokyo Marine Kiln Insurance une indemnité de 18 151,73 euros, avec intérêts au taux de 5% l'an à compter du 2 mai 2018 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Batim à garantir la société DHL Freight des condamnations prononcées à son encontre ;

Rejette la demande de la société Batim tendant à arrêter le cours de intérêts au taux CMR à la date du 12 janvier 2021 ;

Condamne in solidum les sociétés Tokio Marine Europe, Tokio Marine Kiln Insurance, Nikon Europe et Nikon France à payer à la société DHL Freight et à la société Batim une somme de 5.000 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette les autres demandes au titre des frais irrépétibles ;

Condamne in solidum les sociétés Tokio Marine Europe, Tokio Marine Kiln Insurance, Nikon Europe et Nikon France aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/10840
Date de la décision : 18/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-18;21.10840 ?
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