RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 10
ARRÊT DU 04 JUILLET 2024
(n°343, 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général
N° RG 23/15724 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIIZO
Décision déférée à la cour
Jugement du 10 août 2023-Juge de l'exécution de PARIS-RG n° 23/80815
APPELANT
Monsieur [K] [H]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Emmanuel JARRY de la SELARL VIGY LAW, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209
Plaidant par Me Estelle GOUBARD de la SELEURL SELARL Estelle GOUBARD Avocat, avocat au barreau de PARIS, toque : C0419
INTIMÉE
Madame [Z] [W]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Clotilde NORMAND de l'AARPI LOGELBACH ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0042
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 6 juin 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte Pruvost, président de chambre
Madame Catherine Lefort, conseiller
Madame Valérie Distinguin, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine Lefort, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire Grospellier
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte Pruvost, président de chambre et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier présent lors de la mise à disposition.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant procès-verbal du 18 avril 2023, M. [K] [H] a fait pratiquer une saisie-attribution entre les mains de la Banque Postale sur les comptes de Mme [Z] [W], pour avoir paiement de la somme totale de 17.272,94 euros, en exécution d'un jugement du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris en date du 10 décembre 2020 qui l'a condamnée au paiement des loyers et indemnités d'occupation en sa qualité de caution. La saisie, qui s'est avérée entièrement fructueuse, a été dénoncée à Mme [W] par le 21 avril 2023.
Par assignation du 16 mai 2023, Mme [W] a fait assigner M. [H] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris, aux fins de mainlevée partielle de la saisie.
Par jugement en date du 10 août 2023, le juge de l'exécution a notamment :
- condamné M. [H] à payer à Mme [W] la somme de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de sa négligence fautive dans la mise en 'uvre de l'expulsion,
- fixé les intérêts sur la somme due en principal à 572,71 euros au 18 avril 2023,
- rejeté la demande de déduction du dépôt de garantie,
- ordonné la compensation entre les sommes dues par Mme [W] en vertu du jugement rendu le 10 décembre 2020 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris et les dommages-intérêts dus par M. [H] au titre du présent jugement,
- cantonné la saisie-attribution de la manière suivante :
principal : 40.458,00 euros
article 700 CPC : 1.000,00 euros
intérêts acquis au 18 avril 2023 : 572,71 euros
frais de procédure : 2.438,93 euros,
émolument proportionnel : 21,64 euros
frais de la procédure de saisie-attribution : 282,66 euros
coût de l'acte : 117,17 euros
à déduire : acomptes reçus : -28.000,00 euros
à déduire : dommages-intérêts compensés : -6.000,00 euros,
- ordonné la mainlevée pour le surplus,
- condamné M. [H] à payer à Mme [W] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de M. [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [H] aux dépens.
Par déclaration du 22 septembre 2023, M. [H] a fait appel de ce jugement.
Par conclusions n°2 en date du 21 janvier 2024, M. [K] [H] demande à la cour d'appel de :
- infirmer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- débouter Mme [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- la débouter de son appel incident,
En conséquence,
- valider la saisie-attribution du 18 avril 2023,
- condamner Mme [W] au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de la première instance et à la somme de 3.000 euros pour les frais irrépétibles de la procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés par Me Goubard, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions du 14 décembre 2023, Mme [Z] [W] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
fixé les intérêts sur la somme due à la somme de 572,71 euros au 18 avril 2023,
reconnu la négligence fautive de M. [H],
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a limité la condamnation de M. [H] à la somme de 6.000 euros en réparation du préjudice que lui a causé sa négligence fautive,
Statuant à nouveau,
- condamner M. [H] à lui payer la somme de 9.152 euros en réparation du préjudice causé par sa négligence fautive,
En conséquence,
- ordonner la compensation de sa dette au titre de son engagement de caution envers M. [H] avec la dette de responsabilité de M. [H] envers elle,
- dire qu'après compensation, le montant de sa dette envers M. [H] se limite à 7.361,63 euros,
- ordonner la mainlevée de la saisie-attribution pour le surplus,
- confirmer la condamnation de M. [H] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens et le débouté de sa demande à ce titre,
Y ajoutant,
- condamner M. [H] au paiement de la somme supplémentaire de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.
- débouter M. [H] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la négligence fautive de M. [H]
Pour retenir la négligence fautive du bailleur dans la mise en 'uvre de l'expulsion, le juge de l'exécution a retenu que quand bien même l'huissier de justice n'avait pas été informé de l'octroi de la force publique par la préfecture de police en septembre 2021, M. [H] en avait été informé par courrier de Mme [W] en date du 26 septembre 2021, soit plus d'un mois avant la trêve hivernale, aurait donc dû solliciter son huissier pour prendre rendez-vous pour l'expulsion avant la trêve hivernale, et avait donc laissé la dette d'indemnités d'occupation s'accroître, ce qui causait un préjudice à la caution.
M. [H], appelant, conteste la négligence fautive retenue à son encontre par le juge de l'exécution. Il fait valoir que si son huissier de justice avait été informé de l'obtention du concours de la force publique le 10 octobre 2021, il n'aurait pas pu matériellement organiser une expulsion avant le début de la trêve hivernale, le 31 octobre 2021 ; que ce n'est qu'en novembre 2021 que l'huissier a eu connaissance de l'octroi du concours de la force publique par un courriel de la préfecture de police, qu'il a alors fait toute diligence pour une expulsion après la fin de la trêve hivernale, et que le rendez-vous d'expulsion fixé au 5 mai 2022 a été reporté par la préfecture de police sans explication. Il estime qu'il ne peut être tenu responsable des négligences de la préfecture de police ou de l'agenda surchargé du commissaire de police, et ce d'autant plus que son huissier a été très actif en relançant à trois reprises en août, septembre et octobre 2021 la préfecture sur sa demande d'octroi du concours de la force publique, laquelle n'a jamais répondu et ne lui a envoyé un courriel que le 15 novembre 2021, soit pendant la trêve hivernale, l'informant de ce que le concours de la force publique lui avait été accordé en septembre 2021. Il ajoute que le courrier de la préfecture du 16 septembre 2021 n'était pas annexé à celui de Mme [W] du 26 septembre 2021 qui n'en faisait d'ailleurs nullement état et se contentait de lui transmettre une information qu'elle tenait de la locataire, et qu'à la suite de ce courrier du 26 septembre, il a bien interrogé son huissier de justice, qui a relancé la préfecture de police le 27 septembre 2021. Il soutient en outre qu'à supposer qu'une faute soit retenue à son encontre, la perte de chance de programmer l'expulsion avant la trêve hivernale ne saurait être fixée à 60% du préjudice allégué par Mme [W], puisqu'il aurait été matériellement impossible de procéder à l'expulsion avant le début de la trêve hivernale. Il conclut que la perte de chance n'est pas établie et ne saurait en tout état de cause excéder 10% du préjudice invoqué, soit 915,20 euros.
Mme [W] invoque la responsabilité du bailleur dans l'accroissement de la dette d'indemnité d'occupation, approuvant les motifs du jugement. Elle ajoute que la réquisition étant faite le 27 juillet 2021, la préfecture avait jusqu'au 27 septembre 2021 pour répondre, de sorte que M. [H] aurait dû être vigilant sur les délais et aurait dû adopter une démarche active auprès de la préfecture. Elle souligne qu'elle a déjà réglé la somme de 49.120 euros au titre de son engagement de caution, et que si M. [H] avait été vigilant, les indemnités d'occupation auraient cessé de courir à compter d'octobre 2021. Elle invoque un préjudice subi de 9.152 euros correspondant à 8 mois et 20 jours d'indemnités d'occupation. Elle conteste la limitation opérée par le juge de l'exécution car elle a prévenu M. [H] dès le 26 septembre 2021 de l'octroi du concours de la force publique, de sorte qu'il avait le temps d'organiser l'expulsion, et fait valoir que son préjudice est certain et doit être intégralement réparé.
Il résulte des pièces produites par les parties que :
- le jugement du 10 décembre 2020 a été signifié à Mme [W] le 22 décembre 2020 et à Mme [F], locataire, le 25 janvier 2021,
- le 17 mars 2021, M. [H] a fait délivrer à Mme [F] un commandement de quitter les lieux,
- le 20 mai 2021, son huissier de justice a requis le concours de la force publique,
- le 27 juillet 2021, il a dressé un procès-verbal d'itérative réquisition de la force publique,
- il a relancé la préfecture de police par courrier du 27 août 2021,
- par courrier du 16 septembre 2021, la préfecture de police a invité Mme [F] à effectuer des versements sur son arriéré locatif et à prendre ses dispositions pour quitter spontanément les lieux avant le 10 octobre 2021 ou à trouver un accord avec son bailleur pour se maintenir dans le logement, et l'a avertie qu'à défaut, elle s'exposait à être expulsée, sans autre avertissement, au besoin avec l'assistance des services de police à compter de cette date,
- par courrier daté du 26 septembre 2021, Mme [W] a informé M. [H] de ce que Mme [F] lui avait indiqué avoir reçu un appel lui indiquant « que le préfet avait accordé le recours à la force publique pour l'expulsion à compter du 10 octobre », et lui a demandé s'il avait également cette information de la part de l'huissier,
- l'huissier de justice a relancé la préfecture de police par courriers des 27 septembre et 27 octobre 2021,
- le 15 novembre 2021, la préfecture de police a envoyé à l'huissier un courriel en ces termes : « Le 27/07/2021, vous avez requis le concours de la force publique afin de procéder à l'expulsion de Mme [F] [']. Le commissaire de police a été autorisé à vous assister pour cette opération à compter du 10/10/2021. Les informations en ma possession me laissent cependant supposer que cette affaire s'est réglée sans l'intervention de la force publique. Dans ces conditions, je vous serais obligé de bien vouloir me confirmer, pour la bonne règle, que ce dossier est clos. »,
- le 16 novembre 2021, l'huissier a répondu qu'il n'avait pas été rendu « destinataire du concours » et a demandé de le lui renvoyer,
- un rendez-vous pris pour l'expulsion le 5 mai 2022 a été annulé par courriel du 25 avril 2022 de la préfecture de police, qui a invité l'huissier à en fixer un nouveau à compter du 23 mai 2022,
- l'expulsion a eu lieu avec le concours de la force publique le 31 mai 2022.
Il ressort de cette chronologie que l'huissier de justice mandaté par M. [H] a été diligent, qu'il n'a manifestement pas reçu en temps utile l'information de ce que le concours de la force publique lui avait été accordé à compter du 10 octobre 2021, et ce malgré sa relance du 27 septembre 2021. En outre, le courrier de Mme [W] à M. [H] daté du 26 septembre 2021 ne contenait aucune information officielle. Et en tout état de cause, à supposer que M. [H] ou son huissier aient pu avoir confirmation auprès de la préfecture de police du concours de la force publique dès fin septembre 2021, il aurait été très difficile, voire impossible, d'obtenir un rendez-vous pour l'expulsion avec le commissaire de police entre le 10 et le 31 octobre 2021, c'est-à-dire avant le début de la trêve hivernale.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il n'y a pas lieu de retenir la négligence fautive du bailleur dans la mise en 'uvre de la procédure d'expulsion. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a condamné M. [H] à payer à Mme [W] la somme de 6.000 euros à titre de dommages-intérêts et ordonné la compensation entre la dette et cette somme, et l'intimée sera déboutée de ses demandes à ce titre.
Sur le montant de la créance et la demande de mainlevée partielle de la saisie-attribution
Le juge de l'exécution a fixé le montant des intérêts à la somme de 572,71 euros selon calcul proposé par Mme [W], considérant qu'il n'était pas contesté par M. [H].
Mme [W] demande la confirmation du jugement sur ce point, rappelant que dans le procès-verbal de saisie-attribution, le montant des intérêts réclamés était de 954,54 euros.
M. [H] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Mme [W] de sa demande de déduction du dépôt de garantie, de débouter Mme [W] de l'ensemble de ses demandes et de son appel incident et de valider la saisie-attribution, mais il ne conclut pas sur le montant des intérêts. Il ne critique donc pas la décision du premier juge sur la question des intérêts et n'invoque aucun élément de nature à remettre en cause le calcul de Mme [W] retenu par le juge de l'exécution.
Dès lors, le jugement doit être confirmé sur le montant des intérêts, calculés conformément au jugement du juge des contentieux de la protection.
A l'appui de son appel incident, Mme [W] fait valoir que le dépôt de garantie (1.000 euros) versé par la locataire lors de l'entrée dans les lieux doit venir en déduction de la dette locative, car les lieux ont été restitués en bon état, de sorte que le bailleur n'est pas fondé à le conserver. Elle prend acte de ce que le juge de l'exécution s'est estimé incompétent pour ordonner la compensation avec le dépôt de garantie. Mais à l'appui de sa demande de mainlevée partielle de la saisie-attribution, elle explique qu'après déduction de ses acomptes (28.000 euros), de la somme de 9.152 euros réclamée (indemnités d'occupation postérieures au 10 octobre 2021) et du dépôt de garantie de 1.000 euros, elle reste devoir la somme de 6.361,63 euros, ou 7.361,63 euros si le dépôt de garantie n'est pas pris en compte.
M. [H] n'a pas conclu sur l'appel incident de Mme [W].
Le dépôt de garantie n'étant pas restituable à la caution mais à la locataire qui l'a versé, il appartient à cette dernière d'en solliciter la restitution ou la déduction du montant de sa dette au juge compétent, mais Mme [W], poursuivie en sa qualité de caution, ne peut demander au juge de l'exécution, ou à la cour statuant avec les mêmes pouvoirs, de déduire le montant du dépôt de garantie de sa dette, cette question nécessitant un débat au fond entre le bailleur et la locataire.
Mme [W] succombant en sa demande de dommages-intérêts, la somme de 9.152 euros ne peut pas non plus être déduite du montant de sa dette.
L'acompte de 28.000 euros, quant à lui, a déjà été déduit de la dette dans le procès-verbal de saisie-attribution.
Dès lors, la saisie-attribution du 18 avril 2023 peut être maintenue pour son montant, sauf sur les intérêts qui sont fixés à 572,71 euros au lieu de 954,54 euros. Il convient donc d'infirmer le jugement sur le cantonnement opéré et d'ordonner la mainlevée partielle de la saisie-attribution uniquement pour un montant de 381,83 euros (954,54 ' 572,71).
Sur les demandes accessoires
Au vu de l'issue du litige, il convient d'infirmer les condamnations accessoires de M. [H] et de condamner Mme [W], qui succombe en grande partie, aux entiers dépens de première instance et d'appel.
En revanche, l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [H]. Il convient donc de débouter les parties de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement rendu le 10 août 2023 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris, mais uniquement en ce qu'il a fixé les intérêts sur la somme due en principal à 572,71 euros au 18 avril 2023,
L'INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau,
DEBOUTE Mme [Z] [W] de sa demande de dommages-intérêts pour négligence fautive de M. [K] [H] et de ses demandes consécutives de compensation et mainlevée partielle de la saisie-attribution du 18 avril 2023,
ORDONNE la mainlevée partielle de la saisie-attribution du 18 avril 2023 pour la seule somme de 381,83 euros,
DEBOUTE les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Mme [Z] [W] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le greffier, Le président,