La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/07/2024 | FRANCE | N°22/06378

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 3, 04 juillet 2024, 22/06378


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 3



ARRET DU 04 JUILLET 2024



(n° , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06378 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFROQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Janvier 2022 -Juge des contentieux de la protection de MEAUX - RG n° 2103454





APPELANTE



Madame [F] [E]

née le 13 mai 1983 Ã

  [Localité 10]

[Adresse 9]

[Adresse 1]

[Localité 5]



Représentée par Me Caroline MESLE, avocat au barreau de PARIS, toque : D2170

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale num...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 3

ARRET DU 04 JUILLET 2024

(n° , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06378 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFROQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Janvier 2022 -Juge des contentieux de la protection de MEAUX - RG n° 2103454

APPELANTE

Madame [F] [E]

née le 13 mai 1983 à [Localité 10]

[Adresse 9]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Caroline MESLE, avocat au barreau de PARIS, toque : D2170

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/007127 du 16/03/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMES

Monsieur [U] [X]

né le 5 janvier 1958 à [Localité 7] (Algérie)

et

Madame [T] [S] épouse [X]

née le 14 mai 1961 à [Localité 6] (Algérie)

demeurant ensemble :

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentés par Me Audrey CAGNEAUX-DUMONT de la SCP CAGNEAUX-DUMONT GALLION, avocat au barreau de MEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Aurore DOCQUINCOURT, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Anne-Laure MEANO, Présidente de Chambre

Mme Muriel PAGE, Conseillère

Mme Aurore DOCQUINCOURT, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Joëlle COULMANCE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Anne-Laure MEANO, Présidente de Chambre et par Joëlle COULMANCE, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [U] [X] et Mme [T] [S] épouse [X] sont propriétaires d'un immeuble de deux étages sis [Adresse 2] à [Localité 8], comportant six appartements donnés en location.

Par contrat du 23 juillet 2020, M. et Mme [X] ont consenti un bail d'habitation à Mme [F] [E] portant sur un appartement situé au rez-de-chaussée de cet immeuble.

Se plaignant de troubles causés par cette dernière dans l'immeuble, M. et Mme [X] ont, par acte d'huissier du 10 août 2021, fait assigner cette dernière devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Meaux aux fins de :

- prononcer la résiliation du contrat de bail du 23 juillet 2020 ;

- ordonner l'expulsion de Mme [E] sous huitaine et la condamner au paiement d'une indemnité mensuelle d'occupation jusqu'à la libération effective des lieux ;

- condamner Mme [E] à leur payer la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts, ainsi que la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par jugement contradictoire entrepris du 26 janvier 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Meaux a ainsi statué :

REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par Mme [F] [E] ;

PRONONCE à la date du présent jugement la résiliation du contrat de bail conclu le 23 juillet 2020 entre les parties et portant sur des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 8] ;

ORDONNE en conséquence à Mme [F] [E] de libérer les lieux et de restituer les clés dès la signification du présent jugement ;

DIT qu'à défaut pour Mme [F] [E] d'avoir volontairement libéré les lieux et restitué les clés dans ce délai, M. [U] [X] et Mme [T] [S] épouse [X] pourront, deux mois après la signification d'un commandement de quitter les lieux, faire procéder à son expulsion ainsi qu'à celle de tous occupants de son chef, y compris le cas échéant avec le concours d'un serrurier et de la force publique ;

DIT que le sort des meubles sera régi conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et L.433-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

DÉBOUTE M. [U] [X] et Mme [T] [S] épouse [X] de leur demande de suppression du délai de quitter les lieux ;

CONDAMNE Mme [F] [E] à payer à M. [U] [X] et Mme [T] [S] épouse [X] une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer et charges qui auraient été dus en cas de poursuite du bail, et ce jusqu'à libération définitive des lieux ;

CONDAMNE Mme [F] [E] à payer à M. [U] [X] et Mme [T] [S] épouse [X] la somme de 400 euros à titre de dommages et intérêts ;

DÉBOUTE Mme [F] [E] de sa demande de dommages et intérêts ;

CONDAMNE Mme [F] [E] à payer à M. [U] [X] et Mme [T] [S] épouse [X] la somme de 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

DÉBOUTE Mme [F] [E] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [F] [E] aux dépens ;

RAPPELLE que le présent jugement est de plein droit exécutoire à titre provisoire.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l'appel interjeté le 24 mars 2022 par Mme [F] [E],

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 21 novembre 2023 par lesquelles Mme [F] [E] demande à la cour de :

Rejeter la pièces adverse N°38 comportant des photographies de son fils mineur.

Infirmer le jugement entrepris,

En conséquence ,

Débouter M et Mme [X] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions de première instance comme d'appel.

Et statuant à nouveau :

Juger l'assignation irrecevable en ce que M. [X] et Mme [S] épouse [X] n'ont jamais proposé à Mme [E] une quelconque tentative de médiation ou de conciliation pour mettre fin au litige par un mode alternatif au règlement du différend, ni n'ont jamais mis en demeure Mme [E] de faire cesser un prétendu trouble de voisinage dans les conditions prévues par les dispositions précitées,

À titre subsidiaire,

Juger que M. [X] et Mme [S] épouse [X] ont exclu expressément de l'application du bail les dispositions de l'article 7 de la loi n°8947-62 juillet 1989 de telle sorte qu'ils en peuvent s'en prévaloir,

JUGER que M. [X] et Mme [S] épouse [X] ne démontrent pas, à travers les pièces produites, un trouble de jouissance passé et persistant dont serait à l'origine Mme [E] et les débouter de leurs demandes de résiliation du bail, d'expulsion et de dommages et intérêts.

En tout état de cause et à titre reconventionnel,

CONDAMNER solidairement M. [X] et Mme [S] épouse [X] à payer à Mme [E] une somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ces manquements des bailleurs, ce manquement a engendré une aggravation de l'état médical de Mme [E],

CONDAMNER solidairement M. [X] et Mme [S] épouse [X] à payer à Mme [E] une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile sous réserve pour elle de renoncer à percevoir la part contributive de L'Etat au titre de l'aide juridictionnelle allouée à Mme [E] en application de l'article 17 de la loi n°91 647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

CONDAMNER solidairement M. [X] et Mme [S] épouse [X] à payer aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 24 avril 2024 aux termes desquelles M. [U] [X] et Mme [T] [S] épouse [X] demandent à la cour :

INFIRMER le jugement rendu le 26 janvier 2022 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Meaux en ce qu'il a condamné Mme [F] [E] à payer la somme de 400 euros à M. et Mme [X] à titre de dommages et intérêts.

Statuant à nouveau,

CONDAMNER Mme [F] [E] à payer à M. et Mme [X] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral, outre les intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision,

En tout état de cause,

CONFIRMER le jugement rendu le 26 janvier 2022 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Meaux pour le surplus,

DÉBOUTER Mme [F] [E] de toutes ses demandes,

CONDAMNER Mme [F] [E] à payer à M. et Mme [X] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER Mme [F] [E] aux entiers dépens et autoriser la SCP Cagneaux Dumont Gallion à procéder au recouvrement en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions remises au greffe et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

En application de l'article 954 alinéa 2 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions et n'est pas tenue de statuer sur les demandes tendant à  " constater ", " donner acte ", " dire et juger " en ce qu'elles ne sont pas, exception faite des cas prévus par la loi, des prétentions, mais uniquement des moyens, comme c'est le cas en l'espèce.

Sur la demande de rejet de la pièce n°38 des époux [X] formée par Mme [E]

Mme [E] sollicite que soit rejetée la pièce adverse n°38 comportant des photographies de son fils mineur, en faisant valoir qu'elle n'a jamais donné son accord ni pour prendre ces photographies ni pour les utiliser à quelque fin que ce soit.

Les époux [X] répliquent que ces photographies du fils mineur de Mme [E] accompagné du chien du voisin M. [K] sont annexées à l'attestation de ce dernier, selon laquelle l'enfant l'accompagnait promener son chien du temps où ils entretenaient de bonnes relations de voisinage, de sorte que ces photographies ont été prises avec l'accord de Mme [E]. Ils ajoutent que la communication de ces photographies ne porte pas atteinte au droit à l'image de son fils car il ne s'agit pas d'une reproduction, d'une exposition ou d'une publication réalisée sans le consentement de la mère.

Le droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Cass. 1re civ., 25 févr. 2016, n° 15-12.403).

En l'espèce, la production des photographies de l'enfant mineur de Mme [E], dont il n'est pas justifié qu'elles auraient été prises avec son consentement, n'est pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve des époux [X], dès lors qu'il ne s'agit pas d'un élément majeur dans l'appréciation du litige, plusieurs autres voisins attestant dans le cadre de la présente procédure, et l'attestation de M. [K] à laquelle les photographies litigieuses sont annexées étant parfaitement recevable aux débats.

Il convient dès lors d'écarter des débats les photographies de l'enfant mineur de Mme [E] annexées à la pièce 38, mais pas l'attestation de M. [K] produite en pièce 38.

Sur les demandes principales des époux [X]

* La demande de résiliation de bail

¿ La recevabilité de la demande

Mme [E] fait grief au jugement entrepris d'avoir rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande pour défaut de tentative de conciliation préalable. Elle affirme que cette obligation est applicable s'agissant d'un conflit de voisinage. Elle invoque en outre l'article 6-1 de la loi du 6 juillet 1989 exigeant une mise en demeure avant de faire cesser les troubles de voisinage.

Les époux [X] sollicitent la confirmation du jugement entrepris, en faisant valoir que l'article 750-1 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable au présent litige ne s'applique pas à la résiliation d'un bail pour trouble de jouissance, distincte au demeurant d'un trouble de voisinage.

L'article 750-1 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 en vigueur lors de l'introduction de la présente instance par acte d'huissier du 10 août 2021, dispose :

'A peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative, lorsqu'elle tend au paiement d'une somme n'excédant pas 5 000 euros ou lorsqu'elle est relative à l'une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l'organisation judiciaire (...)'.

L'article R. 211-3-4 du code de l'organisation judiciaire est relatif à l'action en bornage, et l'article R. 211-3-8 aux actions relatives à la distance prescrite par la loi, les règlements particuliers et l'usage des lieux pour les plantations ou l'élagage d'arbres ou de haies, aux actions relatives aux constructions et travaux mentionnés à l'article 674 du code civil, aux actions relatives au curage des fossés et canaux servant à l'irrigation des propriétés ou au mouvement des usines et moulins, aux contestations relatives à l'établissement et à l'exercice des servitudes instituées par les articles L. 152-14 à L. 152-23 du code rural et de la pêche maritime, 640 et 641 du code civil ainsi qu'aux indemnités dues à raison de ces servitudes, et aux contestations relatives aux servitudes établies au profit des associations syndicales.

Il en résulte qu'aucune irrecevabilité pour défaut de tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, de tentative de médiation ou de tentative de procédure participative n'est encourue en l'espèce, s'agissant d'une demande de résiliation de bail pour défaut de jouissance paisible des lieux loués par la locataire.

S'agissant de l'exigence d'une mise en demeure préalable, si l'article 6-1 dispose 'qu'après mise en demeure dûment motivée, les propriétaires des locaux à usage d'habitation doivent, sauf motif légitime, utiliser les droits dont ils disposent en propre afin de faire cesser les troubles de voisinage causés à des tiers par les personnes qui occupent ces locaux',

cette mise en demeure n'est pas exigée à peine d'irrecevabilité de la demande de résiliation de bail pour défaut de jouissance paisible des lieux loués par la locataire ; au demeurant, une telle mise en demeure préalable à l'assignation a bien été adressée par les époux [X], par lettres recommandées des 10 mai et 7 juin 2021.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mme [E].

¿ Le bien-fondé de la demande

Mme [E] fait grief au jugement entrepris d'avoir prononcé la résiliation du bail pour manquement de la locataire à son obligation de jouissance paisible, alors qu'elle fait valoir que la loi du 6 juillet 1989 n'est pas applicable au contrat de bail liant les parties tel que cela apparaît en première page du bail, que les attestations produites par les bailleurs sont imprécises et de complaisance, que son fils aîné n'a passé que quelques jours chez elle en été et que les bailleurs ne peuvent se prévaloir de faits qui n'ont pas été commis dans l'immeuble. Elle affirme avoir été victime de faits de tapage, de dégradations et de violences avec ITT de 5 jours de la part de ses voisins MM. [K] et [Y], pour lesquels elle a déposé une main courante et deux plaintes.

Les époux [X] sollicitent la confirmation du jugement entrepris, en faisant valoir que le premier juge a exactement considéré que le bail était bien un bail d'habitation soumis à l'application de la loi du 6 juillet 1989. Ils affirment que Mme [E] a adopté un comportement agressif, violent et insultant envers le voisinage dès son entrée dans les lieux, ce qui a conduit les locataires du logement du dessus à quitter les lieux, 4 contrats de bail ayant ainsi été conclus en deux ans. Ils soulignent qu'ils avaient pourtant fait le nécessaire pour isoler davantage le logement de Mme [E] lorsque celle-ci s'était plainte à son arrivée de nuisances sonores, en vain.

Ils relèvent que le fils majeur de Mme [E] a été condamné pour des dégradations commises dans les parties communes de l'immeuble. Ils ajoutent que Mme [E] avait un comportement similaire dans son précédent logement, ainsi qu'il résulte des mains courantes qu'ils produisent.

S'agissant de la législation applicable, c'est par des motifs exacts et pertinents, qui ne sont pas utilement contredits par Mme [E], et que la cour adopte, que le premier juge a rappelé qu'en vertu de l'article 2 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, dont les dispositions sont d'ordre public, le présent titre s'applique aux locations de locaux à usage d'habitation qui constituent la résidence principale du preneur, la résidence principale étant entendue comme le logement occupé au moins huit mois par an.

Il a exactement jugé qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que le logement loué constituait le lieu d'habitation de Mme [E], et que, nonobstant le fait qu'il ait été improprement qualifié de 'résidence secondaire ou de logement de fonction' en première page du contrat de bail, il convient de lui restituer sa véritable qualification et de considérer qu'il s'agit bien d'un bail d'habitation soumis aux dispositions du titre 1er de la loi du 6 juillet 1989. Il a en outre pertinemment relevé que l'obligation de jouissance paisible des lieux loués était mentionnée explicitement dans les clauses contractuelles du bail.

L'article 7b de la loi du 6 juillet 1989 fait obligation au locataire 'd'user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location'.

Il résulte des articles 1224 à 1229 du code civil qu'en cas d'inexécution suffisamment grave de ses obligations par l'une des parties à un contrat synallagmatique, la résolution du contrat peut être demandée en justice. Le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l'exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.

S'agissant du manquement de la locataire à son obligation de jouissance paisible, c'est par des motifs exacts et pertinents, qui ne sont pas utilement contredits par Mme [E], et que la cour adopte, que le premier juge a considéré qu'il résulte des pièces du dossier que 5 locataires, anciens ou actuels de l'immeuble composé de 6 logements se plaignent depuis son arrivée à l'été 2020 du comportement de Mme [E], laquelle adopte une attitude agressive à leur égard, se traduisant notamment par des cris et insultes. Il relève à juste titre que trois locataires (soit Mme [M], M. [K] et M. [C]) exposent qu'ils ont fini par donner congé à leur bailleur, ne supportant plus de vivre dans ce climat, et qu'une pétition a été signée par quatre locataires (soit M. [Y], M. [K], M. [C] et M. [O]) demandant aux bailleurs d'agir pour faire cesser les troubles occasionnés par Mme [E].

Si Mme [E] justifie de deux plaintes déposées contre M. [Y] pour violences volontaires et injures, et produit deux attestations d'un proche, M. [H], selon lesquelles elle serait elle-même victimes de nuisances de la part de M. [K] (déjections de son chien dans les parties communes, nuisances sonores) et de M. [Y], la cour observe que MM. [K] et [Y] ont également déposé plainte contre Mme [E] pour insultes, menaces de mort et violences volontaires. S'agissant de l'altercation du 27 novembre 2021 entre Mme [E] et M. [Y], si Mme [E] dénonce des violences volontaires ayant consisté pour M. [Y] à lui cogner la tête contre un mur, lui occasionnant 5 jours d'ITT pour une plaie à la pommette gauche ayant nécessité 3 points de suture, M. [Y] affirme pour sa part que Mme [E] lui a asséné un coup de tête, de sorte que les violences, qui n'ont à ce jour fait l'objet d'aucune suite pénale connue, apparaissent réciproques.

La cour observe que d'autres voisins que MM. [Y] et [K] ont dénoncé le comportement de Mme [E].

Ainsi :

- Mme [M] (dont l'attestation ne répond pas à la totalité des formes requises par l'article 202 du code de procédure civile, lesquelles ne sont toutefois pas prescrites à peine de nullité, de sorte qu'elle peut néanmoins être prise en considération, l'attestation de M. [H] n'y répondant pas davantage), locataire depuis 2017, indique avoir subi dès l'arrivée de Mme [E] fin août 2020 du tapage au plafond, sur sa porte, des insultes, affirmant qu'elle avait perdu 6 kilos du fait de la situation avant de quitter les lieux le 30 octobre 2020 ;

- M. [C], locataire depuis le 15 mars 2021, affirme que Mme [E] se plaint du bruit alors qu'il ne fait rien, montant en pleine nuit pour le déranger en criant alors qu'il dormait, faisant preuve d'agressivité, concluant 'je vais partir', ce qu'il fera quelques mois plus tard puisque le logement a été reloué le 27 août 2021 ;

- M. [O] indique que 'la dame qui habite au rez-de-chaussée fait trop de problèmes, tous les jours elle crie sur les voisins, elle fait des histoires pour rien, elle insulte, elle crie, il faut qu'elle arrête'.

La cour relève en outre que le fils majeur de Mme [E], M. [V] [E], a été condamné le 15 février 2022 par ordonnance pénale pour des faits de dégradations de bien appartenant à M. [X] commis du 25 mai au 10 juin 2021, ayant consisté en une dégradation d'une poignée de porte à la flamme et des inscriptions insultantes gravées sur l'armoire technique des parties communes. Or, ces faits constituent un manquement à l'obligation d'usage paisible des lieux incombant au preneur et aux personnes vivant sous son toit (Civ. 3ème, 17 décembre 2020, n°18-24.823).

Enfin, la cour observe que les bailleurs justifient par les pièces produites que Mme [E] avait déjà un comportement similaire dans son précédent logement, en ce qu'il résulte notamment d'une main courante du 3 décembre 2016 que Mme [E] avait été verbalisée pour tapage nocturne, celle-ci ayant invectivé et insulté sa voisine de l'époque.

C'est dès lors par une parfaite appréciation des éléments de la cause que le premier juge a considéré que ces éléments nombreux et circonstanciés caractérisaient un manquement de la locataire à son obligation de jouissance paisible justifiant la résiliation du contrat de bail qu'il a prononcée. Il convient donc de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

Mme [E] a quitté les lieux le 24 mars 2022, ainsi qu'il résulte de l'attestation de prise en charge à l'hôtel par la plate-forme 115 qu'elle produit, de sorte que la demande d'expulsion est devenue sans objet.

* La demande de dommages et intérêts pour préjudice moral

Mme [E] fait grief au jugement entrepris de l'avoir condamnée au paiement de la somme de 400 euros à titre de dommages et intérêts, alors qu'elle fait valoir que les bailleurs n'apportent pas la preuve de l'existence d'un préjudice ni d'un lien de causalité.

Les époux [X] forment un appel incident sur ce point, sollicitant la condamnation de Mme [E] à leur payer la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts, en faisant valoir qu'en raison de son attitude agressive, de ses plaintes infondées et de ses cris permanents, ils avaient perdu coup sur coup 4 locataires dont une qui était là depuis 3 ans, ajoutant qu'ils hésitaient à relouer les appartements tant que Mme [E] n'était pas partie, et qu'ils avaient en outre subi les remontrances de Mme [E] qui n'avait eu de cesse de se plaindre des autres locataires sans raison.

C'est par une parfaite appréciation des éléments de la cause que le premier juge a considéré que trois des locataires de l'immeuble (soit Mme [M], MM. [K] et [C]) ont délivré congé aux bailleurs en raison du comportement agressif de Mme [E], de sorte que les troubles causés par cette dernière ont ainsi généré des désagréments pour les bailleurs justifiant qu'ils soient indemnisés à hauteur de 400 euros, la cour observant qu'ils ont toujours trouvé à relouer les logements.

Il convient dès lors de confirmer le jugement entrepris sur ce point.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts de Mme [E] pour manquement des bailleurs à leur obligation de garantie de jouissance paisible

Mme [E] fait grief au jugement entrepris de l'avoir déboutée de sa demande reconventionnelle, alors qu'elle fait valoir que les bailleurs n'ont procédé à aucune démarche significative pour lui permettre de vivre normalement dans l'appartement loué, alors qu'elle les avait avisés des nuisances sonores qu'elle subissait notamment par un courrier du 8 juin 2021. Elle affirme qu'ils ont laissé libre cours aux divagations et défécations du chien d'un des locataires, qu'elle était empêchée d'accéder à son jardin par une barrière, et que les bailleurs n'avaient pas fait réparer la vitre brisée de l'immeuble. Elle soutient que son état de santé fragile, caractérisé par une fibromyalgie et un état dépressif, a été aggravé par l'attitude des bailleurs.

Les époux [X] sollicitent la confirmation du jugement entrepris, en faisant valoir qu'ils ont immédiatement fait procéder à des travaux d'isolation phonique lorsque Mme [E] s'était plainte des nuisances sonores en provenance du logement de Mme [M], et n'avaient eu de cesse de jouer les intermédiaires entre Mme [E] et les autres locataires. Ils soulignent que ce sont les bailleurs et les locataires qui ont subi un préjudice du fait de son comportement fautif, contraignant certains locataires à quitter les lieux.

S'agissant des nuisances sonores alléguées par Mme [E], les époux [X] justifient par les pièces produites avoir fait effectuer par un artisan des travaux d'isolation phonique en mars 2021 consistant en la pose d'un faux plafond, cet artisan attestant au demeurant que Mme [E] s'était montrée agressive et irrespectueuse à son égard lors des travaux dans son logement.

Concernant les autres nuisances alléguées (déjections canines, barrière dans le jardin, vitre brisée), le premier juge a pertinemment relevé que Mme [E] ne justifie pas s'en être plainte à son bailleur ; la cour observe que les photographies non localisées produites ne sauraient suffire à prouver la réalité de ces désordres ; s'agissant des déjections canines, M. [K] indique dans son attestation que son chien avait déféqué par accident dans les parties communes mais qu'il avait immédiatement nettoyé.

La cour relève enfin que, si les nuisances occasionnées à Mme [E] par les autres locataires ne sont pas établies, à l'exclusion de l'altercation réciproque l'ayant opposée à M. [Y], la résiliation du bail a été prononcée pour manquement de Mme [E] à son obligation de jouissance paisible des lieux loués.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [E] de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le sens de la présente décision commande de confirmer le jugement entrepris s'agissant des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [E], partie perdante, sera condamnée aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux règles de l'aide juridictionnelle, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité commande de la condamner au paiement de la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Ecarte des débats les photographies de l'enfant mineur de Mme [F] [E] annexées à la pièce 38 produite par M. [U] [X] et Mme [T] [S] épouse [X],

Confirme, en ses dispositions frappées d'appel, le jugement entrepris, sauf à constater que la demande d'expulsion est devenue sans objet,

Et y ajoutant,

Condamne Mme [F] [E] à payer à M. [U] [X] et Mme [T] [S] épouse [X] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Condamne Mme [F] [E] aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux règles de l'aide juridictionnelle, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes.

           

           La greffière                                                                           Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 22/06378
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.06378 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award