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05/07/2024 | FRANCE | N°18/13326

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 13, 05 juillet 2024, 18/13326


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13



ARRÊT DU 05 Juillet 2024



(n° , 9 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/13326 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6Z3A



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Octobre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 18/00634



APPELANTE

CPAM 19 - CORREZE

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentÃ

©e par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS



INTIMEE

SAS [7]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Phil...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 13

ARRÊT DU 05 Juillet 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/13326 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6Z3A

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 Octobre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de PARIS RG n° 18/00634

APPELANTE

CPAM 19 - CORREZE

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

SAS [7]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Philippe PACOTTE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0513 substitué par Me Henri HAGUET, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

Monsieur Christophe LATIL, Conseiller

Greffier : Madame Agnès ALLARDI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre et par Madame Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze d'un jugement rendu le 15 octobre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l'opposant à la SA [7].

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que le 20 mars 2017, Mme [M] [U], salariée de la société [7] (ci-après l'employeur) a transmis à la caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze (ci-après la caisse) une déclaration de maladie professionnelle au titre d'un syndrome dépressif suite à un harcèlement au travail, à laquelle était joint un certificat médical du même jour évoquant la même pathologie ; que la pathologie déclarée n'étant visée par aucun tableau de maladies professionnelles et le taux d'incapacité prévisible de Mme [U] étant supérieur à 25 %, la caisse a saisi pour avis le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région Limoges-Limousin-Poitou-Charentes ; que ce comité a rendu le 6 novembre 2017 un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie ; que la caisse a pris en charge la maladie au titre de la législation professionnelle ; que l'employeur a saisi la commission de recours amiable qui, par décision du 8 février 2018, a confirmé la décision de prise en charge ; que l'employeur a alors contesté cette décision et saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris.

Par jugement du 15 octobre 2018, le tribunal a déclaré la décision de prise en charge inopposable à l'employeur au motif que la caisse n'avait pas fait parvenir au comité régional l'avis motivé du médecin du travail.

La caisse a relevé appel de ce jugement.

Par arrêt du 28 février 2020 auquel il convient de se référer pour un plus ample exposé du litige, la cour :

dit que l'avis rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région Limoges-Limousin-Poitou-Charentes est irrégulier,

enjoint à la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze de saisir sans délai le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelle de [Adresse 9] pour qu'il donne un avis motivé sur la question de savoir si la maladie dont souffre Mme [M] [U] a été directement et essentiellement causée par son travail habituel,

enjoint aux parties de communiquer les documents médicaux en leur possession en vue de la constitution du dossier prévu à l'article D 461-29 du code de la sécurité sociale,

sursoit à statuer sur les autres demandes,

renvoie l'affaire à une audience ultérieure.

Par conclusions écrites visées et développées oralement à l'audience par son avocat, la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze demande à la cour de :

considérer que la caisse a respecté les dispositions en vigueur concernant la procédure de reconnaissance des maladies professionnelles ;

déclarer l'incompétence de la Cour en matière d'inscription au compte spécial de la maladie professionnelle de Mme [U], ce type de litige relevant de la CARSAT ;

homologuer les avis rendus par le CRRMP de [Localité 8] et par le CRRMP du Pays de la Loire, avis qui s'imposent à la Caisse ;

dès lors, débouter la SA [7] de son recours.

Par conclusions écrites n° 2 visées et développées oralement à l'audience par son avocat, la SA [7] demande à la cour de :

recevoir la SA [7] en ses écritures ;

rejeter l'ensemble des demandes formulées par la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze ;

ce faisant,

confirmer le jugement entrepris, rendu le 15 octobre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris ;

en conséquence,

à titre principal

constater l'absence de harcèlement subi par Mme [U] au sein de la SA [7] ;

admettre l'absence de lien direct et essentiel entre la pathologie de Mme [U] et le travail habituel de cette dernière ;

à titre très subsidiaire

constater que Mme [U] a été exposée au risque dont litige au sein d'une autre société au cours de sa carrière ;

admettre qu'il n'est pas possible de déterminer chez quel employeur, Mme [U] a été exposée au risque ayant entrainé la maladie du 20 mars 2017 ;

ce faisant,

juger imputable au compte spécial les conséquences financières de l'affection dont a déclaré être atteinte Mme [U] en date du 20 mars 2017, avec toutes suites et conséquences de droit ;

à titre très subsidiaire

constater que les soins et arrêts de travail prescrits à Mme [U] sont disproportionnés par rapport aux lésions constatées ;

admettre que la présomption d'imputabilité doit être écartée faute pour la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze de rapporter la preuve de la continuité des soins et de symptômes prescrits à Mme [U] ;

ce faisant,

juger inopposable à la SA [7] la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle des soins et arrêts de travail prescrits à Mme [U] suite à sa maladie du 20 mars 2017, avec toutes suites et conséquences de droit ;

pour le moins,

juger que les soins et arrêts de travail prescrits à Mme [U] suite à sa maladie du 20 mars 2017, n'auraient pas dû excéder 15 jours, avec toutes suites et conséquences de droit ;

à titre infiniment subsidiaire

constater qu'il existe un différend d'ordre médical portant sur la réelle imputabilité des soins et arrêts de travail indemnisés au titre de la maladie du 20 mars 2017 déclarée par Mme [U] ;

ce faisant,

ordonner une expertise médicale judiciaire afin de vérifier l'imputabilité des soins et arrêts de travail pris en charge par la Caisse au titre la maladie du 20 mars 2017.

y ajoutant,

condamner la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze aux dépens en vertu des dispositions des articles 695 et 696 du Code de procédure civile.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l'audience du 27 mai 2024 qu'elles ont respectivement soutenues oralement.

SUR CE

- sur le respect de la procédure d'instruction :

Moyens des parties :

La Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze expose que les modalités d'instruction issues du décret du 29 juillet 2009 trouvent en l'espèce application s'agissant de maladies déclarées à compter du 01 janvier 2010 ; qu'en application des articles R. 441-10 et R. 441-11 du code de la sécurité sociale, elle est tenue envers l'employeur d'assurer une information rigoureuse sur tous les points susceptibles de lui porter grief ; que le 28 mars 2017, elle a adressé à l'employeur un double de la déclaration de maladie professionnelle ; qu'elle a également accusé réception de la déclaration de maladie professionnelle auprès de Mme [U] ; que le 15 juin 2017, employeur et assurée ont tous deux été informés de la nécessité de recourir au délai complémentaire d'instruction ; que le 21 juillet 2017, la caisse a adressé à l'assurée et à son employeur une lettre de clôture en lui précisant qu'ils pouvaient consulter les pièces constitutives du dossier avant transmission du dossier au CRRMP, soit avant le 10 août 2017 ; que le 7 novembre 2017, elle a notifié à l'assurée et à son employeur la décision définitive de prise en charge de la maladie dont souffre l'assurée déclarée au titre de la législation professionnelle.

La SA [7] ne soulève aucun moyen à ce titre.

Réponse de la Cour :

Les articles R 441-10 et suivants du code de la sécurité sociale organisent le caractère contradictoire de la procédure de reconnaissance d'une maladie professionnelle. A cet égard, l'article R 441-11 alinéa 1er, dans sa version applicable au litige précise l'obligation pour la caisse, hors cas de décision implicite, d'information de la victime, de ses ayants droit et de l'employeur, préalablement à sa décision, sur la procédure d'instruction et sur les points susceptibles de leur faire grief. En application de ce texte, il a été précisé que la caisse devait informer l'employeur de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle prévoyait de prendre sa décision. Le délai imparti doit être suffisant pour permettre la consultation du dossier et la présentation d'observation sur les éléments faisant grief.

En la présente espèce, la cour a répondu au moyen tiré de l'absence de transmission de l'avis du médecin du travail au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles portant sur la maladie et la réalité de l'exposition à un risque professionnel présent dans l'entreprise en indiquant que le défaut de cette pièce n'est pas sanctionné par l'inopposabilité de la décision mais l'irrégularité de la saisine du premier comité. C'est dans ces conditions que la cour a ordonné la saisine d'un second comité .

Aucun moyen d'inopposabilité n'étant soulevé, et la caisse démontrant le respect des obligations mises à sa charge par la production de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle, de la transmission à l'employeur, de la lettre de clôture laissant un délai de 10 jours avant de statuer, la procédure doit être jugée régulière.

- sur la reconnaissance d'une maladie hors tableau :

Moyens des parties :

La Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze expose que les deux comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles saisis ont reconnu l'origine professionnelle de la pathologie de l'assurée.

La SA [7] réplique que la preuve d'un harcèlement moral à l'origine de la maladie professionnelle déclarée par Mme [M] [U] n'est pas rapportée ; qu'il n'est pas démontré le lien direct et essentiel entre le travail effectué par l'assurée en son sein et la pathologie qu'elle a déclarée.

Réponse de la Cour :

En application des dispositions de l'article L. 461-1 alinéa 4 du code de la sécurité sociale, dans sa version issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, applicable au litige,

« Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé ».

En l'espèce, l'assurée a déclaré le 20 mars 2017 une maladie professionnelle qualifiée de syndrome dépressif suite à harcèlement au travail auprès de l'entreprise [7], dont la date de première constatation médicale est fixée au 10 février 2017. Le certificat médical initial mentionne un syndrome dépressif suite à harcèlement au travail. Il décrit :« angoisse ++ avec oppression thoracique ; nécessité du traitement ' »

En réponse au questionnaire adressé par la caisse, qui a ouvert une enquête à la suite de la lettre de réserves du 11 avril 2017, la société indique ne pas avoir eu connaissance d'une quelconque situation traumatisante vécue par la salariée au travail et en lien avec ce dernier.

L'enquête administrative a permis de recueillir les doléances de l'assurée qui se plaint de ne pas pouvoir joindre par téléphone sa responsable hiérarchique, ce qui aurait pour conséquence d'entraîner des problèmes dans l'approvisionnement des produits nettoyants dont elle a besoin pour travailler. L'assurée estime avoir été mis en difficulté pour son travail. Elle a ajouté avoir eu l'impression d'être oubliée par ses responsables. Elle fait état de la mise en place un système de pointage par téléphone qu'elle aurait vécu comme un manque de confiance de la part de son employeur. Elle indique avoir refusé cette procédure avant d'être convoquée par la direction pour un entretien ce sujet. Elle indique avoir mal vécu l'ingérence de sa supérieure qui lui avait demandé les raisons d'une demande de congés exceptionnels. Elle indique enfin le non-paiement d'heures de ménage réalisées au musée d'[6] qui aurait trouvé une solution grâce à l'intervention d'un délégué du personnel. Elle ajoute avoir mal vécu une démarche à son domicile pour signer une attestation de stage ainsi qu'une lettre d'information sur la vidéo surveillance.

Le procès-verbal de constatation du 23 mai 2017 précise les points suivants : un système de pointage a été mis en place au plan national dont les salariés ont été informés en janvier 2016. Une mise en garde a été adressée à l'assurée le 10 janvier 2016 et il s'en est suivi d'un avertissement notifié le 21 janvier 2016. La salariée a été convoquée pour un entretien le 21 mars 2016. Selon les déclarations du responsable de site, la salariée se plaignait de flicage. Elle n'a pas été sanctionnée et a accepté de pointer. Il indique ne pas se plaindre des prestations de la salariée qui vit toute démarche de la part de l'employeur comme une agression. S'agissant de la démarche faite au domicile de l'assurée lors de son arrêt maladie, l'employeur la justifie par la nécessité de régulariser son dossier administratif. S'agissant de la demande de prise d'un seul jour de congé, l'employeur indique que la règle est de prendre une semaine de congés et que des demandes qui dérogent sont soumises à vérification. S'agissant de l'utilisation de la vidéosurveillance, l'employeur indique il s'agit de protéger les salariés contre les accusations de vol. Cette lettre n'a pas été notifiée par la salariée à son domicile mais par une lettre qu'il est adressé par voie postale. S'agissant des heures effectuées au musée [6], l'employeur se défend en indiquant qu'un avenant n'avait pas été renouvelé en 2017 alors que l'assurée avait continués de travailler.

Mme [R] [Y], déléguée syndicale, précise que l'assurée avait alerté l'ancienne déléguée du personnel pour lui faire part de son mal-être au travail et du fait qu'aucune personne ne répondait à ses demandes d'information. Elle indique que la salariée était en pleurs et qu'elle était elle-même effrayée de la pression qui lui était mise. Elle précise que ce sont ajoutés d'autres problèmes liés au non-paiement de frais de déplacement. Elle indique enfin que le courrier sur la vidéosurveillance a été adressé à l'ensemble des salariés sans que le comité d'entreprise n'ait été consulté.

L'entretien avec la supérieure hiérarchique de l'assurée indique que lors de sa prise de fonction, il existait un manque de suivi administratif lié aux commandes. Elle a donc structuré les besoins avec la mise en place de fiches, les remontées se faisant soit par courrier, soit par fax, soit par texto. Les livraisons étaient réalisées sur site une fois par mois. Elle indique ne pas avoir été au courant de la consigne donnée qui est de ne plus passer par l'assistante régie phone qui travaillait pour [6] sur le site pour transmettre par mail les demandes de l'assurée. Elle indique qu'il n'y a jamais eu de souci sur la remontée des besoins de l'assurée à l'exception de la question des aspirateurs. Elle indique que les commandes n'avaient rien d'exagéré. Elle raconte avoir eu une conversation avec l'assurée qui travaillait parallèlement chez [5] avec lequel elle rencontrait des problèmes. Pour autant, elle se sentait persécutée par [7]. Elle indique être satisfaite du travail de l'assurée et précise n'avoir jamais voulu ne pas répondre aux sollicitations de cette dernière. Elle précise qu'elle ne connaît pas la salariée pour l'avoir jamais rencontrée physiquement.

La société produit deux courriers l'un mentionnant janvier 2016, l'autre, la date du 25 janvier 2016 appelant les motifs pour lesquels le pointage téléphonique est demandé, à savoir l'enregistrement du passage dans les locaux clients et le suivi des prestations, l'assurance de la sécurité grâce aux alertes en cas de non prise de poste de retard dans le départ du site client et de permettre aux équipes de l'agence de palier avec une meilleure réactivité aux absences éventuelles. Ces deux courriers font le reproche à l'assurée de ne pas respecter la procédure de pointage, le second courrier notifiant la sanction d'un avertissement et menaçant de sanctions ultérieures plus graves.

Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région des Pays de la Loire mentionne qu'après avoir étudié les pièces médico-administratives du dossier, il considère que les éléments apportés ne permettent pas d'avoir un avis contraire à celui donné par le premier comité saisi.

Le premier comité saisi indique que la salariée avec une dégradation des conditions de travail à partir de 2011 à la suite de la restructuration de l'entreprise et à la désignation de nouveaux responsables régionaux et locaux. Le comité souligne que l'assurée rapporte des conditions de travail délétère en lien avec un climat de suspicion (contrôle de l'activité et risque de sanction disciplinaire par vidéosurveillance), de nombreuses pressions, des difficultés pour contacter les responsables de proximité, fait vécu comme des manques de confiance et manque de respect à l'origine de son état actuel.

Il constate concomitamment l'installation de troubles psychiatriques durables ayant nécessité une prise en charge et un traitement spécialisé ainsi qu'un arrêt de travail depuis le 10 février 2017. Il relève une alerte par l'assurée, par courrier et mail, du comité d'entreprise et de la DRH début 2017 sur les conditions de travail. Il souligne enfin l'absence d'antécédents personnels en rapport avec la pathologie.

De l'ensemble de documents présentés, la cour retient d'une part une totale déshumanisation de la relation de travail entre l'assurée et sa supérieure hiérarchique, les communications étant limitées à des coups de téléphone, des textos sans aucune rencontre physique. La dématérialisation de la relation de travail associée à la mise en place du pointage téléphonique dont le premier rôle est de s'assurer de la prestation effective de tout salarié lors de son passage chez des clients a pu entraîner, pour un salarié travaillant seule, un sentiment d'isolement puis de « flicage », poussant à l'interprétation d'une défiance de l'employeur à son égard.

C'est donc à juste titre que les symptômes dépressifs décrits, alors qu'aucune cause extérieure exclusive ni aucun état pathologique préexistant ne sont constatés, que le second comité saisi a reconnu un lien direct et essentiel entre le travail habituel de l'assurée et sa maladie. Le fait que l'assurée soit en difficulté avec un autre employeur ne constitue, de ce fait, pas une cause étrangère à son travail habituel dans la société [7].

Le jugement déféré sera donc infirmé.

- sur la demande d'inscription en compte spécial :

Moyens des parties :

La Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze expose que les règles de calcul du taux de cotisation pour les risques professionnels sont déterminées par les articles D.242-6-1 et suivants du code de la sécurité sociale et notamment par l'article D. 242-6-7, qui précise les règles de classement dans les catégories de coûts moyens ; que la Cour de cassation a décidé que les demandes de l'employeur de retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle ou d'inscription de ces dépenses au compte spécial, même formées avant notification de son taux de cotisation, relèvent de la seule compétence de la juridiction du contentieux de la tarification de l'assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles ; que la compétence de cette inscription au compte spécial échoie donc à la CARSAT ou à défaut à la Cour d'Appel d'Amiens.

La SA [7] réplique qu'à supposer que Mme [M] [U], agent d'entretien, ait été exposée au risque invoqué en son sein, il apparaît néanmoins et surtout, au regard notamment de la déclaration de maladie professionnelle complétée par l'assurée sociale, que cette dernière a été exposée audit risque chez d'autres employeurs pour lesquelles elle exerçait des fonctions identiques susceptibles de l'exposer aux risques de cette maladie et particulièrement au sein de la société [5] ; qu'elle y a subi une situation de harcèlement morale ayant provoqué un état anxio-dépressif.

Réponse de la Cour :

La maladie devant être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque, avant sa constatation médicale, il appartient à ce dernier de rapporter la preuve contraire.

Les demandes de l'employeur aux fins de retrait de son compte des dépenses afférentes à une maladie professionnelle ou d'inscription de ces dépenses au compte spécial, même formées avant notification de son taux de cotisation, relèvent de la seule compétence de la juridiction du contentieux de la tarification de l'assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles (2e Civ., 28 septembre 2023, pourvoi n° 21-25.719).

La cour est donc incompétente pour connaître du contentieux soulevé par la société dont la demande sera déclarée irrecevable.

- sur la durée des soins et arrêts :

Moyens des parties :

La SA [7] conteste la durée des soins au regard des référentiels de la Haute Autorité de Santé et sur la continuité des symptômes et des soins. À titre infiniment subsidiaire, elle demande une expertise sur ce point.

La Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze ne répond pas.

Réponse de la Cour :

Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime. Il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire, à savoir celle de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou la maladie ou d'une cause extérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs (2e Civ., 12 mai 2022, pourvoi 20-20.655 ). La cour ne peut, sans inverser la charge de la preuve, demander à la caisse de produire les motifs médicaux ayant justifié de la continuité des soins et arrêts prescrits sur l'ensemble de la période. (2e Civ., 10 novembre 2022, pourvoi n 21-14.508). Il en résulte que l'employeur ne peut reprocher à la Caisse d'avoir pris en charge sur toute la période couverte par la présomption d'imputabilité les conséquences de l'accident du travail ou de la maladie professionnelle s'il n'apporte pas lui-même la démonstration de l'absence de lien.

Ainsi, la présomption d'imputabilité à l'accident des soins et arrêts subséquents trouve à s'appliquer aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident, mais également aux lésions nouvelles apparues dans les suites de l'accident (2e Civ., 24 juin 2021, pourvoi n 19-24.945) et à l'ensemble des arrêts de travail, qu'ils soient continus ou non.

En outre, les dispositions de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale ne sont pas applicables lorsque la demande de prise en charge porte sur de nouvelles lésions survenues avant consolidation et déclarées au titre de l'accident du travail initial. (Civ.2: 24 juin 2021 n 19-25.850).

Une cour d'appel peut, sans porter atteinte au droit à un procès équitable ni rompre l'égalité des armes entre l'employeur et l'organisme de sécurité sociale, estimer, au regard des éléments débattus devant elle, qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner une mesure d'instruction (2e Civ., 11 janvier 2024, pourvoi n° 22-15.939)

En l'espèce, le certificat médical initial prescrit un arrêt de travail jusqu'au 16 avril 2017. La présomption d'imputabilité des soins et arrêts jusqu'à la date de consolidation est donc établie. Il appartient donc à la société de démontrer l'existence d'une cause étrangère ou d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte.

Le seul fait de se référer au référentiel de la Haute Autorité de Santé ne constitue ni la pièce médicale permettant de renverser la charge de la preuve ni le liminaire de preuve justifiant de l'existence d'une contestation d'ordre médical, l'expertise n'étant pas de droit.

La SA [7], qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

DÉCLARE recevable l'appel de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze ;

INFIRME le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris le 15 octobre 2018 en ses dispositions soumises à la cour ;

STATUANT À NOUVEAU :

DÉCLARE opposable à la SA [7] la décision de la Caisse primaire d'assurance maladie de la Corrèze de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la maladie professionnelle déclarée 20 mars 2017par Mme [M] [U] et les soins et arrêts de travail prescrits à ce titre ;

DÉCLARE irrecevable la demande d'inscription en compte spécial ;

DÉBOUTE la SA [7] de toutes ses demandes ;

CONDAMNE la SA [7] aux dépens d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 18/13326
Date de la décision : 05/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-05;18.13326 ?
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