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04/07/2024 | FRANCE | N°23/12256

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 04 juillet 2024, 23/12256


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2



ARRET DU 04 JUILLET 2024

(n° , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/12256 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH6UI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Juin 2023 -Pole social du TJ de PARIS - RG n° 22/04785





APPELANTE :



S.C.O.P. S.A. ACOME, prise en la personne de son représentant légal domiciliés en cette qua

lité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Pierre-Alexis DUMONT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0168 et par Me Nicolas MERLE, avocat au ...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRET DU 04 JUILLET 2024

(n° , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/12256 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CH6UI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Juin 2023 -Pole social du TJ de PARIS - RG n° 22/04785

APPELANTE :

S.C.O.P. S.A. ACOME, prise en la personne de son représentant légal domiciliés en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Pierre-Alexis DUMONT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0168 et par Me Nicolas MERLE, avocat au barreau de PARIS,

INTIMÉE :

Syndicat CGT ACOME représenté par son Secrétaire Général, Monsieur [B] [W]

[Adresse 6]

[Localité 1]

Représentée par Me Chloé RINO, avocat au barreau de PARIS, toque : G0772

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame LAGARDE Christine, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Paule ALZEARI, présidente

Eric LEGRIS, président

Christine LAGARDE, conseillère

Greffière lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Sophie CAPITAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société coopérative à conseil d'administration ACOME (Association Coopérative d'Ouvriers en Matériel Electrique) est une société française qui a pour activité la fabrication de câbles électroniques ou électriques. Son siège social est situé à [Localité 4] et ses usines dans le département de la Manche, à [Localité 5]. Elle emploie plus de 1 000 salariés.

La convention collective nationale de la métallurgie est applicable.

À l'issue des élections professionnelles organisées au sein de la société ACOME en 2018, deux organisations syndicales sont représentatives, la CGT et l'UNSA, cette dernière ayant obtenu plus de 50% des suffrages.

Un accord d'entreprise de méthode a été signé le 17 février 2020 entre la société ACOME et les deux organisations syndicales représentatives, aux fins d'encadrer les négociations portant sur plusieurs thématiques, dont un accord de performance collective (APC) au cours de l'année 2020. Le calendrier de négociation n'ayant pu être mis en 'uvre en raison de la crise sanitaire de Covid-19, un avenant à l'accord de méthode a été signé le 15 février 2021 et a fixé un calendrier de négociation pour l'APC échelonné entre le 25 juin 2020 et le 18 novembre 2021.

Le calendrier prévisionnel des réunions de négociation en 2021 était le suivant : 7 et 21 octobre 2021, 4 et 18 novembre 2021.

Les négociations n'ayant pas abouti en 2021, elles se sont poursuivies les 13,25 et 27 janvier 2022 en présence des deux organisations syndicales représentatives.

Par courriel du 28 janvier 2022, la direction de la société ACOME a transmis à l'UNSA et à la CGT un projet d'accord modifié leur demandant de s'engager sur celui-ci en précisant notamment que « à l'exception de quelques aménagements techniques du texte que nous pourrons encore réaliser ensemble » et susceptibles de « prendre quelques jours pour parachever le texte », « pour l'essentiel, la négociation s'achève ».

Par courriel du 4 février 2022 adressé aux délégués syndicaux de l'UNSA, la société ACOME les a invités à finaliser l'accord APC, en indiquant notamment connaître « maintenant la position de la CGT ». Puis, le 7 février 2022, elle a envoyé à l'UNSA la « nouvelle mouture de l'accord » précisant qu'elle faisait « suite à nos échanges ».

Par courrier du 21 février 2022, la CGT a demandé au directeur des ressources humaines de la société ACOME, d'annuler l'accord de performance collective signé le 14 février 2022 entre la direction et le syndicat UNSA au motif de la déloyauté des négociations, faisant valoir qu'il a été signé alors que les modifications qui y avaient été apportées entre le 27 janvier et le 14 février 2022 ne lui avaient pas été présentées en réunion pour négociation et qu'elle n'avait pas été invitée à la réunion du 14 février 2022.

Le 23 février 2022, la société ACOME a indiqué à la CGT « ré-ouvrir les négociations » le 28 février 2022 à 9h30 « sur le projet d'accord, afin de le soumettre aux deux organisations syndicales représentatives pour ultime discussion et mise à la signature des délégués syndicaux le 28 février 2022 à 9h30 ».

Une réunion de négociation s'est tenue le 28 février 2022 entre la direction et les deux organisations syndicales représentatives, à l'issue de laquelle il a été signé un « accord de performance collective ACOME S.A » entre la société ACOME et l'UNSA, la CGT n'ayant pas signé cet accord

L'accord a été notifié le 1er mars 2022, déposé et publié le 10 mars 2022, et il est entré en vigueur le 1er janvier 2023.

C'est dans ce contexte que le syndicat CGT ACOME a, par actes d'huissier des 12 et 13 avril 2022, assigné la société ACOME et l'Union fédérale de l'industrie et de la construction de l'UNSA (UFIC UNSA) aux fins, principalement, d'annulation de l'accord de performance collective signé les 14 et 28 février 2022 et d'octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice tiré de l'inégalité de traitement entre syndicats et d'entrave au droit syndical et, subsidiairement, d'annulation de certaines clauses de l'accord portant sur les salariés en équipe de suppléance outre des dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession.

Par jugement réputé contradictoire du 20 juin 2023, le tribunal a rendu la décision suivante :

« ANNULE l'accord de performance collective signé le 14 février 2022 et le 28 février 2022 par la société ACOME et le syndicat UNSA au motif du manquement de l'employeur à l'obligation de loyauté de négociations ;

DEBOUTE la société ACOME de sa demande subsidiaire visant à limiter les conséquences de l'annulation de tout ou partie des clauses relatives aux équipes de suppléance aux situations postérieures au jugement à intervenir ;

DEBOUTE le syndicat CGT ACOME de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice tiré de l'inégalité de traitement entre syndicat et d'entrave au droit syndical ;

CONDAMNE la société ACOME aux dépens, dont distraction au profit de Chloé RINO, avocat ;

CONDAMNE la société ACOME à verser syndicat CGT ACOME la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

Rappelle que l'exécution provisoire est de droit. »

La société ACOME a interjeté appel les 10 juillet et 24 juillet 2023.

Les procédures ont été jointes.

Le 11 juillet 2023, un accord de méthode relatif à la négociation d'un nouvel accord de performance collective a été conclu.

Le 13 septembre 2023, un nouvel accord de performance collective a été signé, avec certaines dispositions à effet au 1er janvier 2023.

Le 23 janvier 2024, un nouvel accord relatif aux équipes de suppléance a été conclu.

PRÉTENTIONS :

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 9 avril 2024, la société ACOME demande à la cour de :

«- Réformer le jugement du Tribunal judiciaire PARIS en ce qu'il a annulé l'accord de performance collective signé le 14 février 2022 et le 28 février 2022 par la société ACOME et le syndicat UNSA au motif d'un manquement de l'employeur à l'obligation de loyauté des négociations et débouté la société ACOME de sa demande subsidiaire de limiter les conséquences de l'annulation de tout ou partie des clauses de l'accord aux situations postérieures au jugement à intervenir.

Statuant à nouveau :

Sur la demande tendant à l'annulation des accords signé les 14 février 2022 et le 28 février 2022 :

- Débouter le Syndicat CGT ACOME de sa demande tendant à l'annulation de l'accord de performance collective signé « les 14 et 28 février 2022 » ;

- En tout état de cause, Débouter le syndicat CGT ACOME de sa demande d'annulation de l'accord de performance collective du 28 février 2022 ;

- A titre subsidiaire, limiter les effets de l'annulation de l'accord de performance collective aux situations nées postérieurement au jugement du Tribunal judiciaire de PARIS du 20 juin 2023, conformément aux dispositions de l'article L 2262-15 du Code du travail ;

Sur la demande tendant à l'annulation des clauses relatives aux salariés en équipe de suppléance

- Débouter le Syndicat CGT ACOME de la demande tendant à l'annulation de la section 4.05 de l'accord relative aux salariés en équipe de suppléance de l'accord de performance collective du 28 février 2022 et du paragraphe (d) (i) de la Section 4.05 de l'accord, relatif au calcul de la majoration de 50% due aux salariés en équipe de suppléance et du paragraphe (ii) de la section 4.05 relatif au remplacement de la majoration de 50% des salariés en équipe de suppléance par du repos compensateur de remplacement ;

- Dire et juger que le Syndicat CGT ACOME ne dispose d'aucun intérêt à agir en annulation de la disposition paragraphe (d) (i) de la Section 4.05 de l'accord, relatif au calcul de la majoration de 50% due aux salariés en équipe de suppléance, et en conséquence juger le Syndicat CGT ACOME irrecevable dans sa demande ;

- Limiter les conséquences de l'annulation de tout ou partie des clauses relatives aux équipes de suppléance aux situations postérieures à l'arrêt d'appel à intervenir, conformément aux dispositions de l'article L 2262-15 du Code du travail ;

Sur la demande tendant à condamner la société ACOME à des dommages-intérêts en réparation du préjudice tiré de l'inégalité de traitement entre syndicat et d'entrave au droit syndical

- Confirmer le jugement du Tribunal judiciaire PARIS le 20 juin 2023 en ce qu'il a débouté le syndicat CGT ACOME de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice tiré de l'inégalité de traitement entre syndicat et d'entrave au droit syndical ;

Sur la demande tendant à condamner la société ACOME à des dommages-intérêts en réparation du préjudice tiré de l'inégalité de traitement entre syndicat et d'entrave au droit syndical

- Débouter le syndicat CGT ACOME de toutes ses demandes fins et prétentions,

- Condamner le syndicat CGT ACOME au paiement d'une indemnité de 3 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner le syndicat CGT ACOME aux entiers dépens de l'instance ».

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 16 avril 2024, le syndicat CGT demande à la cour de :

« Vu le Code du travail et notamment ses articles L2254-2, L2262-14, L2141-7, L2232-16, L2222-3-1, L3121-3, L3121-7, L3121-8, L3132-17 et L3132-19

- Recevoir le syndicat CGT ACOME en ses demandes, fins et prétentions,

- Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de PARIS le 20 juin 2023 en ce qu'il a :

o Annulé l'accord de performance collective signé le 14 février 2022 et le 28 février 2022 par la société ACOME et le syndicat UNSA au motif du manquement de l'employeur à l'obligation de loyauté des négociations

o Débouté la société ACOME de sa demande subsidiaire visant à limiter les conséquences de l'annulation de tout ou partie des clauses relatives aux équipes de suppléance aux situations postérieures au jugement à intervenir

o Condamner la société ACOME aux dépens, dont distraction au profit de Chloé RINO, avocat ;

o Condamné la société ACOME à verser syndicat CGT ACOME la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Infirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de PARIS le 20 juin 2023 en ce qu'il a débouté le syndicat CGT ACOME de sa demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice tiré de l'inégalité de traitement entre syndicat et d'entrave au droit syndical

Statuant à nouveau :

- Recevoir le syndicat CGT ACOME en ses demandes, fins et prétentions,

A TITRE PRINCIPAL

- Annuler l'accord de performance collective signé les 14 et 28 février 2022 pour déloyauté des négociations

- Condamner la SA coopérative ACOME à payer au syndicat CGT ACOME la somme de 15.000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice tiré de l'inégalité de traitement entre syndicat, du manquement à l'obligation de neutralité et d'entrave au droit syndical

- Déclarer irrecevable la demande nouvelle de la société ACOME tendant à limiter les effets de l'annulation de l'accord de performance collective aux situations nées postérieurement au jugement du Tribunal judiciaire de PARIS du 20 juin 2023

- A défaut, débouter la société ACOME de sa demande tendant à limiter les effets de l'annulation de l'accord de performance collective aux situations nées postérieurement au jugement du Tribunal judiciaire de PARIS du 20 juin 2023

A TITRE SUBSIDIAIRE

- Annuler les stipulations illégales de l'accord de performance collective signé les 14 et 28 février 2022 :

o la section 4.05 de l'accord relative aux salariés en équipe de suppléance

o à défaut :

le paragraphe (d) (i) de la Section 4.05 de l'accord, relatif au calcul de la majoration de 50% due aux salariés en équipe de suppléance

le paragraphe (iii) de la section 4.05 relatif au remplacement de la majoration de 50% des salariés en équipe de suppléance par du repos compensateur de remplacement.

- Condamner la SA coopérative ACOME à payer au syndicat CGT ACOME la somme de 15.000 de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte à l'intérêt collectif de la profession.

- Débouter la société ACOME de sa demande tendant à limiter les conséquences de l'annulation de tout ou partie des clauses relatives aux équipes de suppléance aux situations postérieures à l'arrêt d'appel à intervenir, conformément aux dispositions de l'article L. 2262-15 du Code du travail

EN TOUT ETAT DE CAUSE

- Débouter la société ACOME de toutes ses demandes,

- Condamner la SA Coopérative ACOME à verser au syndicat CGT ACOME la somme de 5000€ au titre de l'article 700 du Code de Procédure civile

- Condamner la SA coopérative ACOME aux entiers dépens de l'instance qui pourront être recouvrés directement par les soins de Maitre Chloé RINO conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure civile ».

L'appelante a signifié à l'UNSA le 18 avril 2023 la déclaration d'appel, le jugement de première instance, ses conclusions et celles de l'intimé.

L'UNSA, tout comme en première instance n'a pas constitué avocat.

La clôture a été prononcée le 26 avril 2024.

Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties conformément aux dispositions de l'article 455 du code procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la nullité de l'accord de performance collective signé le 14 et le 28 février 2022 :

La société ACOME fait valoir que :

- seul l'accord du 28 février 2022 existe, il est daté, signé et a fait l'objet de mesures de dépôt et de publicité permettant son entrée en vigueur ; il existe deux instrumentum différents ; celui revêtu de la signature de l'UNSA le 14 février 2022 n'est pas daté, est seulement signé par l'UNSA et n'a jamais été publié ; en tout état de cause, s'agissant de deux textes différents, il appartient à celui qui en poursuit la nullité de formuler deux demandes de nullité : une première concernant le texte du 14 février 2022, une seconde concernant l'accord du 28 février 2022 ; la partie intimée n'ayant pas précisément déterminé l'objet de sa demande, la cour doit en déduire que la demande est mal formulée et doit être rejetée ;

- le syndicat CGT a bien été associé aux nombreuses réunions de négociation de l'accord APC et a fait connaître, dès le 3 février 2022, son refus de signer l'accord APC discuté ; la réunion du 14 février 2022 n'était qu'une rencontre bilatérale de finalisation du projet entre la direction et l'UNSA ; lorsque syndicat CGTa a fait connaître le 21 février son opposition suite à l'ajustement de dernière minute convenu avec l'UNSA, elle a immédiatement accepté d'organiser une nouvelle réunion le 28 février 2022, une nouvelle session de négociation à la demande du syndicat CGTa eu lieu, ce dernier était présent et a fait connaître ses observations lors de la réunion du 28 février 2022 au cours de laquelle le projet définitif d'accord collectif APC a été conclu intégrant certaines revendications propres à la CGT ;

- si une réunion s'est bien tenue le 14 février entre l'UNSA et la direction, elle ne peut être qualifiée de réunion de négociation, alors que le contexte dans lequel elle s'est tenue permet de la qualifier, tout au plus, de simple rencontre bilatérale dont l'objectif était d'intégrer les ultimes ajustements souhaités par l'UNSA avant d'apposer sa signature sur le projet d'accord collectif qui avait été négocié le 27 janvier 2022, en présence du syndicat CGT et qui devait être présenté au CSE ; c'est donc à tort que le syndicat CGT considère avoir été évincé du processus de négociation ;

- la nullité du texte du 14 février 2022 ne pouvait atteindre l'accord du 28 février 2022.

Le syndicat CGT fait valoir que :

- lors de la réunion du CSE du 14 février 2022, les membres de la délégation syndicale CGT ont appris par la direction, qu'un accord de performance collective avait été conclu le matin même, et suite à l'interpellation de la direction le 21 février, la direction a prétendu rouvrir les négociations postérieurement à la signature de l'accord collectif et a ainsi convoqué les deux délégations syndicales à une nouvelle réunion de signature le 28 février 2022 ;

- la direction a déjà tiré toutes les conséquences de l'annulation de l'accord de performance collective, en ayant signé plusieurs accords collectifs postérieurement ;

- le 27 janvier 2022, s'est tenue la dernière réunion de négociation en présence des deux délégations syndicales et ensuite la direction l'a écarté de la poursuite des négociations jusqu'à la signature de l'accord à une réunion à laquelle il n'avait pas été convoqué et sans que cette nouvelle version n'ai été portée à sa connaissance ;

- si la direction prétend que le 3 février 2022, la délégation syndicale CGT aurait fait part de sa décision de ne pas signer l'accord, il n'en est rien et en tout état de cause, il appartient à l'employeur de convoquer toutes les organisations syndicales représentatives à chaque réunion de négociation ; ce sont des négociations séparées qui ont abouti à la signature d'un accord de performance collective ;

- la « réunion de négociation » du 28 février 2022 qu'elle n'a pas été en mesure de préparer, est intervenue uniquement en raison du courrier de la CGT du 21 février 2022 qui faisait valoir la déloyauté de ces négociations, et ne peut couvrir les irrégularités ayant rendu ces négociations déloyales en dépit des modifications mineures qui ont été faites.

Sur ce,

Aux termes de l'article de l'article L. 2232-12 du code du travail « La validité d'un accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à sa signature par, d'une part, l'employeur ou son représentant et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité social et économique, quel que soit le nombre de votants (...) ».

L'article L. 2232-16 alinéa 1 du code du travail prévoit :

« La convention ou les accords d'entreprise sont négociés entre l'employeur et les organisations syndicales de salariés représentatives dans l'entreprise. Une convention ou des accords peuvent être conclus au niveau d'un établissement ou d'un groupe d'établissements dans les mêmes conditions  ».

L'article L. 2254-2 du code du travail dispose :

« I. ' Afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver, ou de développer l'emploi, un accord de performance collective peut :

' aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition ;

' aménager la rémunération au sens de l'article L. 3221-3 dans le respect des salaires minima hiérarchiques mentionnés au 1° du I de l'article L. 2253-1 ;

' déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise.

II. ' L'accord définit dans son préambule ses objectifs et peut préciser :

1° Les modalités d'information des salariés sur son application et son suivi pendant toute sa durée, ainsi que, le cas échéant, l'examen de la situation des salariés au terme de l'accord ;

2° Les conditions dans lesquelles fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux salariés pendant toute sa durée :

' les dirigeants salariés exerçant dans le périmètre de l'accord ;

' les mandataires sociaux et les actionnaires, dans le respect des compétences des organes d'administration et de surveillance ;

3° Les modalités selon lesquelles sont conciliées la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des salariés ;

4° Les modalités d'accompagnement des salariés ainsi que l'abonnement du compte personnel de formation au-delà du montant minimal défini au décret mentionné au VI du présent article.

Les dispositions des articles L. 3121-41, L. 3121-42, L. 3121-44 et L. 3121-47 s'appliquent si l'accord met en place ou modifie un dispositif d'aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine.

Les articles L. 3121-53 à L. 3121-66 s'appliquent si l'accord met en place ou modifie un dispositif de forfait annuel, à l'exception de l'article L. 3121-55 et du 5° du I de l'article L. 3121-64 en cas de simple modification.

Lorsque l'accord modifie un dispositif de forfait annuel, l'acceptation de l'application de l'accord par le salarié conformément aux III et IV du présent article entraîne de plein droit l'application des stipulations de l'accord relatives au dispositif de forfait annuel.

III. ' Les stipulations de l'accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise.

Le salarié peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l'application de l'accord.

IV. ' Le salarié dispose d'un délai d'un mois pour faire connaître son refus par écrit à l'employeur à compter de la date à laquelle ce dernier a informé les salariés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l'existence et du contenu de l'accord, ainsi que du droit de chacun d'eux d'accepter ou de refuser l'application à son contrat de travail de cet accord.

V. ' L'employeur dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement. Ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse. Ce licenciement est soumis aux seules modalités et conditions définies aux articles L. 1232-2 à L. 1232-14 ainsi qu'aux articles L. 1234-1 à L. 1234-11, L. 1234-14, L. 1234-18, L. 1234-19 et L. 1234-20.

VI. ' Le salarié peut s'inscrire et être accompagné comme demandeur d'emploi à l'issue du licenciement et être indemnisé dans les conditions prévues par les accords mentionnés à l'article L. 5422-20. En l'absence des stipulations mentionnées au 4° du II du présent article, l'employeur abonde le compte personnel de formation du salarié dans des conditions et limites définies par décret. Cet abonnement n'entre pas en compte dans les modes de calcul des droits crédités chaque année sur le compte et du plafond mentionné à l'article L. 6323-11 ».

Il résulte de l'article précité que l'accord de performance collective constitue un accord dérogatoire au droit commun de la négociation collective en ce qu'il permet de licencier les salariés qui refusent son application sans qu'il y ait lieu de recourir à la législation sur le licenciement pour motif économique.

En outre, l'accord de performance collective se substitue aux clauses contraires des contrats de travail faisant ainsi prévaloir la volonté collective des signataires de l'accord sur les volontés individuelles des salariés auxquels il s'applique.

Dans cette mesure, le principe de loyauté dans les négociations de l'accord de performance collective revêt une particulière et nécessaire importance au regard des effets de ce type d'accord.

Lors de la réunion extraordinaire du comité économique et social ACOME du 14 février 2022 portant sur « l'information sur la dénonciation de l'accord d'entreprise 35h du 13/07/2000 », la direction a indiqué aux élus que :

« La dénonciation de l'accord d'entreprise 35h a été voulue par la direction compte tenu de la durée de négociation sur une nouvelle organisation du travail débutée en mars 2020.

Après le refus des organisations syndicales de signer un accord mi-décembre (...), il a été envisagé de procéder à cette dénonciation pour retrouver une liberté d'organisation des ateliers français et trouver un moyen de restaurer leur compétitivité.

Cette action a conduit à relancer les négociations. Et parce qu'elles ont abouti ce matin à la signature d'un accord de performance collective (APC) à durée indéterminée de 4 ans, le Président indique que cette dénonciation de l'accord 35 heures n'a plus lieu d'être à l'ordre du jour.

Il remercie les délégués syndicaux ayant signé cet accord qui a été négocié dans l'intérêt de l'entreprise et de son collectif de travail. (...)

Le directeur des ressources humaines présente le contenu de l'APC. (...)

En conclusion, cet accord aménageant les futurs horaires dans le sens des besoins de l'entreprise, la Direction ajourne la dénonciation de l'accord d'entreprise 35H du 13/07/2000. L'APC reste ouvert à la signature : il n'y a aucun intérêt à créer des clivages dans une SCOP et ce que nous gagnerons pérennisera nos emplois et sera redistribué à tous les salariés ».

Le 17 février 2022, la direction a établi une note interne affichée dans l'entreprise afin d'informer les managers de la signature d'un accord de performance collective en date du 14 février 2022 « l'accord de performance collective a été signé et entrera en vigueur le 1er janvier 2023 » en présentant les grandes lignes de l'accord, et un document de présentation a été adressé aux managers le 18 février.

Il ressort de ces éléments que la direction n'avait pas présenté le texte signé avec l'UNSA le 14 février 2022 comme un projet d'accord, mais bien comme un accord de performance collective qui devait entrer en vigueur en janvier 2023 sans autre condition et qui avait été signé le matin même de la réunion extraordinaire qui en a fait l'annonce. Ce point est corroboré par la mention positionnée en pied de page côté gauche de chaque page de ce document : « Accord de performance 14/02/2022 ».

C'est pertinemment que le premier juge a retenu que si l'employeur a indiqué lors de la réunion du 14 février 2022, donc postérieurement à la signature du document, que « l'APC reste ouvert à la signature », il n'y est précisé aucun calendrier portant sur le délai de signature, alors que l'accord avait été d'ores et déjà revêtu des conditions de validité visées à l'article L. 2232- 12 du code du travail puisque l'UNSA a recueilli plus de 50 % des voix lors des dernières élections et qu'il était signé par la Société et par ce dernier.

C'est encore pertinemment que le premier juge a précisé que « le fait que cet accord ne soit pas daté ne saurait permettre à la direction de lui dénier a posteriori la qualification d'accord collectif ».

En effet, la date de signature est connue ( le 14 février 2022) et ce texte avait été présenté sans ambiguïté comme l'accord de performance collective.

Ainsi, l'accord de performance collective dont les conditions de négociation sont discutées a bien été signé le 14 février 2022 par la direction et par l'UNSA, et ensuite le 28 février 2022 comportant quelques aménagements proposés par la CGT, mais toujours intitulé en bas de page  « Accord de performance 14/02/2022 ».

S'agissant des conditions des négociations, le calendrier prévisionnel initial des réunions de négociation en 2021 était fixé les 7 et 21 octobre 2021 puis les 4 et 18 novembre 2021.

Les négociations n'ayant pas abouti en 2021, elles se sont poursuivies les 13, 25 et 27 janvier 2022 en présence des deux organisations syndicales représentatives, l'UNSA et la CGT.

Par courriel du 28 janvier 2022, la direction de la société ACOME a transmis à l'UNSA et à la CGT un projet d'accord modifié dans les termes suivants :

« Nous avons travaillé pour vous, en conséquence de quoi, nous avons adapté nos propositions à vos demandes autant que faire se peut, notamment sur les points suivants que vous trouverez rédigé en rouge ou disparus :

pas de PSE

pas de référence au temps de travail effectif pour les équipes successives

horaires 2 × 8 inchangés

horaires fixes

équivalence WK/semaine, suivi

changement de cycle WK/semaine

etc.'

À l'exception de quelques aménagements techniques du texte que nous pourrons encore réaliser ensemble, nous vous invitons maintenant à vous engager sur cet accord pour soutenir la démarche de croissance et de capacité de l'entreprise confrontée à une très sérieuse difficulté sur les marges.

Nous pourrons donc prendre encore quelques jours pour le parachever et améliorer notre texte mais pour l'essentiel la négociation s'achève. Nous espérons vivement que vous déciderez de revêtir bientôt cet accord de votre signature(...) ».

Par courriel du 4 février 2022 adressé aux délégués syndicaux de l'UNSA, la société ACOME les a invités à finaliser l'accord APC, en indiquant notamment connaître « maintenant la position de la CGT ». Puis, le 7 février 2022, elle a envoyé à l'UNSA la « nouvelle mouture de l'accord » précisant qu'elle faisait « suite à nos échanges ».

Il ressort de ce rappel que les négociations se sont donc poursuivies postérieurement au 28 janvier 2022 sans y associer la CGT.

Par courrier du 21 février 2022, la CGT a demandé au directeur des ressources humaines de la société ACOME, d'annuler l'accord de performance collective signé le 14 février 2022 entre la direction et le syndicat UNSA au motif de la déloyauté des négociations, faisant valoir qu'il a été signé alors que les modifications qui y avaient été apportées entre le 27 janvier et le 14 février 2022 ne lui avaient pas été présentées en réunion pour négociation et qu'elle n'avait pas été invitée à la réunion de signature le 14 février 2022.

Le 23 février 2022, la société ACOME a indiqué à la CGT « ré-ouvrir les négociations » le 28 février 2022 à 9h30 « sur le projet d'accord, afin de le soumettre aux deux organisations syndicales représentatives pour ultime discussion et mise à la signature des délégués syndicaux le 28 février 2022 à 9h30 ».

Dans ce courrier, la direction a précisé les éléments suivants :

« Le 3 février 2022, vous nous avez fait part de votre décision de ne pas signer d'accord de performance collective, après avoir consulté votre équipe et votre centrale syndicale.

Aussi, la finalisation de l'accord proposé s'est effectuée avec l'UNSA, au retour des congés des délégués syndicaux, qui nous a (ont) demandé d'opérer les modifications, ce qui a permis la conclusion des négociations le lundi 14 février à 11H.

Cette conclusion a également permis d'abandonner la nécessité de dénoncer l'accord 35h à 14h en CSE extraordinaire, d'où la présentation que nous avons faite pour tenir toutes les parties prenantes informées (le CSE ayant également demandé une expertise sur l'APC).

A cette occasion, le Président a indiqué que l'accord de performance collective restait ouvert à la signature de toutes les parties.

Nous trouvons donc outrancier de caractériser cette situation de déloyale, vu votre position de refus et les longs efforts déployés pour aboutir à ce compromis dans l'intérêt de l'entreprise.

Ceci étant précisé, suite à votre courrier, nous comprenons qu'il vous a manqué une séquence dans ce déroulement et nous en prenons acte.

Ainsi nous ré ouvrons les négociations sur ce projet d'accord que nous soumettrons à nouveau aux deux organisations syndicales représentatives pour ultime discussion et mise à la signature des délégués syndicaux le lundi 28 février 2022 à 9h30 en salle 215 ».

La cour relève qu'aucune pièce ne permet d'établir que la CGT avait indiqué qu'elle refuserait de signer l'accord en instance de finalisation, et en tout état de cause qu'elle avait notifié à la direction sa volonté de ne pas être associée aux discussions de 'parachèvement' et de ne pas être convoquée aux réunions ayant pour objet la finalisation et/ou la signature de l'accord.

Dès lors, l'existence de rencontres bilatérales et de négociations séparées, quelque soit le volume des modifications et/ou ajouts figurant dans la « nouvelle mouture », ont mis la CGT devant le fait accompli de la signature de l'accord de performance collective en date du 14 février 2022 auquel elle n'avait pas été conviée, ce qui caractérise la déloyauté dans la conduite des négociations et qui vicie ce dernier et entraîne sa nullité.

Ainsi, il ne peut être considéré, tout comme le premier juge l'a retenu, qu'en procédant à la réouverture des négociations lors de la réunion du 28 février 2022 avec la CGT et l'UNSA suivies de la signature aux côtés de l'UNSA d'un accord de performance collective comportant quelques aménagements proposés par la CGT, la direction a régularisé la situation au regard du principe de loyauté, alors que les manquements commis qui ont abouti à l'« Accord de performance 14/02/2022 » signé avant la réunion du CSE du 14 février 2022 ont invalidé le processus de négociation qui a abouti à l'« Accord de performance 14/02/2022 » signé le 28 février 2022.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il annulé l'accord de performance collective signé le 14 février 2022 et le 28 février 2022 par la société ACOME et le syndicat UNSA.

A titre subsidiaire sur la limitation des effets de l'annulation de l'APC aux situations postérieures au jugement du 20 juin 2023 :

La société ACOME fait valoir que :

- cette demande n'a pas de caractère nouveau pour avoir été présentée en première instance et en tout état de cause présente un caractère accessoire et complémentaire tendant à débouter syndicat CGTa de sa demande d'annulation de l'accord ;

- l'annulation de l'accord APC du 28 février 2022 a entraîné et continuera d'entraîner des conséquences manifestement excessives qu'il convient d'atténuer en modulant les effets de cette annulation qui a bouleversé l'organisation et le fonctionnement opérationnel de l'entreprise ;

- la nature même de l'accord de performance collective dont les clauses se substituent aux clauses contraires des contrats de travail justifie que soient aménagées les conséquences d'une nullité prononcée ; l'accord de performance collective étant entré en vigueur à compter de janvier 2023, il a profondément modifié les situations personnelles de certains salariés, notamment concernant l'aménagement de leurs horaires ; l'annulation de cet accord, avec effet rétroactif, a donc conduit à modifier de nouveau les contrats de travail de ces salariés qui ont vu leurs conditions de travail être rétablies dans les conditions antérieures ; un certain nombre de licenciements ont été prononcés sur la base de cet accord pour les salariés qui n'ont pas accepté que les clauses de leur contrat de travail soient modifiées par l'adoption de cet accord ; cette annulation lui serait préjudiciable puisqu'à défaut d'être aménagée, elle remettrait en cause le bien fondé de ces licenciements la conduisant à devoir indemniser les salariés en question, et ce, alors même qu'elle pensait légitimement pouvoir s'appuyer sur le motif du refus de la modification de leur contrat de travail.

Le syndicat CGT oppose que :

- en première instance, la société ACOME ne demandait pas d'aménager les effets dans le temps en cas d'annulation de l'APC de sorte qu'il s'agit d'une demande nouvelle qui n'est ni l'accessoire, ni la conséquence, ni le complément d'une demande qu'aurait formulée la société ACOME de sorte que cette demande est irrecevable ;

- sur le fond, la société ACOME ne caractérise pas de conséquences manifestement excessives et se borne à indiquer que l'annulation de l'accord collectif a des conséquences ; l'exécution provisoire est de droit et la société indique avoir déjà rétabli les salariés dans les conditions antérieures à la signature de l'APC et a entendu conclure un nouvel APC applicable en partie à compter du 1er janvier 2023, pendant la procédure d'appel ; en ce qui concerne les salariés licenciés en application de l'APC, la société ne caractérise pas de conséquences manifestement excessives pouvant justifier d'aménager les effets dans le temps de l'annulation de l'accord ;

- la société ACOME fait connaître la motivation de sa demande, qui consiste à ne pas remettre en cause les licenciements des salariés intervenus sur la base d'un régime dérogatoire lui ayant permis de bénéficier d'une cause de licenciement sui generis et d'échapper à la législation sur le licenciement économique.

Sur ce,

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».

L'article 565 du code de procédure civile précise que : « les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ».

L'article L. 2262-15 du code du travail prévoit :

« En cas d'annulation par le juge de tout ou partie d'un accord ou d'une convention collective, celui-ci peut décider, s'il lui apparaît que l'effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, que l'annulation ne produira ses effets que pour l'avenir ou de moduler les effets de sa décision dans le temps, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement ».

La société ACOME avait en première instance demandé de « limiter les conséquences de l'annulation de tout ou partie des clauses relatives aux équipes de suppléance aux situations postérieures au jugement à intervenir conformément aux dispositions de l'article L. 2262-15 du code du travail ».

Ces clauses relatives aux équipes de suppléance sont présentées à la section 4.05 de l'accord du 14 février 2022 signé le 14 et le 28 février 2022 en pages 13, 14 et 15.

Dès lors, cette demande, limitée à la section 4.05 de l'accord avait bien été formulée en première instance, peu important qu'elle se rapportait à la demande principale d'annulation ou à la demande subsidiaire tendant à annuler les seules stipulations de la section 4.05, et ne constitue donc pas une demande nouvelle au sens de l'article 564 du code de procédure civile.

En revanche, la demande de la société ACOME présentée «  A titre subsidiaire limiter les effets de l'annulation de l'accord de performance collective aux situations nées postérieurement au jugement du Tribunal judiciaire de PARIS du 20 juin 2023, conformément aux dispositions de l'article L 2262-15 du Code du travail » est manifestement nouvelle, en ce qu'elle excède la demande relative aux seules stipulations relatives aux équipes de suppléance et figurant à la section 4.05 de l'accord, alors que la demande de limitation des effets n'avait pas été présentée pour l'ensemble des dispositions de l'accord annulé et que cette demande de limitation des effets sur l'ensemble de l'accord ne constituait pas le corollaire indispensable de la demande principale de débouté de la société ACOME.

S'agissant des effets de l'annulation en ce qu'elle porte sur les mesures figurant à la section 4.05, force est de constater que si la société ACOME a dû adapter son organisation et le fonctionnement opérationnel de l'entreprise, elle ne démontre aucunement, l'existence de conséquences manifestement excessives au sens de l'article L. 2262-15.

S'agissant en outre des situations concernant deux salariés MM. [L]. et [J]., s'il est justifié que ces derniers ont saisi les instances prud'homales aux fins de voir juger leur licenciement, reposant sur leur refus de l'accord de performance collective, et partant de condamnation de la société ACOME de leur verser diverses indemnités, force est de constater que les demandeurs faisaient valoir plus spécifiquement qu'ils n'avaient pas été remplacés suite à leur licenciement, de sorte que la société ACOME échoue à démontrer que ces situations constituent, la encore, des conséquences manifestement excessives au sens du texte précité.

Dès lors, il ressort de ces considérations que la société ACOME sera déboutée de sa demande d'aménagement, le jugement étant confirmé en son dispositif sur ce point.

Sur les dommages et intérêts pour violation du principe de neutralité de l'employeur, d'égalité entre les syndicats et de l'entrave du droit syndical :

Le syndicat CGT qui sollicite la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre fait valoir que :

- à l'issue des négociations séparées ayant abouti à la signature d'un accord de performance collective par la direction et l'UNSA, la direction a favorisé ouvertement ce dernier ce qui s'illustre par l'utilisation de termes particulièrement élogieux et non compatibles avec l'obligation de neutralité de l'employeur et n'a évoqué la CGT que dans des termes peu valorisants ;

- suite au jugement, la direction a décrédibilisé son action syndicale en continuant à dire que les négociations ont été menées loyalement et que le jugement aurait des conséquences dramatiques jusqu'à soutenir que « l'incertitude ouverte dégrade l'ambiance et génère des risques psycho sociaux importants ».

La société ACOME oppose que :

- elle était légitime à saluer les efforts de l'UNSA dans le processus de négociation alors que l'accord de performance collective négocié est un accord déterminant pour assurer la pérennité de l'entreprise et de l'emploi, et que le processus de négociation avait été particulièrement long et complexe, ce qui n'implique pas un traitement défavorable du syndicat CGT ni davantage une entrave ;

- il en est de même pour avoir indiqué que l'action en justice du syndicat serait « consternante» alors qu'il y a eu de longues négociations et la prise en compte des revendications des différents acteurs et qu'une action en justice a quand même été intentée ;

- à aucun moment la direction ne vise nommément la CGT comme étant clivante ou que le comportement adopté par le syndicat serait contraire a la finalité coopérative d'ACOME ;

- ni sa défense de sa position, ni la communication a l'égard des conséquences d'une décision de justice n'est suffisante pour dire que syndicat CGTa fait l'objet d'un traitement de favorable ou bien qu'elle ait commis une entrave au droit syndical.

Sur ce,

Aux termes de l'article L. 2141-7 de ce code, « Il est interdit à l'employeur ou à ses représentants d'employer un moyen quelconque de pression en faveur ou à l'encontre d'une organisation syndicale ».

Dans le document d'information transmis aux élus dans le cadre de la réunion du CSE du 14 février 2022 la direction de la société ACOME a mentionné :

- page 3 : « Après 2 ans de discussion sur la nécessité de transformer nos organisations françaises pour sauvegarder notre compétitivité, un compromis a enfin été trouvé et l'accord de performance collective a été signé avec l'UNSA.

Ce partenariat a émergé après une négociation approfondie. Le sujet était difficile car il s'agissait de trouver un compromis sur un changement important dans nos organisations et dans la gestion de nos avantages » ;

- page 4 : « Nous saluons nos partenaires sociaux signataires pour leur courage, leur conviction et leur loyauté à ACOME : ils se trouvent là où tous les acomiens ont besoin d'eux, ici et maintenant, c'est-à-dire à un moment crucial pour les équipes qui, notamment, montent actuellement à la conquête de l'Allemagne et du Royaume Uni pour renouveler notre activité de fibre optique ou se battent pour préserver leur emploi dans l'automobile ».

Il ressort de cette présentation de l'accord signé le 14 février 2022 qu'il n'est aucunement établi que les termes employés caractérisent un manquement de la société ACOME à son obligation de neutralité.

De même, si la société ACOME a mentionné dans les comptes-rendus des réunions du CSE du 25 avril 2022 et du 18 juillet 2022 qu' « il est consternant de voir qu'après le silence négociation et la prise en compte d'un certain nombre de revendications de la CGT dans l'APC final, la CGTACOME nous accuse d'une négociation séparée », et si la dernière phrase du compte rendu du CSE du 25 avril 2022 mentionne : « le président souligne qu'il y a ceux qui apaisent et ceux qui clivent. Espérons que les choses rentrent dans l'ordre, de façon apaisée collective, dans l'esprit habituel de notre entreprise », force est de constater cependant, que ce ressenti exprimé, qui est celui de la direction, n'est pas de nature à caractériser la violation du principe de neutralité de l'employeur et d'égalité entre les syndicats.

Il en est de même du terme employé d'« attaque judiciaire » pour qualifier la présente action, et de la précision selon laquelle « il est évident qu'une remise en cause de l'APC serait catastrophique pour l'entreprise qui a besoin, de façon vitale, de s'adapter à la conjoncture et qui sera engagée dans une transformation profonde de son organisation », ni du reproche fait à la CGT de ne pas avoir « retiré son attaque judiciaire », en précisant qu' « il est toujours temps de changer d'attitude », ces termes employés dans le cadre de la libre expression des réunions ne pouvant s'analyser en des pressions au sens de l'article précité.

S'agissant de l'entrave du droit syndical, l'article L. 21 46-1 du code du travail dispose que « le fait d'apporter une entrave à l'exercice du droit syndical, défini par les articles L. 2141-4, L. 2141-9 et L. 2141-11 à L. 21 43-22 est puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3750 € ».

Or, c'est à juste titre que le premier juge a constaté à titre liminaire que la CGT n'établit pas la preuve qui lui incombe, au sens de l'article L. 2146-1 du code de travail, de ce que les manquements reprochés à l'employeur ont porté atteinte à l'exercice du droit syndical, en l'absence de démonstration des éléments utiles à cette prétention.

Dès lors le jugement sera aussi confirmé sur ce point.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La société ACOME qui succombe sur les mérites de son appel, doit être condamnée aux dépens et déboutée en sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera fait application de cet article au profit de l'intimé.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

DÉCLARE recevable la société ACOME en sa demande subsidiaire visant à limiter les conséquences de l'annulation des clauses de la section 4.05 relative aux « salariés en équipe de suppléance » aux situations postérieures au jugement à intervenir et la déclare irrecevable pour le surplus de sa demande subsidiaire sur ce point ;

CONFIRME le jugement ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société ACOME aux dépens d'appel dont distraction au profit de Me Chloé Rino dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société ACOME à payer au syndicat CGT ACOME la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 23/12256
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;23.12256 ?
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