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17/07/2024 | FRANCE | N°23/11278

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 15, 17 juillet 2024, 23/11278


Grosses délivrées aux parties le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS









COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15



ORDONNANCE DU 17 JUILLET 2024



(n° 47,21 pages)







Numéro d'inscription au répertoire général : 23/11278 (appel) - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH3NN auquels sont joints les RG 23/11279 (recours), 23/15118 (appel), 23/15122 (recours)



Décisions déférées : Ordonnance du 19 juin 2023 et ordonnance délivrant commission rogatoir

e en date du 19 juin 2023 rendues par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de CRETEIL



Procès-verbal de visite en date du 22 juin 2023 clos à 17 h pr...

Grosses délivrées aux parties le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15

ORDONNANCE DU 17 JUILLET 2024

(n° 47,21 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 23/11278 (appel) - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH3NN auquels sont joints les RG 23/11279 (recours), 23/15118 (appel), 23/15122 (recours)

Décisions déférées : Ordonnance du 19 juin 2023 et ordonnance délivrant commission rogatoire en date du 19 juin 2023 rendues par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de CRETEIL

Procès-verbal de visite en date du 22 juin 2023 clos à 17 h pris en exécution de l'Ordonnance rendue le 19 juin 2023 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de CRETEIL

Nature de la décision : Contradictoire

Nous, Olivier TELL, Président de chambre à la Cour d'appel de PARIS, délégué par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article 64 du code des douanes ;

Assisté de Mme Véronique COUVET, greffier présent lors des débats et de la mise à disposition ;

Après avoir appelé à l'audience publique du 21 février 2024 :

KERMAZ S.A.R.L.

Prise en la personne de ses représentants légaux

Elisant domicile au cabinet LX Paris Versailles Reims

[Adresse 9]

[Localité 8]

Monsieur [F] [M]

Né le [Date naissance 4] 1961 à [Localité 12]

Elisant domicile au cabinet LX Paris Versailles Reims

[Adresse 9]

[Localité 8]

Monsieur [D] [W]

Né le [Date naissance 5] 1961 à [Localité 16]

Elisant domicile au cabinet LX Paris Versailles Reims

[Adresse 9]

[Localité 8]

LM REALISATIONS S.A.R.L.

Prise en la personne de ses représentants légaux

Elisant domicile au cabinet LX Paris Versailles Reims

[Adresse 9]

[Localité 8]

CT CONSULTANTS S.A.R.L.

Prise en la personne de ses représentants légaux

Elisant domicile au cabinet LX Paris Versailles Reims

[Adresse 9]

[Localité 8]

Représentés par Me Audrey HINOUX, de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistés de Me Blandine THELLIER DE PONCHEVILLE de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 2148

APPELANTS ET REQUERANTS

et

LA DIRECTION NATIONALE DU RENSEIGNEMENT ET DES ENQUETES DOUANIERES - DNRED

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 10]

Représentée par Monsieur [X] [B], inspecteur des douanes, dûment mandaté

INTIMÉE ET DÉFENDERESSE AUX RECOURS

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 21 février 2024, le conseil des appelants et le représentant de la DNRED ;

Les débats ayant été clos avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 12 Juin 2024 puis prorogée au 17 juillet suivant pour mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Avons rendu l'ordonnance ci-après :

Le 19 juin 2023, le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de CRETEIL a rendu, en application de l'article 64 du code des douanes, une ordonnance d'autorisation d'opérations de visite et saisie dans les lieux suivants :

- domicile de M. [Z] [L] : [Adresse 14] ([Localité 1]), tant les pièces à usage d'habitation que les éventuelles pièces à usage professionnel, parkings, caves, dépendances et annexes ainsi que les véhicules détenus ou utilisés par la société ONE SYSTEM ou son dirigeant et s'y trouvant ;

- siège social de l'entreprise ONE SYSTEM : [Adresse 17] (01), tant les pièces à usage professionnel que les éventuelles pièces à usage d'habitation, parkings, caves, dépendances et annexes ainsi que les véhicules détenus ou utilisés par la société ONE SYSTEM ou son dirigeant, M. [Z] [L] et s'y trouvant.

Cette ordonnance se fondait sur une requête de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (ci-après DNRED) présentée le 16 juin 2023.

La requête de l'administration était accompagnée de 9 pièces ou annexes.

Le 19 juin 2023, le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de CRETEIL a rendu, en application de l'article 64 du code des douanes, une ordonnance délivrant commission rogatoire au juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse (01) pour contrôler les opérations de visite et saisie à effectuer dans le ressort de cette juridiction en application de son ordonnance précitée.

Dans ses motifs, cette ordonnance se réfère au règlement (UE) 2021/821 du 20 mai 2021 qui institue un régime de l'Union de contrôle des exportations du courtage, de l'assistance technique, du transit et des transfert en ce qui concerne les biens à double usage ; au sens du règlement, on entend par " biens à double usage ", " les produits y compris les logiciels et les technologies, susceptibles d'avoir une utilisation tant civile que militaire: ils incluent les biens susceptibles d'être utilisés aux fins de la conception, de la mise au point, de la fabrication ou de l'utilisation d'armes nucléaires, chimiques ou biologiques ou de leurs vecteurs, y compris tous les biens qui peuvent à la fois être utilisés à des fins non explosives et intervenir de quelque manière que ce soit dans la fabrication d'armes nucléaires ou d'autres dispositifs nucléaires explosifs'.

L'ordonnance rappelle que l'article 3 du règlement (UE) 2021/821 prévoit d'une part que l'exportation des biens à double usage énumérés à l'annexe I du règlement est soumise à autorisation et d'autre part, la possibilité de soumettre à autorisation des biens à double usage non énumérés à l'annexe I ; que selon l'article 21 du règlement (UE) 2021/821, 'lorsqu'il accomplit les forrnalités pour l'exportation de biens à double usage l'exportateur apporte la preuve que toute autorisation d'exportation nécessaire a été obtenue.'

L'ordonnance rappelle qu'en France et en vertu du Décret n° 2020-74 du 31 janvier 2020, le " Service des biens à double usage " (SBDU) est autorité de classement concernant les " biens à double usage " et autorité de délivrance des autorisations d'exportation.

Dans ses motifs, cette ordonnance se réfère aux articles 38 (1,2,3), 428, 409, 414 du code des douanes.

- que les enquêteurs de la DNRED ont réalisé une enquête concernant une tentative d'exportation de biens à double usage par la société KERMAZ (SIREN : 440 363 307) et l'un de ses dirigeants. M, [F] [M], alors que la licence d'exportation initialement délivrée par le SBDU venait de faire l'objet d'une suspension ; cette société dans le cadre de cette enquête a fait l'objet d'une visite domiciliaire de son siège social, [Adresse 18]. [Adresse 11] (38) (cf. pièces jointes n° 3 et 4) ;

- qu'au cours de la visite domiciliaire effectuée au siège social de l'entreprise KERMAZ, les enquêteurs de la DNRED ont constaté une confusion tant au niveau informatique, qu'au niveau de la gestion de certains employés parmi les sociétés présentes à la même adresse que la société KERMAZ, à savoir les sociétés LM REALISATIONS (SIREN : 385 091 962) et C.T. CONSULTANTS (SIREN 532 170 107) et PRESSE A BALLES (cf pièce n° 4) ; les sociétés précitées étant toutes directement ou indirectement contrôlées par Monsieur [F] [M] (cf.pièce jointe n° 4) ;

- qu'au cours de la visite domiciliaire menée au siège social de l'entreprise KERMAZ, les enquêteurs de la DNRED ont constaté que la société ONE SYSTEM (SIREN : 504 228 271) assurait l'hébergement en ligne de données informatiques pour le compte des sociétés précitées (cf pìèce jointe n° 4) ;

- qu'en raison de la taille des données informatiques stockées et du trop faible débit de la connexion internet, les enquêteurs de la DNRED n'ont pas pu procéder à la copie de ces données à distance (cf pièce jointe n° 4) et, pour la raison précitée ont demandé et obtenu le 1er juin 2023 une extension de visite domiciliaire auprès de la permanence du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Créteil pour accéder aux données informatiques stockées par la société ONE SYSTEM pour le compte des sociétés KERMAZ et LM REALISATIONS (cf. pièce n° 4, annexes 6 et 7) ;

- que les enquêteurs de la DNRED ont immédiatennent notifié l'ordonnance à la société ONE SYSTEM et ont passé le jour même un nombre important d'appels téléphoniques auprès de cette entreprise pour accéder aux données informatiques par l'ordonnance complémentaire (cf pièce jointe n° 5) mais aucun responsable présent au sein des locaux de la société ONE SYSTEM le 1er juin 2023 n'a souhaité prendre en communication les enquêteurs de la DNRED, ni accéder à la demande prescrite par l'ordonnance complémentaire (cf. pièce jointe n° 5) ;

- que ce refus a été motivé par l'absence du gérant de l'entreprise ONE SYSTEM, Monsieur [Z] [L] et de l'impossibilité de l'informer de la procédure en cours, aussi bien pendant les opérations de visite domiciliaire des locaux de la société KERMAZ que lors du déplacement des enquêteurs au siège social de l'entreprise ONE SYSTEM (cf pièce jointe n° 5 et n° 8) ;

- que l'étude de la copie des données informatiques du téléphone portable de Monsieur [F] [M], ainsi que l'étude du trafic téléphonique de sa ligne téléphonique personnelle infirment les déclarations émanant de la société ONE SYSTEM et de son dirigeant [Z] [L] sur l'ignorance de ce dernier concernant l'extension de visite domiciliaire délivrée à l'encontre de sa société (cf. pièce jointe n° 6) ;

- que l'étude du trafic téléphonique de la ligne téléphonique personnelle de Monsieur [M] montre des échanges téléphoniques réguliers à des étapes clé de l'opération menée par les enquêteurs de la DNRED (cf pièce jointe n° 7) ;

- qu'il résulte des éléments qui précédent que la société ONE SYSTEM et son dirigeant Monsieur [Z] [L] sont fortement susceptibles d'avoir cornmis un délit d'opposition à fonction afin d'entraver les opérations de la visite domiciliaire autorisées et d'avoir effectué ces manoeuvres dans le cadre d'une complicité et/ou d'un intéressement à la fraude dans une tentative d'exportation non autorisée de biens à double usage et de détenir des éléments de nature à caractériser les délits d'exportation et de tentative d'exportation de biens à double usage en dehors du cadre légal et réglementaire susceptibles d'avoir été commis par la société KERMAZ et son dirigeant Monsieur [F] [M] ainsi que par les sociétés contrôlées par ce dernier, en l'espèce LM REALISATIONS. C.T. CONSULTÀNTS et PRESSE A BALLES.

Les opérations de visite et de saisie se sont déroulées le 22 juin 2023.

Le 6 juillet 2023, la société KERMAZ, M. [M] [F] et Monsieur [D] [W] ont interjeté appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de CRETEIL du 19 juin 2023, en ce qu'elle ordonnait les visites domiciliaires aux lieux susmentionnés (RG 23/11278) et ont formé un recours le même jour contre les opérations de visite domiciliaire qui se sont déroulées dans les locaux de l'entreprise ONE SYSTEM : [Adresse 17] [Adresse 7] à Miribel (01) (RG 23/11279).

Le 27 septembre 2023, La société LM REALISATIONS S.A.R.L. et la société CT CONSULTANTS S.A.R.L. ont interjeté appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de CRETEIL du 19 juin 2023, en ce qu'elle ordonnait les visites domiciliaires aux lieux susmentionnés (RG 23/15118) et ont formé un recours le même jour contre les opérations de visite domiciliaire qui se sont déroulées dans les locaux de l'entreprise ONE SYSTEM: [Adresse 17] à [Adresse 13] (01) (RG 23/15122).

L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 21 février 2024.

SUR L'APPEL (RG 23/11278, RG 23/15118)

- Par conclusions n° 2 sur l'appel déposées au greffe le 9 février 2024, la société KERMAZ, M. [M] [F], Monsieur [D] [W], la société LM REALISATIONS S.A.R.L. et la société CT CONSULTANTS S.A.R.L. demandent à cette juridiction de :

- Déclarer recevables et bien fondés leurs appels et à défaut, renvoyer une question préjudicielle à la CJUE :

L'article 16 § 1 du TFUE, et l'article 28 du Règlement (UE) 2021/821 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 instituant un régime de l'Union de contrôle des exportations, du courtage, de l'assistance technique, du transit et des transferts en ce qui concerne les biens à double usage, lu à la lumière des articles 8, 47 et 48 de la CDFUE, impliquent-ils un droit au recours au profit des personnes physiques et morales contre la décision autorisant la saisie de leurs données à caractère personnel '

- Annuler les deux ordonnances rendues le 19 juin 2023 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de CRETEIL ;

Subséquemment, annuler l'ordonnance en date du 19 juin 2023 délivrant commission rogatoire au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bourg en Bresse pour contrôler les visites et saisies à effectuer dans le ressort de cette juridiction et :

- l'extension de l'autorisation de visite domiciliaire en date du 21 juin 2023 ;

- les opérations de visites et de saisies en date du 22 juin 2023 dans les locaux de la Société ONE SYSTEM et le procès-verbal qui en rend compte ;

- les auditions de Monsieur [F] [M] et de Monsieur [D] [W] en date du 20 novembre 2023 portant sur les éléments saisis lors des opérations de visite et de saisie entachées de nullité ;

- ordonner la restitution de tout document, dossier, pièce de toute nature saisis, marchandises ainsi que la destruction définitive de tout fichier informatique copié à l'occasion des visites domiciliaires du 22 juin 2023, sous 48 heures à compter de la date du prononcé de la décision, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

En tout état de cause :

- Rejeter les demandes de la Direction nationale des renseignements et des enquêtes douanières,

- Condamner la Direction nationale des renseignements et des enquêtes douanières à payer la somme de 3.000 € à chacune des parties requérantes au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile et aux dépens.

SUR LES RECOURS (RG n° 11278 et RG n° 23/15118)

- Par conclusions n° 2 sur les recours déposées au greffe le 9 février 2024, la société KERMAZ, M. [M] [F], Monsieur [D] [W], la société LM REALISATIONS S.A.R.L. et la société CT CONSULTANTS S.A.R.L. demandent à cette juridiction de :

Déclarer recevables et bien fondés leur recours et, à défaut, renvoyer une question préjudicielle à la CJUE :

L'article 16 § 1 du TFUE, et l'article 28 du Règlement (UE) 2021/821 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2021 instituant un régime de l'Union de contrôle des exportations, du courtage, de l'assistance technique, du transit et des transferts en ce qui concerne les biens à double usage, lu à la lumière des articles 8, 47 et 48 de la CDFUE, impliquent-ils un droit au recours au profit des personnes physiques et morales contre la saisie de leurs données à caractère personnel '

- Annuler les opérations de visite et de saisie réalisées dans les locaux de la Société ONE SYSTEM le 22 juin 2023 ;

- Annuler le procès-verbal relatant les opérations de visite et de saisies réalisées dans les locaux de de la Société ONE SYSTEM le 22 juin 2023

Subséquemment,

- Annuler les auditions en date du 20 novembre 2023 de Monsieur [M] et de Monsieur [W] interrogés sur les éléments irrégulièrement saisis.

- Ordonner la restitution de tout document, dossier, pièce de toute nature saisis, ainsi que la destruction définitive de tout fichier informatique copié à l'occasion de la visite domiciliaire en date du 22 juin 2023, sous 48 heures à compter de la date du prononcé de la décision, sous astreinte de 500 euros par jour de retard;

En tout état de cause :

- Rejeter les demandes de la Direction nationale des renseignements et des enquêtes douanières,

- Condamner la Direction nationale des renseignements et des enquêtes douanières à payer la somme de 3.000 € à chacune des parties requérantes au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile et aux dépens.

SUR CE

SUR LA JONCTION :

Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il convient, en application de l'article 367 du code de procédure civile et eu égard au lien de connexité entre les affaires, de joindre les instances enregistrées sous les numéros de RG 23/11278, RG 23/15118 (appels), RG 23/11279 et RG 23/15122 (recours) qui seront regroupées sous le numéro le plus ancien.

SUR L'APPEL ( RG n° 23/11278 et RG 23/15118) :

Sur le moyen tiré du défaut d'habilitation des agents des douanes

- Les appelants, dans leurs écritures, auxquelles il sera référé pour de plus amples détails sur leur argumentation (p. 15 à 27, soutiennent que les agents des douanes ayant sollicité l'autorisation et ayant procédé aux opérations de visite et de saisie n'étaient pas spécialement habilités en application de l'article 64 du code des douanes.

Il est argué en premier lieu que l'agent ayant sollicité l'autorisation du juge des libertés et de la détention, soit le Directeur de la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED) n'était pas valablement habilité. L'ordonnance déférée a été rendue au visa de ' la requête présentée le 16/06/2023, par Monsieur [U] [K], Directeur de la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED) (') '.

Il est donc soutenu que cette ordonnance a ainsi été délivrée à la requête du Directeur de la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières sans préciser que celui-ci a été spécialement habilité à réaliser des opérations de visite et de saisie sur le fondement de l'article 64 du Code des douanes et, qu'aucune habilitation le concernant n'est jointe à l'ordonnance de sorte que l'ordonnance déférée est entachée de nullité de ce premier chef.

Il est soutenu en second lieu que la grande majorité des agents ayant été autorisés par le juge des libertés et de la détention à réaliser les opérations de visite et de saisie (dont les numéros de matricule sont mentionnés en pages 23 et 24 des écritures des appelants) n'étaient pas spécialement habilités à défaut de délégation de signature en ce sens consentie à l'auteur de l'habilitation, le Directeur de la DNRED.

Il est argué que la DNRED ayant été créée par arrêté, le directeur de la DNRED ne bénéficie pas d'une délégation directe de signature du Ministre et, afin de pouvoir habiliter les agents des douanes à réaliser des opérations de visite et de saisies précitées, le Directeur de la DNRED doit pouvoir justifier d'une délégation de signature en ce sens de la part du directeur général des douanes et des droits indirects. Il est constaté qu'aucun arrêté du directeur général des douanes et des droits indirects n'a conféré à Monsieur [S] [K], ès-qualités de Directeur de la DNRED, ou à Mme [H], ès-qualités de Directrice de la DNRED, de délégations de signature aux fins d'habilitation des agents des douanes à réaliser des opérations sur le fondement de l'article 64 du Code des douanes.

En troisième lieu, les appelants soutiennent, s'agissent de l'agent ayant le numéro de matricule 60823, en fonction à la direction des enquêtes douanières (direction au sein de la DNRED, Pièce n°2) que s'il a été habilité par Monsieur [T] [C] en vertu d'un arrêté du 27 juin 2019 lui ayant consenti une délégation de signature à l'effet de signer, au nom du ministre chargé des douanes, et dans la limite de ses attributions, (') les habilitations des agents des douanes visées à l'article 64 du code des douanes (') " (art. 26), cette délégation de signature n'était plus valable en raison de la cessation des fonctions du délégant en qualité de Directeur général des douanes et des droits indirects au jour de la signature de l'habilitation en date du 6 septembre 2019.

- L'administration des douanes réplique sur le grief tiré des défauts d'habilitation de ses agents :

- s'agissant de l'habilitation du directeur de la DNRED ayant sollicité l'autorisation du juge des libertés et de la détention, que le directeur, dont le rôle n'est pas de procéder lui-même aux opérations de visite, n'a pas à être spécialement habilité pour les effectuer, s'il ne les réalise pas (Cour de cassation, arrêt du 14 janvier 2004 ; n°02-86063).

- s'agissant de l'habilitation des agents ayant été autorisés par le juge des libertés et de la détention à réaliser les opérations de visite et de saisie, qu'en application du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, visé dans les habilitations délivrées, le Directeur Général et les Chefs de services à compétence nationale sont, de par leur nomination dans leurs fonctions, automatiquement habilités à signer les décisions relevant du ministre. L'administration soutient que l'article 2 du décret du 9 mai 1997 dans son alinéa n°2, dispose quant à lui que " les services à compétence nationale rattachés à un directeur d'administration centrale, à un chef de service ou à un sous-directeur sont créés par arrêté du ministre dont ils relèvent. Toutefois, ils sont créés par décret lorsqu'ils exercent des compétences par délégation du ministre. "

L'administration des douanes allègue qu'en l'espèce, la DNRED a été créée par l'arrêté du 1er mars 1988 et son organisation interne est fixée dans l'arrêté du 29 octobre 2007, qui entérine son caractère de service à compétence nationale. Elle ajoute que le directeur de la DNRED, nommé par le ministère chargé du budget sur proposition du directeur général des douanes et droits indirects, a donc, en vertu du décret du 27 juillet 2005 susvisé lu à la lumière de l'article 2 du décret du 9 mai 1997, compétence pour signer au nom du ministre et par délégation, les habilitations des agents des douanes pour procéder aux visites domiciliaires visées à l'article 64 du code des douanes. Elle en conclut que les habilitations signées successivement par Mme [Y] [H] et M. [U] [K] sont donc régulières en ce sens qu'elles ont été signées par une autorité ayant délégation de signature du ministre.

- S'agissant de l'habilitation contestée de l'agent portant le matricule 60823, l'administration des douanes réplique qu'il n'a pas effectivement participé à la visite domiciliaire dans les locaux de la société KERMAZ, ce comme en atteste le procès verbal du 1er juin 2023 ; par suite, les appelants ne peuvent se prévaloir d'aucun grief du fait de l'absence supposée d'habilitation valide de l'agent matricule 60 823.

Sur ce, le magistrat délégué :

Selon l'article 64 du code des douanes, dans sa version en vigueur du 01 janvier 2020 au 20 juillet 2023, '1. Pour la recherche et la constatation des délits douaniers, visés aux articles 414 à 429 et 459, les agents des douanes habilités à cet effet par le ministre chargé des douanes peuvent procéder à des visites en tous lieux, même privés, où les marchandises et documents se rapportant à ces délits ainsi que les biens et avoirs en provenant directement ou indirectement sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles. Ils sont accompagnés d'un officier de police judiciaire.

Les agents des douanes habilités peuvent procéder, à l'occasion de la visite, à la saisie des marchandises et des documents, quel qu'en soit le support, se rapportant aux délits précités. Si, à l'occasion d'une visite autorisée en application du 2 du présent article, les agents habilités découvrent des biens et avoirs provenant directement ou indirectement des délits précités, ils peuvent procéder à leur saisie après en avoir informé par tout moyen le juge qui a pris l'ordonnance et qui peut s'y opposer.

2. a) Hormis le cas de flagrant délit, chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure.

L'ordonnance comporte : (...)

-le nom et la qualité du fonctionnaire habilité qui a sollicité et obtenu l'autorisation de procéder aux opérations de visite ; (...)'.

- S'agissant de l'habilitation du Directeur de la DNRED ayant présenté la requête et donc sollicité l'autorisation du juge des libertés et de la détention, dont le nom est mentionné en page 1 de l'ordonnance, 3ème paragraphe, il convient de rappeler que si, afin de satisfaire aux prescriptions de l'article 64 du code des douanes précitées, les fonctionnaires désignés pour procéder aux visites domiciliaires doivent être choisis parmi les enquêteurs habilités, une telle exigence ne concerne pas le Directeur ou le chef de service sous l'autorité administrative duquel ils sont placés et dont le rôle n'est pas de procéder lui-même aux opérations de visite susvisées (Crim., 14 janvier 2004, pourvoi n° 02-86.063).

- S'agissant de l'habilitation des agents de la DNRED ayant été autorisés par le juge des libertés et de la détention à réaliser les opérations de visite et de saisie (dont les numéros de matricule et les qualités figurent en page 5 à 6 de l'ordonnance précitée), il convient de rappeler que selon l'article 64 du code des douanes, dans sa version applicable, '1. Pour la recherche et la constatation des délits douaniers, visés aux articles 414 à 429 et 459, les agents des douanes habilités à cet effet par le ministre chargé des douanes peuvent procéder à des visites en tous lieux, même privés, où les marchandises et documents se rapportant à ces délits ainsi que les biens et avoirs en provenant directement ou indirectement sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles. Ils sont accompagnés d'un officier de police judiciaire.

Les chefs de service à compétence nationale qui sont mentionnés au premier alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997, peuvent signer, au nom du ministre (...) et par délégation l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité. La Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, créée par arrêté du 29 octobre 2007, est un service à compétence nationale.

Par suite, le directeur de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, nommé par le ministère chargé du budget sur proposition du directeur général des douanes et droits indirects, dispose en application de ces textes combinés, d'une délégation pour signer au nom du ministre, les habilitations des agents des douanes pour procéder aux visites domiciliaires visées à l'article 64 du code des douanes.

- S'agissant de l'habilitation contestée de l'agent portant le matricule 60823, le défaut d'habilitation allégué ne saurait entraîner la nullité de l'ordonnance, dès lors qu'il sera constaté qu'il n'a pas participé aux opérations de visite et de saisie. Dans le cas contraire, la question de son défaut d'habilitation serait à poser dans le cadre du recours.

Les moyens seront écartés.

Sur le moyen tiré du défaut d'origine licite des pièces soumises au juge des libertés et de la détention :

Les appelants soutiennent que les pièces annexées à la requête numéros 3 (" Ordonnance de visite domiciliaire enregistrée au greffe du juge des libertés et de la détention près du tribunal judiciaire de Créteil, RG 23103347, n° min : 23/31 "), 4 " Procès-verbal de compte-rendu de la visite domiciliaire exécutée sur ordonnance délivrée le 30 mai 2023 par madame [I] [P], juge des libertés et de la détention du Tribunal Judiciaire de Créteil et les annexes 1 à 7 " , 5 (: " Procès-verbal de matérialisation des appels entre la société ONE SYSTEM (SIREN : 504228271), une personne se présentant comme son dirigeant, Monsieur [Z] [L] et le téléphone portable de service de l'inspecteur des douanes matricule 60008 (ligne téléphonique portant le numéro [XXXXXXXX03]), son annexe reprenant la demande et l'autorisation d'extension de visite domiciliaire et les pièces saisies et cotées TL1 à TL3 " et 6 (" Procès-verbal de matérialisation des recherches informatiques effectuées sur la copie du téléphone de [F] [M] ") n'auraient pas d'origine licite dès lors que l'ordonnance du JLD du 30 mai 2023 serait entachée de nullité et qu'il en est de même des opérations de visites et de saisies intervenues le 1er juin 2023 dans les locaux de la Société KERMAZ.

S'agissant de la pièce n°7 soit le " Procès-verbal de droit de communication et de saisie des documents auprès d'un opérateur de communications électroniques (article 65 quinquies du Code des douanes) documents saisis et cotés TLS1 à TLS3) ', les appelants soutiennent que les enquêteurs de la DNRED ont obtenu l'autorisation du Parquet afin de se faire 'communiquer le détail des trafics à partir du numéro de téléphone de [F] [M], co-gérant de la société KERMAZ, dont la ligne téléphonique a pour numéro [XXXXXXXX02], entre le 1er juin 2023 et le 06 juin 2023", en exerçant leur droit de communication auprès de la SOCIETE FRANCAISE DU RADIOTELEPHONE (SFR) sur le fondement de l'article 65 quinquies du Code des douanes. Ils allèguent que l'accès aux données de trafic sur la seule autorisation du Parquet est contraire au droit de l'Union européenne et à la Constitution.

Les appelants font grief à la pièce n°8 qui est un ' Procès-verbal de matérialisation des recherches sur le portail DGFIP et le document saisi et côté TLS 1 à TLS 3" et qui relate la consultation d'un système de traitement automatisé de données à caractère personnel, de matérialiser la consulation de ce portail par des agents de la DNRED qui ne seraient pas habilités pour ce faire.

- L'administration des douanes réplique que toutes les pièces transmises au JLD ont été obtenues de manière licite. Il est souligné que ses agents ont respecté les dispositions de l'article 65 du code des douanes, à la lumière de la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêts du 21 juillet 2022, n° 21-83.820 et 21-83.710).

S'agissant de la pièce n°8, soit un ' Procès-verbal de matérialisation des recherches sur le portail DGFIP et le document saisi et côté TLS 1 à TLS 3" , l'administration des douanes expose que dans le cadre de la coopération administrative intra-ministérielle, DGDDI / DGFIP, formalisée par des protocoles de coopération, les agents des deux administrations disposent d'accès croisés à certaines de leurs applications respectives et que les agents des douanes, assermentés, ont accès à certaines bases de la DGFIP, leur permettant de réaliser des consultations simples, comme c'est le cas en l'espèce.

Sur ce, le magistrat délégué :

Conformément à l'article 64 du code des douanes, le juge des libertés et de la détention a vérifié de manière concrète que la demande d'autorisation qui lui est soumise est bien fondée et qu'elle comporte tous les éléments d'information en possession de l'administration de nature à justifier la visite. Le juge des libertés et de la détention a considéré que la requête de l'administration des douanes est appuyée sur des pièces dont l'origine est apparemment licite et est donc justifiée.

Le Premier président, en vérifiant que les éléments d'information fournis par l'administration requérante avaient été obtenus par elle de manière licite, procède au contrôle qui lui incombe.

Les pièces n° 3, 4, 5 et 6 annexées à la requête visée par l'ordonnance attaquée ont une origine licite dès lors que l'ordonnance rendue le 30 mai 2023 par le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de CRETEIL autorisant les opérations de visite et saisie au siège social de l'entreprise KERMAZ et les opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées au siège social de l'entreprise KERMAZ , [Adresse 18] (38) sont déclarées régulières par ordonnance de cette juridiction de ce jour (RG 23/09929) .

La pièce n° 8 a été recueillie en juin 2023 sur le fondement des dispositions de l'article 65 quinquiès du code des douanes issu d'une loi n° 2018-898 du 23.10.2018 en vigueur a 01.01.2019. Sur la question de la conformité au droit et à la jurisprudence européenne de cette disposition, cette juridiction rappelle ce qui suit :

Dans des arrêts rendus le 12 juillet 2022 (Cass. crim., 12 juillet 2022, n° 21-83.710, 21-83.820, 21-84.094, 20-86.652), la Cour de cassation a considéré qu'afin de pouvoir utiliser le mécanisme de conservation rapide des données, il fallait justifier de l'existence de faits relevant de la criminalité grave et un usage limité pour les strictes nécessités d'une enquête déterminée.

La Cour de cassation énonce en particulier dans cette décision que le droit de l'Union ne s'oppose pas à des mesures législatives prévoyant, aux fins de lutte contre la criminalité grave une conservation ciblée des données relatives au trafic et des données de localisation qui soit délimitée, sur la base d'éléments objectifs et non discriminatoires, en fonction de catégories de personnes concernées ou au moyen d'un critère géographique, pour une période temporellement limitée au strict nécessaire, mais renouvelable (...) ; le recours à une injonction faite aux fournisseurs de services de communications électroniques, au moyen d'une décision de l'autorité compétente soumise à un contrôle juridictionnel effectif, de procéder, pour une durée déterminée, à la conservation rapide des données relatives au trafic et des données de localisation dont disposent ces fournisseurs de services, dès lors que ces mesures assurent, par des règles claires et précises, que la conservation des données en cause est subordonnée au respect des conditions matérielles et procédurales afférentes et que les personnes concernées disposent de garanties effectives contre les risques d'abus. Il est mentionné à cette décision que cette conservation rapide a pour fondement l'article 16 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la cyber-criminalité, signée à Budapest le 23 novembre 2001.

En outre, la Cour de cassation, dans des arrêts du 10 mai 2023 (Cass.,crim n° 19-82.223 FS-D) énonce dans sa réponse au pourvoi que ' (...) la conformité aux exigences du droit de l'Union européenne des dispositions permettant aux enquêteurs de l'AMF de recueillir, auprès des opérateurs de communications électroniques, des données de connexion conservées par ceux-ci doit être appréciée au regard des principes dégagés par la Cour de cassation (Crim., 12 juillet 2022, pourvoi n° 21-83.710, publié au Bulletin), en application des dispositions de l'article 15 de la directive " vie privée et communications électroniques " (CJUE, arrêt du 21 décembre 2016, Tele2 Sverige AB, C-203/15 ; CJUE, arrêt du 6 octobre 2020, [5]., [3] e.a, C-511/18, C-512/18, C-520/18 ; CJUE, arrêt du 2 mars 2021, [4], C-746/18 ; CJUE, arrêt du 5 avril 2022, [2], C-140/20).

Il résulte de l'article 64 du code des douanes que les agissements recherchées revêtent un caractère de gravité suffisant pour justifier la mesure d'investigation critiquée. Il est en effet relevé qu'en application des articles 38 et 428 du Code des douanes, sont considérés comme exportation sans déclaration de marchandises prohibées toute infraction aux dispositions, soit législatives, soit réglementaires portant prohibition d'exportation ou bien subordonnant l'exportation à l'accomplissement de formalités particulières lorsque la fraude a été faite ou tentée par les bureaux et qu'elle n'est pas spécialement réprimée par une autre disposition du présent code. Ces infractions sont réprimées par l'article 414 du Code des douanes, deuxième alinéa, qui prévoit un emprisonnement maximal de 5 ans et avec une amende qui peut aller jusqu'à trois fois la valeur de l'objet de la fraude soit lorsque les faits de contrebande, d'importation ou d'exportation portent sur des biens à double usage, civil et militaire, dont la circulation est soumise à restriction par la réglementation européenne.

Sur le grief afférent à la licéité de la pièce n° 8, qui a trait à la prétendue absence d'habilitation ou d'accès des agents de la DNRED pour consulter la base de données de la DGFIP, il n'est pas contesté que cette pièce a été obtenue par la consultation par des agents de la DNRED de la base de la DGFIP du ministère des finances. Par suite, cette pièce a donc une origine licite. La question d'une éventuelle irrégularité due à un manque d'habilitation des agents de l'administration des douanes y ayant eu accès relève du juge du fond.

Les moyens seront écartés.

Sur le moyen tiré de l'insuffisance des pièces soumises au juge des libertés et de la détention

- Les appelants soutiennent qu'il ne résulte pas de l'ensemble des pièces annexées à la requête qu'il existe des indices d'une confusion dans la gestion des sociétés KERMAZ, LM REALISATION et CT CONSULTANTS, ou d'une quelconque présomption de fraude à l'encontre de ces sociétés de sorte que l'ordonnance en date du 19 juin 2023 est entachée de nullité.

- L'administration des douanes réplique que rien ne permet de penser qu'il existe une séparation claire entre les activités des différentes sociétés contrôlées par M. [M].

Sur ce, le magistrat délégué :

Il convient en outre de rappeler qu'à ce stade de l'enquête douanière, en application des dispositions de l'article 64 du code des douanes, il n'y a pas lieu pour le juge des libertés et de la détention de déterminer si tous les éléments constitutifs des délits douaniers recherchés étaient réunis mais, en l'espèce ce juge dans le cadre de ses attributions, ne devait rechercher que s'il existait des présomptions simples des agissements prohibés et recherchés.

L'administration des douanes dispose de toute latitude afin de présenter au juge des libertés et de la détention les pièces qui lui paraissent de nature à fonder les présomptions des agissements prohibés et recherchés ; l'article 64 du code des douanes ne prescrivant pas que l'administration doive présenter des éléments à décharge de l'entreprise faisant l'objet des soupçons. Il a été jugé et est établi que la procédure d'autorisation de visite domiciliaire devant le juge des libertés et de la détention ne se déroule pas à charge et à décharge.

En l'espèce, s'agissant des éléments caractérisant l'existence de présomptions d'agissement frauduleux retenus par le juge des libertés et de la détention à l'endroit des appelants, la décision d'autorisation querellée mentionne de manière pertinente au vu des pièces n° 1 à 7 annexées à la requête qui lui a été soumise dont la teneur a été rappelée à cette décision précédemment, qu'il résulte de ces éléments que la société ONE SYSTEM et son dirigeant Monsieur [Z] [L] sont fortement susceptibles d'avoir cornmis un délit d'opposition à fonction afin d'entraver les opérations de la visite domiciliaire autorisées et d'avoir effectué ces rnanoeuvres dans le cadre d'une complicité et/ou d'un intéressement à la fraude dans une tentative d'exportation non autorisée de biens à double usage et de détenir des éléments de nature à caractériser les délits d'exportation et de tentative d'exportation de biens à double usage en dehors du cadre légal et réglementaire susceptibles d'avoir été commis par la société KERMAZ et son dirigeant Monsieur [F] [M] ainsi que par les sociétés contrôlées par ce dernier, en l'espèce LM REALISATIONS. C.T. CONSULTÀNTS et PRESSE A BALLES.

Le moyen sera écarté.

Par suite, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de CRETEIL du 19 juin 2023 sera confirmée et l'ordonnance du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de CRETEIL du même jour délivrant commission rogatoire au juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Bourg en Bresse (01) pour contrôler les opérations de visite et saisie à effectuer dans le ressort de cette juridiction en application de son ordonnance précitée sera également confirmée.

SUR LE RECOURS ( RG n° 23/11279 et RG n° 23/15122) :

Sur le moyen tiré du défaut d'habilitation des agents des douanes ayant procédé aux opérations de visite et de saisie

Dans leurs écritures sur le recours, auxquelles il sera référé pour de plus amples détails sur leur argumentation (p. 16 à 26), il est soutenu par les requérants que les agents des douanes ayant procédé aux opérations de visite et de saisie n'étaient pas spécialement habilités en application de l'article 64 du code des douanes.

Il est soutenu que les agents dont les numéros de matricule repris en pages 22 et 23 de leurs écritures, ayant été autorisés par le juge des libertés et de la détention à réaliser les opérations de visite et de saisies, n'étaient pas spécialement habilités à défaut de délégation de signature en ce sens consentie à l'auteur de l'habilitation, le Directeur de la DNRED.

Il est argué que la DNRED ayant été créée par arrêté et non par décret, le directeur de la DNRED ne bénéficie pas d'une délégation directe de signature du Ministre et, afin de pouvoir habiliter les agents des douanes à réaliser des opérations de visite et de saisie précitées, le Directeur de la DNRED doit pouvoir justifier d'une délégation de signature en ce sens de la part du directeur général des douanes et des droits indirects. Il est constaté qu'aucun arrêté du directeur général des douanes et des droits indirects n'a conféré à Monsieur [S] [K], ès-qualités de Directeur de la DNRED, ou à Mme [H],ès-qualités de Directrice de la DNRED, de délégations de signature aux fins d'habilitation des agents des douanes à réaliser des opérations sur le fondement de l'article 64 du Code des douanes.

L'ensemble des opérations de visite et de saisie du 22 juin 2023 seraient donc entachées de nullité à défaut d'habilitation régulière des agents des douanes.

- L'administration des douanes réplique sur le grief tiré des défauts d'habilitation de ses quatre agents ayant été autorisés par le juge des libertés et de la détention à réaliser les opérations de visite et de saisie, qu'en application du décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, visé dans les habilitations délivrées, le Directeur Général et les Chefs de services à compétence nationale sont, de par leur nomination dans leurs fonctions, automatiquement habilités à signer les décisions relevant du ministre. L'administration soutient que l'article 2 du décret du 9 mai 1997 dans son alinéa n°2, dispose quant à lui que " les services à compétence nationale rattachés à un directeur d'administration centrale, à un chef de service ou à un sous-directeur sont créés par arrêté du ministre dont ils relèvent. Toutefois, ils sont créés par décret lorsqu'ils exercent des compétences par délégation du ministre " L'administration des douanes allègue qu'en l'espèce, la DNRED a été créée par l'arrêté du 1er mars 1988 et son organisation interne est fixée dans l'arrêté du 29 octobre 2007, qui entérine son caractère de service à compétence nationale. Elle ajoute que le directeur de la DNRED, nommé par le ministère chargé du budget sur proposition du Directeur général des douanes et droits indirects, a donc, en vertu du décret du 27 juillet 2005 susvisé lu à la lumière de l'article 2 du décret du 9 mai 1997, compétence pour signer au nom du ministre et par délégation, les habilitations des agents des douanes pour procéder aux visites domiciliaires visées à l'article 64 du code des douanes. Elle en conclut que les habilitations signées successivement par Mme [Y] [H] et M. [U] [K] sont donc régulières en ce sens qu'elles ont été signées par une autorité ayant délégation de signature du ministre.

Sur ce, le magistrat délégué :

Selon l'article 64 du code des douanes, dans sa version en vigueur du 01 janvier 2020 au 20 juillet 2023, '1. Pour la recherche et la constatation des délits douaniers, visés aux articles 414 à 429 et 459, les agents des douanes habilités à cet effet par le ministre chargé des douanes peuvent procéder à des visites en tous lieux, même privés, où les marchandises et documents se rapportant à ces délits ainsi que les biens et avoirs en provenant directement ou indirectement sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles. Ils sont accompagnés d'un officier de police judiciaire.

Les agents des douanes habilités peuvent procéder, à l'occasion de la visite, à la saisie des marchandises et des documents, quel qu'en soit le support, se rapportant aux délits précités. Si, à l'occasion d'une visite autorisée en application du 2 du présent article, les agents habilités découvrent des biens et avoirs provenant directement ou indirectement des délits précités, ils peuvent procéder à leur saisie après en avoir informé par tout moyen le juge qui a pris l'ordonnance et qui peut s'y opposer.

2. a) Hormis le cas de flagrant délit, chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure.

L'ordonnance comporte : (...)

-le nom et la qualité du fonctionnaire habilité qui a sollicité et obtenu l'autorisation de procéder aux opérations de visite ; (...)'.

S'agissant de l'habilitation des agents de la DNRED ayant été autorisés par le juge des libertés et de la détention à réaliser les opérations de visite et de saisie du 22 juin 2023 (dont les numéros de matricule et les qualités figurent en page 5 à 6 de l'ordonnance précitée), il convient de rappeler que selon l'article 64 du code des douanes, dans sa version applicable, '1. Pour la recherche et la constatation des délits douaniers, visés aux articles 414 à 429 et 459, les agents des douanes habilités à cet effet par le ministre chargé des douanes peuvent procéder à des visites en tous lieux, même privés, où les marchandises et documents se rapportant à ces délits ainsi que les biens et avoirs en provenant directement ou indirectement sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles. Ils sont accompagnés d'un officier de police judiciaire.

Les chefs de service à compétence nationale qui sont mentionnés au premier alinéa de l'article 2 du décret du 9 mai 1997, peuvent signer, au nom du ministre (...) et par délégation l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité. La Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, créée par arrêté du 29 octobre 2007, est un service à compétence nationale.

Par suite, le directeur de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières, nommé par le ministère chargé du budget sur proposition du Directeur général des douanes et droits indirects, dispose en application de ces textes combinés, dont l'article 64 à valeur législative, d'une délégation pour signer au nom du ministre, les habilitations des agents des douanes pour procéder aux visites domiciliaires visées à l'article 64 du code des douanes.

Le moyen sera écarté.

Sur l'absence alléguée de contrôle effectif par l'autorité judiciaire des opérations de visite:

- Les requérants soutiennent qu'aucune pièce de la procédure ne permet d'établir que le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de BOURG EN BRESSE, auxquel le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de CRETEIL a délivré une commission rogatoire, les opérations de visites et de saisies du 22 juin 2023 se déroulant au siège de la Société ONE SYSTEM, soit dans le ressort de ce tribunal judiciaire, n'ait été informé de la date des opérations et ait pu exercer son contrôle, notamment en se rendant dans les locaux pendant l'opération, le procès-verbal de visite et de saisie n'en faisant aucunement état. Il est également allégue qu'il n'est pas établi que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de BOURG EN BRESSE ait pu exercer un contrôle a posteriori de ces opérations.

- L'administration des douanes réplique que les magistrats compétents ont bien été avisés du déroulement des opérations ; l'article 64 du code des douanes leur laissant toute latitude dans l'exercice de leur contrôle et alors qu'ils étaient assistés d'un officier de police judiciaire.

Sur ce, le magistrat délégué :

L'article 64 du code des douanes énonce que : ' 2. a) Hormis le cas de flagrant délit, chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure.

Il désigne l'officier de police judiciaire ou l'agent des douanes habilité en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale chargé d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement.

La visite s'effectue sous le contrôle du juge qui l'a autorisée. Lorsqu'elle a lieu en dehors du ressort de son tribunal judiciaire, il délivre une commission rogatoire, pour exercer ce contrôle, au juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel s'effectue la visite.

Le juge peut se rendre dans les locaux pendant l'intervention.

A tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite.'

Il est établi que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de BOURG-EN-BRESSE a été avisé de l'opération de visite domiciliaire dans son ressort. Aucune disposition de l'article 64 du code des douanes ne prescrit que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de BOURG-EN-BRESSE, désigné sur commission rogatoire de son homologue compétent à raison du lieu de la direction des douanes dont dépend le service chargé de la procédure, soit le tribunal judiciaire de Créteil, se rende obligatoirement sur les lieux afin de contrôler les opérations de visite domiciliaire.

Le procès-verbal du 22 juin 2023 retraçant les opérations de visite domiciliaire au siège de la société ONE SYSTEM mentionne que les agents des douanes ont informé l'occupante des lieux que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de BOURG-EN-BRESSE a été désigné pour contrôler la visite domiciliaire, qui s'est en outre déroulée en présence d'un officier de police judiciaire, dont le rôle consiste, outre d'assister à ces opérations, de tenir informé le juge de leur déroulement. Les droits de la société ONE SYSTEM ont donc été respectés à cet égard.

Le moyen sera écarté.

Sur le grief tiré de l'absence de proportionnalité des saisies :

- Les requérants soutiennent que, en pages 27 à 36 de leurs écritures, auxquelles il sera référé pour de plus amples détails sur les griefs soulevés, que la Société ONE SYSTEM propose des service d'hébergement de données numériques et, à ce titre, elle a hébergé les serveurs des sociétés LM REALISATIONS et CT CONSULTANTS lesquelles sont ainsi bien fondées à solliciter l'annulation des saisies massives et indifférenciées réalisées dans ces locaux.

Ils arguent que " les opérations informatiques " relatées en page 4 suiv. du procès-verbal de saisie précise que la saisie du contenu de certains supports de données informatiques a été réalisé de manière générale sans sélection. Ils font valoir que ces différentes saisies ont été globales et indifférenciées, puisqu'elles ont porté sur la saisie de l'ensemble des messages, photos et autres contenus de ces supports, sans qu'il soit fait état de la moindre opération de sélection, caractérisent une atteinte disproportionnée au droit au secret des correspondances et au droit à la protection des données à caractère personnel (" la copie de la messagerie [Courriel 15] " (p. 4) dont l'inventaire du support est repris dans le fichier " ONE-MAIL-01 " ; " la copie d'un smartphone de marque Apple modèle iPhone 14 Pro " (p. 5), dont l'inventaire du support est repris dans le fichier " ONE-TEL-01.ad1.cvs ").

Concernant les autres " opérations informatiques " (p. 6 s.), les requérants soutiennent que le procès-verbal de saisie vise une sélection de fichiers sans précision sur les critères de sélection, notamment par référence à des mots clés (p.32 à 34). Ils allèguent en outre que le CDRom comprenant " les fichiers inventaires " ne permet pas le moindre contrôle quant à la nature et au contenu des données saisies, ni par les requérantes, ni par la juridiction.

Il est soutenu que la copie des saisies informatiques placées sous scellé n'a pas été mise à la disposition de la juridiction, de sorte que le Conseil du requérant n'a pas été en mesure de les consulter. Il allègue donc que même pour les saisies dont il est argué qu'elles ont été différenciées, il est ainsi impossible de déterminer si les fichiers sont en lien avec la fraude alléguée et si des correspondances saisies sont couvertes par le secret professionnel s'agissant des échanges avec un avocat.

- L'administration des douanes réplique en premier lieu que les requérants ne peuvent démontrer aucun grief. Elle ajoute que les enquêteurs ne sont pas tenus de communiquer avec précision les critères de sélection des données saisies, ni de révéler les modalités techniques des saisies, les de recherche et les mots-clés utilisés comme indiqué par la jurisprudence de la Cour de cassation.

L'administration des douanes fait valoir que Mme [E] [A], représentante de la société ONE SYSTEM, a eu le loisir d'assister à l'ensemble des opérations de visite et de saisie et qu'elle n'a pas émis de réserve quant à celles-ci ; l'officier de police judiciaire n'a opposé aucun refus d'accès aux données saisies et aux extractions informatiques.

Elle fait encore valoir que les requérants n'établissent pas en quoi les documents et données saisis seraient sans rapport avec les soupçons d'actes prohibés, ni ne démontrent une atteinte disproportionnée à leurs droits au regard du but légitime poursuivi par les enquêteurs de recherche des infractions. Elle observe que les enquêteurs ont fait preuve d'un discernement largement suffisant et de proportionnalité dans la recherche de documents en relation avec les agissements reprochés. L'administration des douanes expose qu'en effet, la copie intéerale de fichiers de messagerie sans individualisation de chaque message au regard de leur nornbre et des difficultés techniques de procéder à une individualisation de toutes les saisies, a rendu celles-ci nécessaires.

Elle soutient qu'en particulier, en matière d'exportation de biens à double usage, au regard de la complexité des schémas commerciaux possiblement mis en place pour contourner la réglementation et de la nécessité d'identifier le destinataire final des marchandises et de mettre en lumière les opérations concernées, la saisie d'un grand nombre de données, en particulier du téléphone portable et des ordinateurs du dirigeant de la société a été nécessaire. Elle souligne que malgré cela, les enquêteurs ont procédé à la copie sélective des fichiers présents sur les ordinateurs Microsoft de M. [L] comme en témoigne la faible quantité de lignes relatives aux fichiers saisis (362), ce qui démontre la volonté des enquêteurs de limiter le périmètre des saisies de documents à ceux contenant des éléments utiles à la preuve des agissements présumés.

Sur ce, le magistrat délégué :

En premier lieu, sur le grief tiré de la non-communication des mots-clés, il est de jurisprudence établie dans des domaines voisins concernant des visites domiciliaires, mais la solution est transposable à l'article 64 du code des douanes, que lors d'une opération de visite et de saisie, les enquêteurs ne sont pas tenus de préciser sur quels critères ils se sont fondés afin de déterminer que les documents saisis ont un lien avec l'enquête ou que des éléments saisis sont susceptibles d'être en lien avec l'enquête diligentée, ni de révéler les mots-clés qu 'ils ont utilisés. Ainsi, les mots-clés et critères de sélection utilisés par les enquêteurs pour identifier les documents saisis n'ont pas à être communiqués à la partie faisant l'objet des saisies. En effet, permettre à la partie qui subit la visite de prendre connaissance des mots-clés ou moteurs de recherche utilisés et, partant lors du déroulement des opérations de visite et de saisie, priverait lesdites opérations d'effet utile.

Le moyen selon lequel le procès-verbal du 22 juin 2023 ne permettrait pas un contrôle des éléments saisis à défaut d'indication des critères de recherche ou des mots clés sera écarté.

En outre, sur le grief fait aux enquêteurs d'avoir procédé à des saisies massives et indifférenciées, il convient de rappeler qu'il est de jurisprudence établie dans des domaines voisins concernant des visites domiciliaires, mais dont la solution est transposable à l'article 64 du code des douanes, que peut être saisi un élément susceptible, en tout ou partie, d'intéresser l'enquête. S'il résulte en effet de l'article 64 du code des douanes que les agents des douanes habilités ne peuvent procéder à la saisie que des marchandises et des documents, quel qu'en soit le support, se rapportant aux agissements prohibés retenus par l'ordonnance d'autorisation de visite domiciliaire, ils peuvent en outre saisir des documents pour partie utiles à la preuve des agissements recherchés (Com. 4 nov. 2020, n° 19-17.911) ; la saisie d'une pièce est ainsi valide dès lors que cette pièce est utile même pour partie à la manifestation de la vérité.

Il a été également jugé que la présence, dans une messagerie électronique, de courriels couverts par le secret professionnel, n'a pas pour effet d'invalider la saisie des autres éléments de cette messagerie. Selon la jurisprudence également, un fichier informatique indivisible peut être saisi dans son intégralité s'il est susceptible de contenir des éléments intéressant l'enquête. En effet, une messagerie électronique étant insécable, la saisie de la totalité de la messagerie est possible, dès lors qu'il a été constaté que, pour partie, elle contient des fichiers ou documents qui entrent dans le champ de l'autorisation donnée par le juge des libertés et de la détention.

Par suite, la saisie irrégulière de certains fichiers ou documents est sans effet sur la validité des opérations de visite et des autres saisies et, par conséquent, le cas échéant, la présence, parmi les documents saisis, de pièces couvertes par le secret de la correspondance ne saurait avoir pour effet d'invalider la saisie de tous les autres documents (Cass. crim., 11 décembre 2013, n° 12-86.427 ; Cass. crim., 20 avril 2022, n° 20-87.248).

En l'espèce, il ressort du procès-verbal du 22 juin 2023 que s'agissant des opérations informatiques, les agents n'ont sélectionné parmi les éléments retenus que ceux particulièrement susceptibles de présenter un intérêt, eu égard aux éléments recherchés (page 4). Il est mentionné que tous les éléments saisis sont repris dans un fichier unique et sont répertoriés à l'inventaire figurant en annexe 4 au procès-verbal.

Le moyen sera écarté.

Sur le grief tiré d'une atteinte aux droits de la défense, il ressort en outre d'une jurisprudence établie que les pièces contestées doivent être versées aux débats, en en expliquant les raisons pour chacune, l'absence de production rendant impossible de les identifier notamment comme bénéficiant du secret professionnel de l'avocat (Com. 7/06/2011, n° 10-19.585). Cette nécessité de verser les documents contestés est rappelée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme dans un arrêt du 2 avril 2015 (CEDH 2 avril 2015 Vinci Construction et GTM génie civil).

Ainsi, la charge de la preuve de ce que certains documents devraient être exclus du champ des saisies incombe aux requérants. Il appartient aux requérants de verser aux débats, afin qu'il puisse en être jugé, les documents dont ils estiment qu'ils n'étaient pas saisissables au regard du champ de l'autorisation. En l'espèce, les requérants en avaient la possibilité dès lors qu'une copie de l'inventaire des éléments saisis leur a été laissée conformément à l'article 64 du code des douanes. Or, aucune pièce n'est communiquée.

Le moyen sera écarté.

Sur le grief tiré du manque de proportionnalité des saisies, il convient de rappeller que selon l'article 64 du code des douanes, dans sa rédaction applicable à la date de l'ordonnance d'autorisation, « 1. Pour la recherche et la constatation des délits douaniers, visés aux articles 414 à 429 et 459, les agents des douanes habilités à cet effet par le ministre chargé des douanes peuvent procéder à des visites en tous lieux, même privés, où les marchandises et documents se rapportant à ces délits ainsi que les biens et avoirs en provenant directement ou indirectement sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles. Ils sont accompagnés d'un officier de police judiciaire ou d'un agent des douanes habilité en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale.

Les agents des douanes habilités peuvent procéder, à l'occasion de la visite, à la saisie des marchandises et des documents, quel qu'en soit le support, se rapportant aux délits précités. Si, à l'occasion d'une visite autorisée en application du 2 du présent article, les agents habilités découvrent des biens et avoirs provenant directement ou indirectement des délits précités, ils peuvent procéder à leur saisie après en avoir informé par tout moyen le juge qui a pris l'ordonnance et qui peut s'y opposer. ».

Il est de jurisprudence établie dans des saisies opérées par les agents de l'Autorité des marchés financiers (AMF) en application de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, mais dont la solution est transposable à l'article 64 du code des douanes, que sont saisissables les documents et supports d'information qui sont en lien avec l'objet de l'enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci, sans qu'il soit nécessaire que ces documents et supports appartiennent ou soient à la disposition de l'occupant des lieux. Ce texte, tout comme l'article 64 du code des douanes, poursuit un but légitime, à savoir a recherche et la constatation des délits douaniers et la lutte contre la fraude douanière, est nécessaire dans une société démocratique pour atteindre cet objectif. Il ne porte donc pas une atteinte excessive au droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance dès lors, d'une part, que les opérations de visite et de saisies ont préalablement été autorisées par un juge qui s'est assuré du bien-fondé de la demande, qu'elles s'effectuent sous son autorité et son contrôle, en présence d'un officier de police judiciaire, chargé de le tenir informé de leur déroulement, et de l'occupant des lieux ou de son représentant, qui prennent connaissance des pièces avant leur saisie, qu'elles ne peuvent se dérouler que dans les seuls locaux désignés par ce juge, que l'occupant des lieux et les personnes visées par l'ordonnance sont informés, par la notification qui leur en est faite, de leur droit de faire appel à un avocat de leur choix et que ces opérations peuvent être contestées devant le premier président de la cour d'appel par toutes les personnes entre les mains desquelles il a été procédé à de telles saisies, d'autre part, que seuls les éléments nécessaires à la recherche des infractions précitées peuvent être saisis, ceux n'étant pas utiles à la manifestation de la vérité devant être restitués (Cass., ass. plén., 16 déc. 2022, n° 21-23.719).

En outre, il convient de rappeler que les dispositions de l'article 64 du code des douanes qui énoncent que les agents de l'administration des douanes disposent d'un droit de visite et de saisie visent à conforter les présomptions selon lesquelles des délits douaniers auraient été commis. Cette mesure est donc encadrée par des règles de fond et procédurales et, notamment, ces visites sont autorisées par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, qui même si rendue non contradictoirement, peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel, de même que le déroulement des opérations de visite et de saisie. La décision du premier président de la cour d'appel pouvant faire l'objet d'un pourvoi.

Il convient donc de rappeler qu'en exerçant son contrôle in concreto sur le dossier présenté par l'administration fiscale, le juge des libertés et de la détention exerce de fait un contrôle de proportionnalité. En cas de refus, il peut inviter l'administration des douanes à avoir recours à d'autres moyens d'enquête moins intrusifs. En autorisant les opérations de visite et de saisie, le juge des libertés et de la détention a entendu accorder à l'administration des douanes ces modes d'investigations plus intrusifs en fonction du dossier présenté.

En l'espèce, conformément à la jurisprudence constante, le juge des libertés et de la détention s'est référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'administration des douanes et a souverainement apprécié l'existence des présomptions d'agissements frauduleux, visés à l'article 64 du code des douanes et aux articles d'incrimination et de sanctions visés à l'ordonnance, justifiant la mesure autorisée.

Si l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) énonce que 'Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance', c'est sous réserve qu' 'Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.'.

En l'espèce, il s'infère de ce qui précède qu'il n'y a pas eu violation des dispositions de l'article 8 de la CESDH et que la visite domiciliaire ordonnée s'est déroulée conformément aux dispositions de l'article 64 du code des douanes précité et n'a pas induit de saisies disproportionnées eu égard au but poursuivi rappelé ci-dessus.

Ce moyen sera rejeté.

Il suit de ce qui précède que les opérations de visite et de saisie effectuées au siège social de l'entreprise ONE SYSTEM seront déclarées régulières. Par suite, les demandes d'annulation du procès-verbal du 22 juin 2023 et des actes subséquents formés par les requérants dans leurs écritures en pages 27 à 30, seront rejetées.

Par suite, il n'y a pas lieu à poser de question préjudicielle.

SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE :

L'équité commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'administration des douanes qui se verra ainsi allouer la somme de 3000 euros à la charge des appelants et requérants.

Les circonstances de l'espèce justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des appelants qui succombent sur l'ensemble de leurs demandes.

SUR LES DEPENS :

Selon l'article 367 du code des douanes, en matière douanière, en première instance et sur appel, l'instruction est verbale et sur simple mémoire et sans frais de justice à répéter de part ni d'autre.

Dès lors, il n'y aura pas lieu à dépens.

PAR CES MOTIFS

Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros de RG 23/11278, RG 23/15118 (appels), RG 23/11279 et RG 23/15122 (recours) et disons que l'instance se poursuivra sous le numéro RG le plus ancien, soit le numéro de RG 23/11278.

Confirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de CRÉTEIL du 19 juin 2023 et l'ordonnance du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de CRÉTEIL du 19 juin 2023 délivrant commission rogatoire au juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Bourg en Bresse (01) pour contrôler les opérations de visite et saisie à effectuer dans le ressort de cette juridiction en application de son ordonnance précitée,

Déclarons régulières les opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées au siège social de l'entreprise ONE SYSTEM : [Adresse 17] (01), tant les pièces à usage professionnel que les éventuelles pièces à usage d'habitation, parkings, caves, dépendances et annexes ainsi que les véhicules détenus ou utilisés par la société ONE SYSTEM ou son dirigeant, M. [Z] [L] et s'y trouvant,

Condamnons KERMAZ S.A.R.L., Monsieur [F] [M], Monsieur [D] [W], la société LM REALISATIONS S.A.R.L. et la société CT CONSULTANTS S.A.R.L. à payer à l'administration des douanes et droits indirects la somme de TROIS MILLE EUROS au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejetons le surplus des demandes,

Disons n'y avoir lieu à dépens.

LE GREFFIER

Véronique COUVET

LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT

Olivier TELL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 15
Numéro d'arrêt : 23/11278
Date de la décision : 17/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-17;23.11278 ?
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