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04/07/2024 | FRANCE | N°21/08030

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 04 juillet 2024, 21/08030


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRET DU 04 JUILLET 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08030 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEMW7



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 19/02782





APPELANTE



S.A.S. [T] EUROPE INC

[Adresse 3]



[Localité 2]

Représentée par Me Pauline CHANEL, avocat au barreau de PARIS, toque : E1834









INTIME



Monsieur [Y] [C]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me François ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRET DU 04 JUILLET 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08030 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEMW7

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Septembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 19/02782

APPELANTE

S.A.S. [T] EUROPE INC

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Pauline CHANEL, avocat au barreau de PARIS, toque : E1834

INTIME

Monsieur [Y] [C]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

- contradictoire

- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

M. [Y] [C] a été engagé par la société [T] Europe, suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er août 2002, en qualité d'assistant administratif.

La société [T] est spécialisée dans la conception et la fabrication de produits diététiques et hyper protéinés.

Le 18 décembre 2009, le salarié a été promu Directeur commercial avec un statut de cadre dirigeant.

Le 18 juin 2012, le salarié s'est vu notifier un licenciement pour faute grave, libellé dans les termes suivants :

« Suite à notre entretien du 13 juin, nous avons le regret de retenir votre comportement avoué comme constitutif d'une faute disciplinaire grave, vos explications confuses ne nous ont pas convaincus.

Si nous retenons l'absence d'intention de nuire à la source de ce comportement, nous ne pouvons pas tenir compte de vos réponses sur l'absence de compréhension que vous éprouveriez vous- même désormais devant votre attitude.

Nous retenons à votre encontre la subtilisation délibérée des codes d'accès notamment ceux de la messagerie professionnelle de Messieurs [U] [J] [N] et [M] [B], dont vous avez fait usage pour consulter des messages personnels ainsi que des messages professionnels auxquels vos fonctions ne vous donnaient pas accès. Nous retenons également que vous avez communiqué tout ou partie des informations ainsi acquises à d'autres membres du personnel.

En outre, nous ne pouvons pas admettre le comportement révélé lors de notre enquête, concernant votre absence de probité lors de l'accrochage survenu à votre véhicule professionnel ou concernant la manifestation ordurière de votre mépris pour la Direction de l'entreprise.

Vous bénéficiez toutefois dans l'affaire « Comptoir Atlantique » de la même mansuétude que celle dont nous avons fait application à l'égard de Monsieur [I].

Nous prononçons après réflexion votre licenciement pour faute grave privative de tout préavis et indemnité de rupture. »

Les 31 juillet et 1er août 2012, le Président de la société [T] Europe a déposé une plainte à l'encontre de M. [C] pour des faits de violation de correspondances.

Le 9 août 2012, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour contester son licenciement.

Le 7 novembre 2013, une plainte avec constitution de partie civile a été régularisée par la société [T] pour des faits de vol et abus de confiance. Une information judiciaire a été ouverte pour l'ensemble des faits reprochés par l'employeur à M. [C].

Le 3 octobre 2014, le conseil de prud'hommes de Paris en formation de départage a prononcé une décision de sursis à statuer dans l'attente des suites données à la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société [T] Europe.

Le 6 juillet 2018, M. [C] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Privas pour des faits d'accès frauduleux dans tout ou toute partie d'un système de traitement automatisé de données et interception, détournement et divulgation, de mauvaise foi des correspondances émises, transmises ou reçues par voie électronique au préjudice, notamment, de la société [T]. Par jugement du 29 octobre 2020, M. [C] a été déclaré coupable de ces deux délits et condamné à une amende de 2 000 euros.

En 2021, la société [T] a demandé un réenrôlement de l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris pour solliciter le remboursement de la contrepartie pécuniaire au titre de la clause de non-concurrence et des dommages-intérêts pour violation par M. [C] de son engagement de non-concurrence.

Le 16 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Paris, dans sa section Encadrement, a statué comme suit :

- donne acte à M. [C] de son désistement d'instance et d'action

- déboute la société [T] Europe de l'intégralité de ses demandes

- laisse à chacune des parties la charge de ses dépens.

Par déclaration du 28 septembre 2021, la société [T] Europe a relevé appel du jugement de première instance dont elle a reçu notification à une date non déterminable.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 17 novembre 2021, aux termes desquelles la société [T] demande à la cour d'appel de :

- constater la légalité de la clause de non-concurrence conclue entre les parties

- constater le non-respect, par Monsieur [C], de son engagement de non-concurrence

En conséquence, infirmer le jugement déféré et,

- condamner Monsieur [C] à verser à [T] la somme de 4 727,35 euros, à titre de rappel d'indemnités de non-concurrence indûment versées entre novembre 2012 et mai 2013

- condamner Monsieur [C] à verser à [T] la somme de 56 167,37 euros, au titre de la clause pénale

- condamner Monsieur [C] à verser à [T] la somme de 3 500 euros au titre de la 1ère instance, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

En tout état de cause,

- condamner Monsieur [C] à verser à [T] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner Monsieur [C] aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 15 février 2022, aux termes desquelles

M. [C] demande à la cour d'appel de :

- déclarer Monsieur [Y] [C] recevable et bien fondé en l'ensemble de ses fins, moyens et prétentions

- déclarer mal fondée la société [T] Europe Inc en son appel et la débouter en l'ensemble de ses fins, moyens et prétentions

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 16 septembre 2021 n° RG F 19/02782 en ce qu'il a débouté la société [T] Europe Inc de l'intégralité de ses demandes et laissé à chacune des parties la charge de ses dépens

Et statuant à nouveau,

- condamner la société [T] Europe Inc à verser à Monsieur [C] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la société [T] Europe Inc aux dépens dont distraction au profit de l'AARPI Teytaud ' Saleh.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 14 février 2024.

MOTIFS DE LA DECISION :

1/ Sur le rappel d'indemnité de non-concurrence et l'application de la clause pénale

La société [T] précise, qu'eu égard au niveau de responsabilité de M. [C] et à sa qualité de cadre commercial et dirigeant ayant accès à toutes les données stratégiques et financières de l'entreprise, elle a inclus dans son contrat de travail une clause de non-concurrence ainsi libellé :

"En cas de cessation de son contrat de travail, quelle qu'en soit la cause et la partie qui en prendrait l'initiative, Monsieur [C] s'engage à ne pas intervenir, directement ou indirectement, pour son compte ou celui d'un tiers, à titre gratuit ou onéreux, au profit d'une entreprise concurrente de la société.

Cette interdiction de concurrence est édictée compte tenu des responsabilités de Monsieur [C] et de sa connaissance de la clientèle, des produits et méthodes de vente de la société. Cette interdiction de concurrence est limitée à une période de 24 mois commençant le jour de la cessation effective des fonctions de Monsieur [C] et à toute entreprise dont tout ou partie de l'activité concurrente est exercée sur le territoire français, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Belgique et le Luxembourg. (...)

En contrepartie, pendant la durée d'application de la présente clause faisant suite à la rupture du contrat de travail, Monsieur [C] percevra une indemnité mensuelle brute égale à 20 % de son salaire fixe mensuel".

La société appelante ajoute que, lors de la signature du contrat de travail, le salarié n'a pas contesté ces dispositions qui étaient conformes aux exigences légales. La clause de non-concurrence était, par ailleurs, limitée à 24 mois, ce qui n'était pas excessif. La réduction de cette clause au territoire français à l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Belgique et le Luxembourg n'était pas non plus déraisonnable puisque M. [C] était directeur commercial pour la "zone francophone & Europe latine". Enfin, la contrepartie financière de la clause fixée à 20 % du salaire fixe mensuel n'était pas dérisoire.

L'employeur relève encore que, les restrictions prévues dans la clause de non-concurrence n'étaient pas de nature à nuire au reclassement du salarié puisqu'il pouvait retrouver une activité et un poste de même nature que celui qu'il occupait, à condition de l'exercer sur un secteur géographique différent. En outre, l'expérience antérieure du salarié auprès d'entreprises commercialisant des produits alimentaires diététiques et des aliments nutritionnels en direction de détaillants et non de grossistes comme [T] lui offrait la possibilité d'occuper un emploi dans ce domaine.

Cependant, alors que M. [C] a perçu la contrepartie financière prévue au contrat de travail, il s'est abstenu de respecter les conditions de la clause de non-concurrence en louant ses services auprès de la société Liothyss laboratoire, dès le mois de novembre 2012. Or, la société Liothyss exerce la même activité que [T], à savoir la conception et la commercialisation de produits diététiques et hyper protéinés (pièces 13, 14). Certains de ces produits, notamment celui présenté sous la dénomination "Miracle noodle" et conditionné par palettes, étaient proposés à une clientèle de revendeurs comme celle à laquelle s'adresse l'appelante et non à des détaillants (pièce 16). L'exploitation qui a été faite par les enquêteurs dans le cadre de la procédure pénale des messages professionnels adressés par M. [C] à M. [W], Directeur de la société Liothyss laboratoire, a mis en évidence une volonté manifeste de l'intimé d'exercer une activité concurrente avec son nouveau partenaire. Ainsi le 3 juillet 2012, M. [C] fournissait l'adresse professionnelle de

M. [U] [J] [N] (Président de [T]) à M. [W] en précisant : "je pense que dans un premier temps, c'est plus sage...Ensuite, nous mettrons en route le "cheval de Troie".

En conséquence, la société [T] demande à ce que M. [C] soit condamné à lui restituer la somme de 4 727,35 euros qui lui a été versée au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence de novembre 2012 à mai 2013.

Elle demande, également, à ce que soit appliquée la clause pénale prévue au contrat en cas de violation de son engagement de non-concurrence par le salarié, ainsi libellée : "Toute violation de la présente clause de non-concurrence rendrait automatiquement Monsieur [C] redevable d'une pénalité fixée dès à présent et forfaitairement à six mois de salaire, pénalité due pour chaque infraction constatée, sans qu'il soit besoin d'une mise en demeure d'avoir à cesser l'activité interdite".

En application de cette clause, la société appelante réclame le paiement d'une somme de 56 167,37 euros.

M. [C] demande à ce qu'il soit considéré que la clause de non-concurrence mentionnée dans son contrat de travail lui est inopposable à défaut d'avoir précisé le domaine des activités qui lui était interdit et en raison du caractère excessif de son application géographique.

Le salarié intimé estime que telle qu'elle était rédigée, la clause de non-concurrence constituait une entrave à sa liberté de travailler puisqu'elle lui rendait impossible tout reclassement dans une activité conforme à ses compétences ailleurs que dans un pays du nord de l'Europe.

De surcroît au regard de l'ampleur des restrictions d'activité dans le temps et dans l'espace,

M. [C] considère que la contrepartie financière de 20 % de son salaire fixe mensuel était parfaitement dérisoire. D'ailleurs, dans son premier contrat de travail daté de 2002, il était prévue une contrepartie financière de 30 % pour l'application de la clause de non-concurrence alors même qu'il occupait un poste moins important et que les interdictions émises étaient moins restrictives puisque la durée de la période de non-concurrence était fixée à 18 mois et que la limitation géographique couvrait uniquement les sociétés clientes "ayant donné à facturation par [T] au cours des 24 mois précédant la rupture du contrat de travail" (pièce 1 salarié).

La cour rappelle que pour être valable une clause de non-concurrence doit obéir cumulativement aux trois conditions suivantes :

- être justifiée par les intérêts légitimes de l'entreprise

- être limitée dans le temps et l'espace

- comporter une contrepartie pécuniaire.

Le tout en tenant compte des spécificités de l'emploi du salarié.

En l'espèce, il n'est pas contesté qu'en raison des fonctions de Directeur Commercial et du statut de cadre dirigeant du salarié ayant accès à toutes les données de fabrication et de commercialisation de la société, la mention dans son contrat de travail d'une clause de non-concurrence était bien justifiée par les intérêts légitimes de l'entreprise. Par ailleurs, au regard du périmètre de l'activité commerciale de M. [C], à savoir la "zone francophone & Europe latine" et de la durée de la relation contractuelle, à savoir 10 ans, qui a permis au salarié de tisser des liens solides avec un réseau de clients dans un secteur d'activité où la concurrence est très importante, la limitation de la clause de non-concurrence à 24 mois et aux pays suivants : la France, l'Italie, l'Espagne, le Portugal et la Belgique et le Luxembourg n'apparaît pas excessive.

En revanche, eu égard au périmètre géographique élargi défini par la clause de non-concurrence, la contrepartie financière fixée à 20 % du salaire brut mensuel doit être considérée comme dérisoire et ce d'autant que M. [C] avait bénéficié précédemment d'une contrepartie financière de clause de non-concurrence fixée à 30 % de sa rémunération alors même que les interdictions édictées en contrepartie étaient moins importantes.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a jugé que la clause de non-concurrence était inopposable au salarié et en ce qu'il a débouté la société [T] de l'ensemble de ses demandes.

2/ Sur les autres demandes

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la procédure d'appel.

La société [T] supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne la société [T] aux dépens d'appel avec distraction au profit de l'AARPI Teytaud-Saleh, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 21/08030
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;21.08030 ?
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