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03/07/2024 | FRANCE | N°23/15951

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 03 juillet 2024, 23/15951


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 6



ARRET DU 03 JUILLET 2024



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/15951 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIJR6



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 12 Septembre 2023 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris - 9ème chambre 2ème section - RG n° 21/11513





APPELANTE



S.A. BANQUE PALATINE

[Adresse 8

]

[Localité 7]

N°SIRET : 542 104 245

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Me Nicolas BAUCH-LABESSE de l...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 03 JUILLET 2024

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/15951 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIJR6

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 12 Septembre 2023 - juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris - 9ème chambre 2ème section - RG n° 21/11513

APPELANTE

S.A. BANQUE PALATINE

[Adresse 8]

[Localité 7]

N°SIRET : 542 104 245

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Nicolas BAUCH-LABESSE de l'AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de PARIS, toque : E0022, avocat plaidant

INTIMÉ

Monsieur [T] [N]

né le [Date naissance 2] 1943 à [Localité 9]

[Adresse 3]

[Localité 1] (Suisse)

Représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Ayant pour avocat plaidant Me Alexis WEIL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0317

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

M. Vincent BRAUD, président

Madame Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par M. Vincent BRAUD dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

Par exploit en date du 31 août 2021, [T] [N] et la société civile immobilière du Parc ont assigné la Banque palatine devant le tribunal judiciaire de Paris afin qu'il soit fait injonction à la banque de transférer les valeurs mobilières suivantes, sur un compte à déterminer et sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement et pendant une durée de 60 jours :

' 296,89 unités de la valeur ENTEN.EURIB.C ;

' 183,21 unités de la valeur FONC.EURIB.C ;

' 89,92 unités de la valeur CREDIT FONCIER EURIB.2DEC.

Si cette injonction n'est pas exécutée dans le délai de 60 jours, les demandeurs entendent que la banque soit condamnée à payer à [T] [N] la somme de 2 071 424,54 euros, avec intérêt au taux légal applicable au créancier personne physique, à compter de l'assignation, et à la société du Parc la somme de 4 646,40 euros, avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation.

Par ordonnance en date du 6 décembre 2022, le juge de la mise en état a donné acte à la société du Parc de son désistement d'instance à l'égard de la Banque palatine.

[T] [N] expose qu'il détenait des comptes-titres dans les livres du Crédit foncier de France ; que ces comptes ont été transférés à la Banque palatine à la suite d'un apport partiel d'actif du 10 juin 2008 ; que parmi ses comptes transférés dans les livres de la Banque palatine, des valeurs mobilières étaient déposées sur les comptes suivants, au vu des relevés de 2005 à 2008 :

' La valeur globale au 30 juin 2005 du compte-titres no 400810003806 9 (composé de 296,89 unités de la valeur ENTEN.EURIB.C) était évaluée à 1 059 745,29 euros ;

' La valeur globale au 29 septembre 2006 du compte-titres no 400010497647 7 (composé de 180,09 unités de la valeur FONC.EURIB.C) était évaluée à 664 774,81 euros ;

' La valeur globale au 29 septembre 2006 du compte-titres no [XXXXXXXXXX04] (composé de 3,12 unités de la valeur FONC.EURIB.C) était évaluée à 11 517,01 euros ;

' La valeur globale au 30 juin 2008 du compte-titres no 43199 00049 30010262615 21 (composé de 86,8 unités de la valeur CREDIT FONCIER EURIB.2DEC) était évaluée à 323 750,32 euros ;

' La valeur globale au 30 juin 2008 du compte-titres no 43199 00049 30010262514 33 (composé de 3,12 unités de la valeur CREDIT FONCIER EURIB.2DEC) était évaluée à 11 637,11 euros ;

soit un montant total de 2 071 424,54 euros, correspondant à sa demande subsidiaire.

Par conclusions d'incident du 20 mars 2023, la Banque palatine a demandé au juge de la mise en état, à titre principal de juger irrecevable l'action de [T] [N], pour défaut de qualité à défendre de la banque ; à titre subsidiaire, pour cause de prescription.

Par ordonnance contradictoire en date du 12 septembre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a :

' Rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre, soulevée par la Banque palatine ;

' Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de [T] [N], soulevée par la Banque palatine ;

' Condamné la Banque palatine aux dépens de l'incident ainsi qu'à payer à [T] [N] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

' Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 31 octobre 2023, 9 heures 30, pour que la Banque palatine conclue au fond.

Par déclaration du 27 septembre 2023, la Banque palatine a interjeté appel de l'ordonnance.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 22 novembre 2023, la société anonyme Banque palatine demande à la cour de :

INFIRMER l'ordonnance rendue le 12 septembre 2023 par le Juge de la mise en état près la 9e chambre 2e section du TJ de PARIS (RG n0 21/11513) en ce qu'elle a':

- REJETE la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre, soulevée par la SA BANQUE PALATINE ;

- REJETE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [T] [N], soulevée par la SA BANQUE PALATINE ;

- CONDAMNE la SA BANQUE PALATINE aux dépens de l'incident ainsi qu'à payer à M. [T] [N] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- RENVOYE l'aff aire à l'audience de mise en état du 31 octobre 2023, 9h30, pour que la SA BANQUE PALATINE conclue au fond.

ET STATUANT A NOUVEAU':

JUGER IRRECEVABLE l'action de Monsieur [T] [N] à l'encontre de BANQUE PALATINE, tant à raison du défaut de qualité à défendre de cette dernière, qu'à raison de la prescription de l'action personnelle introduite par M. [N].

CONDAMNER Monsieur [T] [N] au paiement de la somme de 10.000 € à la BANQUE PALATINE au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 19 février 2024, [T] [N] demande à la cour de :

- CONFIRMER l'ordonnance attaquée en l'ensemble de ses dispositions et, en particulier, en ce qu'elle :

« REJETTE la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre, soulevée par la SA BANQUE PALATINE ;

REJETTE la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [T] [N], soulevée par la SA BANQUE PALATINE ;

CONDAMNE la SA BANQUE PALATINE aux dépens de l'incident ainsi qu'à payer à M. [T] [N] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles »

Y ajoutant,

- DEBOUTER la Banque Palatine de l'ensemble de ses demandes ;

- CONDAMNER la Banque Palatine à verser 5.000 euros à Monsieur [T] [N] en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, en cause d'appel ;

- CONDAMNER la Banque Palatine aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

Pour l'essentiel, les parties développent les moyens et arguments suivants.

Sur la qualité à défendre de la Banque palatine :

La Banque palatine fait valoir que selon la jurisprudence de la Cour de cassation sur le fondement des articles 30 à 32 du code de procédure civile, le demandeur qui ne dispose pas de la qualité pour intenter l'action, ou qui attrait à la cause un défendeur qui n'a pas qualité pour défendre est irrecevable à agir. En vertu des articles 9 et 1315 du code civil, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention de sorte qu'il appartient au demandeur d'établir que le défendeur est effectivement débiteur des droits revendiqués. Or en l'espèce, M. [N] a assigné la banque et a invoqué la qualité de teneur de compte de la Banque palatine venant aux droits du Crédit foncier, s'agissant des comptes-titres suivants prétendument transférés lors de l'apport partiel d'actifs le 10 juin 2008. Or, seuls les deux comptes-titres, dont la preuve de l'existence en 2008 a été rapportée par M. [N], ont été transférés à Banque palatine, comme le démontre la liste des clients et des comptes transmis anonymisés sous réserve de ceux concernant M. [N] et le courrier adressé par le Crédit foncier. L'un des comptes contenait en 2008 exactement les mêmes valeurs et le même nombre de titres que l'un des autres comptes en 2006. Il est possible que les trois comptes-titres de 2005 et 2006 aient changé de numérotation à l'époque où ils étaient tenus par le Crédit foncier, mais M. [N] ne produit aucun élément pouvant établir qu'il était titulaire de ces 3 comptes-titres au moment de l'apport partiel d'actif et que, sous réserve des comptes-titres, d'autres comptes aient été transférés. Par ailleurs, M. [N] n'a pas sollicité le Crédit foncier pour demander quels comptes ont été transférés. Il n'établit, ni l'existence des comptes-titres dont il postule le transfert au jour de l'apport partiel d'actif, ni le transfert des comptes-titres, ni la qualité de teneur de compte-titres de Banque palatine sur les comptes Crédit foncier alors qu'il assigne sur ce fondement. Contrairement à ce qu'a considéré le juge de la mise en état, la question n'était pas de savoir si, au moment du transfert partiel d'actif, M. [N] connaissait le périmètre de cet apport, mais si, au moment où le juge statue, il est rapporté la preuve du transfert des titres. Or, l'existence de cet apport ne saurait suffire, encore faut-il que les comptes-titres en question aient existé dans les livres du Crédit foncier au moment de cet apport. Or le Crédit foncier a indiqué par courriel du 10 juin 2022 que M. [N] n'était titulaire que de trois comptes-titres en ses livres dont l'un avait été clôturé en l'absence de titre à conserver et seuls deux comptes-titres détenus par M. [N] avaient été transférés lors de l'apport partiel d'actifs. Dès lors la banque ne répond des obligations du Crédit foncier à l'égard de M. [N] que s'agissant de comptes-titres existants et effectivement transférés. Sous réserve des comptes-titres, la banque n'a jamais été teneur ou responsable d'autres comptes supportant les souscriptions ENTEN.EURIB.C. et CREDIT FONCIER EURIB 2DEC et ces parts ont été clôturées au plus tard le 3 octobre 2013 concernant CREDIT FONCIER EURIB 2DEC, de sorte qu'il est impossible que des comptes-titres perdurent avec ses valeurs.

M. [N] fait valoir que la cession intervenue en 2008 entre le Crédit foncier et la Banque palatine n'est pas une cession de fonds de commerce mais un apport partiel d'actif de sorte qu'une branche d'activité complète a été transférée. Le traité d'apport prévoyait l'apport de l'intégralité de ses actifs liés à l'exploitation de sa branche complète et autonome d'activité de services bancaires aux professionnels et aux particuliers, dont les opérations connexes telles que définies à l'article L. 311-2 du code monétaire et financier et les activités de tenue de compte de conservation d'instruments financiers au profit de clients bancaires. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité d'apport, l'apport partiel d'actif emporte, lorsqu'il est placé sous le régime des scissions, transmission universelle, de la société apporteuse à la société bénéficiaire, de tous les biens, droits et obligations dépendant de la branche d'activité qui fait l'objet de l'apport, de sorte que la branche d'activité et autonome d'activité de services bancaires aux professionnels et aux particuliers a été transférée dans son intégralité à la Banque palatine, ce qu'elle reconnaissait en première instance. Les jurisprudences produites par la banque ne permettaient pas de parvenir à la solution qu'elle défend. La Banque palatine ne démontre pas que les comptes de M. [N] auraient été exclus expressément du transfert. En outre, seule une publicité régulière aurait permis de rendre une éventuelle exclusion opposable aux tiers. Or, le bilan d'apport n'est pas publié de sorte qu'il faut bien considérer que les comptes en question ont été transférés à la Banque palatine et qu'en toute hypothèse, une éventuelle exclusion n'est pas opposable à M. [N] pour n'avoir pas été publiée. Seul le traité d'apport partiel était publié sans les annexes et la lecture de celles-ci ne permet aucunement de conclure à une quelconque exclusion des comptes de M. [N] dans la mesure où les annexes ne permettent pas d'identifier les comptes visés. La branche d'activité apportée comprend aussi bien les comptes actifs, que les comptes inactifs et les comptes déjà clôturés et comprend également les obligations de la banque envers les anciens clients et les clients actuels. Parmi ces obligations, la banque doit rendre compte des opérations réalisées sur les comptes courants et les comptes-titres au moyen de relevés périodiques. Dans l'hypothèse où une banque procède à la clôture d'un compte, elle doit en informer le titulaire du compte. Or, la Banque palatine ne démontre pas avoir adressé de tels courriers à M. [N] puisqu'aucun accusé de réception n'est produit. Enfin, en vertu des articles 1915 et suivants du code civil, le dépositaire doit rendre la chose déposée, conformément à ce qui a été convenu et l'obligation de restitution ne cesse qu'au jour où la chose est restituée, indépendamment du terme du contrat. La Banque Palatine doit répondre aux demandes d'informations de M. [N] et restituer les valeurs et titres déposés dans ses livres lorsqu'il en fait la demande. La Banque Palatine reconnaît en toute hypothèse qu'elle est redevable d'obligations envers M. [N] concernant au moins 6 comptes (4 comptes courants et 2 comptes-titres).'

Sur la prescription :

La Banque palatine fait valoir qu'en vertu de l'article L.110-4 du code de commerce, la prescription est de cinq ans pour les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants. Selon l'article 2224 du code civil, le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Or en l'espèce, M. [N] a, par l'intermédiaire de son comptable, contacté la Banque palatine dès janvier 2012 afin de s'enquérir de l'étendue du transfert de ses comptes Crédit foncier et la Banque palatine a répondu en 2012 qu'elle était en mesure de lui fournir des relevés de cette banque selon un devis qui n'a jamais été accepté. L'avocat de M. [N] a échangé avec la Banque palatine à partir d'août 2015, tant sur la clôture des comptes personnels de M. [N], qui était alors contestée, que sur l'existence de comptes-titres au sein de la banque et par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 septembre 2015, la banque indiquait que M. [N] ne détenait aucun compte-titres dans son établissement car les comptes-titres transférés avaient été clôturés en février 2012 et mai 2014 après que les valeurs s'y trouvant eurent été intégralement vendues par M. [N]. En conséquence, M. [N] avait connaissance le 9 septembre 2015 que la banque n'identifiait pas de compte-titres actif en ses livres, de sorte qu'il pouvait exercer son action dès cette date. Contrairement à ce qu'a retenu le juge de la mise en état, M. [N] ne rapporte pas la preuve de sa qualité de déposant pour les comptes-titres [XXXXXXXXXX06], [XXXXXXXXXX05] et [XXXXXXXXXX04], les deux comptes-titres transférés à la Banque palatine sont clôturés depuis plus de 5 ans et l'action initiée par M. [N] n'est pas une action tendant à « solliciter des informations » mais visant à se faire transférer des valeurs mobilières et à défaut de lui en verser la valorisation en 2005, 2006 et 2008. Or selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une action fondée sur un contrat de dépôt, de prêt ou de mandat constitue une action mobilière distincte de l'action en revendication. L'action de l'espèce ne peut être que personnelle, et son délai est quinquennal à compter du moment où M. [N] a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer son action, à savoir le courrier de la Banque palatine du 9 septembre 2015.

M. [N] fait valoir qu'en vertu de l'article 1944 du code civil, aucune prescription quinquennale n'est applicable à la créance de restitution de valeurs déposées auprès d'une banque tant que ni le déposant ni le dépositaire n'ont entamé une procédure de clôture des comptes et tant que le déposant n'a pas sollicité la restitution de ces titres et valeurs, et pendant cette même période le déposant est en droit de solliciter la communication d'informations relatives aux valeurs et titres déposés dans les livres de la banque. Dans une affaire concernant la Banque palatine, il a été jugé que la créance de restitution des valeurs et titres bancaires était imprescriptible. Ainsi, faute d'avoir apporté la preuve que les valeurs figurant sur les relevés de compte édités par le Crédit foncier de France ont été restitués à M. [N], la Banque palatine ne peut se prévaloir d'une quelconque prescription pour s'opposer à la demande d'information et de restitution relative aux comptes-titres. Par ailleurs, une banque ne peut clôturer des comptes bancaires pour inactivité qu'au bout de dix ans, après avoir fait le nécessaire pour informer le déposant et en transférant les valeurs auprès de la Caisse des dépôts et consignations, laquelle doit conserver les valeurs pendant trente ans. Pendant cette période, le déposant peut réclamer le règlement de ces sommes auprès de la banque si les valeurs n'ont pas été transférées auprès de la Caisse des dépôts et consignations puis auprès de cette dernière dans le cas contraire. En vertu de l'article 2 de la loi no 77-4 du 3 janvier 1977, ces dispositions dérogent à l'article L. 110-4 du code de commerce. Selon les articles L. 312-9 et suivants du code monétaire et financier, la banque doit informer le titulaire par tout moyen que son compte est considéré comme inactif et lui indiquer les conséquences qui sont attachées à cette inactivité. Par ailleurs, l'article L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que les fonds et titres en dépôt qui n'ont fait l'objet d'aucune opération ou réclamation depuis trente années et qui n'ont pas fait l'objet d'une réclamation de la part du titulaire ou des ayants droits deviennent propriété de l'État. En conséquent, la prescription quinquennale n'est pas applicable aux fonds et titres déposés sur un compte bancaire et qui n'ont jamais été restitués à leur titulaire ou ses ayants droit. Il appartient au dépositaire de rapporter la preuve de la clôture et de la restitution, or en l'espèce, la banque n'explique pas ce qu'il est advenu des fonds déposés auprès du Crédit foncier et n'a pas pu procéder à la clôture de ces comptes sans en informer par tout moyen M. [N] et déposer les valeurs et les titres auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Enfin, les réclamations de M. [N] sont, en toute hypothèse, recevables pendant une durée de trente années. À titre subsidiaire, dans l'hypothèse où une prescription quinquennale serait applicable à la demande de restitution des valeurs, celle-ci ne pourrait courir qu'à compter du moment où une demande de restitution est formulée par le déposant. Toute demande antérieure visant à solliciter des informations sur l'état des valeurs et des titres déposés auprès de la banque ne saurait faire courir une quelconque prescription, or aucune demande de restitution de ces valeurs n'a été formulée par M. [N] avant l'année 2021 puisque toutes les demandes antérieures se contentaient de solliciter des informations auprès de la banque.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé à l'ordonnance déférée et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mai 2024 et l'audience fixée au 28 mai 2024.

CELA EXPOSÉ,

Sur la prescription :

Aux termes de l'article L. 110-4, paragraphe premier, du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

La Banque palatine oppose à [T] [N] la prescription de son action, faisant valoir que dès le 9 septembre 2015, il était informé que la banque ne détenait plus aucun titre financier à son nom.

L'intimé objecte que :

' le déposant est toujours en droit de solliciter des informations auprès de sa banque tant que le compte n'est pas clôturé ;

' la prescription quinquennale ne s'applique pas en cas de clôture des comptes pour inactivité ;

' la prescription ne peut courir qu'à compter du moment où une demande de restitution est formulée par le déposant.

L'action introduite par [T] [N] aux fins de transfert de valeurs mobilières, subsidiairement de payement de la valeur des titres réclamés, n'est pas une demande d'information, mais une demande de restitution de choses déposées.

La Banque palatine explique que les deux comptes-titres qui lui avaient été transférés par le Crédit foncier de France ont été clos aux mois de février 2012 et de mai 2014 parce que plus aucune valeur mobilière n'y était inscrite. Les dispositions du code monétaire et financier relatives aux comptes inactifs ne trouvent donc pas à s'appliquer à l'espèce, non plus que celles de l'article 2 de la loi no 77-4 du 3 janvier 1977 modifiant l'article 189 bis du code de commerce concernant la prescription en matière commerciale.

L'action en restitution fondée sur un contrat de dépôt, de prêt ou de mandat constitue une action mobilière distincte de l'action en revendication (1re Civ., 24 nov. 2021, no 20-13.318), de sorte que la demande de transfert de valeurs mobilières formée par [T] [N] est soumise à la prescription commerciale de droit commun relative aux obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non-commerçants.

Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le délai de prescription de l'action en restitution court à compter du moment où le dépositaire informe le déposant ne plus être détenteur des biens déposés (C. A. Paris, chbre 5-6, 29 mai 2019, no 16/22068).

La Banque palatine verse aux débats la lettre adressée le 9 septembre 2015 en réponse à [T] [N], où elle indique : «'Nous vous informons également que, sauf erreur de notre part et contrairement à l'affirmation de votre conseil, vous ne détenez aucun compte titres dans notre établissement'» (pièce no 7 de l'appelante).

Il est démontré de la sorte que [T] [N] savait au moins depuis le 9 septembre 2015 que la Banque palatine ne détenait plus de valeur mobilière à son nom. Il connaissait ainsi les faits lui permettant d'exercer son action en restitution et en indemnisation. L'instance n'ayant été introduite que le 31 août 2021, soit plus de cinq ans après le 9 septembre 2015, [T] [N] sera déclaré irrecevable pour être prescrit en son action, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir prise du défaut de qualité à défendre.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'intimé en supportera donc la charge.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer :

1o À l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

2o Et, le cas échéant, à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle ou totale une somme au titre des honoraires et frais, non compris dans les dépens, que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Dans ce cas, il est procédé comme il est dit aux alinéas 3 et 4 de l'article 37 de la loi no 91-647 du 10 juillet 1991.

Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.

Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent.

La somme allouée au titre du secundo ne peut être inférieure à la part contributive de l'État majorée de 50 %.

Sur ce fondement, [T] [N] sera condamné à payer à la Banque palatine la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles.

LA COUR, PAR CES MOTIFS,

INFIRME l'ordonnance ;

Statuant à nouveau,

DÉCLARE irrecevable comme prescrite l'action de [T] [N] contre la Banque palatine ;

CONDAMNE [T] [N] à payer à la Banque palatine la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [T] [N] aux entiers dépens.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 23/15951
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;23.15951 ?
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