RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
PÔLE 1 - CHAMBRE 10
ARRÊT DU 04 JUILLET 2024
(n°339, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général
N° RG 23/07981 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHROQ
Décision déférée à la cour
Jugement du 18 avril 2023-Juge de l'exécution d'EVRY-RG n° 22/06685
APPELANTE
Madame [D] [K] épouse [U]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Céline CADARS BEAUFOUR de l'AARPI CADARS-BEAUFOUR - QUER - BILLAUD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R102
INTIMÉ
Monsieur [M], [Z] [U]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Sabrina BOUAOU, avocat au barreau de l'ESSONNE
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 6 juin 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte Pruvost, président de chambre
Madame Catherine Lefort, conseiller
Madame Valérie Distinguin, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Bénédicte Pruvost, président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire Grospellier
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte Pruvost, président de chambre et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier présent lors de la mise à disposition.
Par ordonnance de non-conciliation du 7 juin 2019, puis par jugement du 13 mars 2020, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire d'Evry a fixé à 233 euros le montant mensuel de la part contributive à l'entretien et à l'éducation de chacun des trois enfants communs et à 200 euros la pension alimentaire au titre du devoir de secours, soit une somme totale de 899 euros par mois, que M. [M] [U] devait verser mensuellement à Mme [D] [K] épouse [U]. En outre il résulte de la combinaison de ces décisions, dont il n'a pas été formé appel, que :
M. [U] prendrait en charge en totalité le remboursement du crédit immobilier (1734,85 euros) jusqu'au 1er septembre 2020 et qu'à compter de cette date, celui-ci serait pris en charge à hauteur des 2/3 (soit 1156,57 euros) par M. [U] et d'1/3 (soit 578,28 euros) par Mme [K] ;
les comptes seraient faits entre les parties au moment de la liquidation du régime matrimonial (précision figurant in fine de chacune des décisions précitées).
Déclarant agir en vertu de ces décisions et par acte d'huissier du 17 novembre 2022, Mme [K] a fait pratiquer une saisie-attribution sur le compte bancaire de M. [U] ouvert dans les livres de la société BNP Paribas, pour avoir paiement de la somme de 47.380,95 euros, se décomposant comme suit :
44.304,05 euros au titre des échéances du crédit immobilier ;
1798 euros au titre des pensions alimentaires ;
1278,90 euros au titre des frais de scolarité.
Cette saisie a été dénoncée à M. [U] le 21 novembre suivant.
Par acte d'huissier du 13 décembre 2022, M. [U] a assigné Mme [K] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire d'Evry aux fins de contester la saisie-attribution susvisée.
Par jugement du 18 avril 2023, le juge de l'exécution a :
ordonné la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée le 17 novembre 2022 entre les mains de la société BNP Paribas ;
débouté M. [U] du surplus de ses demandes ;
dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
rejeté toute demande plus ample ou contraire ;
condamné Mme [K] aux dépens de l'instance.
Pour statuer ainsi, le juge a constaté que M. [U] ayant réglé les sommes saisies au titre des pensions alimentaires et des frais de scolarité, ne restait plus en litige que la somme saisie au titre du crédit immobilier. A cet égard, il a relevé que les décisions exécutées ne prévoyaient pas le règlement des mensualités du crédit immobilier par M. [U] à Mme [K] et qu'en outre, cette dernière ne justifiait pas avoir procédé au règlement de l'intégralité des mensualités dues à ce titre.
Sur la demande de dommages et intérêts pour saisie abusive, le juge de l'exécution a retenu que la mauvaise foi de Mme [K] n'était pas démontrée au regard des articles L.121-2 du code des procédures civiles d'exécution et 1240 du code civil.
Par déclaration du 27 avril 2023, Mme [K] a formé appel de ce jugement.
Par conclusions du 27 juillet 2023, Mme [K] a demandé à la cour de :
infirmer le jugement rendu le 18 avril 2023 ;
Et statuant à nouveau :
juger valable la saisie-attribution pratiquée le 17 novembre 2022 sur les comptes de M. [U] ;
débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes ;
condamner M. [U] au paiement d'une somme de 5000 euros pour procédure abusive ;
condamner M. [U] au paiement d'une indemnité de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner M. [U] aux entiers dépens.
Au soutien de son appel, elle fait valoir que :
ce qui importe n'est pas que l'obligation soit chiffrée dans le titre exécutoire mais qu'elle soit déterminable, ce qui était le cas s'agissant des sommes dues par M. [U] au titre du crédit immobilier et des frais de scolarité ;
elle démontre avoir dû payer les échéances du crédit immobilier, dont la part incombant à M. [U], de sorte qu'elle est sa créancière ; même si les décisions fondant la saisie ne prévoient pas que l'époux doit les payer à l'épouse, l'article 1433 du code civil dispose que la communauté doit récompense à l'époux propriétaire toutes les fois qu'elle a tiré profit de biens propres ; or la communauté ne tire aucun profit du paiement par elle des échéances du crédit immobilier ; le juge aux affaires familiales n'a pas entendu soumettre le paiement de ces échéances aux récompenses ultérieures de la liquidation du régime matrimonial ; la promesse de don de ses parents pour racheter les parts de M. [U] dans l'immeuble commun ne s'est jamais concrétisée ;
elle a bien qualité pour agir, étant contrainte de régler la part des échéances mensuelles du crédit immobilier et les frais de scolarité incombant à M. [U] ;
concernant la demande de dommages-intérêts formée par l'intimé, celui-ci ne rapporte la preuve d'aucun préjudice ; concernant la sienne, elle l'estime justifiée par le refus de M. [U] de s'acquitter des sommes qu'il doit, ce qui la met dans une situation financière délicate.
Par dernières conclusions notifiées le 30 juin 2023, M. [U] demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes ;
le déclarer recevable et bien fondé en sa contestation de saisie-attribution ;
débouter Mme [K] de ses éventuelles demandes en paiement des sommes ;
juger la saisie-attribution pratiquée le 17 novembre 2022 nulle et de nul effet ;
ordonner la mainlevée de ladite saisie-attribution aux frais exclusifs de Mme [K] ;
infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté ;
Statuant à nouveau,
condamner Mme [K] au paiement d'une indemnité de 5000 euros à titre de dommages-intérêts en raison de l'abus de droit, tous préjudices confondus ;
Y ajoutant :
condamner Mme [K] au paiement d'une indemnité de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
dire et juger qu'en application de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution, les éventuels frais d'exécution forcée seront à la charge de Mme [K] ;
condamner Mme [K] aux entiers dépens.
L'intimé fait valoir que :
concernant le caractère exigible de la créance relative à sa part des échéances du crédit immobilier, la créance n'est exigible que lorsqu'elle est arrivée au terme, soit en l'espèce, la liquidation du régime matrimonial ; or il ressort du rapport d'expertise judiciaire rendu par le notaire désigné que les deux époux doivent des sommes à la communauté ; au surplus, le juge de l'exécution a constaté à juste titre que Mme [K] ne justifiait pas avoir procédé au règlement de l'intégralité des mensualités du crédit immobilier ; Mme [K] n'a pas qualité pour agir en recouvrement dans la mesure où elle ne peut se substituer à la communauté, seule créancière ;
concernant l'abus de droit commis à son encontre, la mesure est intervenue quelques semaines après la naissance de l'enfant issu de sa nouvelle union, le contraignant à faire appel à l'aide de sa famille, alors qu'il avait averti l'huissier de justice de ce que toute mesure d'exécution forcée serait irrégulière ; enfin, à l'issue du jugement du juge de l'exécution, l'appelante a refusé de procéder à la mainlevée de la saisie-attribution nonobstant l'exécution provisoire ;
la demande reconventionnelle en dommages-intérêts de l'appelante est mal fondée, celle-ci ayant déclaré lors des réunions d'expertise notariale avoir bénéficié d'un don manuel de ses parents à hauteur de 204.000 euros ; qu'elle disposait en outre au minimum d'une somme de 52.000 euros sur ses comptes bancaires.
Le 14 mai 2024 à 19h55, soit l'avant-veille de la clôture fixée par l'avis de fixation au 16 mai 2024, le conseil de Mme [K] a notifié de dernières conclusions accompagnées de 26 nouvelles pièces.
Par message notifié par le RPVA le 15 mai 2024, le conseil de M. [U] demande à voir écarter des débats les dernières pièces et conclusions notifiées la veille à 19h55 en violation du principe du contradictoire dès lors que la clôture était fixée depuis un an au 16 mai 2024 et que le conseil de Mme [K] avait conclu en dernier et ce le 3 août 2023 [en réalité le 27 juillet 2023].
L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2024.
MOTIFS
Sur la demande tendant à voir écarter les dernières conclusions et nouvelles pièces de Mme [K]
Aux termes de l'article 16 alinéa 1er et 2 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Alors que l'appelante avait conclu en dernier, le 27 juillet 2023, et même si elle a changé d'avocat le 11 septembre suivant, elle était parfaitement en mesure de réunir et notifier ses nouvelles conclusions et pièces (26 nouvelles pièces sur 32) dans un délai suffisant précédant l'ordonnance de clôture, prévue au 16 mai 2024 soit huit mois après, pour respecter le principe de la contradiction ; ce d'autant plus que l'intimé avait conclu en dernier lieu le 30 juin 2023. Or elle a attendu le 14 mai 2024, soit l'avant-veille de la clôture vers 20h, pour le faire, ne permettant pas à M. [U] et à son conseil d'en prendre connaissance en temps utile avant le prononcé de l'ordonnance de clôture. Le conseil de l'appelante n'invoque aucune circonstance particulière de nature à justifier une telle violation du principe de la contradiction, hormis le nombre des pièces qu'il entendait réunir.
Par conséquent, il y a lieu de faire droit à la demande tendant à voir écarter ces dernières écritures notifiées le 14 mai 2024 et les nouvelles pièces numérotées 7 à 32, la cour s'en tenant aux conclusions de Mme [K] notifiées le 27 juillet 2023 et aux pièces n°1 à 6.
Sur la qualité de créancier de Mme [K]
A titre liminaire, il convient de relever que ce n'est pas la qualité pour agir de Mme [K] qui est valablement discutée dans la présente instance, mais sa qualité de créancière, étant rappelé qu'une mesure d'exécution ne constitue pas une action en justice ni une « action en exécution » comme l'indique improprement M. [U] ; de sorte que c'est à juste titre que le juge de l'exécution a dit que Mme [K] avait qualité pour agir et défendre à l'action en contestation de la saisie-attribution qu'elle avait fait pratiquer.
Aux termes de l'article L. 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent, sous réserve des dispositions particulières à la saisie des rémunérations prévue par le code du travail.
La saisie-attribution critiquée, pratiquée le 17 novembre 2022, porte sur les postes suivants :
crédit immobilier : 44.304,05 euros
pensions alimentaires impayées : 1798 euros
frais de scolarité : 1278 euros
En ce qui concerne les échéances du crédit immobilier, si les titres exécutoires sur le fondement desquels la saisie-attribution a été pratiquée mettaient, à compter du 1er septembre 2020, les deux tiers des échéances mensuelles de remboursement à la charge de M. [U] tandis que Mme [K] devait n'en assumer que le tiers, ils prévoyaient dans leurs dispositifs respectifs, tant l'ordonnance de non-conciliation du 7 juin 2019 que le jugement du 13 mars 2020, que les comptes seraient faits entre les parties au moment de la liquidation du régime matrimonial, étant précisé que le bien immobilier est un bien commun. L'article 1433 du code civil, invoqué par Mme [K] n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce, la communauté n'ayant évidemment pas tiré profit de biens propres du fait de la défaillance de M. [U]. C'est donc à tort que le premier juge a fait grief à Mme [K] de s'abstenir de justifier de ce qu'elle avait finalement supporté les échéances du crédit immobilier dans leur intégralité, mais c'est à juste titre qu'il a dit que Mme [K] n'était pas créancière des sommes dues par M. [U] à la communauté du fait de sa défaillance. Il s'ensuit que ce poste de créance visé par la saisie-attribution n'est pas exigible par Mme [K].
En ce qui concerne les termes de pension alimentaire impayés, il n'est pas contesté qu'ils ont été réglés.
En revanche, contrairement à ce que le premier juge a retenu, il ne ressort pas des écritures ni des pièces versées que les frais de scolarité mis en compte pour 1278 euros ont également été réglés par M. [U]. Si M. [U] ne conclut pas sur ce poste, Mme [K] justifiait de ce qu'il était impayé lorsqu'elle a fait pratiquer la saisie-attribution le 17 novembre 2022 et le maintient dans ses dernières écritures du 27 juillet 2023. Or les frais de scolarité devaient, aux termes du dispositif du jugement du 13 mars 2020, être pris en charge à hauteur des 2/3 par M. [U] et 1/3 par Mme [K], sans que ces frais aient vocation à entrer dans les comptes de la liquidation du régime matrimonial. Ils sont de même nature que la contribution des parents à l'entretien et l'éducation des enfants communs. Par conséquent, conformément aux dispositions de l'article 1353 alinéa 2 du code civil, selon lesquelles celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation, il appartient à M. [U] de faire la preuve de ce qu'il s'en est acquitté. Or il n'en justifie pas.
Sur la demande tendant à voir déclarer nulle la saisie-attribution et à en ordonner mainlevée
Selon les dispositions de l'article R 211-1 du code des procédures civiles d'exécution, le procès-verbal de saisie-attribution doit comporter, à peine de nullité, un certain nombre de mentions obligatoires, notamment le décompte distinct des sommes réclamées en principal, frais et intérêts échus, majorées d'une provision pour les intérêts à échoir dans le délai d'un mois prévu pour élever une contestation.
Cependant, seule l'absence de décompte est susceptible d'entraîner la nullité de la saisie-attribution. La circonstance qu'un poste ou plusieurs postes du décompte de créance s'avère injustifié n'affecte que la portée de la saisie-attribution et non pas sa validité, le juge de l'exécution pouvant cantonner les effets de celle-ci au montant réellement dû.
La cour doit apprécier au jour où elle statue à hauteur de quel montant la mesure reste fondée, de sorte qu'il y a lieu de la maintenir à hauteur de la somme de 1278 euros en principal au titre des frais de scolarité, seul poste restant dû à ce jour. Les intérêts et frais devront être recalculés en conséquence par le commissaire de justice. Il sera donné mainlevée partielle pour le surplus, soit pour la somme de 44.304,05 + 1798 euros = 46.102,05 euros.
Sur les demandes en dommages-intérêts
L'issue du litige commande le rejet des demandes en dommages-intérêts respectives des parties, M. [U] s'étant trouvé débiteur au moment où la saisie-attribution a été pratiquée, même si c'était pour partie limitée, et la mesure étant en définitive levée pour majeure partie mais non pas en totalité.
Il y a donc lieu à confirmation du jugement entrepris de ces chefs.
Sur les demandes accessoires
Chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions, l'issue du litige commande de laisser à chacune la charge de ses dépens d'appel et de ses frais irrépétibles d'appel. Selon les dispositions de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution, les frais de l'exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf s'il est manifeste qu'ils n'étaient pas nécessaires au moment où ils ont été exposés, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Ces frais resteront donc à la charge de M. [U] sans qu'il soit nécessaire de statuer par une disposition expresse de ce chef.
PAR CES MOTIFS
Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la mainlevée totale de la saisie-attribution pratiquée le 17 novembre 2022 à l'encontre de M. [M] [U] ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Déboute M. [M] [U] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de la saisie-attribution pratiquée le 17 novembre 2022 à son encontre ;
Ordonne la mainlevée partielle, à hauteur de 46.102,05 euros, de la saisie-attribution pratiquée le 17 novembre 2022 à l'encontre de M. [M] [U] ;
Dit qu'il appartiendra au commissaire de justice de recalculer les intérêts et les frais sur la somme en principal de 1278,90 euros ;
Et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu de prononcer de condamnation en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel.
Le greffier, Le président,