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04/07/2024 | FRANCE | N°23/17916

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 04 juillet 2024, 23/17916


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 2



ARRÊT DU 04 JUILLET 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/17916 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIPON



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Novembre 2023 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2023026372





APPELANTE



S.A. GENERALI IARD, RCS de Paris sous le n°552 0

62 663, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL ...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 04 JUILLET 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/17916 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIPON

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Novembre 2023 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° 2023026372

APPELANTE

S.A. GENERALI IARD, RCS de Paris sous le n°552 062 663, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant Me Guillaume TARIN, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMEE

SPK YACHTING LIMITED, société de droit maltais agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 1] (MALTE)

Représentée par Me Marion CHARBONNIER de la SELARL ALEXANDRE-BRESDIN-CHARBONNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0947

Ayant pour avocat plaidant Me Jean-Philippe MASLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C806

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 Mai 2024, en audience publique, Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre, ayant été entendue en son rapport dans les conditions prévues par l'article 804, 805 et 905 du code de procédure civile, devant la cour composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre,

Michèle CHOPIN, Conseillère,

Laurent NAJEM, Conseiller,

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

La société SPK Yatching Limited est une société immatriculée à Malte ayant pour objet social la propriété et la gestion du navire « Spice of Life », yatch d'environ 27 mètres. Elle a pour actionnaires Mme [D] et M. [W], ce dernier étant également capitaine du navire, chacun détenant respectivement 50 et 49% des parts sociales, la société 2M Invest détenant 1%.

La société SPK Yatching Limited a acheté ce navire pour un montant de 174.347,12 euros, financé par un prêt hypothécaire accordé par la société AFK Bank.

En 2019, elle a assuré le navire auprès de la société Generali Iard, sa valeur étant alors estimée à 650.000 euros.

Suite à des travaux, un avenant à la police d'assurance a été signé le 31 août 2022, mentionnant que la valeur du navire est désormais de 830.000 euros. L'avenant indique que la police est en vigueur à compter du 16 août 2022 jusqu'au 27 novembre 2022.

Dans la nuit du 6 au 7 novembre 2022, alors qu'il se rendait sur un chantier naval à [Localité 5] (Tunisie) pour des travaux de maintenance, le navire a sombré au large de la Corse. Son renflouage n'a pu être effectué au regard de la profondeur de la zone du sinistre.

Informée du sinistre, la société Generali Iard a mandaté un expert, le cabinet Experts & consultants, lequel a conclu le 6 février 2023 n'être pas en mesure d'identifier les causes du naufrage, l'épave du navire étant impossible à renflouer.

Par acte du 14 juin 2023, la société SPK Yatching Limited a assigné la société Generali Iard devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 858.745,57 euros à titre de provision, sauf à parfaire, correspondant à l'indemnité d'assurance due à la suite de la perte totale du navire Spice of Life, avec intérêts à taux légal depuis le 6 novembre 2022.

La société Generali Iard a conclu au débouté et en tout état de cause à la désignation d'un expert.

Par ordonnance contradictoire du 10 novembre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société Generali Iard de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamné la société Generali Iard à payer à titre de provision à la société de droit maltais SPK Yatching Limited la somme de 858.745,57 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2022 ;

- condamné la société Generali Iard à payer à titre de provision à la société de droit maltais SPK Yatching Limited la somme de 5.000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;

- condamné en outre la société Generali Iard aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,93 euros TTC dont 6,78 euros de TVA.

Par déclaration du 20 novembre 2023, la société Generali Iard a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 13 mai 2024, elle demande à la cour, au visa des articles 145 et 873 du code de procédure civile, de :

- infirmer l'ordonnance de référé du 10 novembre 2023 en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau,

A titre principal,

- débouter la société SPK Yatching Limited de ses demandes à son encontre ;

A titre subsidiaire :

- infirmer l'ordonnance de référé du 10 novembre 2023 en ce qu'elle a assorti sa condamnation d'intérêts au taux légal courant à compter du 16 novembre 2022 ;

Et statuant à nouveau,

- ordonner que les intérêts au taux légal dont serait assortie une quelconque condamnation à son encontre commencent à courir à compter de la date de l'arrêt de la cour à intervenir ;

En tout état de cause :

- désigner un expert judiciaire qu'il lui plaira avec pour mission de :

1. convoquer les parties et leur conseil ;

2. se faire communiquer l'ensemble des documents nécessaires à l'exécution de sa mission en ce compris les documents déjà demandés par Generali, ou par ses experts, à Spk yachting et à Evidence yachting, ainsi que les éventuels procès-verbaux d'audition de l'équipage par la gendarmerie maritime, les enregistrements radar et VHF du navire pour la reconstitution du naufrage auprès de la SNSM, du Cross et autres sources possibles, et procéder à tout examen et audition qu'il estimera nécessaire ;

3. identifier et auditionner (i) le propriétaire du navire « Spice of Life », (ii) les membres d'équipage qui étaient présents sur le navire « Spice of Life » les 6 et 7 novembre 2023, (iii) les intervenants de la SNSM, (iv) les représentants de la société E-Electric, (v) M.[S], expert maritime, (vi) les représentants de la société Evidence Yachting, ainsi que tout autre témoin tant des interventions techniques réalisées sur ce navire dans les 24 mois avant le sinistre, que du naufrage survenu entre les 6 et 7 novembre 2022 ;

4. lister l'historique des faits, des travaux et des investigations réalisées avant la désignation de l'expert judiciaire, et les participants à ces opérations ;

5. examiner tout document disponible à propos du navire « Spice of Life », numéro MMSI 229418000, immatriculé à Malte sous le numéro 14390, en présence des parties ; décrire autant que possible son état au jour du sinistre et identifier tout éventuel vice, non-conformité, défaut d'entretien et désordre, notamment au niveau du moteur, des pompes de cale, des alarmes de cale, des cloisons et des portes étanches et installations électriques ;

6. localiser le lieu du naufrage du « Spice of Life » et déterminer les heures des différents évènements survenus au cours du naufrage, notamment l'heure à laquelle (i) le prétendu envahissement d'eau aurait commencé, (ii) les alarmes de cale se seraient déclenchées (ou auraient dû se déclencher), (iii) l'équipage aurait détecté le prétendu envahissement d'eau, (iv) l'équipage aurait contacté les secours, (v) l'équipage aurait quitté le navire, (vi) le navire aurait sombré, (vii) l'équipage aurait été récupéré par les secours ;

7. décrire le processus de naufrage d'un navire tel que le « Spice of Life » par envahissement d'eau et décrire les phénomènes qui se manifestent dans un tel cas de figure ;

8. analyser les rapports de mer de l'équipage du « Spice of Life » présent à bord lors du naufrage survenu dans la nuit du 6 et 7 novembre 2022 et dire si ces rapports comportent des incohérences ; auditionner l'équipage du « Spice of Life » au sujet de ces rapports de mer et des circonstances du naufrage et dire si le récit du naufrage par l'équipage est sincère ou s'il comporte des incohérences par rapport aux circonstances du sinistre de nature à démontrer qu'il n'était pas sincère ;

9. examiner la dernière photographie du « Spice of Life » prise par l'équipage ; déterminer l'heure à laquelle elle a été prise ; dire si cette photographie est cohérente avec le récit du naufrage de l'équipage ;

10. déterminer les circonstances et les causes du naufrage du navire « Spice of Life » entre les 6 et 7 novembre 2022, et notamment l'heure à partir de laquelle l'envahissement d'eau a pu commencer à se manifester ;

11. déterminer si les membres d'équipage présents sur le « Spice of Life » lors du naufrage disposaient des certificats de compétence valides pour occuper leur poste au jour du naufrage du « Spice of Life » ;

12. examiner les documents disponibles à propos des alarmes de cale ; identifier leur nombre à bord du « Spice of Life » et leur mode de déclenchement ; dire si ces alarmes de cale étaient conformes à la réglementation au moment du naufrage ;

13. examiner les documents disponibles à propos des pompes de cale ; déterminer le nombre de pompes de cale présentes à bord du « Spice of Life » lors du naufrage ; dire si ces pompes de cale étaient conformes à la réglementation ; dire si et comment ces pompes de cale se sont déclenchées lors du naufrage ;

14. examiner les documents disponibles à propos des cloisons et portes étanches du « Spice of Life » , et en particulier de la salle des machines ; dire si le « Spice of Life » était équipé de cloisons et portes étanches conformes à la réglementation au moment du naufrage ; dire si l'envahissement d'eau ;

15. examiner les documents disponibles à propos de l'installation électrique du navire ; dire si cette installation était conforme aux règles du pavillon et/ou d'une société de classification ;

16. déterminer la valeur vénale du navire « Spice of Life » au jour du naufrage ;

17. s'adjoindre tout sapiteur ou toute personne dont la compétence particulière pourrait lui sembler utile ;

18. dresser un pré-rapport répondant aux dires et observations des parties et le soumettre à leur discussion ;

19. du tout dresser un rapport répondant aux chefs de mission et permettant d'éclairer le juge du fond éventuellement saisi sur les circonstances du naufrage du navire « Spice of Life » survenu dans la nuit du 6 au 7 novembre 2022 ;

- condamner la société Spk Yatching Limited à lui payer une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Generali Iard soutient en substance que plusieurs contestations sérieuses s'opposent à la demande de provision :

- la première tenant à une possible déchéance de garantie en conséquences de fausses déclarations de l'assuré, le rapport de M. [J], enquêteur d'assurance et les réponses à ses questions du cabinet Experts & consultants, expert maritime, faisant ressortir des incohérences dans le récit du naufrage par l'équipage quant à la perte de vitesse du navire comme premier symptôme de la voie d'eau, l'évolution de l'envahissement d'eau, la prétendue perte de courant, la durée du sinistre et l'ultime photographie du navire, ce à quoi s'ajoute le contexte du naufrage et notamment la réévaluation de la valeur d'assurance du navire près de deux mois avant le sinistre et le refus de l'assuré de communiquer de nouvelles pièces, l'ensemble conduisant à suspecter une fraude ;

- la deuxième tenant à une possible exclusion de garantie en raison de la non-conformité et/ou du vice propre du navire relevés par les experts de l'assureur quant aux pompes de cale, aux alarmes de niveau de cale, à l'étanchéité des cloisons, au diplôme du chef mécanicien,

- la troisième tenant à une possible déchéance de garantie résultant de la non-coopération de l'assuré qui a refusé de communiquer des documents complémentaires ;

- la quatrième tenant à la nécessité d'une expertise judiciaire dans la mesure où il existe de graves désaccords entre les parties sur les circonstances du naufrage et l'entretien du navire ; la cause de l'entrée d'eau ayant prétendument occasionné le naufrage n'est toujours pas identifiée avec certitude ; les experts mandatés par l'assureur ont identifié plusieurs non-conformités du navire concernant des équipements de lutte contre un envahissement d'eau ; il est impératif qu'un expert indépendant soit désigné pour faire la lumière sur les circonstances du naufrage, déterminer si le récit de l'équipage est cohérent et si le navire était bien atteint de non-conformités qui, in fine, confirmeraient le bien-fondé du refus de garantie de Generali.

Sur sa demande d'expertise elle fait notamment valoir que quand bien même elle ne disposerait pas de preuves de la fraude ou des non-conformités, le naufrage inexpliqué d'un yacht par 2500 mètres de fond est d'évidence un motif d'intervention d'un expert judiciaire.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 13 mai 2024, la société SPK Yatching Limited demande à la cour, au visa des articles 873 du code de procédure civile, 1103 et 1104 du code civil, de :

- déclarer la société Generali Iard recevable mais mal fondée en son appel ;

- l'en débouter ;

- confirmer l'ordonnance rendue le 10 novembre 2023 et condamner la société Generali Iard à lui payer la somme de 858.745,57 euros à titre de provision, sauf à parfaire, correspondant à l'indemnité d'assurance due à la suite de la perte totale du navire « Spice of Life » , avec intérêts à taux légal depuis le 6 novembre 2022 ;

- confirmer l'ordonnance et débouter la société Generali Iard de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- si par impossible un expert judiciaire devait être désigné, prendre acte des protestations et réserves d'usage qu'elle a formulées et juger que la société Generali Iard devra seule en supporter les frais, en sa qualité de demanderesse à cette expertise ;

- en tout état de cause, confirmer l'ordonnance rendue en ce que le président du tribunal de commerce de Paris a condamné la société Generali Iard aux frais irrépétibles, aux dépens et à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.

Elle soutient essentiellement que :

- la preuve de l'existence d'un événement assurable est rapportée, la police souscrite par la société SPK Yatching Limited couvrant les pertes et avaries et le navire Spice of Life ayant sombré au large de la Corse dans la nuit du 6 au 7 novembre 2022 ;

- les contestations soulevées par Generali ne sont pas sérieuses et ont pour seule finalité d'échapper à la garantie ;

- la charge de l'allégation d'une fraude de l'assuré pèse sur l'assureur à qui il appartient de prouver factuellement que la clause d'exclusion dont il se prévaut s'applique, ce que Genéeali est incapable de faire, raison pour laquelle elle sollicite une expertise, son propre expert M. [V] n'ayant pas relevé d'anomalies et l'enquêteur privé qu'elle a mandaté ;

- (M. [J]) à seule fin de contredire le rapport de son propre expert, ayant rédigé un rapport pour les besoins de la cause ; or si Generali ne fait pas la preuve de l'application d'une clause d'exclusion sa contestation est automatiquement privée de tout sérieux ;

- la bonne foi étant toujours présumée, la fraude alléguée ne doit pas seulement être suspectée mais prouvée, ce qui n'est pas fait, le rapport particulièrement confus et techniquement erroné de M. [J], qui notamment confond une pompe de cale avec une pompe d'eaux usées, ne faisant qu'évoquer la piste d'une fraude sans jamais en rapporter le début d'une preuve ;

- en réalité il est impossible de savoir qu'elle est la cause de la voie d'eau qui a fait sombrer le navire et c'est justement parce qu'il est impossible de le déterminer que l'assureur ne peut refuser sa garantie, qui vient précisément couvrir des événements aléatoires ;

- la réévaluation du navire deux mois avant le sinistre n'est nullement suspecte, ce vieux navire ayant été acheté à bas prix et ayant fait l'objet de travaux importants pour permettre son exploitation, l'assureur en ayant été informé et ayant donné son accord, étant précisé que cette réévaluation a évidemment fait l'objet d'une réévaluation de la prime d'assurance ;

- la société SPK Yachting verse ses bilans financiers pour les années 2021 et 2022, qui font ressortir un bénéfice de 39.946 euros pour 2021 et de 231.130 euros pour 2022 (celle du naufrage), ce qui suffit à démontrer qu'elle réalisait une véritable activité commerciale avant la perte du navire (mis à la location) et qu'elle réalisait bien un chiffre d'affaires important et un bénéfice au moment du naufrage, de sorte qu'il n'existait aucun motif valable pour qu'elle commette la fraude à l'assurance dont elle est accusée ;

- l'assuré a fourni tous les documents en sa possession, expliquant à maintes reprises que les documents complémentaires demandés n'étaient pas en sa possession ou avaient sombré ;

- la demande d'expertise est inutile et dilatoire comme l'a dit le premier juge, en présence d'un rapport écrit du propre expert de l'assureur concluant à l'absence d'obstacle au paiement de la garantie.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024.

SUR CE, LA COUR

L'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut, en référé, accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le montant de la provision en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la dette alléguée.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L'article 145 suppose l'existence d'un motif légitime c'est à dire un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l'objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui. Elle doit être pertinente et utile.

Ainsi, si le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n'est pas manifestement voué à l'échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

Il n'est pas discuté que la perte totale du navire suite à son naufrage est un événement assuré par la police d'assurance conclue par les parties.

Pour s'opposer au paiement de l'indemnité provisionnelle réclamée par l'assuré, et solliciter une mesure d'expertise, la société Generali, suspectant une fraude à l'assurance se prévaut, d'une part d'une possible déchéance de la garantie pour fausses déclarations sur le récit du naufrage et défaut de coopération de l'assuré ayant refusé de communiquer des documents complémentaires, d'autre part d'une possible exclusion de garantie en raison de la non-conformité et/ou du vice propre du navire.

Sur la déchéance de garantie invoquée la police stipule :

« Vous pouvez être déchus de votre droit à garantie :

- si vous refusez de nous fournir des informations se rapportant au litige,

- si vous faites de mauvaise foi des déclarations inexactes sur les faits ou les événements constitutifs du sinistre, ou plus généralement, sur tout élément pouvant servir à la solution du litige,

- (') »

Sur l'exclusion de garantie, l'assureur se prévaut des stipulations suivantes de la police :

« Sont exclus :

- les sinistres survenus alors que le bateau assuré n'était pas conforme à la réglementation en vigueur dans l'Etat du pavillon au moment du sinistre et que cette non-conformité est en relation avec la cause du sinistre. 

- les pertes et avaries résultant d'un vice propre du bateau assuré c'est-à-dire un défaut apparent du bateau assuré (qu'il résulte d'un défaut de conception, de construction, d'entretien ou de réparation), qui rend le bateau assuré inapte à subir les risques de la navigation pour laquelle il a été conçu ;

- Les pertes et avaries provenant d'un non-respect des préconisations d'entretien du constructeur ;

- Les pertes et avaries causées par le non accomplissement des travaux de maintenance du bateau assuré. »

S'agissant de la déchéance la contestation émise par la société Generali apparaît vaine alors que :

- Il résulte de la lecture du rapport de l'expert mandaté par l'assureur après le sinistre, M. [V] du cabinet Experts & consultants, que l'assuré (capitaine du navire) a répondu à toutes les demandes d'informations et documents faites par l'expert, à l'exception d'un écrit du pavillon maltais confirmant l'adéquation du certificat du chef mécanicien avec le règlement dudit pavillon, ce document ayant toutefois été fourni ultérieurement comme le rappelle le conseil de l'assuré dans un mail adressé le 9 mai 2023 à l'assureur : « ce document a été fourni à votre courtier immédiatement après le dépôt du rapport par un courriel du 10 février 2023. Il est joint à nouveau puisqu'il semble ne vous être pas parvenu. » ;

- Suite à la demande de l'assureur (par mail du 25 avril 2023) de treize documents complémentaires le conseil de l'assuré a fourni dans son mail précité du 9 mai 2023 des explications précises pour chacun de ces documents, expliquant de manière argumentée que soit ils n'existaient pas, soit ils avaient déjà été transmis, soit ils étaient à bord du navire et avaient donc disparu avec lui, adressant de nouveau en pièces jointes les documents déjà communiqués et en la possession de l'assuré ;

- Les déclarations incohérentes qui auraient été faites par M. [W], capitaine du navire et assuré, sur le déroulement du naufrage ont été avancées par l'assureur a posteriori, sur la base du rapport d'un enquêteur privé qu'il a mandaté (M. [J]) après avoir reçu le rapport de son expert (M. [V], du cabinet Experts & consultants), ce premier rapport du 6 février 2023 ne faisant pas état de telles incohérences ;

- M. [V] y expose en effet n'avoir aucun commentaire à faire sur le rapport de mer établi par le capitaine du navire ainsi que sur les rapports du chef mécanicien et du matelot : « Le rapport de mer vient confirmer les premières déclarations que nous avons obtenues par courriel et n'avons pas de commentaires particuliers sur ce document » ; si dans son rapport M. [V] note que « l'équipage ne mentionne pas d'événements particuliers ou notables avant la survenance de cette voie d'eau majeure » et que « il n'y a pas eu non plus, d'après les témoignages de l'ensemble de l'équipage, de signes avant-coureurs permettant d'identifier une avarie importante », il ne commente pas ce constat et ne le qualifie pas d'incohérent ;

- Ce n'est qu'a posteriori, par mail du 19 juin 2023 répondant à celui du 25 avril 2023 de l'assureur qui l'interroge sur chacun des points recherchés et relevés par l'enquêteur privé M. [J], que M. [V] admet certaines imprécisions et incohérences quant au récit du naufrage par les membres de l'équipage, alors qu'il n'en avait pas fait état spontanément, s'interrogeant ainsi, comme avant lui M. [J], sur le fait que la perte de vitesse du navire ait été ressentie par le capitaine comme le seul et premier symptôme de la voie d'eau, sans mention d'autre symptômes habituels en cas de voie d'eau importante tels que gite, roulis et enfoncement important de l'arrière du navire qui n'apparaît pas significatif sur la photographie prise depuis l'annexe avant le départ de l'équipage ; M. [V] s'étonnant aussi que le capitaine n'ait entendu l'alarme qu'après avoir constaté la perte de vitesse du navire et que les deux autres membres de l'équipage ne l'aient pas entendue puisque réveillés par le capitaine ; s'interrogeant également sur le passage de l'eau entre la salle des machines et le compartiment de l'équipage, pouvant être le signe d'un défaut d'étanchéité des cloisons ;

- Si ces incohérences conduisent légitimement l'assureur à s'interroger, comme le résume M. [V] dans sa réponse aux questions de la société Generali, sur la découverte anormalement tardive d'un envahissement d'eau majeur qui a eu pour conséquence d'empêcher l'équipage d'identifier l'origine de la voie d'eau et de tenter de la circonscrire vu la nécessité de quitter rapidement le navire, la cause de la voie d'eau et du naufrage demeurant ainsi ignorée, ni M. [J], qui se borne à conclure: « une suspicion de fraude ne peut être écartée dans le cadre du présent dossier sinistre », ni M. [V] ne vont jusqu'à déclarer que le naufrage n'a pu se dérouler de la manière décrite par les membres de les membres de l'équipage, les incohérences relevées ne constituant donc pas des indices suffisants de déclarations inexactes faites de mauvaise foi par l'assuré, condition de la déchéance de la garantie ;

- La réévaluation substantielle du navire (de 650.000 euros le 2 août 2019 à 830.000 euros le 9 août 2022 soit peu de temps avant le naufrage) n'apparaît pas pour autant suspecte en ce qu'elle est intervenue à dire d'expert (M. [S]) après la réalisation de travaux importants contrôlés par ce dernier, avec l'accord de la société Generali qui assurait le navire avant même que M. [W] n'en devienne propriétaire en 2019, en vue de sa revente ou de la poursuite de son exploitation par la mise en location comme M. [W] l'a précisé à M. [S], alors par ailleurs que le marché de l'exploitation des yachts était florissant comme l'atteste la société Evidence yachting , gérant la location du bateau depuis 2016, qui explique que celui-ci a toujours rapporté de l'argent sauf en période de crise sanitaire, l'activité repartant toutefois dès 2021, la location du navire générant un revenu total brut de 249.603 euros en 2020, de 408.086 euros en 2021 et de 548.100 euros en 2022 (année du sinistre), la société Evidence Yachting précisant avoir reçu de nombreuses demandes de location pour l'année 2023, qu'elle dû refuser à la suite du naufrage. M. [W] produit les bilans comptables de la société SPK Yachting Limited qui confirment cette progression importante, le bénéfice étant de 39.946 euros en 2021 et de 231.130 euros en 2022.

S'agissant de l'exclusion de garantie envisagée par l'assureur sur le fondement de la non-conformité et/ou du vice propre du navire, la contestation apparaît aussi vaine au regard des éléments du dossier :

- M. [S], expert évaluateur et d'assurance a attesté le 2 août 2019, au moment de l'achat du navire par l'assuré puis le 9 août 202,2 après réalisation de travaux importants par son propriétaire que le navire était en bonne condition de présentation et de fonctionnalité et que rien n'altérait ses capacités à naviguer selon la préconisation de son pavillon commercial, cela après visite à terre et à flots du navire, examen des 'uvres vives et de la structure, essais et navigation sur un trajet suffisant ;

- Dans son rapport du 6 février 2023, l'expert [V] indique être entré en relation avec l'expert [S] et s'être fait communiquer son rapport d'expertise d'août 2022 réalisé après d'importants travaux sur le navire, notamment le remplacement de la pompe de cale principale et des pompes à eaux grises et noires, le remplacement d'un des deux groupes électrogènes, des travaux d'entretien des trois moteurs principaux. M. [S] lui a confirmé que l'ensemble des travaux tels que listés et justifiés par le capitaine du navire à M. [V] avaient bien été réalisées. M. [V] a plus particulièrement interrogé M. [S] sur deux points de son rapport d'août 2022, pouvant présenter un lien avec la cause du sinistre : les analyses d'huile et des fréquences vibratoires, concluant au vu du rapport d'analyse d'huile complet que tous les paramètres sont bons notamment les usures, et que s'agissant des fréquences vibratoires, sans doute dues à un phénomène de cavitation combiné à un phénomène de chant d'hélice, aucun de ces deux phénomènes ne générait de désordres capables de faire couler le navire. M. [V] relève aussi que selon l'expertise de M. [S] des travaux mineurs restaient à effectuer lors de futures maintenances, que M. [W] allait faire effectuer sur un chantier naval en Tunisie lorsque le naufrage a eu lieu. M. [V] concluait que le dernier expert intervenu sur le navire l'avait trouvé entretenu et dans un état satisfaisant, ajoutant que les certificats du navire, à jour, démontraient également un suivi technique satisfaisant au niveau réglementaire ;

- M. [V], à l'examen du rapport d'expertise de M [S] d'août 2022 établi après les travaux effectués sur le navire, moins de trois mois avant le naufrage, ne relève pas d'anomalies en rapport avec les réserves qui ont été émises par l'enquêteur privé de l'assureur, M. [J], concernant la pompe de cale principale qui ne respecterait pas les préconisations de la société de classification du navire quant à son diamètre d'aspiration, l'absence possible d'une alarme de cale dans chaque compartiment et un éventuel défaut d'étanchéité des cloisons ;

- Dans ces conditions, il n'existe pas d'élément sérieux en faveur des causes d'exclusion dont l'assureur cherche à se prévaloir (non-conformité du bateau à la réglementation en vigueur dans l'Etat du pavillon au moment du sinistre et en relation avec la cause du sinistre ; vice propre du bateau c'est-à-dire défaut apparent, qu'il résulte d'un défaut de conception, de construction, d'entretien ou de réparation, rendant le bateau inapte à subir les risques de la navigation pour laquelle il a été conçu ; pertes et avaries provenant d'un non-respect des préconisations d'entretien du constructeur ou causées par le non accomplissement des travaux de maintenance du bateau assuré.)

Alors que le navire a sombré en zone très profonde et n'est pas renflouable comme l'a précisé M. [V], que tous les documents en la possession de l'assuré ont été manifestement communiqués et examinés par M. [V] puis par M. [J], sans qu'il soit possible de déterminer la cause de la voie d'eau responsable du naufrage du navire, la désignation d'un nouvel expert, qui ne disposera pas d'autres éléments et ne pourra examiner le navire, apparaît inutile, ce qu'admet d'ailleurs implicitement la société Générali en déclarant dans ses écritures qu'il est probable qu'un expert judiciaire parvienne aux mêmes conclusions que MM. [V] et [J]. La cause indéterminée du sinistre ne suffit pas à caractériser le motif légitime de l'article 145 du code de procédure civile, l'analyse qui précède démontre que la suspicion de fraude émise par l'assureur ne repose pas sur des éléments suffisamment crédibles, l'exclusion et/ou la déchéance de garantie envisagée par la société Generali étant ainsi vouée à l'échec.

L'ordonnance entreprise sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande d'expertise et alloué à la société SPK Yachting Limited une provision de 858.745,57 euros, montant de l'indemnité d'assurance à dire d'expert et non contesté par l'assureur, ce dernier ne critiquant l'ordonnance sur ce point qu'en ce qu'elle a fait produire à cette somme des intérêts de retard au taux légal à compter du 6 novembre 2022, date du sinistre, considérant que ce point de départ devait être fixé à la date de l'ordonnance et qu'il devra être fixé par la cour à la date de son arrêt.

En réalité, en application des dispositions de l'article 1231-6 du code civil et conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, cette indemnité doit produire intérêts de retard à compter de la date de l'assignation devant le tribunal de commerce de Paris (14 juin 2023), valant mise en demeure dans ce dossier.

Le sort des dépens et frais non répétibles de première instance a été exactement réglé.

Perdant en appel, la société Generali Iard sera condamnée aux entiers dépens de cette instance et à payer à la société SPK Yachting Limited la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise, sauf sur le point de départ des intérêts de retard de la condamnation au paiement de la provision,

Statuant à nouveau de ce chef,

Dit que la somme de 858.745,57 euros due par la société Generali Iard à la société SPK Yachting Limited, à titre de provision, produit intérêts de retard au taux légal à compter du 14 juin 2023,

Y ajoutant,

Condamne la société Generali Iard aux entiers dépens de l'instance d'appel,

La condamne à payer à la société SPK Yachting Limited la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 23/17916
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;23.17916 ?
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