Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 04 JUILLET 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/07113 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIPBC
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 17 Octobre 2023 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° R 23/00676
APPELANT :
Monsieur [T] [L]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Me Jean-Paul TEISSONNIERE, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : P0268 et par Me Joseph BOUDEBESSE, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS,
INTIMÉE :
Société UBER BV prise en la personne de son représentant légal en exercice y domicilié
[Adresse 4],
[Localité 1], Pays-Bas
Représentée par Me Harold HERMAN, avocat postulant, inscrit au barreau de PARIS, toque : T03 et par Me Benjamin KRIEF, avocat plaidant, inscrit au barreau de PARIS,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Eric LEGRIS, président
Marie-Paule ALZEARI, présidente
Christine LAGARDE, conseillère
Greffière lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile
- signé par Eric LEGRIS, président et par Sophie CAPITAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [T] [L] a travaillé pour la société Uber B.V. à compter du 1er mai 2015.
Il a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 14 avril 2017 aux fins d'obtenir la requalification de sa relation contractuelle avec la société Uber en contrat de travail.
Par jugement en date du 7 février 2022, le conseil de prud'hommes de Paris, statuant en formation de départage, a ;
- Prononcé la jonction des dossiers 17/02934 et 18/02469 sous le RG n°17/02934
- Dit que les actions dirigées contre Uber Management BV et Uber France sont irrecevables
- S'est déclaré compétent pour connaître du litige opposant M. [T] [L] à la société Uber BV
- Requalifié en contrat de travail la relation entre les deux parties
- Condamné la société Uber BV à verser à M. [L] les sommes suivantes :
- 3 093 € au titre de la majoration des heures supplémentaires
- 2 598 € au titre des indemnités dues au titre de la contrepartie de repos
- 1 273 € au titre des indemnités pour non-respect des dispositions légales et conventionnels relatives aux congés payés
- 5.000 € pour violation de l'obligation de sécurité
- 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Ordonné la remise à M. [L] d'un certificat de travail et des bulletins de paie ;
- Dit que cette obligation sera assortie d'une astreinte de 50€ par jour qui courra une semaine après la notification du jugement, pour une durée de six mois, que la juridiction prud'homale se réserve la liquidation de l'astreinte ;
- Rappelé que les sommes ayant la nature de salaire produisent intérêts à compter de la saisine de la juridiction prud'homale et que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêts à compter de cette saisine, et es sommes ayant la nature de dommages et intérêts sont assorties du taux légal à compter du jour du jugement
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes
- Dit que les dépens seront supportés par la société
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.
M. [L] a interjeté appel de cette décision.
M. [L] a ensuite fait assigner la société Uber B.V. devant le conseil de prud'hommes de Paris, en sa formation de référés, à la date du 23 mai 2023 aux fins de voir constater le trouble manifestement illicite en lien avec une rupture du contrat de travail suite à une action en justice.
Par ordonnance en date du 17 octobre 2023, le conseil de prud'hommes de Paris, dans sa formation de référés, n'a pas fait droit aux prétentions de M. [L] en :
- Disant n'y avoir lieu à référé du chef de l'ensemble des demandes.
La formation de référés du conseil de prud'hommes de Paris a également rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a laissé la charge des dépens à M. [L].
Par déclaration du 1er novembre 2023, M. [L] a relevé appel de l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu a référé du chef de l'ensemble des demandes, a rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a laissé à M. [L] la charge des dépens.
PRÉTENTION DES PARTIES :
Dans ses dernières conclusions, communiquées au greffe par voie électronique le 25 avril 2024, M. [T] [L] demande à la cour de :
- Infirmer l'ordonnance du 17 octobre 2023 rendue par le conseil de prud'hommes de Paris ;
Et statuant de nouveau,
- Déclarer recevable l'action de M. [L] ;
- Ordonner la poursuite de la relation contractuelle liant la société Uber B.V. et M. [L], en lui permettant d'accéder à la plate-forme sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
- Condamner la société UBER B.V. à verser une indemnité provisionnelle de 20.000 euros à M. [L] ;
- Condamner la société Uber B.V. à la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Uber B.V. aux entiers dépens ;
- Juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jour de l'introduction de la demande.
Dans ses dernières conclusions, communiquées au greffe par voie électronique le 02 mai 2024, la société Uber B.V. demande à la cour de :
- Confirmer l'ordonnance rendue par la formation de référé présidée par le juge départiteur du conseil de prud'hommes de Paris le 17 octobre 2023 en toutes ses dispositions ;
En conséquence,
- Débouter M. [L] de son appel ;
- Condamner M. [L] à verser la somme de 1.000 euros à la société Uber B.V. au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens
Une clôture a été prononcée à la date du 03 mai 2024.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code procédure civile.
MOTIFS,
M. [L] fait valoir, sur l'urgence, qu'en déconnectant définitivement M. [L], la société Uber l'empêche de travailler et le prive d'une part de ses revenus, de sorte qu'il se trouve dans une situation financière difficile du fait des agissements de la société Uber.
La société Uber B.V. estime au contraire que dans le cas présent, l'urgence fait défaut, faisant valoir qu'il est faux d'affirmer que cette déconnexion de la plate-forme Uber empêche l'appelant de travailler, l'appelant étant parfaitement libre d'exercer son activité de chauffeur VTC par le biais d'autres plateformes d'intermédiation, en dehors de toute plate-forme ou directement auprès de sa clientèle personnelle, que pendant l'exécution du contrat en cause, l'appelant n'était lié par aucune clause d'exclusivité ou de non-concurrence, que l'appelant évoque se trouver dans une situation financière difficile mais ne produit aucune pièce à l'appui de cette affirmation. Elle rappelle que l'appelant s'est vu allouer par le conseil de prud'hommes statuant au fond la somme de 14.964 euros, qui lui a été versée.
M. [L] estime qu'il n'existe pas de contestation sérieuse.
Il fait valoir à cet égard que si la société Uber soutient qu'aux termes du jugement, les relations contractuelles les unissant avaient expiré, la lecture du jugement permet au contraire de constater que le contrat liant M. [L] à la société Uber n'a pas été rompu.
Il sollicite la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ainsi qu'une indemnisation provisionnelle de 20.000 euros dans la mesure où il n'est pas sérieusement contestable que M. [L] ait fondé le paiement d'une indemnité d'éviction à hauteur des salaires qu'il aurait dû percevoir durant la période comprise entre la désactivation du compte et la réactivation.
La société Uber B.V. oppose qu'il existe une contestation plus que sérieuse s'agissant des demandes formulées par l'appelant.
Elle fait d'abord valoir que la désactivation du compte de l'appelant est intervenue dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement rendu le 7 février 2022 par le conseil de prud'hommes statuant au fond, que le lien entre la remise du certificat de travail et l'expiration du contrat de travail est incontestable, que le contenu impératif du certificat de travail démontre que ce document n'est remis qu'à la rupture du contrat de travail, que le certificat de travail remis à l'appelant mentionne bien une date de fin de contrat au 15 juillet 2018, qu'il est ainsi évident qu'en condamnant Uber B.V. à remettre à l'appelant des documents de fin de contrat dont un certificat de travail, le conseil de prud'hommes a considéré que le contrat requalifié devait être rompu.
S'agissant des mesures sollicitées, elles excèdent selon elle les compétences de la formation des référés du conseil de prud'hommes, la demande de M. [L] de poursuite de la relation contractuelle se heurtant à une contestation sérieuse dans la mesure où le juge des référés n'a pas le pouvoir de se prononcer sur une telle demande de réintégration qui nécessite, au préalable, que le juge du fond se prononce sur la nullité éventuelle de la mesure ; la demande de provision est de même très sérieusement contestable.
Enfin, elle fait valoir que les demandes de l'appelant relèvent davantage de l'interprétation du jugement, laquelle ne relève pas du pouvoir du juge des référés.
Sur le trouble manifestement illicite, M. [L] fait valoir que :
- il revient à l'employeur de démontrer que sa décision d'empêcher la poursuite du contrat de travail est justifiée par des éléments étrangers à toute volonté de sanctionner l'exercice par le salarié de son droit d'agir en justice. Il estime que le message annonçant la perte d'accès définitive à la plate-forme démontre que la société Uber l'a sanctionné en raison de son action justice tendant à la requalification de son contrat de travail et qu'ainsi la mesure consistant à désactiver ses accès à la plate-forme est une sanction.
- il ne ressort pas du jugement du 07 février 2022 qu'une date d'expiration ait été fixée par le juge départiteur et que c'est arbitrairement que sa déconnexion est intervenue le 19 avril 2023.
- la déconnexion de M. [L] est concomitante à l'exécution de la décision prise par la société Uber, tout portant finalement à croire que la société Uber a sanctionné M. [L] en raison de son action en justice et notamment pour avoir agi en exécution forcée.
La société Uber B.V. oppose que :
- l'appelant n'apporte la preuve d'aucune violation, encore moins évidente, d'une règle de droit.
- La société Uber B.V. n'a absolument pas violé la liberté fondamentale de l'appelant d'agir en justice mais a, au contraire, parfaitement respecté la décision rendue.
SUR CE,
L'article R.1455-5 du code du travail dispose que :
" Dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. "
L'article R.1455-6 du même code du travail prévoit que :
" La formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite. "
Aux termes de l'article R1455-7 du même code, " dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. "
En l'espèce, s'agissant tout d'abord de l'urgence au sens du premier des articles susvisés, si les accès à la plate-forme Uber ont été définitivement désactivés par la société Uber le 19 avril 2023, ce qui fait obstacle à la poursuite de son travail dans le cadre de cette plate-forme, l'appelant indique que la plate-forme Uber est dominante dans le domaine du transport des personnes, sans contester que d'autres plateformes d'intermédiation sont actives dans le domaine du transport de personnes, ni qu'il n'était tenu personnellement d'aucune clause d'exclusivité ni obligation de non-concurrence, de sorte qu'il n'était pas privé de la possibilité d'exercer une activité de VTC auprès d'une autre plate-forme, ni une activité de chauffeur en direct avec une clientèle propre.
En outre, M. [L] indique se trouver dans une situation difficile, mais ne produit au soutien de sa propre affirmation que des récapitulatifs fiscaux jusqu'en mars 2023 visant son activité " Uber BV " " Elite Chan transport ", soit correspondant à son activité exercée dans le cadre de la plate-forme Uber, sans apporter de précisions ni en tout état de cause justifier de sa situation professionnelle ni de ressources postérieure et actuelle.
Il est aussi rappelé à cet égard qu'il s'est vu allouer par le conseil de prud'hommes de Paris par le jugement en date du 7 février 2022 une somme totale de près de 15.000 euros, laquelle lui a été effectivement versée par Uber B.V. courant avril 2023 dans le cadre de l'exécution provisoire du jugement.
Il s'ensuit que l'urgence au sens de l'article R.1455-5 précité n'est pas caractérisée.
Le jugement en date du 7 février 2022 du conseil de prud'hommes de Paris n'a pas prononcé de manière expresse la rupture de la relation entre les parties requalifiée en contrat de travail.
Il a toutefois ordonné la remise à M. [L] d'un certificat de travail par la société Uber et a également débouté M. [L] de sa demande formée au titre du travail dissimulé.
Il est observé que dans ses motifs, les premiers juges statuant au fond ont indiqué dans leurs motifs se prononcer " sur la demande de remise des documents de fin de contrat " et se sont référés à l'article L.1234-19 du code du travail en rappelant que celui-ci dispose que " l'employeur à l'expiration du contrat de travail, délivre au salarié un certificat dont le contenu est déterminé par voie réglementaire ".
L'article D.1234-6 du code du travail dispose par ailleurs que :
"Le certificat de travail contient exclusivement les mentions suivantes :
1° La date d'entrée du salarié et celle de sa sortie ;
(') "
Le certificat de travail qui mentionne l'emploi de M. [L] sur la période du 1er mai 2015 au 15 juillet 2018, n'apparaît pas avoir fait l'objet d'une contestation par ce dernier au moment de sa remise.
Ce jugement s'est prononcé également, pour la rejeter, sur la demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé formée par M. [L], lequel dans ses écritures devant le conseil des prud'hommes faisait valoir que " son employeur a commis les faits prévus à l'article L. 8221-5 du code du travail ", étant souligné que l'article L. 8223-1 du code du travail prévoit le paiement de cette indemnité en cas de rupture du contrat dans les termes suivants :
" En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire".
Il s'ensuit que le jugement recèle une difficulté d'interprétation sur la question de la rupture de la relation de travail.
Si une requête en interprétation suppose que le jugement n'ait pas été frappé d'appel, M. [L] ayant en l'espèce relevé appel de ce jugement, il reviendra à la cour d'appel saisie au fond d'interpréter la décision et plus largement de se prononcer sur l'appel.
Dans ces conditions, la demande présentée dans le cadre de la présente procédure de référé tendant à voir ordonner la poursuite de la relation contractuelle - comme la réintégration demandée en première instance - liant la société Uber B.V. et M. [L], en lui permettant d'accéder à la plate-forme sous astreinte, se heurte à une contestation sérieuse.
Il en est de même s'agissant de la demande provision, étant souligné à cet égard que l'intimée fait justement observer que M. [L] sollicitait, en première instance, le paiement d'une provision au titre de ce qu'il qualifiait lui-même " d'indemnité d'éviction à hauteur des salaires qu'il aurait dû percevoir durant la période comprise entre son licenciement et sa réintégration ".
Enfin, la chronologie rappelée par les parties est elle-même équivoque.
Tandis que le jugement a été prononcé le 7 février 2022 et que le certificat de travail a été remis au cours du mois de septembre 2022 en fixant une date de fin de contrat au 15 juillet 2018, et qu'une procédure d'exécution forcée a été initiée en début d'année 2023, l'action en justice avait été initialement introduite par M. [L] au fond en avril 2017, soit 6 ans avant sa déconnexion de la plate-forme Uber.
Dans ces conditions, le message annonçant à M. [L] sa déconnexion définitive ne démontre pas sans ambiguïté comme l'allègue à tort l'appelant que la société Uber l'ait alors sanctionné en raison de son action en justice dans laquelle il avait demandé la requalification de son contrat.
Le trouble manifestement illicite au sens de l'article R.1455-6 précité n'est donc pas établi.
En conséquence, il y a lieu de dire n'y avoir lieu à référé du chef de l'ensemble des demandes et de confirmer l'ordonnance en date du 17 octobre 2023 du conseil de prud'hommes de Paris qui a statué en ce sens.
M. [L], qui succombe, doit être condamné aux dépens et débouté en sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Au regard de la situation respective des parties, il apparaît équitable de laisser à la charge de la société les frais irrépétibles par elle exposés.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
DIT n'y avoir lieu à référé du chef de l'ensemble des demandes,
CONFIRME l'ordonnance entreprise,
LAISSE à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles par elles exposés,
CONDAMNE M. [T] [L] aux dépens de la procédure d'appel.
La Greffière Le Président