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03/07/2024 | FRANCE | N°23/04235

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 03 juillet 2024, 23/04235


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6



ARRET DU 03 JUILLET 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/04235 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHHDV



Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Novembre 2022 - tribunal judiciaire de Créteil - 3ème chambre - RG n° 21/05616





APPELANT



Monsieur [K] [B] [E]

né le [Dat

e naissance 3] 1971 à [Localité 8] [Localité 8] (Portugal)

[Adresse 5]

[Localité 7]



Représenté par Me Christel BRANJONNEAU, avocat au barreau de Paris, toque : P0209, avocat plaidant...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 6

ARRET DU 03 JUILLET 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/04235 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHHDV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Novembre 2022 - tribunal judiciaire de Créteil - 3ème chambre - RG n° 21/05616

APPELANT

Monsieur [K] [B] [E]

né le [Date naissance 3] 1971 à [Localité 8] [Localité 8] (Portugal)

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représenté par Me Christel BRANJONNEAU, avocat au barreau de Paris, toque : P0209, avocat plaidant

INTIMÉE

S.A. SOCIÉTÉ GÉNÉRALE

[Adresse 4]

[Localité 6]

N°SIRET : 552 120 222

agissant poursuites et diligences de son président du conseil d'administration domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Loren MAQUIN-JOFFRE de la SELARL A.K.P.R., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Marc BAILLY, président de chambre.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

M. Vincent BRAUD, président

MME Laurence CHAINTRON, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

La société par actions simplifiée Francilienne d'isolation moderne et d'agencement (ci-après « la S.A.S. FIMA »), constituée le 29 novembre 2013, avait pour activité la construction de maisons individuelles. La S.A.S. FIMA était titulaire d'un compte professionnel n° [XXXXXXXXXX01] ouvert dans les livres de la société anonyme Société générale (ci-après « la Société générale »), avec autorisation de découvert de 100 euros, selon conventions de compte et de trésorerie courante à durée indéterminée par actes sous seing privé en date du 5 décembre 2013.

Par acte sous seing privé du 3 juillet 2014, M. [K] [B] [E] (ci-après « M. [B] [E] »), alors associé minoritaire de la S.A.S. FIMA, s'est porté caution personnelle et solidaire de l'ensemble des engagements de cette dernière sous quelque forme que ce soit au profit de la Société générale, dans la limite de la somme de 50 000 euros et pour une durée de dix ans.

Par acte sous seing privé en date du 14 avril 2015, M. [B] [E], devenu président de la S.A.S. FIMA le 1er novembre 2014, s'est de nouveau porté caution personnelle et solidaire de l'ensemble des engagements de cette dernière au profit de la Société générale, cette fois dans la limite de la somme de 130 000 euros et pour une durée de dix ans.

Par acte sous seing privé du 19 juin 2018, la Société générale a consenti à la S.A.S. FIMA un prêt à taux fixe d'un montant de 25 000 euros, remboursable en vingt-quatre mensualités de 1 063,51 euros au taux d'intérêt de 2 % l`an hors assurance.

Par jugement du 10 avril 2019, le tribunal de commerce de Créteil a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la S.A.S. FIMA, convertie en liquidation judiciaire le 8 avril 2020.

Par courriers recommandés en date des 12 juin 2019 et 15 avril 2020, la Société générale a. déclaré ses créances nées du solde débiteur en compte n° [XXXXXXXXXX01] ainsi que du prêt de 25 000 euros entre les mains du liquidateur judiciaire, respectivement pour un montant actualisé de 58 736,86 euros et de 17 465,60 euros, à titre chirographaire.

Par courriers recommandés en date des 15 avril 2020 et 5 juillet 2021, la Société générale vainement a mis en demeure M. [B] [E] d'honorer ses engagements de caution pour chacune des deux créances susvisées.

Par exploit d'huissier du 4 août 2021, la Société générale a fait assigner M. [B] [E] devant le tribunal judiciaire de Créteil afin de le voir notamment condamner au paiement des sommes dues par lui au titre de ses engagements de caution.

Par ordonnance du 23 août 2021, le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Créteil a autorisé la Société générale à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur les parts et portions appartenant à M. [B] [E] dans un bien immobilier situé au [Adresse 5] à [Localité 7].

Par un jugement contradictoire du 22 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Créteil a :

-condamné M. [B] [E] à payer à la Société générale la somme de 58 736,86 euros au titre du compte courant professionnel, avec intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2020 jusqu'au parfait paiement ;

-condamné M. [B] [E] à payer à la Société générale la somme de 17 005,48 euros au titre du prêt, avec intérêts au taux légal à compter du 21 avril 2020 jusqu'au parfait paiement ;

-ordonné que les intérêts dus au moins pour une année entière produisent des intérêts ;

-rejeté la demande de dommages et intérêts ;

-condamné M. [B] [E] à payer à la Société générale la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Par déclaration remise au greffe de la cour le 27 février 2023, M. [B] [E] a interjeté appel de cette décision contre la Société générale.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 mai 2023, M. [B] [E] demande au visa des articles L. 341-1 et L. 341-4, devenus L. 332-1 et L. 343-3 du code de la consommation, 1231-1 du code civil et des pièces versées au débat, de :

-Dire M. [B] [E] recevable et bien fondé en ses demandes ;

-Infirmer le jugement rendu le 22 novembre 2022 par le tribunal de « commerce » de Créteil,

Et statuant de nouveau :

-Dire et juger que les engagements de caution souscrits par M. [B] [E], compte tenu de ses biens et revenus, sont manifestement disproportionnés ;

En conséquence ;

À titre principal ;

-Prononcer la déchéance des engagements de caution signés le 3 juillet 2014 à concurrence de 50 000 euros et le 14 avril 2015 à concurrence de 130 000 euros par M. [B] [E] ;

-Dire irrecevable l'ensemble des demandes formalisées par la Société générale à l'encontre de M. [B] [E] ;

-Constater que la Société générale ne rapporte pas la preuve que la situation de patrimoine et de ressources de M. [B] [E], au moment où il est appelé en paiement, lui permet de faire face à ses obligations ;

-Débouter la Société générale de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de M. [B] [E].

À titre subsidiaire ;

-Dire et juger que la Société générale a commis une faute ;

-Condamner la Société générale à payer la somme de 75 742,34 euros à M. [B] [E] à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

En tout état de cause ;

-Condamner la Société générale à verser à M. [B] [E] une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance en faisant valoir :

- qu'en vertu de l'article L. 341-4 devenu l'article L. 332-1 du code de la consommation, le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné par rapport à l'état de ses biens et revenus à moins que le patrimoine de cette caution au moment où celle-ci est appelée ne lui permette de faire face à son obligation. La disproportion s'apprécie au moment de l'engagement de la caution. Le principe de proportionnalité s'applique à toutes les personnes physiques s'engageant envers un créancier professionnel, même lorsqu'il s'agit de dirigeants sociaux. Il appartient également à la banque de se renseigner sur la caution. Elle doit vérifier la solvabilité de la personne physique qui s'engage en tant que caution et ce préalablement à la signature du contrat de cautionnement. Il est de jurisprudence que la charge de la preuve de la disproportion incombe à la caution. Cette dernière doit démontrer que l'engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus. En revanche, il incombe au créancier qui entend se prévaloir d'un engagement jugé disproportionné au jour de la souscription de prouver que le patrimoine de la caution lui permet d'y faire face au moment où elle est appelée. La jurisprudence estime que dès lors qu'une caution s'engage pour un montant supérieur à deux fois ses revenus annuels, le contrat de cautionnement qu'elle a conclu est disproportionné. L'article L. 332-1 du code de la consommation prive d'effet le contrat de cautionnement disproportionné, tant à l'égard tant du créancier que de toutes les cautions qui, ayant acquitté la dette, exercent leur action récursoire. En l'espèce, le tribunal s'est limité à retenir la fiche de renseignements sans rechercher si la Société générale n'avait pas connaissance d'autres prêts en cours. Par une décision du 11 avril 2018, la Cour de cassation a instauré une présomption de connaissance par la banque des autres engagements bancaires de la caution afin d'évaluer la disproportion du cautionnement. Même si la fiche de renseignements ne le mentionne pas, la Société générale ne pouvait pas ignorer l'existence des emprunts souscrits par M. [B] [E], directement ou par l'intermédiaire de la société civile immobilière [Localité 7] [Adresse 2] (ci-après « la S.C.I. [Localité 7] [Adresse 2] »).

- en ce qui concerne son engagement de caution du 3 juillet 2014, que la fiche de renseignements produite, en date du 30 juin 2014, n'a pas été remplie par lui. L'écriture figurant sur l'acte de cautionnement et la fiche de renseignements sont différentes. La Société générale a, par ailleurs, fait une mauvaise analyse de cette fiche. M. [B] [E] fait valoir qu'au regard de l'avis d'imposition 2014 sur les revenus au titre de l'année 2013, il disposait d'un revenu annuel d'un montant de 17 245 euros. Au regard de l'avis d'imposition 2015 sur les revenus au titre de l'année 2014, il disposait d'un revenu annuel d'un montant de 3 505 euros. L'acte de cautionnement, signé en 2014 pour un montant de 50 000 euros, représentait ainsi trois fois son revenu annuel au titre de l'année 2013 et quatorze fois son revenu annuel au titre de l'année 2014. En ce qui concerne le bien détenu par la S.C.I. [Localité 7] [Adresse 2], M. [B] [E] détenait 60 % des parts de cette dernière. Les statuts mentionnent, par ailleurs, que la majorité de blocage nécessaire pour vendre l'immeuble s'élève à 25 %. Les parts sociales de M. [B] [E] n'étaient pas liquides et disponibles. En outre, la souscription par la S.C.I. [Localité 7] [Adresse 2] d'un prêt était connue par la Société générale, cette dernière ayant consenti le prêt. Le montant restant dû s'élevait à 315 573 euros en principal. Enfin, le bien détenu par la S.C.I. [Localité 7] [Adresse 2] n'appartenait pas à M. [B] [E], qui n'en avait ainsi pas la libre disposition. M. [B] [E] fait ainsi valoir qu'il n'avait pas les revenus et le patrimoine suffisant pour s'engager.

- en ce qui concerne son engagement de caution du 14 avril 2015, que la Société générale prétend avoir égaré la fiche de renseignements. Elle ne justifie pas avoir établi une nouvelle fiche de renseignement lors de la souscription dudit engagement de caution à hauteur de la somme de 130 000 euros. La situation de M. [B] [E] avait changé entre 2014 et 2015 en ce qu'il avait un revenu amoindri. Si M. [B] [E] a renseigné l'ensemble de ses biens et revenus réels, la Société générale ne s'est pas davantage renseignée sur ses capacités financières au regard de sa situation patrimoniale. M. [B] [E] fait ainsi valoir qu'il ne pouvait s'engager à hauteur de la somme de 130 000 euros, représentant plus de quatre fois ses revenus annuels.

- en ce qui concerne l'état de son patrimoine et ses revenus au moment de l'appel de la caution, qu'il convient de prendre en considération l'endettement global de la caution, comprenant d'autres engagements éventuels. Lorsque le dirigeant est marié sous le régime de la séparation des biens, les biens et revenus du conjoint ne sont pas pris en compte. Le bien immobilier dont fait état la Société générale est la résidence principale de M. [B] [E], qui détient en indivision ce bien avec son conjoint sous le régime de la séparation de biens. La Société générale ne produit aucunement le contrat de prêt souscrit par M. [B] [E], justifiant que le bien immobilier n'a pas la valeur indiquée dans ses écritures. Lors de la demande de mise en 'uvre de la caution, le 4 août 2021, le montant du prêt restant dû, comprenant le principal, les intérêts et les accessoires, s'élevait à la somme de 217 624,64 euros. La résidence principale a été acquise par moitié entre les époux [B] [E], séparés de biens. Le montant du prêt à la charge de M. [B] [E] s'élève à 49 187,68 euros. M. [B] [E] fait valoir, en ce qui concerne les parts détenues par lui au sein de sociétés, que la société « GCF » ne détenait aucun bien immobilier et ne réalisait aucun chiffre d'affaires au moment de l'appel de la caution. S.C.I. [Localité 7] [Adresse 2], quant à elle, a acquis un bien immobilier moyennant un prêt de 290 034 euros sur une durée de dix ans, dont la somme de 130 952 euros restait due au jour de l'assignation. M. [B] [E] ne détenait que 60 % des parts sociales de cette société civile immobilière, ne lui permettant pas de céder ses parts ou l'immeuble sans l'accord de son associé. Les titres de ces sociétés n'ont aucune valeur dans le patrimoine de M. [B] [E]. Enfin, M. [B] [E] fait valoir qu'il est invalide de catégorie n° 2 depuis le 1er juillet 2021 et qu'il ne peut plus exercer d'activité professionnelle,

- subsidiairement, que si la cour venait à considérer le cautionnement consenti par lui comme proportionné, il conviendrait de constater que la Société générale a manqué à son devoir de mise en garde en vertu de l'article 1231-1 du code civil. Selon la jurisprudence rendue en la matière, l'établissement de crédit est redevable à l'égard des cautions d'une obligation de mise en garde consistant à attirer leur attention sur les risques de l'opération envisagée, sans pour autant s'immiscer dans leurs affaires. Le contenu de cette obligation présente trois volets, le dispensateur de crédit devant se renseigner sur la situation des garants, alerter ces derniers en les mettant en garde sur les conséquences de leurs engagements et vérifier l'adéquation de ces engagements à leur capacités financières. Les banques sollicitant un cautionnement doivent respecter une obligation particulière de se renseigner sur la situation financière de la caution, et ce concomitamment à la souscription de l'engagement. La jurisprudence de la Cour de cassation fait, par ailleurs, ressortir que la banque engage sa responsabilité lorsqu'elle fait souscrire à une caution non avertie, sans la mettre en garde, un engagement disproportionné au regard de ses biens et ressources, ou lorsqu'il existe un risque d'endettement de la caution lié à l'octroi du prêt à l'emprunteur. En cas de manquement de la banque à son devoir de mise en garde, notamment à raison de l'absence de fiche patrimoniale, cette dernière engage sa responsabilité contractuelle. En l'espèce, La Société générale n'a, au moment de la conclusion du contrat de cautionnement, visiblement pas fait remplir de formulaire sur sa situation financière au défendeur puisqu'elle n'en a pas justifié dans les pièces jointes à son assignation. La Société générale ne s'est pas non plus renseignée sur la situation patrimoniale de M. [B] [E] en 2014 et en 2015 et ne l'a pas alerté sur les risques encourus en l'espèce. Or, au jour de son engagement, M. [B] [E] ne disposait pas d'un patrimoine lui permettant de s'engager en qualité de caution, en garantie des engagements de la S.A.S. FIMA. M. [B] [E] fait ainsi valoir que la Société générale se doit d'être condamnée au paiement de dommages et intérêts à hauteur de la somme de 75 742,34 euros, soit le montant qui lui est réclamé au titre de ses engagements de caution.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 juillet 2023, la Société générale demande au visa des articles 1103, 1353, 2288 et 2298 du code civil, de :

-Déclarer M. [B] [E] mal fondé en son appel à l'encontre du jugement rendu le 22 novembre 2022 par la troisième chambre du tribunal judiciaire de Créteil ;

-Débouter en conséquence M. [B] [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

-Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 novembre 2022 par la troisième chambre du tribunal judiciaire de Créteil ;

Statuant à nouveau ;

-Condamner M. [B] [E] à payer à la Société générale la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en exposant :

-qu'il appartient à la caution, personne physique, qui entend se prévaloir du caractère manifestement disproportionné du cautionnement à ses biens et revenus au jour de sa souscription, d'en rapporter la preuve. La jurisprudence considère que la caution doit se trouver, lorsqu'elle s'engage, dans l'impossibilité manifeste de faire face à son obligation avec ses biens et revenus. En ce qui concerne la consistance du patrimoine immobilier à prendre en considération, la Cour de cassation considère que même en présence d'un bien dépendant de la communauté, il y a lieu de le prendre en considération, quand bien même il ne pourrait être engagé pour l'exécution de la condamnation éventuelle de la caution. Cette même solution a été retenue pour un patrimoine détenu en indivision. En ce qui concerne les revenus à prendre en compte, la Cour de cassation a approuvé une Cour d'appel qui a estimé que le cautionnement souscrit n'était pas disproportionné aux biens et revenus de la caution au regard, notamment, des perspectives de développement de l'entreprise que la caution avait créée et dont elle était dirigeante. Doivent également être pris en considérations les revenus réguliers perçus par la caution jusqu'à la date de son engagement, quand bien même ceux-ci proviendraient de la société dont les engagements sont garantis par le cautionnement. En ce qui concerne les renseignements fournis par la caution à la banque, il est de jurisprudence que la disproportion s'apprécie au regard des informations fournies par la caution dans la fiche de renseignements, celle-ci lui étant opposable dès lors qu'en la signant elle en a approuvé le contenu. La banque n'a pas à en vérifier l'exactitude en l'absence d'anomalie apparentes. La caution ne peut, par la suite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée. Dans une espèce où la caution avait commis une fraude dans la rédaction des mentions manuscrites prescrites à peine de nullité du cautionnement par les articles L. 341-2 et L. 341-3 anciens du code de la consommation, la Cour de cassation a jugé que le principe fraus omnia corrumpit interdisait à la caution de se prévoir de ces dispositions protectrices,

- en ce qui concerne l'engagement de caution du 3 juillet 2014, qu'elle a versé aux débats de première instance la fiche de renseignements remplie par M. [B] [E] le 30 juin 2014, soit quelques jours avant la souscription de son engagement de caution. Conformément à ses déclarations, il disposait, au 30 juin 2014, d'un patrimoine immobilier de 288 000 euros et d'un revenu annuel de 19 600 euros, soit un actif net de 307 600 euros. Au vu de ces déclarations, qui ne présentaient aucune anomalie apparente, la Société générale, qui n'avait pas à en vérifier l'exactitude ni à mener davantage d'investigations, a pu légitimement apprécier que le cautionnement envisagé à hauteur de 50 000 euros fût proportionné à la situation de charges, de revenus et de patrimoine de M. [B] [E]. En cause d'appel, ce dernier prétend pour la première fois que la fiche de renseignements n'aurait pas été remplie de sa main, sans pour autant en justifier. Il se contredit en écrivant quelques lignes plus loin qu'il avait correctement rempli la fiche de renseignement. En outre, les données et chiffres avancés par M. [B] [E] dans ses conclusions sont bien loin de ses propres déclarations de l'époque, ce qui tend à établir sa mauvaise foi et une intention de tromper la Société générale. En ce qui concerne tout d'abord ses ressources, M. [B] [E] justifie aujourd'hui que son revenu annuel au titre de l'année 2013 était de 32 245 euros et que son revenu annuel au titre de l'année 2014 était de 11 105 euros, alors qu'il avait sciemment déclaré à la banque en juin 2014 percevoir des revenus annuels de 43 420 euros bruts, soit 34 000 euros nets. En ce qui concerne son patrimoine immobilier, M. [B] [E] prétend qu'il n'était propriétaire d'aucun bien immobilier, alors qu'il avait déclaré à la Société générale être propriétaire en indivision via une S.C.I. d'un bien immobilier estimé à 480 000 euros, soit une part lui appartenant de 288 000 euros. Quand bien même il s'agissait d'un patrimoine immobilier indirect détenu en indivision, il résulte de la jurisprudence que le fait que ce patrimoine soit non liquide est indifférent dès lors que la disproportion doit s'apprécier par rapport à la valeur du patrimoine et le montant des ressources, et non par rapport à la capacité de la caution à les réaliser facilement ou rapidement,

- en ce qui concerne l'engagement de caution du 14 avril 2015, que ce cautionnement a été souscrit moins d'un an après le précédent cautionnement du 3 juillet 2014. Si la Société générale fait valoir qu'elle n'est pas ne mesure de verser aux débats la fiche de renseignements remplie concomitamment à la souscription de ce second engagement, elle rapporte néanmoins la preuve que ledit engagement était proportionné aux biens et revenus de M. [B] [E]. Au 14 avril 2015, M. [B] [E] disposait d'un patrimoine immobilier de 288 000 euros, d'un revenu annuel net d'imposition de 27 803 euros et était redevable d'autres charges pour un montant de 50 000 euros, l'actif net s'élevant ainsi à la somme de 265 803 euros,

- que si par extraordinaire, la cour devait considérer le cautionnement pour un montant de 130 000 euros comme étant disproportionné, le patrimoine actuel de M. [B] [E] lui permet d'y faire face. En ce qui concerne ses revenus, M. [B] [E] en tire actuellement de l'activité de la société Global plâtrerie et agencement dont il est président, actionnaire unique et bénéficiaire effectif. Bien qu'il indique être invalide de catégorie n° 2, M. [B] [E] apparait être toujours investi et actif dans cette société, ainsi qu'en atteste le procès-verbal des décisions de l'associé unique du 30 août 2022. En outre, le fait que M. [B] [E] perçoive une pension d'invalidité ne l'empêche pas pour autant de percevoir d'autres revenus, ces derniers étant cumulables. En ce qui concerne son patrimoine immobilier direct, M. [B] [E] est actuellement propriétaire en indivision avec son épouse d'un bien immobilier situé à [Localité 7] acquis au prix de 316 000 euros en 2018. Contrairement à ce qu'il prétend, M. [B] [E] n'est pas propriétaire de la moitié du bien immobilier mais à hauteur de 80,80 %. La partie indivise appartenant à M. [B] [E] doit, en vertu de la jurisprudence, être prise en compte pour apprécier la proportionnalité du cautionnement. Les sommes restant dues au titre du prêt s'élèvent à ce jour, contrairement aux prétentions de M. [B] [E], à 180.310,28 euros, soit une part à sa charge de 145 690,71 euros. En ce qui concerne son patrimoine immobilier indirect, M. [B] [E] est propriétaire à 60%, en indivision via la S.C.I. [Localité 7] [Adresse 2], d'un bien immobilier qu'il avait lui-même estimé dans la fiche de renseignements remplie en juin 2014 à hauteur de 480 000 euros, soit une part indivise lui appartenant à hauteur de 288 000 euros. En près de dix ans, la valeur de ce bien a nécessairement dû augmenter et, corrélativement, les sommes restant dues au titre du prêt qui a servi à la financer ont diminué.

- que la Cour de cassation considère que c'est à la caution, fût-elle non avertie, de rapporter la preuve que son engagement n'était pas adapté à ses capacités financières ou qu'il existait un risque d'endettement excessif. En ce qui concerne la sanction, la Cour de cassation juge que le préjudice né du manquement par un établissement de crédit à son obligation de mise en garde s'analyse en la perte d'une chance de ne pas contracter, les dommages et intérêts alloués ne pouvant être égaux au montant de la dette. En l'espèce, la Société générale fait valoir qu'elle démontre que les engagements de caution souscrits par M. [B] [E] étaient proportionnés. Par conséquent, la Société générale n'était pas tenue à un devoir de mise en garde à l'encontre de la caution dès lors qu'il n'existait, au vu de ses déclarations et de sa situation, aucun risque d'endettement excessif. Elle n'a donc commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité. En tout état de cause, M. [B] [E] ne serait fondé qu'à faire état d'une perte de chance de ne pas contracter. Il ne peut donc solliciter l'allocation de dommages et intérêts d'un montant égal aux sommes qui lui sont réclamées par la Société générale.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mars 2024.

MOTIFS

M. [B] s'est porté caution solidaire de la société Fima dans la limite de la somme de 50 000 euros le 3 juillet 2014 et, supplémentairement, dans la limite de la somme de 130 000 euros le 14 avril 2015.

Il ressort de l'article L341-4 du code de la consommation, devenu L 332-1, entré en vigueur antérieurement aux cautionnement litigieux, que l'engagement de caution conclu par une personne physique au profit d'un créancier professionnel ne doit pas être manifestement disproportionné aux biens et revenus déclarés par la caution sous peine de déchéance du droit de s'en prévaloir.

La charge de la preuve de la disproportion incombe à la caution poursuivie qui l'invoque et celle-ci doit être appréciée à la date de l'engagement, en tenant compte de ses revenus et patrimoine ainsi que de son endettement global.

Aucune disposition n'exclut de cette protection la caution dirigeante d'une société dont elle garantit les dettes.

La banque n'a pas à vérifier les déclarations qui lui sont faites à sa demande par les personnes se proposant d'apporter leur cautionnement sauf s'il en résulte des anomalies apparentes.

Il incombe alors au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné, lors de sa conclusion, aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir qu'au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.

La banque produit une fiche de renseignement datée du 30 juin 2014 dont il importe peu qu'elle ne serait pas de la main de M. [B] dès lors qu'il ne conteste pas l'avoir signée au bas d'une mention selon laquelle il 'certifie l'exactitude des renseignements ci-dessus', de sorte que M. [B] ne peut utilement faire désormais valoir des revenus qui auraient été en réalité moindres.

Il en ressort que, né le [Date naissance 3] 1971, M. [B] est marié (sous contrat c'est à dire, comme constant, sous le régime de la séparation de bien), qu'il exerce l'activité de directeur technique de la société Fima pour un revenu annule brut de 43 420 euros (3 340 euros brut mensuels sur 13 mois), que ses charges sont constituées d'un loyer de 900 euros mensuels et d'une pension alimentaire de 300 euros mensuels, qu'il est propriétaire indivis à hauteur de 60 % de parts de SCI détenant un bien sis [Adresse 2] à [Localité 7] estimé à la somme de 480 000 euros en regard de la quelle une somme de 315 573 euros de capital restant dû est inscrite.

C'est à tort que la Société Générale, suivie par le tribunal, ne soustrait pas la charge d'emprunt de la valeur du bien immobilier détenu par la SCI, de sorte que la valeur immobilière doit être estimée à (480 000 - 315 573 X 60 % ) = 98 656,20 euros.

Cet actif constitué des parts de la SCI, alors qu'il n'est pas allégué l'existence de charges supplémentaires de la celle-ci affectant leur valeur, fait partie des biens de M. [B] et le défaut prétendu de liquidité de cet actif est indifférent à l'appréciation de la disproportion manifeste.

Il en ressort que l'engagement de caution n'était pas manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution au moment de sa souscription.

Le nouvel engagement de caution du 14 avril 2015 porte la limite des engagements à la somme de 130 000 euros et la banque ne produit pas de fiche actualisée de la situation financière de M. [B] à cette date.

Ce dernier produit les avis d'imposition 2015 et 2016 comportant mention de revenus de 11 105 euros en 2014 et de 29 537 euros en 2015.

Même à considérer que le prêt finançant le bien immobilier de la SCI a été supplémentairement amorti pendant les 10 mois qui séparent la fiche de renseignement du 30 juin de ce nouvel engagement, il doit être constaté que lorsque le dit prêt a été renégocié, le nouveau tableau d'amortissement énonce une somme encore due en capital de 281 930 euros au 1er janvier 2016.

En conséquence, les biens et revenus de M. [B] (soit environ 105 000 euros d'actif et des revenus de l'ordre de 30 000 euros avec des charges dont rien n'indique qu'elles avaient baissé compte tenu de leur nature) rendaient un engagement dans la limite totale de 130 000 euros manifestement disproportionné.

La banque fait cependant valoir que M. [B] est en mesure de faire face à ses obligations au moment où il a été appelé, c'est à dire en payant la somme totale de (58 736,86 + 17 005,48)= 75 742,34 euros à la date de l'assignation du 4 août 2021.

Elle produit à cet effet, un extrait du service de la publicité foncière selon lequel M. [B] a acquis le 27 juillet 2018 une maison à [Localité 7] sise [Adresse 5] pour un prix de 316 000 euros en indivision, ses parts étant de 80,80 % et un avis de valeur - effectué par un enquêteur privé qui n'a examiné le bien que de l'extérieur - estimant le bien à la somme de 410 000 euros.

M. [B] verse aux débats quant à lui seulement la première page d'une offre de prêt du 3 juillet 2018 pour l'acquisition de cette maison - que la Société Générale ne complète pas alors qu'elle est le prêteur - selon laquelle il est prêté au couple la somme de 192 163,25 euros au taux fixe nominal de 1,70 % remboursable en 240 échéances de 1007,32 euros.

Il en ressort que la valeur de l'actif de M. [B] au moment de l'acquisition était de (316 000 - 192 163 x 80,80 %)= 100 060, 30 euros, de sorte que, indépendamment même de l'amortissement du prêt et de l'augmentation des valeurs immobilières, il était en mesure de faire face à ses obligations.

M. [B] ne conteste pas, en outre, être encore détenteur des parts de la SCI [Localité 7] et expose qu'il restait encore 130 592 de charges de prêt à régler lors de sa mise en demeure du mois d'août 2021, de sorte que la valeur des parts peut être fixée à la somme de (480 000 - 130 592 X 60 % ) = 209 644,80 euros

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé les condamnations au profit de la Société Générale, non autrement critiquées.

S'agissant des demandes subsidiaires de M. [B], il résulte de l'article 1147 du code civil que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie si, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté à ses capacités financières ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, résultant de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

M. [B] ne fait pas valoir le caractère excessif des concours au regard des capacités de la société Fima mais de sa propre situation en sa qualité de caution.

Il résulte de ce qui précède que non seulement, le premier cautionnement dans la limite de la somme de 50 000 euros n'était pas manifestement disproportionné mais qu'il était adapté à ses capacités financières, de sorte que la banque n'était pas tenue de le mettre en garde.

S'il est exact que relativement au second cautionnement, la banque était, en revanche, tenue à une obligation de mise en garde compte tenu de sa disproportion manifeste, aucune condamnation ne doit cependant être prononcée dès lors que le préjudice en lien avec un manquement de cette nature est constitué de la perte de chance de ne pas s'être engagé et de ne pouvoir honorer ses obligations alors que tel n'est pas le cas en l'espèce, M. [B] ayant la capacité d'y faire face.

Il y a lieu de condamner M. [K] [B] [E] aux dépens comportant le coût de la prise de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire et de sa signification mais non des mesures ultérieures de la compétence du juge de l'exécution ainsi qu'à payer à la Société Générale la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [K] [B] [E] aux dépens ainsi qu'à payer à la Société Générale la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [K] [B] [E] aux dépens de la présente instance comprenant la prise de l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire et de sa signification.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 23/04235
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;23.04235 ?
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