RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
PÔLE 1 - CHAMBRE 10
ARRÊT DU 04 JUILLET 2024
(n°337, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général
N° RG 23/07155 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHPHI
Décision déférée à la cour
Jugement du 11 avril 2023 rendu par le juge de l'exécution de Melun-RG n° 22/04588
Appelante
S.A.S. ANTUNES
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Sarra Jougla, avocat au barreau de Paris, toque : C0431
Ayant pour avocat plaidant Me Virginie Miré, avocat au barreau de Paris
Intimés
Monsieur [L] [S]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Me Anne-Marie Maupas Oudinot, avocat au barreau de Paris, toque : B0653
Ayant pour avocat plaidant Me Sophie Tessier, avocat au barreau de Paris
M.A.F. - Mutuelle des Architectes Français
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Anne-Marie Maupas Oudinot, avocat au barreau de Paris, toque : B0653
Ayant pour avocat plaidant Me Sophie Tessier, avocat au barreau de Paris
Composition de la cour
L'affaire a été débattue le 6 juin 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte Pruvost, président de chambre
Madame Catherine Lefort, conseiller
Madame Valérie Distinguin, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Bénédicte Pruvost, président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier lors des débats : Monsieur Grégoire Grospellier
Arrêt -contradictoire
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte Pruvost, président de chambre et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier présent lors de la mise à disposition.
Par jugement rendu le 27 mars 2007, le tribunal de grande instance de Créteil a condamné la SAS Antunes in solidum avec M. [L] [S], architecte, et sa compagnie d'assurance, la Mutuelle des Architectes Français (ci-après la MAF), à payer diverses sommes au syndicat des copropriétaires et à certains copropriétaires d'un immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 8] (94).
Par arrêt du 23 mars 2011, la cour d'appel de céans a confirmé le jugement susvisé sur les condamnations concernant la société Antunes, le réformant sur d'autres chefs ne la concernant pas mais aussi sur l'imputation des frais d'expertise et des indemnités pour frais irrépétibles.
Par arrêt rendu le 26 septembre 2012, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en cassation formé contre l'arrêt susvisé.
Déclarant agir en vertu des décisions précitées, M. [S] et la MAF ont fait délivrer à la société Antunes, par acte d'huissier du 13 juin 2022, un commandement de payer aux fins de saisie-vente, portant sur la somme totale de 60.984,01 euros.
Le 19 août 2022, ils ont fait pratiquer une saisie-attribution à l'encontre de la société Antunes pour avoir paiement de la somme totale de 61.509,83 euros. La saisie a été dénoncée à la société Antunes le 24 août 2022.
Par acte d'huissier du 23 septembre 2022, la société Antunes a fait assigner M. [S] et la MAF devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Melun aux fins d'annulation, subsidiairement de cantonnement, de la saisie-attribution.
Par jugement du 11 avril 2023, le juge de l'exécution a :
débouté la société Antunes de l'ensemble de ses demandes ;
dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
rejeté le surplus des demandes ;
laissé à chaque partie la charge de ses dépens.
Sur la prescription soulevée, le juge de l'exécution a estimé que le texte de l'article 2245 du code civil instaurant le bénéfice, au profit du créancier, des actes interruptifs de prescription diligentés contre les co-obligés solidaires, était, selon la jurisprudence, applicable aux co-obligés in solidum.
Sur la demande de cantonnement, il a rappelé que le juge de l'exécution ne peut remettre en cause le dispositif du titre exécutoire et a rejeté la demande de cantonnement par application de cette règle.
Par déclaration du 14 avril 2022, la société Antunes a formé appel de ce jugement.
Par dernières conclusions notifiées le 7 mai 2024, la société Antunes demande à la cour d'appel de :
réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
ordonner la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée à la demande de M. [S] et la MAF et dénoncée le 24 août 2022 ;
Subsidiairement,
cantonner le montant de la saisie-attribution à la somme de 48.262,59 euros ;
En tout état de cause,
condamner M. [S] et la MAF à lui verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner M. [S] et la MAF aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Jougla, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
A titre principal, l'appelante fait valoir que le jugement et l'arrêt de la cour d'appel ont été rendus plus de dix ans avant leurs significations et avant la saisie-attribution ; que si ce n'est pas le cas de l'arrêt de la Cour de cassation en date du 26 septembre 2012, la saisine de la Cour de cassation ne prive pas l'arrêt d'une cour d'appel de sa force exécutoire et les pourvois formés ne concernaient pas les chefs de l'arrêt prononçant des condamnations au profit de la compagnie Axa fondant la mesure d'exécution forcée. Elle soutient que l'article 2245 du code civil ne s'applique pas aux débiteurs in solidum et se prévaut en ce sens de la doctrine et de la jurisprudence.
Subsidiairement, elle soutient que le décompte établi par la MAF au soutien de la saisie-attribution est erroné, comme lui imputant 18,01% des sommes allouées par la cour d'appel au titre des frais irrépétibles et 30% des frais d'expertise judiciaire, alors que la cour d'appel a retenu que l'indemnité allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile et les frais d'expertise seraient répartis entre les parties condamnées « sur leurs appels en garantie réciproques au prorata des condamnations prononcées au profit de la copropriété et des copropriétaires à raison de leur part respective », de sorte qu'elle n'est tenue qu'à 5,37 % des sommes de ces deux chefs.
Par dernières conclusions notifiées le 3 août 2023, M. [S] et la MAF demandent à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Et y ajoutant,
valider la saisie-attribution du 19 août 2022 et, en conséquence, condamner la société Antunes à payer (sic) la somme de 61.509,83 euros ;
A titre subsidiaire,
condamner la société Antunes à leur verser (sic) la somme de 48.269,52 euros, montant qu'elle reconnaît à titre subsidiaire ;
En tout état de cause,
condamner la société Antunes à leur verser la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
En premier lieu, ils soutiennent que leur action n'est pas prescrite, les trois décisions de justice rendues (jugement, arrêt d'appel et arrêt de cassation) présentant une unicité des parties et d'objet du litige, de sorte que le point de départ du délai pour agir doit être fixé au 26 septembre 2012, date de l'arrêt de cassation, alors que le commandement aux fins de saisie-vente et la saisie-attribution ont été délivrés le 13 juin 2022, dans le délai de prescription ; qu'en vertu de l'article 2245 du code civil, le délai décennal a été interrompu par un commandement de payer délivré le 12 juin 2015 à la MAF, condamnée in solidum avec la société Antunes.
Ils demandent donc, à titre principal, confirmation du jugement entrepris qui a débouté la société Antunes de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution opérée pour 61.509,83 euros, dont 60.630,37 euros en principal, et à titre subsidiaire, le cantonnement de la saisie-attribution à la somme de 48.269,52 euros que l'appelante reconnaît devoir.
MOTIFS
Sur la prescription des titres exécutoires
Il résulte de l'article L. 111-3, 1° du code des procédures civiles d'exécution que constituent les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire lorsqu'elles ont force exécutoire.
Selon l'article L.111-4 du code des procédures civiles d'exécution, l'exécution des décisions de justice ne peut être poursuivie que pendant dix ans.
Il en résulte que le délai de dix ans pendant lequel l'exécution d'une décision de justice mentionnée à l'article L. 111-3 1° peut être poursuivie, court à compter du jour où, ayant force exécutoire, cette décisions constitue un titre exécutoire au sens de ce texte.
Pour constituer un tel titre, le jugement exécutoire au sens de l'article 501 du code de procédure civile, doit, en application de l'article 503 du même code, avoir été notifié au débiteur, à moins que l'exécution n'en soit volontaire.
Il résulte des dispositions combinées des articles précités que le délai de prescription de l'exécution d'une décision de justice court non pas à compter de la date à laquelle la décision a été prononcée, mais à compter de la date à laquelle elle est devenue exécutoire, soit à compter de sa signification (Civ. 2ème, 5 oct. 2023, n°20-23.523). Par ailleurs, il importe peu que l'arrêt d'appel du 23 mars 2011, exécutoire dès sa signification, ait fait l'objet d'un pourvoi en cassation, lequel n'est pas suspensif d'exécution. Le point de départ de la prescription opposable par la société Antunes aux intimés n'est donc pas la date de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris ni celle de l'arrêt rendu par la Cour de cassation, mais la date de la signification du jugement et de l'arrêt d'appel du 23 mars 2011, intervenue par acte d'huissier du 13 juin 2022. La mesure de saisie-attribution, pratiquée le 19 août 2022 à l'encontre de la société Antunes, est donc intervenue à une date à laquelle les titres exécutoires n'étaient pas prescrits.
C'est à tort que les intimés se prévalent de l'effet interruptif du commandement aux fins de saisie-vente délivré à la MAF le 12 juin 2015 par la société Axa France Iard, assureur dommages-ouvrage du maître de l'ouvrage, qui n'a d'ailleurs produit d'effet qu'au bénéfice de cette dernière.
Il y a donc lieu, par substitution de motifs, à confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande tendant à voir constater l'acquisition de la prescription des titres exécutoires.
Sur la demande de cantonnement de la saisie-attribution
Pour conclure à la confirmation du jugement entrepris qui a débouté la société Antunes de sa demande de cantonnement, les intimés se prévalent, sans plus d'explications, du décompte qu'ils produisent, s'élevant à la somme de 60.630,37 euros et accompagnant le procès-verbal de saisie-attribution.
Mais il ressort des écritures et pièces versées par l'appelante que ce décompte a été établi sur la base d'un jugement du 27 mars 2007, lequel a été réformé par la cour d'appel dans son arrêt du 23 mars 2011, si bien qu'en définitive, conformément au dispositif de cet arrêt, selon lequel l'indemnité allouée en application de l'article 700 du code de procédure civile et les frais d'expertise seront répartis entre les parties condamnées « sur leurs appels en garantie réciproques au prorata des condamnations prononcées au profit de la copropriété et des copropriétaires à raison de leurs parts respectives », la société Antunes n'est tenue qu'à hauteur de 5,37 % des sommes de ces deux chefs, soit à hauteur d'une somme totale de 48.262,59 euros. C'est à ce montant en principal que la saisie-attribution sera cantonnée, ainsi que les deux parties le demandent à titre subsidiaire, les provisions et frais devant être recalculés en conséquence par le commissaire de justice.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande tendant à voir cantonner les effets de la saisie-attribution.
Sur les demandes accessoires
L'issue du litige justifie de condamner les intimés aux dépens de première instance et d'appel. En revanche, il n'y a pas lieu à condamnation en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ni à hauteur de première instance ni à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande tendant à voir cantonner les effets de la saisie-attribution et sur les dépens ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Cantonne à la somme de 48.269,52 euros en principal les effets de la saisie-attribution pratiquée le 19 août 2022 à l'encontre de la SAS Antunes par M. [S] et la société d'assurance Mutuelle des Architectes Français, les provisions et frais devant être recalculés en conséquence par le commissaire de justice ;
Dit n'y avoir lieu à condamnation en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [L] [S] et la société d'assurance Mutuelle des Architectes Français aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,