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03/07/2024 | FRANCE | N°23/18505

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 03 juillet 2024, 23/18505


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6



ARRET DU 03 JUILLET 2024



ARRET SUR COMPETENCE

(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/18505 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIRHG



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Novembre 2023 -Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 22/14355





APPELANT



Monsieur

[L] [Z]

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représenté par Me Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0215

Ayant pour avocat plaidant Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 03 JUILLET 2024

ARRET SUR COMPETENCE

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/18505 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIRHG

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 16 Novembre 2023 -Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 22/14355

APPELANT

Monsieur [L] [Z]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0215

Ayant pour avocat plaidant Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de Rennes, toque : 164

INTIMÉES

S.A. BANCO [Localité 6] VIZCAYA ARGENTARIA (BBVA) société de droit espagnol

[Adresse 2]

[Localité 6] - ESPAGNE

agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

S.A. BNP PARIBAS

[Adresse 1]

[Localité 4]

N°SIRET : 662 042 449

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Nicolas BAUCH-LABESSE de l'AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de PARIS, toque : E0022, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Marc BAILLY, président de chambre, et MME Laurence CHAINTRON, conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

M. Vincent BRAUD, président

Madame Laurence CHAINTRON, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 27 novembre 2023, M. [L] [Z] a interjeté appel de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris rendue le 16 novembre 2023 dans l'instance l'opposant à la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria et à la société BNP Paribas, et dont le dispositif est ainsi rédigé :

'DECLARONS le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des demandes formées contre la société de droit espagnol Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria ;

RENVOYONS monsieur [L] [Z] à mieux se pourvoir s'agissant des demandes formées contre la société de droit espagnol Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria ;

RENVOYONS le surplus de l'affaire opposant monsieur [L] [Z] à la société BNP Paribas à la mise en état électronique du 21 décembre 2023 à 13h30 pour conclusions de monsieur [L] [Z] ;

DISONS n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNONS monsieur [L] [Z] aux dépens de l'instance s'agissant de la société de droit espagnol Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria ;

RESERVONS le surplus des dépens.'

***

S'agissant de l'appel d'une ordonnance du juge de la mise en état se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, le magistrat statuant sur requête par délégation de M. Le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a, par ordonnance rendue le 12 décembre 2023, autorisé la partie requérante à assigner à jour fixe devant le Pôle 5 Chambre 6 de la cour d'appel de Paris pour l'audience du 27 mai 2024 à 9 heures, et dit que l'assignation devra être délivrée et placée au greffe par voie électronique avant le 20 janvier 2024.

À l'issue de la procédure d'appel conduite selon les prévisions de l'article 905 du code de procédure civile les prétentions des parties s'exposent de la manière suivante.

Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 24 mai 2024, l'appelant

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Vu le Règlement européen 'Rome II' du Parlement n°864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007,

Vu le Règlement européen 'Bruxelles I BIS' n°1215/2012 du Parlement européen et du

Conseil du 12 décembre 2012,

Vu les articles 42, 46 du Code de procédure civile,

Vu la jurisprudence française et européenne,

Vu l'Ordonnance de première instance,

- Infirmer l'Ordonnance rendue le 16 novembre 2023 par le Tribunal judiciaire de PARIS.

ET STATUANT A NOUVEAU :

A TITRE PRINCIPAL :

- Retenir la compétence du tribunal judiciaire de PARIS, au regard de la compétence des

juridictions françaises à raison du lieu de la matérialisation du dommage, pour avoir à statuer sur le litige opposant Monsieur [Z] aux sociétés BANCO [Localité 6] VIZCAYA ARGENTARIA S.A. et BNP PARIBAS.

A TITRE SUBSIDIAIRE :

- Retenir la compétence du tribunal judiciaire de PARIS, au regard de la compétence des

juridictions françaises à raison de la pluralité de défendeurs, pour avoir à statuer sur le litige opposant Monsieur [Z] aux sociétés BANCO [Localité 6] VIZCAYA ARGENTARIA S.A. et BNP PARIBAS.

- Renvoyer le dossier au Tribunal judiciaire de PARIS pour qu'il soit statué sur le fond du

litige.

EN TOUT ETAT DE CAUSE

- Débouter la société BANCO [Localité 6] VIZCAYA ARGENTARIA S.A. de l'ensemble de ses demandes.

- Condamner la société BANCO [Localité 6] VIZCAYA ARGENTARIA S.A. à verser à Monsieur [Z] la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la même aux entiers dépens.'

Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 23 mai 2024, l'intimé société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Vu les articles 83 et suivants du Code de procédure civile,

Vu le Règlement de l'Union européenne numéro 1215/2012 du 12 décembre 2012,

A TITRE PRINCIPAL,

DECLARER IRRECEVABLE l'appel formé par Monsieur [L] [Z] à l'encontre de l'ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris du 16 novembre 2023,

En conséquence,

DECLARER IRRECEVABLES les conclusions signifiées en cause d'appel par Monsieur [L] [Z],

A TITRE SUBSIDIAIRE,

CONFIRMER l'ordonnance du juge de la mise en état du Tribunal judiciaire de Paris du 16 novembre 2023,

DEBOUTER Monsieur [L] [Z] de toutes ses prétentions

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

CONDAMNER Monsieur [Z] à régler à la BBVA une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.'

Au dispositif de ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 21 mai 2024, l'intimé BNP Paribas

présente, en ces termes, ses demandes à la cour :

'Vu les articles 699 et 700 du Code de procédure civile,

Il est demandé à la Cour de :

METTRE HORS DE CAUSE BNP PARIBAS ;

CONDAMNER tout succombant à payer à BNP PARIBAS la somme de 600 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNER tout succombant à supporter les dépens exposés par BNP PARIBAS dans le cadre de la procédure d'appel.'

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, à leurs conclusions précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

M. [L] [Z] expose qu'après avoir été contacté par une société spécialisée dans le courtage d'investissement et de conseil multi-marchés, la société Amazon-Capital Services, il a souhaité investir et à cette fin a procédé, en décembre 2018, à deux virements, d'un montant de 10 000 euros et de 35 000 euros, sur un compte domicilié en Espagne suivant les coordonnées bancaires transmises par la société de courtage. Ses fonds ont été dissipés, il a finalement déposé une plainte le 20 février 2019, en dénonçant des faits d'escroquerie ; une enquête est en cours auprès de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée.

Par exploits d'huissier en date des 22 et 25 novembre 2022, M. [Z] a fait assigner en responsabilité, devant le tribunal judiciaire de Paris, la société BNP Paribas, dans les livres de laquelle il est titulaire d'un compte courant, et la société de droit espagnol Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria, qui a réceptionné les fonds.

Ses demandes sont les suivantes :

À titre principal :

- Juger que les sociétés BNP Paribas et Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria n'ont pas respecté leur obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT ;

- Juger que les sociétés BNP Paribas et Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria sont responsables des préjudices subis par M. [Z] ;

- Condamner in solidum les sociétés BNP Paribas et Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria à rembourser à M. [Z] la somme de 35 000 euros, correspondant à une partie de son investissement, en réparation de son préjudice matériel ;

- Condamner in solidum les sociétés BNP Paribas et Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria à verser à M. [Z] la somme de 9 000 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance ;

- Condamner la société BNP Paribas à rembourser à M. [Z] la somme de 10 000 euros correspondant au montant restant de son investissement, en réparation de son préjudice matériel ;

- Condamner in solidum les sociétés BNP Paribas et Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria à verser à M. [Z] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner les mêmes, in solidum, aux entiers dépens.

À titre subsidiaire :

- Juger que la société BNP Paribas a manqué à son devoir général de vigilance ;

- Juger que la société BNP Paribas est responsable des préjudices subis par M. [Z];

- Condamner la société BNP Paribas à rembourser à M. [Z] la somme de 45 000 euros, correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel ;

- Condamner la société BNP Paribas à verser à M. [Z] la somme de 9 000 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance ;

- Condamner la société BNP Paribas à verser à M. [Z] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la même aux entiers dépens.

À titre infiniment subsidiaire :

- Juger que la société BNP Paribas n'a pas respecté son obligation d'information à l'égard de M. [Z] ;

- Juger que la société BNP Paribas est responsable des préjudices subis par M. [Z] ;

- Condamner la société BNP Paribas à rembourser à M. [Z] la somme de 45 000 euros,correspondant à la totalité de son investissement, en réparation de son préjudice matériel ;

- Condamner la société BNP Paribas à verser à M. [Z] la somme de 9 000 euros, correspondant à 20 % du montant de son investissement, en réparation de son préjudice moral et de jouissance ;

- Condamner la société BNP Paribas à verser à M. [Z] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la même aux entiers dépens.

La société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria a saisi le juge de la mise en état d'incident, invoquant l'incompétence territoriale de la juridiction française.

Au soutien de l'exception d'incompétence, la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria invoque les dispositions de l'article 4 §1 du règlement Bruxelles I bis, prévoyant que les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre doivent être attraites devant les juridictions de cet Etat membre. Elle expose être domiciliée en Espagne et n'avoir aucun établissement en France. Elle en déduit que seules les juridictions espagnoles sont compétentes pour connaître de l'action engagée contre elle.

Elle précise que la compétence des juridictions françaises ne peut découler de l'application de l'article 7§2 du même règlement du moment que le fait dommageable, à savoir l'appropriation frauduleuse des fonds, ne s'est pas produit en France mais en Espagne et que les manquements qui lui sont reprochés sont également survenus sur le territoire espagnol.

Elle ajoute que l'article 8 §1 du même règlement européen, qui prévoit une extension de compétence en cas de pluralité de défendeurs, est d'interprétation stricte. Elle considère qu'en l'occurrence, les décisions rendues séparément contre elle et contre la banque française mise en cause ne seraient pas inconciliables puisque leurs relations avec le demandeur sont de nature différente et que les obligations professionnelles leur incombant sont dissemblables pour résulter essentiellement de leur législation nationale, le code monétaire et financier français ne lui étant nullement applicable. Enfin, elle souligne que les fautes ne sont pas exclusives l'une de l'autre et que la circonstance qu'une condamnation in solidum soit sollicitée est sans incidence sur la détermination de la compétence des juridictions. Elle relève que les demandes formées contre elle sont fondées sur la responsabilité délictuelle, tandis que les demandes formées contre la banque française relèvent de la responsabilité contractuelle.

Pour conclure au rejet de l'exception d'incompétence soulevée par la banque société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria, M. [Z] invoque les dispositions de l'article 46 du code de procédure civile et fait valoir qu'il disposait d'une option de compétence en matière délictuelle.

Il ajoute que les virements litigieux ont été effectués en France, en sorte que le fait dommageable y est survenu, ce qui donne compétence aux juridictions françaises pour connaître du litige, conformément à l'article 7 du règlement Bruxelles I bis. À cet égard, il précise que selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, les juridictions du domicile du demandeur sont compétentes au titre de la matérialisation du dommage pour connaître d'une action, lorsque ledit dommage se réalise directement sur un compte bancaire de ce demandeur auprès d'une banque établie dans le ressort de cesjuridictions. En l'occurrence, les rapports entre lui et la banque espagnole sont de nature délictuelle et son préjudice s'est réalisé directement sur son compte bancaire français, comme la dissipation des fonds. Il en déduit que le dommage s'est matérialisé en France. Il précise également que l'appropriation réelle des fonds n'intervient pas au sein de l'Union Européenne mais sur des comptes off-shores domiciliés dans des paradis fiscaux et que la particularité des développements des escroqueries via internet est de nature à remettre en cause le procédé classique de localisation matérielle.

Subsidiairement, il invoque les dispositions de l'article 42 du code de procédure civile et fait valoir qu'il disposait d'une option de compétence compte tenu de la pluralité des défendeurs au présent litige. Il estime ainsi que les juridictions françaises sont compétentes du moment que l'une des sociétés défenderesses est domiciliée en France. Il invoque également les dispositions de l'article 8 du règlement Bruxelles I bis, qui permet une extension de compétence lorsqu'il y a plusieurs défendeurs et que les demandes formées contre eux sont liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps, afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément avec le risque de ne pas obtenir une réparation intégrale. M. [Z] souligne que les règles applicables au présent litige trouvent leur origine dans les directives européennes, qui sont par définition applicables en France et en Espagne, et relève que les faits allégués au soutien de ses demandes formées contre les deux défenderesses sont identiques.

La société BNP Paribas a constitué avocat mais devant le juge de la mise en état n'a pas conclu sur l'incident.

Pour déclarer le tribunal judiciaire de Paris incompétent le juge de la mise en état a dans l'ordonnacnce dont appel, retenu ce qui suit.

- Contrairement à ce que suggère M. [Z], la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Paris pour connaître de son action indemnitaire ne saurait relever des dispositions des articles 42 et 46 du code de procédure civile, mais doit être appréciée à l'aune du règlement précité, en ce que l'action est engagée contre la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria société ayant son siège social en Espagne.

- L'article 4 du Règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 précise que : 'Les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat membre'.

- L'article 7.2 du même texte prévoit que 'Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État-membre (') en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire'.

- Enfin, l'article 8.1 de ce texte prévoit quant à lui que 'Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut aussi être attraite (...) s'il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément'.

- Il résulte de ces dispositions que le demandeur peut, en matière quasi-délictuelle ou délictuelle, saisir soit le tribunal du domicile du défendeur, soit celui où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire, soit encore, en cas de pluralité de défendeurs, le tribunal du domicile de l'un des co-défendeurs.

- S'agissant du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire, il est de principe que ce lieu vise à la fois le lieu de la matérialisation du dommage et celui de l'évènement causal à l'origine de ce dommage.

- Cette compétence dérogatoire à la compétence de principe du domicile du défendeur est d'interprétation stricte et un préjudice purement financier qui se matérialise directement sur le compte bancaire du demandeur et qui résulte directement d'un acte illicite commis dans un autre État membre ne saurait, à lui seul, en l'absence de circonstances particulières, être qualifié de point de rattachement pertinent.

- Par ailleurs, pour l'application de l'article 8.1, dont le critère de compétence est également d'interprétation stricte, l'appréciation de l'existence du lien de connexité et donc du risque de décisions inconciliables en présence d'une même situation de fait et de droit, n'exige pas l'identité de fondements juridiques, dès lors qu'il était prévisible pour les défendeurs qu'ils risquaient de pouvoir être attraits dans l'Etat-membre où au moins l'un d'eux a son domicile.

- En l'espèce, il est constant que le domicile de la société Banco [Localité 6]Vizcaya Argentaria se situe en Espagne.

- S'agissant du lieu où le fait dommageable s'est produit, monsieur [Z] reproche, notamment, à la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria d'avoir manqué de vigilance, notamment en ne vérifiant pas l'activité de sa cliente, la société Amazon-Capital Services, à l'entrée et durant la relation d'affaire.

Or, cet événement s'est nécessairement produit au lieu où se trouve le compte de cette société ouvert dans les livres de l'établissement bancaire, soit en Espagne. L'argumentation selon laquelle en réalité l'appropriation des fonds intervenant sur des comptes offshores domiciliés dans des paradis fiscaux disqualifiant ainsi le lieu de domiciliation du compte bancaire de réception, compte de transit, n'est étayée pas aucun élément et ne suffit pas au demeurant à écarter le fait que l'évènement dommageable s'est également produit au lieu où se trouve le compte de réception.

Par ailleurs, monsieur [Z] ne justifie pas de circonstances particulières, en l'absence notamment de démonstration de tout démarchage en France par la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria ou d'indication que celle-ci ait été informée de l'existence d'un tel démarchage par la société Amazon-Capital Services qui auraient rendu prévisible la compétence des juridictions françaises, la localisation des comptes du demandeur n'est pas un point de rattachement pertinent.

Il y a dès lors lieu de considérer que les fonds ayant été virés sur un compte à l'étranger, le détournement allégué n'a pu advenir qu'ensuite et que la matérialisation du dommage ne s'est pas produite en France.

- S'agissant de la connexité alléguée entre la banque de droit espagnol, d'une part, et la banque de droit français, d'autre part, il y a lieu de relever qu'il n'existe pas de risque de contradiction entre les différentes décisions qui pourraient être rendues, dès lors qu'il n'est pas établi ni même allégué que ces établissements bancaires n'aient pas agi de manière indépendante et que les décisions qui pourraient être rendues par les juridictions saisies des demandes formées contre elles se fonderont sur des éléments de fait différents pour apprécier si chaque société a manqué à son obligation de vigilance, quand bien même les normes juridiques applicables pourraient être similaires.

- Il s'évince de ce qui précède que ni l'article 7.2, ni l'article 8.1 du Règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 ne pouvant fonder la compétence du tribunal judiciaire de Paris, il sera fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria. Monsieur [L] [Z] sera renvoyé à mieux se pourvoir.

***

Sur la recevabilité de l'appel

À titre principal, l'intimé soulève l'irrecevabilité de l'appel interjeté par M. [Z], et par suite, des conclusions signifiées, pour défaut de motivation de la déclaration d'appel. Aux termes de l'article 85 du code de procédure civile, 'Outre les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933, la déclaration d'appel précise qu'elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d'irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration'. La Cour d'appel de Paris a précisé que 'Le défaut de motivation de la déclaration d'appel ne peut être suppléé par les éléments de motivation figurant dans la requête aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe ou dans le projet d'assignation' (CA Paris 20 février 2020, n°19/05.704) et cette solution a été confirmée par la Cour de cassation : 'L'article 85 du code de procédure civile exigeant que la déclaration d'appel dirigée contre un jugement statuant exclusivement sur la compétence soit motivée dans la déclaration elle-même ou dans des conclusions qui y sont jointes, les conclusions au fond annexées à la requête, qui sont adressées au premier président et non à la cour d'appel, ne peuvent constituer la motivation requise (') le défaut de motivation du recours, susceptible de donner lieu à la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel du jugement statuant sur la compétence, peut être régularisé, en matière de procédure avec représentation obligatoire, par le dépôt au greffe, avant l'expiration du délai d'appel, d'une nouvelle déclaration d'appel motivée ou de conclusions comportant la motivation du recours, adressées à la cour d'appel (Civ. 2e, 22 octobre 2020, n°19-17.630).

En l'espèce, l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris ne porte que sur la compétence des juridictions françaises pour connaître des demandes formées par M. [Z] à l'encontre de la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria. Le présent appel du jugement statuant uniquement sur la compétence est donc régi par les dispositions des articles 83 et suivants du code de procédure civile. Or, la déclaration d'appel précise simplement : 'appel d'un jugement statuant sur la compétence, en ce que le tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître de l'action intentée par Monsieur [Z] contre la société BANCO [Localité 6] VIZCAYA ARGENTARIA S.A et a renvoyé Monsieur [Z] à mieux se pourvoir concernant la société BANCO [Localité 6] VIZCAYA ARGENTARIA S.A'. L'appel n'est donc pas motivé, que soit dans le corps même de la déclaration ou dans des conclusions qui y seraient annexées. Aucune régularisation n'est intervenue dans le délai d'appel.

Dans ces conditions, la cour ne pourra que constater que l'appel formé par M. [L] [Z] à l'encontre de l'ordonnance, par déclaration du 27 novembre 2023, est irrecevable. Les conclusions signifiées postérieurement devront suivre le sort de la déclaration d'appel.

L'appelant réplique qu'en l'espèce, les conclusions d'appelant ont bien été jointes à la déclaration d'appel le 27 novembre 2023 tel que cela résulte de sa pièce n°8. La société BBVA prétend qu'aucunes conclusions ne seraient annexées à la déclaration, ce qui rendrait irrecevable la déclaration d'appel et les conclusions d'appelants. Pourtant la Cour a accusé réception de l'ensemble des pièces, envoyées le même jour. Les conclusions d'appelant contiennent bien la motivation requise par l'article précité.

Sur ce

L'appelant justifie de ce que ses conclusions étaient jointes à la déclaration d'appel, en sorte que les dispositions de l'article 85 du code de procédure civiles ont été respectées, et que l'appel est recevable.

Sur l'exception d'incompétence

L'ordonnance frappée d'appel n'est pas critiquable en ce qu'elle statue sur la compétence par application du Règlement n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Il y a donc lieu d'adopter en tous points les motifs du juge de la mise en état, qui a exactement rappelé les principes de droit applicables en la matière, et effectué une juste analyse des faits de la cause, sauf en ce qu'il a écarté l'application de l'article 8.1 du réglement dont M. [Z] se prévaut subsidiairement au soutien de la compétence du tribunal judiciaire de Paris pour connaître de ses demandes dirigées contre la société de droit espagnol Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria.

En effet, en vertu de l'article 8, point 1, du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, s'il y a plusieurs défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut, par dérogation au principe énoncé à l'article 4, paragraphe 1, de ce règlement, être attraite devant la juridiction du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

La société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria conteste l'existence, au cas présent, d'une même situation de fait et de droit qui nécessiterait que les demandes soient instruites ensemble et jugées en même temps.

Or, M. [Z] a fait assigner en responsabilité les sociétés BNP Paribas et Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria, en ce qu'elles ont concouru à la réalisation d'un même dommage, soit la perte des fonds investis, par virements effectués sur le compte d'une société frauduleuse, en ce que M. [Z] invoque à leur encontre des manquements à leurs obligations de surveillance et de vigilance issues notament de la Directive 2005/ 60/ CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, de sorte que les demandes, qui se rapportent aux mêmes faits, tendent à des fins identiques, posent des questions communes qui appellent des réponses coordonnées notamment sur la matérialité et l'étendue du préjudice, l'analyse des causes du dommage et la part de responsabilité éventuelle de chaque société.

Il doit être souligné que la banque espagnole, qui détient ou a détenu dans ses livres, des virements en provenance de France susceptibles d'avoir un caractère frauduleux ne peut estimer raisonnablement imprévisible d'être attraite, de ce fait, devant les juridictions françaises.

Ainsi, les actions en responsabilité intentées par M. [Z] sont connexes en ce qu'elles s'inscrivent dans une même situation de fait et de droit et par suite, pour éviter tout risque d'inconciliabilité des solutions, il y a lieu de les juger ensemble, peu important que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes (1re Civ., 26 sept. 2012, n° 11-26.022 ; 17 fév. 2021, n°19-17.345).

L'ordonnance déférée sera donc infirmée en ce qu'elle déclare le tribunal de Paris incompétent pour connaitre des demandes formées à l'encontre de la société de droit espagnol Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria et renvoie M. [Z] à mieux se pourvoir s'agissant des demandes formées à l'encontre de cette dernière.

Il n'y a pas lieu de 'mettre hors de cause' la société BNP Paribas quand bien même elle n'est pas concernée par l'incident introduit par la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria qui échoue dans ses demandes, supportera la charge des dépens et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Par équité également il n'y a pas lieu d'octroyer à la société BNP Paribas l'indemnité procédurale qu'elle réclame. En revanche pour des raisons tenant à l'équité il y a lieu de faire droit à la demande de M. [Z] formulée sur ce même fondement pour la somme réclamée, de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant dans les limites de l'appel,

DÉCLARE l'appel recevable

INFIRME l'ordonnance déférée :

-en ce qu'elle déclare le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaitre des demandes formées contre la société de droit espagnol Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria et renvoie M. [L] [Z] à mieux se pourvoir s'agissant des demandes formées contre la société de droit espagnol Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria ;

-en ce qu'elle dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

-en ce que M. [L] [Z] est condamné aux dépens de l'instance s'agissant de la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria ;

La CONFIRME pour le surplus ;

Et statuant à nouveau des chefs infirmés :

DIT que le tribunal judiciaire de Paris est compétent pour connaitre des demandes formées par M. [L] [Z] à l'encontre de la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria ;

CONDAMNE la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria à payer à M. [L] [Z] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à raison des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

DÉBOUTE la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria de sa propre demande formulée sur ce même fondement ;

DÉBOUTE la société BNP Paribas de sa demande à ce titre ;

CONDAMNE la société Banco [Localité 6] Vizcaya Argentaria aux entiers dépens de l'incident ;

CONFIRME l'ordonnance déférée pour le surplus de ses dispositions, concernant la société BNP Paribas.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 23/18505
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;23.18505 ?
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