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03/07/2024 | FRANCE | N°23/13976

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 15, 03 juillet 2024, 23/13976


Grosses délivrées aux parties le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS









COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15



ORDONNANCE DU 03 JUILLET 2024



(n°35, 25 pages)







Numéro d'inscription au répertoire général : 23/13976 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CID7T auquel est joint le RG 23/14094



Décisions déférées : Ordonnance rendue le 1er septembre 2023 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de CRETEIL



Procès-verbal de visite en date du 7 septembre 2023 clos à 1H10 pris en exécution de l'Ordonnance rendue le 1er septembre 2023 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judi...

Grosses délivrées aux parties le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 15

ORDONNANCE DU 03 JUILLET 2024

(n°35, 25 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 23/13976 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CID7T auquel est joint le RG 23/14094

Décisions déférées : Ordonnance rendue le 1er septembre 2023 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de CRETEIL

Procès-verbal de visite en date du 7 septembre 2023 clos à 1H10 pris en exécution de l'Ordonnance rendue le 1er septembre 2023 par le Juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de CRÉTEIL

Nature de la décision : Contradictoire

Nous, Olivier TELL, Président de chambre à la Cour d'appel de PARIS, délégué par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article L. 621-12 du code Monétaire et Financier ;

Assisté de Mme Véronique COUVET, greffier présent lors des débats et de la mise à disposition ;

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par M. Stephen ALMASEANU, substitut général ;

Après avoir appelé à l'audience publique du 24 avril 2024 :

CASINO GUICHARD-PERRACHON S.A.

Prise en la personne de son Président Directeur Général, Monsieur [L] [B]

Immatriculée au RCS de Saint-Etienne sous le n° 554 501 171

Élisant domicile au cabinet de l'AARPI TEYTAUD-SALEH

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me François TEYTAUD, de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistée de Maîtres Didier MALKA, du LLP WEIL GOTSHAL & MANGES (PARIS) LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : L0132 et Rémi LORRAIN, de l'AARPI MAISONNEUVE, avocat au barreau de PARIS, toque : R170

APPELANTE ET REQUÉRANTE

et

L' AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Prise en la personne de sa Présidente

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Renaud THOMINETTE, de l'AARPI Renault Thominette Vignaud & Reeve, avocat au barreau de PARIS, toque : P0248

INTIMÉE ET DÉFENDERESSE AU RECOURS

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 24 avril 2024, le conseil de la requérante, et le conseil de l'Autorité des marchés financiers ;

Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 24 avril 2024, Monsieur Stephen ALMASEANU, substitut général, en son avis ;

Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 03 juillet 2024 pour mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

Avons rendu l'ordonnance ci-après :

Le 1er septembre 2023, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Créteil a rendu, en application des articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et L. 621-12 du Code monétaire et financier (ci-après CMF), une ordonnance autorisant les enquêteurs de l'Autorité des marchés financiers (ci-après AMF) à procéder à une visite domiciliaire et à la saisie de toute pièce ou document utile à la manifestation de la vérité dans le cadre de deux enquêtes ouvertes par ce dernier, portant sur « le marché des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON (FR0000125585) et RALLYE (FR0000060618), et sur tout instrument financier dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, à compter du 1er janvier 2018 » (enquêtes n° 2018-48 et n° 2020-13), dans les locaux de la société CASINO GUICHARD-PERRACHON situés sis [Adresse 2].

Cette ordonnance faisait suite à une requête en date du 1er septembre 2023 et des pièces qui y sont jointes, du secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (ci-après « le secrétaire général »). Il ressortait des éléments du dossier et notamment de la requête du secrétaire général présentée au juge des libertés et de la détention et visée dans l'ordonnance que, entre le début de l'année 2018 et le mois de septembre 2018, le cours du titre CASINO a baissé de près de 40 %, le titre CASINO devant l'une des valeurs françaises les plus vendues à découvert.

Il était indiqué que deux séries d'événements ont particulièrement impacté ou contribué à impacter à la baisse du cours du titre CASINO. En premier lieu, le 31 août 2018, il a été constaté une baisse du cours de certains titres obligataires CASINO et RALLYE, ayant fait l'objet de plusieurs commentaires sur les flux d'information financière, puis du cours de l'action CASINO ayant également chuté subitement atteignant un plus bas historique depuis 20 ans, pour atteindre une baisse de 10.22 % au moment de la clôture de la séance. En second lieu, le 3 septembre 2018, avant l'ouverture de la séance, l'agence de notation STANDARD & POORS (ci-après « S&P ») a annoncé la dégradation de la note de CASINO, décidée le 29 août 2018.

Il était relevé, par ailleurs, qu'à la suite de la publication des résultats semestriels de CASINO, le 30 juillet 2020, mentionnant un résultat opérationnel courant en recul de 15 %, le cours du titre CASINO a sensiblement baissé sur la journée du 30 juillet 2020, passant de 26 à 21,7 euros.

Il ressortait également de la requête et de ses pièces que, fin 2020, un journaliste a publié un reportage s'appuyant sur l'enquête d'une organisation non gouvernementale sur la déforestation de l'Amazonie provoquée par les élevages bovins qui indique considérer le groupe CASINO comme responsable d'une partie d'une telle déforestation, de par ses activités au Brésil, à travers sa filiale GRUPO PÃO DE ÀÇÚCAR (GPA).

Dans le cadre de son enquête n° 2020-13 susvisée, l'AMF a pu vraisemblablement établir la conception et l'exécution par la société CASINO d'une stratégie consistant à utiliser, sans dévoiler son identité au public, différents moyens de communication et médias, pour contenir les informations négatives à l'égard du groupe, pour diffuser des informations et des rumeurs favorables à la société et au titre CASINO et ainsi soutenir son cours de bourse.

Il était relevé que ce plan consisterait, en premier lieu, à contrôler les informations et discussions publiées sur les forums Boursorama consacrés au titres CASINO et RALLYE, d'une part, en multipliant les réponses aux publications négatives, afin de les rendre moins visibles et ainsi éviter toute reprise, et, d'autre part, en inondant lesdits forums de rumeurs et/ou commentaires positifs sur le groupe CASINO et/ou les titres CASINO et RALLYE. Il était précisé que ces activités étaient menées par des salariés de la direction de la communication de CASINO qui utilisaient, pour ce faire, plusieurs profils utilisateurs masquant l'identité réelle de l'auteur, que cette stratégie pourrait avoir été déployée pour différents évènements impactant ou susceptibles d'impacter le cours des titres Casino et/ou Rallye et que ces actions et leurs effets étaient régulièrement relayés au président directeur général de CASINO, M. [V] [B].

Il était relevé que ce plan consistait, par ailleurs, à mandater la société de conseil et de formation en communication et en marketing ANTIDOX et l'agence en communication stratégique PLEAD, afin que ces dernières déploient une stratégie plus offensive pour contrôler favorablement l'image de CASINO dans les médias.

L'ordonnance attaquée énonce que, concernant la société ANTIDOX, celle-ci semble avoir été ainsi chargée de faire supprimer par le service de modération du forum Boursorama, pour le compte de CASINO sans toutefois mentionner son mandant, des publications qui diffusaient des informations dérangeantes ou négatives sur CASINO. ANTIDOX pourrait avoir utilisé par ailleurs des comptes anonymes pour intervenir à grande échelle sur plusieurs réseaux (comme le forum Boursorama et Twitter), et ainsi maîtriser favorablement l'information diffusée sur CASINO et RALLYE ainsi que sur le cours de leur titre. Enfin, ANTIDOX pourrait avoir diffusé de manière anonyme des articles favorables à CASINO, parfois rédigés et en tout état de cause validés par l'émetteur. Ces articles étaient rédigés en respectant au mieux les critères de classement du moteur de recherche Google (technique du « Search Engine Optimization »), afin d'optimiser le référencement et la visibilité de ces publications sur Internet. Ces actions et leurs effets étaient régulièrement relayés au président directeur-général de CASINO, M. [V] [B].

L'ordonnance attaquée énonce en outre que, concernant la société PLEAD, celle-ci pourrait avoir été chargée de diffuser de manière anonyme des articles favorables à CASINO à la demande spécifique de ce dernier afin d'augmenter le « volume de contenus positifs (et) améliorer le référencement sur les moteurs de recherche ». PLEAD a par ailleurs vraisemblablement organisé des entretiens avec des journalistes et des personnes référentes sur une thématique partageant la vision de CASINO (notamment concernant la vente à découvert), afin que cette vision soit ultérieurement reprise dans des journaux de presse. En second lieu, cette entreprise pourrait avoir publié sur certains réseaux sociaux des publications éphémères (stories) ou permanentes (vidéos) favorables à CASINO par des influenceurs qualifiés par PLEAD comme des « personnes de confiance avec qui [PLEAD] travaill(e) régulièrement ». Le contenu de ces publications était vraisemblablement pré-rédigé par PLEAD et validé par CASINO avant toute diffusion.

Il est affirmé que les actions menées et les informations diffusées par CASINO et les sociétés ANTIDOX et PLEAD, pour le compte et à la demande de CASINO, sont susceptibles d'avoir conduit à la diffusion d'informations fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives financières et extra-financières de CASINO, et/ou d'avoir donné des indications trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours du titre CASINO ; en outre, en ne révélant pas l'identité de CASINO, ANTIDOX, PLEAD et CASINO sont susceptibles d'avoir adopté des comportements susceptibles d'affecter le cours du titre CASINO, en ayant eu recours à des procédés fictifs, tromperies ou artifices.

Il est donc considéré que l'ensemble de ces faits sont susceptibles de constituer les éléments matériels des infractions prévues et réprimées par les articles L.465-1 à L.465-3-3 du CMF, à savoir, d'une part, l'adoption d'un comportement qui affecte le cours d'un instrument financier, en ayant recours à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice et, d'autre part, la diffusion, par tout moyen, d'informations qui donnent des indications fausses et trompeuses sur la situation ou les perspectives d'un émetteur ou sur l'offre, la demande ou le cours d'un instrument financier ou qui fixent ou sont susceptibles de fixer le cours d'un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel.

Dans ces conditions, le juge des libertés et de la détention considère que les éléments et pièces invoqués sont de nature à justifier la visite domiciliaire demandée en application de l'article L.621-12 du Code monétaire et financier aux fins de saisie de toutes pièces ou tous documents utiles à la manifestation de la vérité et susceptibles de caractériser les infractions susvisées, et ce, quels qu'en soient la nature et le support, y compris, mais sans y être limités, les ordinateurs, les téléphones ou autres appareils permettant la conservation et le traitement de données électroniques, ou toute donnée accessible depuis ces appareils.

La requête du secrétaire général apparaissant fondée, il y a été fait droit.

LA PROCÉDURE

La société CASINO GUICHARD-PERRACHON a interjeté appel de cette ordonnance le 6 septembre 2023 et exerçait le 8 septembre 2023 un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées au [Adresse 2], le 7 septembre 2023.

L'affaire a été audiencée pour être plaidée le 24 avril 2023.

SUR L'APPEL

La société CASINO GUICHARD-PERRACHON par conclusions n° 2 en date du 12 avril 2024, demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :

- Annuler et subsidiairement infirmer l'ordonnance du Juge des libertés et de la détention du 1er septembre 2023 ;

- Prononcer la nullité de l'ensemble des actes subséquents à l'ordonnance d'autorisation du Juge des libertés et de la détention du 1er septembre 2023 dont elle est le support nécessaire et notamment le procès-verbal de transport, de notification et de remise de documents et le procès-verbal de visite domiciliaire et de saisie dressés le 6 septembre 2023 dans les locaux de la société CASINO GUICHARD-PERRACHON ainsi que ses annexes ;

- Ordonner la restitution des éléments saisis dans les bureaux de la société CASINO GUICHARD-PERRACHON le 6 septembre 2023 ;

- Débouter l'Autorité des Marchés Financiers de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner l'Autorité des Marchés Financiers au paiement de la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner l'Autorité des Marchés Financiers aux dépens.

L'Autorité des marchés financiers, dans ses observations sur l'appel reçues au greffe le 22 mars 2024, demande au Premier président de la cour d'appel de Paris de :

- Prononcer la jonction des instances RG n° 23/103976 et 23/14094 ;

- Dire et juger que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Créteil du 1er septembre 2023 est bien fondée et la confirmer ;

- Dire et juger que les opérations de visite domiciliaire du 6 septembre 2023 se sont valablement déroulées ;

- Dire et juger que les demandes et allégations contraires de Casino sont infondées et les rejeter ;

En conséquence,

- Débouter Casino de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner Casino à régler à l'AMF la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions n° 2 en date du 12 avril 2024, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON fait valoir :

La société CASINO GUICHARD-PERRACHON demande l'annulation de l'ordonnance du 1er septembre 2023 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris aux motifs qu'elle serait entachée de nullité en ce qu'elle violerait des principes fondamentaux de la procédure et serait infondée.

La société CASINO GUICHARD-PERRACHON développe un premier moyen de nullité de l'ordonnance selon lequel, d'une part, le secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, dans sa requête, n'aurait pas respecté les principes de loyauté et d'équité et, d'autre part, le juge des libertés et de la détention, dans son ordonnance du 1er septembre 2023, aurait violé le principe d'impartialité « et les règles sanctionnant l'excès de pouvoir ».

En premier lieu, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON soutient que les principes de loyauté et d'équité, selon elle applicables aux procédures d'enquêtes de l'AMF, n'auraient pas été respecté en ce que, d'une part, l'enquête sur laquelle se fonde la requête de l'AMF n'a permis d'identifier aucun fait préexistant susceptible de caractériser des manquements ou abus, pouvant faire l'objet d'une qualification, en violation du principe dit de la saisine in rem. Il est soutenu que l'enquête n° 2020-13, support de l'ordonnance, serait illicite car les huit ordres de mission délivrées à ce titre, ne s'appuient ni sur des faits, ni sur des qualifications des infractions recherchées et que l'enquête ne serait pas limitée dans le temps et serait d'une durée indéterminée, à compter du 1er janvier 2018. Il est soutenu que la requête du secrétaire général aux fins de solliciter la mise en 'uvre de l'article L.621-12 du CMF se fonde sur un acte support illicite du fait de cette absence de délimitation précise du champ de l'enquête, et des pouvoirs des enquêteurs pour ce faire.

D'autre part, il est soutenu que les pièces présentées à l'appui de la requête de l'AMF étaient, à la date de leur présentation au juge des libertés et de la détention, judiciairement contestées. L'appelante soutient que l'AMF aurait volontairement fait une présentation erronée des faits au moyen de pièces judiciairement contestées en ce qu'un certain nombre de pièces communiquées par l'AMF au soutien de sa requête sont contestées dans le cadre d'un recours contre le déroulement d'opérations de visite et de saisie ayant eu lieu le 16 mai 2022 dans les locaux de la société, et qui était pendant et susceptible d'annulation.

L'appelante énonce en outre qu'il serait indifférent que, postérieurement à l'ordonnance attaquée, le recours contre les opérations de visite et de saisie n'ait pas conduit à l'annulation de ces opérations, dès lors qu'au jour où l'ordonnance a été rendue, ce recours était pendant et que la saisie de nombre de pièces invoquées au soutien de la seconde requête était susceptible d'être annulée.

En second lieu, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON soutient que le juge des libertés et de la détention aurait violé les principes d'impartialité et des règles qui sanctionnent l'excès de pouvoir en ce que, d'une part, ce dernier était dans l'impossibilité matérielle de rendre une telle ordonnance dans les conditions factuelles qui étaient les siennes.

L'appelante soutient que, l'ordonnance et la requête étant datées du même jour, le juge des libertés et de la détention n'aurait pas pu, dans le délai d'une journée, apprécier les éléments de fait et droit de la requête.

D'autre part, l'appelante soutient que l'ordonnance litigieuse excéderait les prévisions de l'article L. 612-12 du CMF. Il est soutenu que l'ordonnance serait entachée d'excès de pouvoir en ce qu'elle ne précise pas l'infraction ou les infractions pour lesquelles l'AMF est autorisée à rechercher des preuves, mais viserait plus largement toutes les infractions prévues par les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du CMF relatives aux atteintes à la transparence des marchés financiers. L'appelante soutient que l'ordonnance litigieuse aurait donné une autorisation générale de visite et de saisie pour l'ensemble des infractions visées par l'article L. 621-12 du CMF, sans limiter son autorisation à la recherche des preuves de l'infraction ou des infractions pour lesquelles l'AMF a justifié d'indices et de présomptions. Elle soutient que, ce faisant, le juge a excédé les pouvoirs qui lui sont donnés par la loi ou, à tout le moins, a rendu une décision mal fondée.

Enfin, l'appelante soutient que l'ordonnance litigieuse aurait été rendue ultra petita. Il est soutenu que le juge des libertés et de la détention aurait méconnu l'objet de la requête et excédé ses pouvoirs en motivant son ordonnance sur des soupçons d'infractions qui n'étaient pas même allégués dans la requête, alors qu'il n'a que le pouvoir de vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; et qu'il aurait statué ultra petita, dès lors que la requête sollicite l'autorisation du juge des libertés et de la détention pour procéder à des saisies permettant d'établir une seule infraction, celle de manipulation de marché, et pas l'intégralité des infractions d'abus de marché, telle que l'ordonnance l'a néanmoins retenue.

L'appelante soutient encore que les infractions dont la preuve est recherchée dans le cadre de la visite sont énoncées dans l'ordonnance litigieuse qui ne vise en fait que le seul délit de manipulation de marché et ne seraient aucunement énoncées par le visa de l'ordonnance en page 1.

La société CASINO GUICHARD-PERRACHON développe un autre moyen tiré de la violation, par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Créteil, dans son ordonnance du 1er septembre 2023, des conditions de mise en 'uvre de l'article L.621-12 du CMF.

En premier lieu, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON soutient que le juge n'aurait pas expressément visé, ni analysé les pièces invoquées par l'AMF, dans son ordonnance, qu'il se serait contenté d'une mention générique visant les pièces qui lui étaient soumises de manière globale, et qu'aucune analyse in concreto de ces pièces ne figure dans l'ordonnance litigieuse.

En deuxième lieu, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON relève une absence de caractérisation de la présomption selon laquelle cette dernière aurait participé à des faits constitutifs d'une diffusion fausse ou trompeuse d'information. Il est soutenu que la requête de l'AMF n'évoquerait, à aucun moment, la diffusion par CASINO, directement ou indirectement, d'informations fausses ou trompeuses sur les réseaux sociaux ou par voie de presse, ni que les pièces produites à l'appui de la requête permettent d'étayer une telle affirmation. En l'absence de tout indice d'une diffusion d'information fausse ou trompeuse, l'ordonnance ne pouvait autoriser l'AMF à rechercher les preuves d'un tel comportement. L'appelante soutient que, si l'AMF affirme désormais que des soupçons d'une diffusion d'information fausse ou trompeuse découleraient du schéma de dissimulation employé par CASINO et les agences auxquelles elle a eu recours, l'AMF ne peut modifier l'objet de la requête a posteriori.

L'appelante soutient encore que l'AMF a présenté une requête affirmant que la dissimulation de l'identité des auteurs de commentaires et d'articles constituait un indice de manipulation du marché du titre CASINO, mais n'aurait jamais soutenu que les commentaires et articles ainsi diffusés contenaient des informations fausses ou trompeuses ou constitueraient des indices de la diffusion d'informations fausses ou trompeuses. En outre, l'appelante soutient qu'il n'existe pas de lien entre le fait de ne pas indiquer le nom de l'auteur d'un article et le fait de publier un article contenant de fausses informations.

L'appelante soutient en outre que l'AMF n'aurait pas sollicité l'autorisation de visite domiciliaire aux fins de rechercher des éléments susceptibles de caractériser l'infraction de diffusion d'informations fausses ou trompeuses et que l'ordonnance ne pouvait que vérifier si la demande d'autorisation était fondée, ne pouvait y ajouter et autoriser la recherche d'éléments susceptibles de caractériser le délit de diffusion de fausses informations, alors qu'aucun indice de l'existence de ce délit n'était même allégué.

En troisième lieu, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON argue de l'absence de caractérisation d'une présomption selon laquelle la société aurait participé à des faits constitutifs d'une présomption de manipulation du marché du cours du titre CASINO.

D'une part, s'agissant des forums du site Boursorama, l'appelante soutient, qu'en l'espèce, l'ordonnance a considéré que l'utilisation de profils masqués pour répondre à des commentaires négatifs et les rendre moins visibles est susceptible de caractériser le délit de manipulation de cours, alors qu'un tel reproche ne prend pas en considération le fait que les forums sont précisément régis par le principe d'anonymat, les intervenants ne donnant pas leur identité, mais choisissant au contraire d'utiliser un ou plusieurs « pseudos », via un ou plusieurs comptes, pour poster des commentaires dont le nombre et le contenu ne sont pas limités (sauf l'intervention du service de modération du site, auquel CASINO a dû avoir recours à plusieurs reprises), qu'ils proposent des filtres qui permettent aux utilisateurs de lire les post selon l'ordre et la présentation de leur souhait. Ainsi peuvent être triés par les lecteurs les analystes techniques, les posts recommandés, les posts émis par tous les membres du forum, etc. Il n'est pas soutenu que les commentaires reprochés à CASINO auraient véhiculé des informations inexactes, la requête ne le soutient d'ailleurs pas. Le reproche selon lequel CASINO posterait des commentaires relatifs à des évènements susceptibles d'impacter le cours du titre n'est pas démontré par les exemples invoqués par l'AMF. Un tel reproche paraît d'autant plus incompréhensible pour l'appelante qu'il reviendrait à interdire à CASINO toute action de communication sous peine de manipuler le cours du titre, alors même que cette communication ne consiste pas en la diffusion d'informations fausses ou trompeuses et que, de surcroît, une telle communication est exclusive de toute action sur le marché du titre CASINO.

D'autre part, s'agissant des interventions de l'agence ANTIDOX, l'appelante soutient, qu'en l'espèce, l'AMF n'évoque dans sa requête que des actions visant, soit à diffuser des avis de valeurs ou des jugements (sur les forums ou par le biais d'articles de presse), soit à relayer la ligne de communication arrêtée par le groupe CASINO en lien avec certains événements la concernant. Il n'est pas soutenu qu'il aurait été véhiculé des informations inexactes. Or on ne peut interdire à CASINO toute action de communication sous peine de manipuler le cours du titre, alors même que cette communication ne consiste pas en la diffusion d'informations fausses ou trompeuses. En outre, la communication est exclusive de toute action sur le marché du titre CASINO.

Enfin, s'agissant des interventions de l'agence PLEAD, l'appelante soutient qu'en l'espèce, il est difficile de voir en quoi des articles de presse seraient susceptibles de fixer le cours de Casino, ou celui de n'importe quelle autre société citée, à un cours anormal, ni en quoi elle caractériserait le recours à des procédés fictifs ou toute autre forme de tromperie ou d'artifice. Il est soutenu que des simples faits de diffusion d'articles anonymes favorables à CASINO pour améliorer le référencement du groupe sur les moteurs de recherche, l'organisation d'interventions et de débats (de journalistes et de juristes spécialistes) débattant des méthodes et des objectifs des activistes, la publication sur les réseaux sociaux, par des influenceurs, de messages favorables à CASINO ne peuvent être constitutifs d'une présomption de manipulation de cours.

Dans ses conclusions en date du 22 mars 2024, l'Autorité des marchés financiers demande la confirmation de l'ordonnance du 1er septembre 2023 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris aux motifs qu'elle ne serait entachée d'aucune nullité et qu'elle serait parfaitement fondée.

L'Autorité des marchés financiers développe un premier moyen selon lequel l'ordonnance du 1er septembre 2023 est valide.

En premier lieu, l'AMF soutient qu'au stade de l'enquête, le principe de la saisine in rem est inapplicable et que le Premier président, saisi sur le fondement de l'article L.621-12 du CMF n'est pas le juge de la loyauté de l'enquête et n'est pas le juge du fond, il ne peut statuer en dehors de son office.

En deuxième lieu, l'AMF soutient que le juge des libertés et de la détention ayant autorisé les opérations de visite et de saisie à l'encontre de CASINO avait parfaitement connaissance de ce que les pièces à l'appui de la requête de l'AMF étaient issues d'une saisie antérieure, qui faisait l'objet d'une contestation judiciaire, l'AMF ayant indiqué très clairement dans sa requête qu'elle se fondait sur des pièces sont la saisie était contestée.

En outre, l'AMF soutient qu'elle a présenté de manière objective les faits motivant sa requête et qu'à supposer même qu'elle n'ait pas porté à la connaissance du juge des libertés et de la détention tous les éléments d'information en sa possession de nature à justifier les visites, CASINO ne rapporte pas en l'espèce la preuve que les éléments dont elle fait état dans ses conclusions auraient modifié l'analyse du juge des libertés et de la détention. D'une part, dans sa requête, l'AMF a explicité le contexte dans lequel CASINO a eu recours aux sociétés ANTIDOX et PLEAD en 2018.

D'autre part, dans sa requête, l'AMF a fait état de l'existence de nombreux messages sur les forums boursiers ou sur les réseaux sociaux, considérés comme « dérangeants ou négatifs » par CASINO. Enfin, la requête détaille la communication, par plusieurs ONG, en 2020/2021, au sujet d'une possible implication de CASINO dans la déforestation en Colombie et au Brésil. La requête expose également les griefs de Casino contre cette campagne, et notamment l'existence de notes adressées par Casino au Parquet National Financier pour la dénoncer. Il résulte de ce qui précède, que contrairement à ce que soutient CASINO dans ses écritures, le juge des libertés et de la détention a bien eu « connaissance des circonstances dans lesquelles la communication de CASINO et de son dirigeant a été réalisée » et n'a, en aucun cas, été trompé sur l'existence d'une éventuelle manipulation de marché. Au surplus, un grand nombre d'éléments mis en avant par CASINO constituent des appréciations subjectives de CASINO, dont l'AMF ne peut se faire le relais auprès du juge de la liberté et de la détention. En tout état de cause, les attaques dont CASINO se considère victime ne sauraient légitimer d'éventuelles manipulations de cours. Elles ne font pas obstacle à la réalisation d'une visite domiciliaire par les enquêteurs de l'AMF dès lorsqu'il existe des indices de commission d'abus de marché conformément, à l'article L. 621-12 du CMF.

Troisièmement, l'AMF soutient que rien ne permet à CASINO de présumer que le juge des libertés et de la détention n'aurait pas exercé l'office qui lui est dévolu par l'article L.621-12 ; le seul fait que la requête et l'ordonnance ont été rédigés le même jour ne suffisant pas à présumer d'un manquement par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Créteil s'agissant du contrôle qui lui incombe. Incidemment, le nombre de pages de la requête ou le nombre de pages des pièces produites à son soutien étant sans importance dès lors que de très nombreuses pages contiennent des copies de conversations WhatsApp ou autres messageries et sont donc particulièrement rapides à lire.

En dernier lieu, l'AMF soutient, d'une part, qu'en l'espèce, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Créteil ne s'est pas affranchi des limites des prérogatives que la loi lui attribue, l'ordonnance ne faisant qu'autoriser, au visa des articles L. 465-1 à L. 465-3-3 CMF, les mesures spécifiquement prévues par l'article L. 621-12 CMF, sur le fondement duquel le juge des libertés et de la détention a été saisi et n'a donc commis aucun excès de pouvoir. L'ordonnance du 1er septembre 2023 vise strictement, et uniquement, les textes spécifiés par l'article L. 621-12 CMF, si bien que le juge des libertés et de la détention n'a pas autorisé de visite domiciliaire pour la recherche d'infractions autres que celles visées par l'article L. 621-12 CMF. Il n'a donc pas excédé ses pouvoirs juridictionnels. Au surplus, la décision d'ouverture d'enquête porte sur le marché des titres CASINO et RALLYE. Elle n'est pas limitée à une infraction en particulier.

L'AMF soutient, d'autre part, que le juge des libertés et de la détention n'a pas statué ultra petita puisqu'il a strictement répondu aux demandes de l'AMF exprimées dans sa requête, ni plus ni moins.

L'Autorité des marchés financiers soutient que l'ordonnance d'autorisation est parfaitement fondée. L'AMF soutient, qu'en l'espèce, elle a justifié le bien-fondé de sa demande d'autorisation en soumettant au juge des libertés et de la détention des soupçons et indices suffisants et ce, d'une part, en ayant fourni au juge des libertés et de la détention l'ensemble des éléments et indices en sa possession, ce qui a déterminé le juge à autoriser les mesures et, d'autre part, en développant une analyse à laquelle les allégations de CASINO ne peuvent résister, à savoir que CASINO aurait employé, à l'aide des agences auxquelles elle eu recours, un schéma de dissimulation, de nature à faire soupçonner une diffusion d'informations fausses ou trompeuses. L'AMF soutient que la requête a montré que le schéma de dissimulation mis en place par CASINO et ses conseils ne s'était pas limité aux forums boursiers, mais avait été étendu à des articles ou des tribunes dans la presse ; que ce schéma de dissimulation est, en soi, susceptible de constituer un procédé fictif ou trompeur puisqu'il consiste à ne pas révéler la véritable identité des auteurs des messages ou articles ou tribunes concernés ; qu'au vu de ce schéma intentionnellement opaque, CASINO ne saurait donc raisonnablement faire grief à l'AMF de ne pas démontrer, au stade de l'enquête, l'existence de la manipulation, alors même que les opérations de visite ont « justement pour but la découverte de documents établis à l'époque [des faits], susceptibles d'administrer une telle preuve » ; qu'en tout état de cause, le débat que CASINO tente d'instaurer relève, là encore, d'un débat de fond, qui échappe à la compétence du juge saisi sur le fondement de l'article L.621-12 CMF.

Le ministère public est d'avis que, selon une jurisprudence constante, l'enquête menée par l'Autorité des marchés financiers respecte les règles de la loyauté procédurale. Sur les griefs de la société appelante, le ministère public considère :

- que le grief selon lequel l'Autorité des marchés financiers n'aurait pas respecté, dans son enquête, le principe de la saisine in rem n'est pas fondé. La saisine in rem, en effet, signifie que l'autorité judiciaire saisie est saisie de faits caractérisés, et non de poursuites contre des personnes (saisine in personam). Or ici, l'enquête porte bien sur les actes que la société et ses cocontractants ont effectué pour défendre le cours du titre CASINO et du titre RALLYE, alors que ces cours étaient en baisse en raison des difficultés de ces entreprises et de l'intervention de vendeurs à découvert, laquelle ne pouvait qu'accentuer la rapidité de la baisse. Selon le ministère public, il s'agit donc de déterminer, dans ce dossier, si ces actes « défensifs » sont licites ou s'ils sont constitutifs, en tout ou partie, de l'une ou plusieurs des infractions prévues par les articles L. 465-1 à L. 465-33 du code monétaire et financier, le périmètre de l'enquête n'étant nullement inconnu ;

- que le grief selon lequel l'Autorité des marchés financiers n'aurait pas respecté le principe de loyauté procédurale en fournissant à l'appui de sa requête de nombreuses pièces issues de l'opération de visite domiciliaire et de saisies du 16 mai 2022, opérations et saisies en cours de contestation devant la présente chambre, n'est pas fondé. Selon le ministère public, le juge des libertés et de la détention n'a en réalité nullement été trompé car le fait que des recours soient en cours d'instance était expressément mentionné en page 4 de la requête. C'est donc en toute connaissance de cause que le juge des libertés et de la détention a pris en compte ces éléments.

- que le grief selon lequel l'Autorité des marchés financiers aurait présenté de façon trompeuse les faits au juge des libertés et de la détention n'est nullement démontrée par l'appelante, dont on comprend bien qu'elle ne partage pas les soupçons et les inquiétudes de l'Autorité des marchés financiers, car elle considère, pour sa part, n'avoir fait que se défendre de façon légitime, en utilisant des moyens légaux, contre des attaques injustifiées en Bourse. Mais le ministère public estime qu'il s'agit du débat de fond, qui devra avoir lieu après l'enquête, lors d'éventuelles poursuites ; le fait de mettre en avant des indices d'infractions n'étant nullement, de la part de l'Autorité des marchés financiers, un signe de déloyauté à ce stade de l'enquête. Selon le ministère public, ce moyen d'annulation ne pourra donc qu'être rejeté.

Sur la violation alléguée du principe d'impartialité et la commission d'un excès de pouvoir, le ministère public ne partage pas les critiques faites contre l'ordonnance querellée.

Sur l'apparence d'impartialité, le ministère public rappelle qu'il a été jugé de façon abondante que le délai pris entre la requête et l'ordonnance ne peut suffire à fonder une critique de cette dernière, et qu'il en va de même de la fourniture d'une ordonnance pré-rédigée au juge des libertés et de la détention : en effet, il est tout à fait possible de rendre une telle ordonnance en une journée si le juge des libertés et de la détention saisi n'a pas été dérangé le jour où il l'a étudiée, et le fait qu'elle soit prérédigée ne l'empêche pas, au contraire, de supprimer ou d'ajouter des arguments et de déterminer la motivation qu'il estime devoir écrire. Le ministère public souligne qu'en l'espèce, l'ordonnance rendue contenait des motifs précis et circonstanciés, et rien ne permet donc de remettre en cause l'impartialité, l'apparence d'impartialité et même le travail de son auteur.

Sur le grief fondé sur l'excès de pouvoir et sur le fait que le juge des libertés et de la détention aurait statué ultra petita, le ministère public fait valoir que ce juge a été saisi d'une requête fondée sur une enquête recherchant si, sur le marché des titres CASINO et RALLYE depuis le 1er janvier 2018, des infractions prévues par les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du code monétaire et financier avaient été commises. Le ministère public est donc d'avis que dans son ordonnance, le juge des libertés et de la détention de [Localité 7] a autorisé des opérations de visites domiciliaires et de saisies pour les infractions pour lesquelles il avait été saisi, et qui correspondent également à celles prévues par l'article L. 621-12 du code monétaire et financier. Il n'a donc ni excédé ses pouvoirs, puisqu'il a respecté les prévisions du texte, ni statué ultra petita, puisqu'il a fait droit à la requête sans que sa décision n'accorde plus à l'Autorité des marchés financiers que ce qu'elle avait demandé.

Selon le ministère public, ce moyen d'annulation ne pourra donc qu'être rejeté.

Sur le grief de l'appelante selon lequel l'ordonnance du 1er septembre 2023 devrait être infirmée à titre subsidiaire car elle serait infondée, la requête et les pièces produites à son soutien ne contenant aucun indice d'une diffusion d'informations fausses ou trompeuses ni d'une manipulation de cours, le ministère public rappelle, à l'aune de la jurisprudence de cette juridiction, que le juge des libertés et de la détention, qui n'est pas le juge du fond, n'a pas à vérifier si tous les éléments constitutifs des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3, sont caractérisés dans la requête qui lui est soumise. En l'espèce, le ministère public est d'avis qu'il n'est pas contestable que la requête de 43 pages, avec 82 pièces jointes, établie par l'Autorité des marchés financiers et présentée au juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Créteil articulait des soupçons ou indices suffisants pour justifier une visite domiciliaire afin de rechercher des éléments de preuve des infractions suspectées, à ce stade de l'enquête, d'avoir été commises. Il est donc d'avis que ce moyen d'annulation ne pourra donc qu'être rejeté.

SUR LE RECOURS

La société CASINO GUICHARD-PERRACHON demande de :

- Annuler les opérations de visite et saisie de l'AMF chez CASINO GUICHARD- PERRACHON le 6 septembre 2023 et les actes subséquents ;

- Annuler le procès-verbal de visite domiciliaire et de saisie de documents dans les bureaux de la société CASINO GUICHARD-PERRACHON du 6 septembre 2023 et les actes subséquents ;

- Ordonner la restitution de l'ensemble des documents saisis à la société CASINO GUICHARD-PERRACHON ;

- Rejeter l'AMF en toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner l'AMF au paiement de la somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions n° 2 en date du 12 avril 2024, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON fait valoir :

La société CASINO GUICHARD-PERRACHON demande l'annulation des opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées le 6 septembre 2023 dans les locaux sis [Adresse 2] aux motifs que le procès-verbal du 6 septembre 2023 ne permettrait pas de contrôler que les éléments saisis sont dans le champ de l'ordonnance et que certains éléments saisis seraient en dehors du champ de l'ordonnance.

La société CASINO GUICHARD-PERRACHON développe un premier moyen selon lequel le procès-verbal du 6 septembre 2023 ne permettrait pas de contrôler que les éléments saisis entrent dans le champ de l'ordonnance en ce qu'il ne précise pas l'objet et les critères de « recherche » et de l'application de « mots-clés » qui a permis aux enquêteurs d'établir, de sélectionner les éléments qui ont été saisis ; en ce qu'il est seulement affirmé par les enquêteurs que les éléments saisis auraient un lien avec l'ordonnance ; en ce que l'AMF a sollicité de CASINO la transmission d'éléments complémentaires au courant de la journée du 6 septembre 2023 dans le prolongement des opérations de visite et de saisie, sans effectuer aucune sélection, s'agissant précisément de l'extraction du contenu des OneDrive (espace de stockage personnel) de M. [Z] [H], Mmes [Y] [G] et [X] [T], l'historique de navigation et informations de comptes et de profils utilisés sur les navigateurs des mêmes personnes, la liste des applications installées sur les postes de travail des mêmes personnes, l'export de la dernière sauvegarde des messageries des mêmes personnes, outre celles de M. [W] [N] et Mme [I] [S] ; en ce que, par courrier du 12 septembre 2023 en réponse à un courriel des enquêteurs du 7 septembre 2023, la société CASINO a fait parvenir à ces derniers une copie des boîtes de messageries complètes de Mme [X] [T], Mme [Y] [G].

La société CASINO GUICHARD-PERRACHON développe un second moyen selon lequel certains éléments saisis seraient en dehors du champ de l'ordonnance, à l'instar de certains fichiers informatiques contenus dans les boîtes de messageries intégralement saisies. La requérante ne produit pas les éléments saisis qu'elle considère ne pas entrer dans le champ de l'ordonnance. En réponse à l'AMF, elle soutient que produire de telles pièces équivaudrait à un renversement de la charge de la preuve et qu'il appartient à l'AMF d'établir que les éléments saisis entrent dans le champ de l'ordonnance.

L'Autorité des marchés financiers demande à cette juridiction de :

- Prononcer la jonction des instances RG n° 23/103976 et 23/14094 ;

- Dire et juger que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Créteil du 1er septembre 2023 est bien fondée et la confirmer ;

- Dire et juger que les opérations de visite domiciliaire du 6 septembre 2023 se sont valablement déroulées ;

- Dire et juger que les demandes et allégations contraires de Casino sont infondées et les rejeter ;

En conséquence,

- Débouter Casino de l'ensemble de ses demandes ;

- Condamner Casino à régler à l'AMF la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses conclusions en date du 22 mars 2024, l'Autorité des marchés financiers demande le rejet du recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie selon une argumentation divisée en deux parties.

L'Autorité des marchés financiers soutient que les opérations de saisie sont valides en ce que l'absence d'indication des critères de recherches ou des mots-clés utilisés par les enquêteurs dans le procès-verbal de saisie n'est pas de nature à entraîner l'irrégularité des opérations de saisie ; en ce que les enquêteurs ont eu la préoccupation de ne saisir que des éléments entrant dans le champ de l'autorisation mais que, s'agissant des boites de messagerie, elles sont par nature insécables et que le seul fait que des données ou documents étrangers à l'objet de l'autorisation du juge des libertés et de la détention se trouvent dans les fichiers saisis, notamment des messageries électroniques, n'a pas pour effet d'invalider la saisie dans son ensemble, dès lors que parmi les éléments saisis certains sont utiles à l'enquête ; en ce que le Premier président saisi sur le fondement de l'article L.621-12 du CMF n'est pas compétent pour statuer sur les documents qui auraient été volontairement remis par CASINO aux enquêteurs de l'AMF postérieurement à la clôture des opérations de visite et de saisie, qu'au surplus, et dans la mesure où CASINO a consenti à remettre ces éléments hors tout pouvoir de contrainte des enquêteurs, elle n'est pas fondée à solliciter la restitution desdits éléments, qui n'ont pas été saisis, et qu'à titre surabondant, un tri a bien été effectué, à la demande CASINO, et les correspondances protégées par le secret professionnel de l'avocat ont été exclues.

L'Autorité des marchés financiers considère en second lieu qu'aucun élément hors du champ de l'ordonnance du 1er septembre 2023 n'aurait été saisi. L'AMF soutient à toutes fins, dans le cadre du débat contradictoire devant le Premier Président, que la charge de la preuve que certains documents devraient être exclus du champ des saisies incombe aux demandeurs et qu'en l'espèce, la charge de la preuve de ce que certains documents devraient être exclus du champ des saisies incombe à CASINO mais qu'aucun élément n'a été versé aux débats.

Le ministère public, sur le moyen selon lequel le procès-verbal du 6 septembre 2023 ne permettrait pas de contrôler que les éléments saisis entrent dans le champ de l'ordonnance, ne partage pas les critiques ainsi développées contre les opérations effectuées, rien ne démontrant lors de ces opérations une violation des textes applicables tels qu'ils sont interprétés par la jurisprudence. Le ministère public rappelle qu'il est établi par une jurisprudence constante que l'administration n'a pas à communiquer les mots-clés ou les éléments de sélection des documents utilisés par elle et, qu'il est établi que les enquêteurs n'ont pas procédé à des saisies indifférenciées, puisqu'ils ont laissé de côté plusieurs sources possibles (l'IPHONE 8 et les clés SB de [Z] [H], le téléphone portable de l'équipe Communication, etc.). Le ministère public est donc d'avis que ce moyen d'annulation ne pourra donc qu'être rejeté.

Sur le grief selon lequel des éléments auraient été saisis se trouvant en dehors du champ de l'ordonnance, il n'est plus contesté depuis longtemps que si l'article L. 621-12 du code monétaire et financier constitue sans aucun doute une ingérence dans le respect dû à la vie privée des citoyens, cette ingérence respecte les limites indispensables à la sauvegarde de cette dernière selon la jurisprudence pertinente de la Cour de cassation qui est citée (Cass. Ass. plén., 16 décembre 2022, n° 21-23.685 et n° 21-23.719).

MOTIVATION

SUR L'APPEL

Sur le moyen tiré de la violation des principes de loyauté et d'équité :

La société appelante prétend que l'enquête 2020-13, fondement de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 1er septembre 2023, s'abstient de toute référence à des faits ou à des qualifications qui en détermineraient l'étendue et la justifierait. Il est ainsi soutenu que les ordres de mission de l'enquête délivrés par le Secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers le 24 mars 2020 ne s'appuient ni sur des faits, ni sur des qualifications qui pourraient conduire à des sanctions et ne sont pas limités dans le temps. Il est de la sorte prétendu que les enquêteurs se verraient investis d'un pouvoir général d'accomplir des actes intrusifs et susceptibles de porter atteinte à des droits et libertés fondamentaux, non pas pour établir la réalité de faits préexistants dont les indices laissent supposer qu'ils caractériseraient un manquement, mais pour rechercher a posteriori l'existence éventuelle de ces faits ; alors même que les actes de mission ne relèvent ni faits, ni qualifications porteurs d'indices laissant croire à des manquements ou abus de marché.

Toutefois, il convient de rappeler que le juge des libertés et de la détention doit, aux termes de l'article L. 621-12 du Code monétaire et financier, « vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession de l'Autorité de nature à justifier la visite ».

Ainsi le juge des libertés et de la détention, qui n'est pas le juge du fond, n'a pas à vérifier si tous les éléments constitutifs des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3, sont caractérisés dans la requête qui lui est soumise, mais il doit s'assurer que les éléments recueillis dans le cadre de l'enquête diligentée par l'Autorité des Marchés financiers constituent des soupçons ou indices suffisants pour justifier une visite domiciliaire afin de rechercher des éléments de preuve des infractions susvisées.

L'enquête de l'Autorité des marchés financiers et partant, les opérations de visite et de saisies autorisées par le juge des libertés et de la détention ont précisément pour objet d'établir la matérialité d'éventuelles infractions prévues et réprimées par les articles L.465-1 à L. 465-3-3 du Code monétaire et financier.

Ainsi, le juge des libertés et de la détention, qui n'est pas le juge du fond, tient ses prérogatives des dispositions de l'article L. 621-12 du Code monétaire et financier, qui prévoit uniquement qu'il doit vérifier si la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée. Il ne connaît pas de l'ensemble de l'enquête de l'Autorité des marchés financiers, mais seulement de l'opportunité d'ordonner des opérations de visite domiciliaire et de contrôler leur régularité.

L'appelante n'est donc pas fondée à contester, dans ce cadre bien limité par la loi, ni la possibilité pour l'Autorité des marchés financiers de procéder en amont à l'enquête n° 2020-13 portant sur le marché des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, et sur tout instrument financier dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE ou a un effet sur le cours ou la valeur de ces titres à compter du 1er janvier 2018 et en particulier de sa prétendue non-conformité au principe de la saisine in rem, ni une prétendue violation du respect des droits de la défense au cours de cette enquête.

Le moyen sera écarté.

Sur le moyen tiré de la production de pièces annexées à la requête dont la saisie est contestée :

Il est soutenu par l'appelante que l'Autorité des marchés financiers a produit des pièces saisies dans les locaux de Casino (situé au [Adresse 3]) au soutien de sa présente requête dans le cadre d'une autre procédure de visite domiciliaire autorisée par une ordonnance du 11 mai 2022 du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Paris, qui s'est déroulée le 16 mai 2022 et faisant, à la date de la requête, l'objet d'un recours devant cette juridiction (pièces n° 10 à 17, 21 à 25, 29 à 34, 40 à 42, 44, 46, 53, 53 bis, 54, 63, 73 à 79, 81 et 82).

Toutefois, l'Autorité des marchés financier a informé le juge des libertés et de la détention dans le cadre de cette requête, en page 4, de ce que certaines pièces recueillies dans le cadre de la visite domiciliaire du 16 mai 2022 appuient la présente requête. Casino a interjeté appel de l'ordonnance et a formé un recours contre le déroulement des opérations de visite et de saisie.

Le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Créteil était donc parfaitement informé des appels et recours pendants concernant certaines des pièces visées à la requête. Il lui était donc parfaitement loisible de rejeter la demande d'autorisation.

L'appel à l'encontre de l'ordonnance du 11 mai 2022 du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Paris et le recours à l'encontre des opérations de visite et de saisie ont été rejetés par cette juridiction le 21 février 2024 (pièce n° 83 de l'AMF).

Le moyen sera écarté.

Sur le moyen tiré de la prétendue violation du principe d'impartialité et l'excès de pouvoir allégué

Il est fait grief au juge des libertés et de la détention d'avoir statué le même jour que la requête, soit le 1er septembre 2023, ce qui impliquerait qu'il n'a pas matériellement eu le temps d'exercer son contrôle.

Toutefois, l'article L 621-12 du code monétaire et financier ne prévoit aucun délai entre la présentation de la requête et le prononcé de la décision d'autorisation. Il est de jurisprudence établie que le nombre et l'importance des pièces produites, comme le temps dont ce juge a disposé pour les examiner ne peuvent à eux seuls laisser présumer qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de les examiner et d'en déduire l'existence de présomptions et que ces circonstances ne sont pas de nature à priver le juge de la possibilité d'apprécier le bien-fondé de la requête ou d'adopter les motifs soumis à son appréciation. (Com. 14.11.2018, n° 17-16.071). En outre, l'ordonnance entreprise contient des motifs précis et circonstanciés.

Enfin, l'appelante n'apporte pas la preuve que des éléments n'auraient pas été communiqués au juge des libertés et de la détention qui auraient été de nature à modifier son appréciation. Il ressort du contenu de la requête qu'elle a fourni au juge des libertés et de la détention une présentation de la situation factuelle lui permettant de comprendre dans quel contexte est intervenue la communication de CASINO susceptible de constituer une manipulation de marché. Ce juge s'est fondé sur les éléments et pièces figurant à la requête qui étaient suffisants, ainsi qu'il sera explicité ci-après, afin de rendre son autorisation.

Le moyen sera écarté.

Sur le moyen selon lequel l'ordonnance aurait donné une autorisation générale de visite et de saisie.

Selon l'appelante, l'ordonnance serait entachée d'excès de pouvoir en ce qu'elle aurait donné une autorisation générale de visite et de saisie pour l'ensemble des infractions visées par l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, sans limiter son autorisation à la recherche de preuves de l'infraction pour lesquelles l'Autorité des marchés financiers a justifié d'indices et de présomptions.

Toutefois, selon l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à la date de l'ordonnance d'autorisation, « Pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et des faits susceptibles d'être qualifiés de délit contre les biens et d'être sanctionnés par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers en application de l'article L. 621-15, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter peut, sur demande motivée du secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, autoriser par ordonnance les enquêteurs de l'autorité à effectuer des visites en tous lieux ainsi qu'à procéder à la saisie de documents et au recueil, dans les conditions et selon les modalités mentionnées aux articles L. 621-10 et L. 621-11, des explications des personnes sollicitées sur place. ».

Il résulte de ce texte que sont saisissables les documents et supports d'information qui sont en lien avec l'objet de l'enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci, sans qu'il soit nécessaire que ces documents et supports appartiennent ou soient à la disposition de l'occupant des lieux. Ce texte poursuit un but légitime, à savoir la protection des investisseurs, la régulation et la transparence des marchés financiers, est nécessaire dans une société démocratique pour atteindre cet objectif. Il ne porte pas une atteinte excessive au droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance dès lors, d'une part, que les opérations de visite et de saisie ont préalablement été autorisées par un juge qui s'est assuré du bien-fondé de la demande, qu'elles s'effectuent sous son autorité et son contrôle, en présence d'un officier de police judiciaire, chargé de le tenir informé de leur déroulement, et de l'occupant des lieux ou de son représentant, qui prennent connaissance des pièces avant leur saisie, qu'elles ne peuvent se dérouler que dans les seuls locaux désignés par ce juge, que l'occupant des lieux et les personnes visées par l'ordonnance sont informés, par la notification qui leur en est faite, de leur droit de faire appel à un avocat de leur choix et que ces opérations peuvent être contestées devant le premier président de la cour d'appel par toutes les personnes entre les mains desquelles il a été procédé à de telles saisies, d'autre part, que seuls les éléments nécessaires à la recherche des infractions précitées peuvent être saisis, ceux n'étant pas utiles à la manifestation de la vérité devant être restitués. (Cass., ass. plén., 16 déc. 2022, n° 21-23.719)

Il convient également au vu de ce moyen, de rappeler que le juge des libertés et de la détention doit, aux termes de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, « vérifier que la demande d'autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession de l'Autorité de nature à justifier la visite ».

Ainsi le juge des libertés et de la détention, qui n'est pas le juge du fond, n'a pas à vérifier si tous les éléments constitutifs des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3, sont caractérisés dans la requête qui lui est soumise, mais il doit s'assurer que les éléments recueillis dans le cadre de l'enquête diligentée par l'Autorité des Marchés financiers constituent des soupçons ou indices suffisants pour justifier une visite domiciliaire afin de rechercher des éléments de preuve des infractions susvisées.

En l'espèce, l'ordonnance entreprise est bien-fondée dès lors qu'elle vise uniquement les textes spécifiés par les dispositions de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, en sorte que le juge des libertés et de la détention n'a pas excédé les pouvoirs qui lui ont été conférés par la loi.

L'ordonnance entreprise est bien-fondée dès lors qu'elle vise la requête et la décision d'ouverture de l'enquête qui sont délimitées ainsi qu'il est précisé à l'ordonnance elle-même, ainsi qu'il suit : « Vu la présente requête, les motifs y étant exposés et les pièces communiquées, vu les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et L. 621-12 du Code monétaire et financier, vu la décision du 19 octobre 2018 du Secrétaire général de l'Autòrlté des marchés financiers (ci-après « l'AMF »), de procéder à l'enquête n° 2018-48 portant sur l'information financière et le marché des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, et sur tout instrument financier dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, à compter du 1er janvier 2018 (...) Et vu la décision du 10 mars 2020 du Secrétaire général de l'AMF de procéder à l'enquête n° 2020-13 portant sur le marché des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, et sur tout instrument financier dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, à compter du 1er janvier 2018, ».

La requête vise les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et l'article L.621-12 du code monétaire et financier et son objet est de mettre en 'uvre la décision du Secrétaire général de l'AMF du 10 mars 2020 de faire procéder à une enquête 2020-13 sur le marché des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE et sur tout instrument financier dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, à compter du 1er janvier 2018. Elle n'est donc pas limitée à ou une ou des infractions en particulier et, contrairement aux allégations de l'appelante, a bien pour objet la recherche de faits qu'elle énonce.

Par suite, l'ordonnance considérant la requête fondée, après avoir rappelé en page 1 à 3 les faits susceptibles de constituer les faits matériels des infractions prévues et réprimées aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du code monétaire et financier, autorise les opérations de visite domiciliaire en vue de rechercher s'il existe des preuves d'une éventuelle commission des infractions prévues et réprimées par les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du Code monétaire et financier : « Attendu que le requérant sollicite, sur le fondement de l'article L. 621-12 du Code monétaire et financier, que soit ordonnée une visite domiciliaire dans les locaux de la société Casino Guichard - Perrachon situés [Adresse 2], en vue de rechercher s'il existe des preuves d'une éventuelle commission des infractions prévues et réprimées par les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du Code monétaire et financier, à savoir, d'une part, l'adoption d'un comportement qui affecte le cours d'un instrument financier, en ayant recours à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice et, d'autre part, la diffusion, par tout moyen, d'informations qui donnent des indications fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives d'un émetteur ou sur l'offre, la demande ou le cours d'un instrument financier ou qui fixent ou sont susceptibles de fixer le cours d'un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel, (...). ».

Le moyen sera écarté.

Sur le moyen selon lequel l'ordonnance aurait statué ultra petita

Il est allégué par l'appelante que la demande de l'AMF ne viserait que la recherche de la preuve du seul délit de manipulation de marché, or la motivation de l'ordonnance vise ce délit et le délit de diffusion d'information fausse ou trompeuse.

Toutefois, ce moyen appelle la même réponse que celle apportée au moyen précédent, à laquelle il sera référé.

Sur le moyen selon lequel l'ordonnance serait infondée

L'appelante fait d'abord grief à l'ordonnance de ne pas avoir procédé à l'analyse des éléments soumis par l'AMF et ensuite, que la requête et les pièces produites à son soutien ne contiennent aucun indice de diffusion d'informations fausses ou trompeuses. Il est ainsi allégué qu'aucun indice d'une diffusion d'une information fausse ou trompeuse sur la situation ou les perspectives de Casino n'est identifié dans la requête.

Toutefois, eu égard à la formulation de ce grief, d'une part, il convient à cet égard de rappeler que le juge des libertés et de la détention, qui n'est pas le juge du fond, n'a pas à vérifier si tous les éléments constitutifs des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3, sont caractérisés dans la requête qui lui est soumise, mais il doit s'assurer que les éléments recueillis dans le cadre de l'enquête diligentée par l'Autorité des Marchés financiers constituent des soupçons ou indices suffisants pour justifier une visite domiciliaire afin de rechercher des éléments de preuve des infractions susvisées. Le juge des libertés et de la détention, qui n'est que le juge de l'autorisation n'avait pas à rechercher si les infractions étaient caractérisées, mais seulement s'il existait des présomptions de fraude.

Par suite, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge des libertés et de la détention et de cette juridiction d'apprécier le bien-fondé de la demande au regard du fond du dossier lui-même. La décision autorisant la visite domiciliaire n'emporte aucune présomption de culpabilité, que dès lors les explications relatives à l'imputation des responsabilités éventuelles, qui relèvent de l'examen du fond, sont dénuées de toute pertinence dans l'appréciation de la régularité de la décision autorisant certains actes d'enquête.

D'autre part, il ne saurait à ce stade de l'enquête être fait grief, ni à l'AMF, ni au juge des libertés et de la détention, de ne pas qualifier les informations ou commentaires diffusés par Casino, Plead ou Antidox de faux ou de trompeurs, car c'est précisément l'objet de l'enquête de le déterminer.

Les éléments dont l'appelante se prévaut dans ses écritures (en pages 21 et 22 ; pages 6 et 7 de la requête) constituent précisément, comme rappelé à juste titre dans l'ordonnance, autant d'indices de la commission des infractions recherchées.

En effet, en l'espèce, s'agissant des éléments caractérisant l'existence de présomptions de commission des infractions recherchées retenus par le juge des libertés et de la détention, la décision d'autorisation querellée mentionne par une appréciation pertinente du dossier qui lui a été présenté, en page 1 in fine à 3, l'ensemble des éléments relatifs aux opérations sur le titre Casino susceptibles d'établir la présomption requise par l'article L. 621-12 du code monétaire et financier. Ainsi, suite à la requête de l'Autorité des marchés financiers communiquée au juge des libertés et de la détention, l'ordonnance énonce les éléments en sa possession de nature à établir cette présomption, selon lesquels :

- entre le début de l'année 2018 et la fin de l'été 2018, le titre CASINO a fait l'objet de ventes à découvert, le titre ayant atteint son plus bas historique lors de la séance du 31 août 2018 ;

- dans ce contexte, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON a mis en 'uvre un plan de communication ayant pour objet de « défendre la réputation et le cours de CASINO en diffusant des informations ou des rumeurs avec des moyens internes et également à l'aide de prestataires de services comme ANTIDOX ou PLEAD » ;

- a mis en place une stratégie à l'égard des forums boursiers, au moyen de posts destinés soit à rendre moins visibles les messages négatifs ou soit à répandre des commentaires et/ou des rumeurs positifs qui est étayée dans la requête par le versement de notes internes expliquant la méthodologie choisie, des conversations WhatsApp, des e-mails, des chiffres afférents à des versements pour ses interventions sur le forum BOURSORAMA - ainsi CASINO a versé à ANTIDOX plus d'un million d'euros entre 2018 et 2021 et la publication d'articles favorables et des stories par des influenceurs, plus de 900 000 euros à PLEAD entre 2018 et 2021 ; sans que s'agissant de simples indices à ce stade de l'enquête, il ne saurait être porté d'appréciation sur la qualification à donner à ces actions qui ne relève pas de la compétence du juge de l'autorisation, mais, le cas échéant, de l'office du juge du fond.

Il est par suite affirmé que ces actions menées et ces informations diffusées par CASINO et les sociétés ANTIDOX et PLEAD, pour le compte et à la demande de CASINO, sont susceptibles d'avoir conduit à la diffusion d'informations fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives financières et extra-financières de CASINO, et/ou d'avoir donné des indications trompeuses sur l'offre, la demande ou le cours du titre CASINO ; en outre, en ne révélant pas l'identité de CASINO, ANTIDOX, PLEAD et CASINO sont susceptibles d'avoir adopté des comportements susceptibles d'affecter le cours du titre CASINO, en ayant eu recours à des procédés fictifs, tromperies ou artifices.

La requête documentée par 82 pièces jointes soumise à l'appréciation du juge des libertés et de la détention articulait donc des soupçons ou indices suffisants pour justifier une visite domiciliaire afin de rechercher des éléments de preuve des infractions suspectées, à ce stade de l'enquête, d'avoir été commises.

Il en résulte que les indices sont suffisants pour établir une présomption et que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 1er septembre 2023 est fondée.

Le moyen sera écarté

Sur le moyen tiré de l'absence d'une manipulation du marché du cours Casino

Selon l'appelante, aucun indice de manipulation de cours qui résulterait d'actions menées sur les forums Boursorama et d'actions confiées aux agences Plead et Antidox n'est caractérisé.

Toutefois, une réponse similaire à celle donnée à un grief précédent sera donnée. Il convient en effet de rappeler de nouveau que le juge des libertés et de la détention n'a pas à caractériser les infractions recherchées.

D'autre part ainsi qu'il a été indiqué précédemment, la requête vise les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et l'article L.621-12 du code monétaire et financier et son objet est de mettre en 'uvre la décision du Secrétaire général de l'AMF du 10 mars 2020 de faire procéder à une enquête 2020-13 sur le marché des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE et sur tout instrument financier dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, ou dont le cours ou la valeur a un effet sur le cours ou la valeur des titres CASINO GUICHARD-PERRACHON et RALLYE, à compter du 1er janvier 2018. Elle n'est donc pas limitée à ou une ou des infractions en particulier et, contrairement aux allégations de l'appelante, a bien pour objet la recherche de faits qu'elle énonce.

Par suite, l'ordonnance considérant la requête fondée, après avoir rappelé en page 1 à 3 les faits susceptibles de constituer les faits matériels des infractions prévues et réprimées aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du code monétaire et financier, autorise les opérations de visite domiciliaire en vue de rechercher s'il existe des preuves d'une éventuelle commission des infractions prévues et réprimées par les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du Code monétaire et financier : « Attendu que le requérant sollicite, sur le fondement de l'article L. 621-12 du Code monétaire et financier, que soit ordonnée une visite domiciliaire dans les locaux de la société Casino Guichard - Perrachon situés [Adresse 2], en vue de rechercher s'il existe des preuves d'une éventuelle commission des infractions prévues et réprimées par les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du Code monétaire et financier, à savoir, d'une part, l'adoption d'un comportement qui affecte le cours d'un instrument financier, en ayant recours à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice et, d'autre part, la diffusion, par tout moyen, d'informations qui donnent des indications fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives d'un émetteur ou sur l'offre, la demande ou le cours d'un instrument financier ou qui fixent ou sont susceptibles de fixer le cours d'un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel, (...). ».

Ce moyen sera rejeté.

Ainsi l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Créteil en date du 1er septembre 2023 sera confirmée.

SUR LE RECOURS :

Sur la validité des opérations de saisie

Selon l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable à la date de l'ordonnance d'autorisation, « Pour la recherche des infractions définies aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 et des faits susceptibles d'être qualifiés de délit contre les biens et d'être sanctionnés par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers en application de l'article L. 621-15, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire dans le ressort duquel sont situés les locaux à visiter peut, sur demande motivée du secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers, autoriser par ordonnance les enquêteurs de l'autorité à effectuer des visites en tous lieux ainsi qu'à procéder à la saisie de documents et au recueil, dans les conditions et selon les modalités mentionnées aux articles L. 621-10 et L. 621-11, des explications des personnes sollicitées sur place. ».

Il résulte de ce texte que sont saisissables les documents et supports d'information qui sont en lien avec l'objet de l'enquête et se trouvent dans les lieux que le juge a désignés ou sont accessibles depuis ceux-ci, sans qu'il soit nécessaire que ces documents et supports appartiennent ou soient à la disposition de l'occupant des lieux. Ce texte poursuit un but légitime, à savoir la protection des investisseurs, la régulation et la transparence des marchés financiers, est nécessaire dans une société démocratique pour atteindre cet objectif. Il ne porte pas une atteinte excessive au droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance dès lors, d'une part, que les opérations de visite et de saisies ont préalablement été autorisées par un juge qui s'est assuré du bien-fondé de la demande, qu'elles s'effectuent sous son autorité et son contrôle, en présence d'un officier de police judiciaire, chargé de le tenir informé de leur déroulement, et de l'occupant des lieux ou de son représentant, qui prennent connaissance des pièces avant leur saisie, qu'elles ne peuvent se dérouler que dans les seuls locaux désignés par ce juge, que l'occupant des lieux et les personnes visées par l'ordonnance sont informés, par la notification qui leur en est faite, de leur droit de faire appel à un avocat de leur choix et que ces opérations peuvent être contestées devant le premier président de la cour d'appel par toutes les personnes entre les mains desquelles il a été procédé à de telles saisies, d'autre part, que seuls les éléments nécessaires à la recherche des infractions précitées peuvent être saisis, ceux n'étant pas utiles à la manifestation de la vérité devant être restitués. (Cass., ass. plén., 16 déc. 2022, n° 21-23.719)

Sur le moyen selon lequel le procès-verbal du 6 septembre ne permettrait pas de contrôler que les éléments saisis entrent dans le champ d'application de l'ordonnance

La société requérante fait valoir que le juge doit être en mesure de contrôler la concordance entre les données saisies et l'autorisation accordée par l'ordonnance et que ce contrôle est rendu possible par le procès-verbal et l'inventaire, dont l'objet est de faire la preuve du déroulement des opérations de visite et de saisies. Elle soutient qu'en l'espèce les termes du Procès-Verbal ne permettent pas ce contrôle puisque ni l'objet, ni les critères de ces « recherches », ni les « mots-clés » utilisés ne sont indiqués. Cela concernerait les éléments suivants saisis sur le téléphone de [Z] [H] (l'extraction de « contenus ciblés »), sur son ordinateur portable (copie de la boîte active ainsi que de deux archives de boîte de messagerie professionnelle et d'éléments situés sur le disque dur), sur l'ordinateur portable d'[X] [T] (copie de la boîte active ainsi que 34 archives de boîte de messagerie professionnelle ainsi que des éléments situés sur le disque dur) (Pièce n°3, pages 6 et 7). Il est en outre indiqué que pour des extractions pratiquées à partir du téléphone d'[X] [T], les enquêteurs ont saisi au seul motif qu'ils ont constaté « la présence d'éléments susceptibles d'être en lien avec l'enquête, après avoir effectué des recherches ». Ensuite, il est fait grief aux enquêteurs, pour procéder à la saisie des éléments qui précèdent, d'avoir indiqué dans leur procès-verbal avoir apprécié « la présence d'éléments susceptibles d'être en lien avec l'enquête ». En outre, il est allégué qu'en indiquant avoir procédé aux saisies au seul motif qu'il a été constaté « la présence d'éléments susceptibles d'être en lien avec l'enquête », les enquêteurs démontrent n'avoir pas limité leurs saisies au champ visé par l'ordonnance.

Toutefois, en premier lieu, il est de jurisprudence établie dans des domaines voisins concernant des visites domiciliaires, mais la solution est transposable à l'article L. 621-12 du code monétaire et financier, que lors d'une opération de visite et de saisie, les enquêteurs ne sont pas tenus de préciser sur quels critères ils se sont fondés afin de déterminer que les documents saisis ont un lien avec l'enquête ou que des éléments saisis sont susceptibles d'être en lien avec l'enquête diligentée, ni de révéler les mots-clés qu 'ils ont utilisés. Ainsi, les mots-clés et critères de sélection utilisés par les enquêteurs pour identifier les documents saisis n 'ont pas à être communiqués à la partie faisant l'objet des saisies. En effet, permettre à la partie qui subit la visite de prendre connaissance des mots-clés ou moteurs de recherche utilisés et, partant lors du déroulement des opérations de visite et de saisie, priverait lesdites opérations d'effet utile.

Le moyen selon lequel le procès-verbal du 6 septembre 2023 ne permettrait pas un contrôle des éléments saisis à défaut d'indication des critères de recherche ou des mots clés sera écarté.

En outre, sur le grief fait aux enquêteurs d'avoir procédé à des saisies sans lien avec l'enquête et arbitraires, il convient de rappeler qu'il est de jurisprudence établie que peut être saisi un élément susceptible, en tout ou partie, d'intéresser l'enquête. S'il résulte en effet de l'article L. 621-12 du code monétaire et financier que les enquêteurs de l'AMF ne peuvent appréhender que les documents se rapportant aux agissements prohibés retenus par l'ordonnance d'autorisation de visite domiciliaire, ils peuvent en outre saisir des documents pour partie utiles à la preuve des agissements recherchés (Com. 4 nov. 2020, n° 19-17.911). La saisie d'une pièce est ainsi valide dès lors que cette pièce est utile même pour partie à la manifestation de la vérité.

Par suite, la saisie irrégulière de certains fichiers ou documents est sans effet sur la validité des opérations de visite et des autres saisies et, par suite, le cas échéant, la présence, parmi les documents saisis, de pièces couvertes par le secret ne saurait avoir pour effet d'invalider la saisie de tous les autres documents (Cass. crim., 11 décembre 2013, n° 12-86.427 ; Cass. crim., 20 avril 2022, n° 20-87.248).

Il a été également jugé que la présence, dans une messagerie électronique, de courriels couverts par le secret professionnel, n'a pas pour effet d'invalider la saisie des autres éléments de cette messagerie. Selon la jurisprudence également, un fichier informatique indivisible peut être saisi dans son intégralité s'il est susceptible de contenir des éléments intéressant l'enquête. En effet, une messagerie électronique étant insécable, la saisie de la totalité de la messagerie est possible, dès lors qu'il a été constaté que, pour partie, elle contient des fichiers ou documents qui entrent dans le champ de l'autorisation donnée par le juge des libertés et de la détention.

En l'espèce, s'agissant de la copie des messageries de M. [H] et de Mme [T], il ressort précisément du procès-verbal que les enquêteurs n'ont saisi que des éléments en lien avec l'enquête.

Ainsi, selon le procès-verbal, en, page 6/11, « A 13H, disons regarder le contenu des téléphones portables de M. [H], 8 Plus et 12 Pro max. Concernant l'iPhone 8 Plus, constatons l'absence de carte SIM et la présence d'éléments anciens également présents sur l'iPhone 12 Pro Max. Décidons ne pas réaliser de copie. Concernant l'iPhone 12 Pro Max, constatons, après recherches et application de mots-clés, la présence d'éléments susceptibles d'être en lien avec l'enquête. Procédons à des extractions de contenus ciblés sur le téléphone iPhone 12 Pro Max de M. [H].». Il est encore mentionné : « A 15h20, disons regarder le contenu de l'ordinateur portable (HP Probook 445GIO) de Mme [T]. Constatons, après recherches et application de mots-clés, la présence d'éléments susceptibles d'être en lien avec l'enquête. Disons regarder à partir de cet ordinateur les éléments présents sur le répertoire partagé 'DIRCOM'. Disons avoir copié la boite active ainsi que 34 archives de boite de messagerie professionnelle (fichiers pst) ainsi que des éléments situés sur le disque dur local de l'ordinateur portable et sur le répertoire partagé 'DIRCOM' ; Disons regarder le téléphone portable de Mme [T]. Constatons, après recherches, la présence d'éléments susceptibles d'être en lien avec l'enquête. Procédons à des extractions de contenus ciblés sur le téléphone portable de Mme [T]. Disons regarder les deux clés USB de M. [H] alnsl que la carte mémoire. Nous ne constatons aucun élément en lien avec l'enquête. ». Il est en outre encore mentionné audit procès-verbal : « A 21H24, constatons la présence dans cette pièce de 2 bureaux avec un caisson chacun, de 3 armoires, une téléphone fixe. Notons l'absence d'ordinateur. Découvrons un téléphone portable. Mme [T] nous indique qu'il s'agit d'un téléphone portable appartenant à l'équipe. A 21H33, Mme [T] déverrouille le téléphone portable de l'équipe. A 21H36, ne trouvant aucun élément en rapport avec l'enquête terminons la visite du bureau de Mme [T] (...) ».

Il ressort du procès-verbal qu'ainsi les enquêteurs n'ont pas saisis d'éléments sur le téléphone portable Iphone 8 de M. [H], ni sur les deux clés USB lui appartenant, ni sur le téléphone de l'équipe communication trouvé dans le bureau de Mme [T] et qu'aucun élément n'a été saisi dans les autres bureaux visités. Les saisies n'ont pas été arbitraires comme prétendu par l'appelante dans ses écritures.

Le moyen sera écarté.

Sur le grief selon lequel, les enquêteurs, en se référant dans le procès-verbal aux « éléments en rapport avec l'enquête », les saisies auraient excédé le champ de l'ordonnance du 1er septembre 2023, en prétendant que le champ de l'autorisation est plus large que celui de la requête et de l'enquête, en tous points analogue au moyen soulevé au regard de l'appel, il convient de rappeler que :

- Tant le procès-verbal de visite domiciliaire du 6 septembre 2023 que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 1er septembre 2023 visent la requête et la décision d'ouverture de l'enquête qui sont délimitées, ainsi qu'il est précisé à l'ordonnance elle-même, dans des termes qui ont été repris ci-dessus à propos de l'appel. Le procès-verbal de visite domiciliaire couvre donc le même champ d'application que l'ordonnance d'autorisation dont il découle.

- L'ordonnance considérant la requête fondée, après avoir rappelé en page 1 à 3 les faits susceptibles de constituer les matériels des infractions prévues et réprimées aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du code monétaire et financier, autorise les opérations de visite domiciliaire en vue de rechercher s'il existe des preuves d'une éventuelle commission des infractions prévues et réprimées par les articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du Code monétaire et financier.

Le moyen sera écarté.

Sur le moyen relatif à la demande de l'AMF de faire parvenir des éléments postérieurement aux opérations de visite et de saisie

L'appelante fait grief à l'AMF d'avoir demandé à Casino, par email du 7 septembre 2023, de lui faire parvenir une copie des « messageries complètes des personnes suivantes (y compris calendriers, contacts et messages instantanés) de Mme [X] [T] et de Mme [Y] [G] » (Pièce n° 4) ; Casino ayant envoyé les éléments demandés par courrier du 12 septembre 2023 (Pièce n° 5), qui ont été saisis. Il est exposé par l'appelante qu'il résulterait du procès-verbal des opérations de visite du 6 septembre 2023 que c'est au cours des opérations de visite domiciliaire que les enquêteurs ont demandé au groupe Casino que leur soit transmis l'export de sauvegarde des messageries de M. [H] et de Mme [T] (Procès-verbal, page 5) ; le détail de cette demande figurant en annexe 1 du procès-verbal.

L'AMF a répliqué que les messageries de Mesdames [T] et [G] n'ont pas été saisies dans le cadre de la visite domiciliaire, mais à la suite d'une demande postérieure à la clôture des opérations, en application de l'article L.621-10 du CMF, et que Casino aurait librement consenti à cette remise, se privant du droit de la contester ensuite.

La lettre de réponse de la société Casino en date du 12 septembre 2023 adressée à l'AMF a pour objet : « Enquête AMF 2020-13 - demande de messageries. » (pièce n° 5 de l'appelante), ce qui conforte cette assertion.

Il ressort en effet de la procédure que la demande de remise volontaire de messagerie de M. [H] et de Mme [T] n'a pas été formulée pendant les opérations de visite et de saisie du 6 septembre 2023, et, par suite n'y est pas directement rattachable.

Elle résulte en effet formellement d'un courrier adressé à la société Casino le 7 septembre 2023 qui se fondait sur les dispositions de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier selon lequel, « Les enquêteurs et les contrôleurs peuvent, pour les nécessités de l'enquête ou du contrôle, se faire communiquer tous documents, quel qu'en soit le support. » et obéit au régime juridique afférent à cette disposition. La circonstance selon laquelle la société Casino a fait une déclaration datée du 12 septembre 2023, s'agissant de cette remise, selon laquelle les données de messagerie n'ont pas fait l'objet de modification, ni de suppression de leur contenu initial depuis la demande par les enquêteurs de l'AMF jusqu'à leur export, n'est pas de nature à modifier le régime juridique de cette remise qui relève des dispositions de l'article L. 621-10 du code monétaire et financier.

Le moyen, non fondé, sera donc écarté.

Sur le moyen selon lequel des éléments ont été saisis en dehors du champ de l'ordonnance

L'appelante soutient, en un moyen assez similaire au précédent relatif aux caractère arbitraire des saisies, que les enquêteurs ont saisi les sauvegardes de l'intégralité des messageries de MM. [Z] [H], [Y] [G], [X] [T] (Pièce n°3, page 5 et annexe 1) sans qu'aucun filtre n'ait été appliqué avant la saisie de ces éléments. Le grief d'une saisie massive et indifférenciée est donc avancé à l'encontre du déroulement des opérations de visite et de saisie. Il est notamment reproché aux enquêteurs d'avoir saisi des données à caractère privé.

Il convient donc de rappeler qu'il est de jurisprudence établie que peut être saisi un élément susceptible, en tout ou partie, d'intéresser l'enquête. En outre, la saisie irrégulière de certains fichiers ou documents est sans effet sur la validité des opérations de visite et des autres saisies et, par suite, le cas échéant, la présence, parmi les documents saisis, de pièces couvertes par le secret ne saurait avoir pour effet d'invalider la saisie de tous les autres documents (Cass. crim., 11 décembre 2013, n° 12-86.427 ; Cass. crim., 20 avril 2022, n° 20-87.248).

Il a été ainsi jugé que la présence, dans une messagerie électronique, de courriels couverts par le secret professionnel, n'a pas pour effet d'invalider la saisie des autres éléments de cette messagerie. Selon la jurisprudence également, un fichier informatique indivisible peut être saisi dans son intégralité s'il est susceptible de contenir des éléments intéressant l'enquête. En effet, une messagerie électronique étant insécable, la saisie de la totalité de la messagerie est possible, dès lors qu'il a été constaté que, pour partie, elle contient des fichiers ou documents qui entrent dans le champ de l'autorisation donnée par le juge des libertés et de la détention.

Il convient en outre de rappeler qu'il ressort d'une jurisprudence établie que les pièces contestées doivent être versées aux débats, en en expliquant les raisons pour chacune, l'absence de production rendant impossible de les identifier notamment comme bénéficiant du secret professionnel de l'avocat (Com. 7/06/2011, n° 10-19.585). Cette nécessité de verser les documents contestés est rappelée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme dans un arrêt du 2 avril 2015 (CEDH 2 avril 2015 Vinci Construction et GTM génie civil).

Ainsi, contrairement à ce qu'affirme dans ses écritures la requérante, la charge de la preuve de ce que certains documents devraient être exclus du champ des saisies incombe au requérant. Il lui appartient donc de verser aux débats, afin qu'il puisse en être jugé, les documents dont elle estime qu'ils n'étaient pas saisissables au regard du champ de l'autorisation. Or, aucune pièce n'est communiquée. En l'espèce, la requérante en avait la possibilité dès lors qu'une copie de l'ensemble des éléments saisis lui a été remise ainsi qu'il est précisé au procès-verbal du 6 septembre 2023.

Enfin, il ressort du procès-verbal du 6 septembre 2023 que les éléments couverts par le secret professionnel ont été extournés à la demande de la société requérante.

Les griefs ne sont pas fondés. Le moyen sera écarté.

Il suit de ce qui précède que les opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de la société CASINO GUICHARD - PERRACHON situés [Adresse 2], seront déclarées régulières.

SUR L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE :

Les circonstances de l'espèce et l'équité justifient qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'Autorité des marchés financiers, la société CASINO GUICHARD-PERRACHON sera ainsi condamnée au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR LES DÉPENS :

La société CASINO GUICHARD-PERRACHON, succombant en ses prétentions au soutien de l'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Créteil rendue le 1er septembre 2023 et sur son recours, sera tenue aux dépens.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Confirmons en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 1er septembre 2023 par le juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de CRÉTEIL,

Déclarons régulières les opérations de visite et de saisie qui se sont déroulées le 6 et le 7 septembre 2023 dans les locaux de la société CASINO GUICHARD-PERRACHON au [Adresse 2],

Condamnons la société CASINO GUICHARD-PERRACHON au paiement de la somme de DIX MILLE EUROS (10 000 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au bénéfice de l'Autorité des marchés financiers,

Rejetons toute autre demande,

Condamnons la société CASINO GUICHARD-PERRACHON aux dépens de l'instance.

LE GREFFIER

Véronique COUVET

LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT

Olivier TELL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 15
Numéro d'arrêt : 23/13976
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;23.13976 ?
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