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03/07/2024 | FRANCE | N°22/16177

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 03 juillet 2024, 22/16177


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4



ARRET DU 03 JUILLET 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 22/16177 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGM5M



Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Août 2022 - Tribunal de Commerce de Melun - RG n° 2022F00065





APPELANTE



S.A.S.U. PAPREC GRAND ILE-DE-FRANCE agissant poursuites et diligences

de ses représentant légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Bobigny sous le numéro 421 716 465

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRET DU 03 JUILLET 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 22/16177 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGM5M

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Août 2022 - Tribunal de Commerce de Melun - RG n° 2022F00065

APPELANTE

S.A.S.U. PAPREC GRAND ILE-DE-FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentant légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Bobigny sous le numéro 421 716 465

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Belgin Pelit-Jumel de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de Paris, toque : D1119

assistée de Me Julien Duffour de l'AARPI 107 UNIVERSITE, avocat au barreau de Paris

INTIMEES

S.A.S. [B] AMPLIROLL SERVICES prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS d'Épinal sous le numéro 889 315 677

[Adresse 4]

[Localité 2]

S.A.S. FINANCIERE [B] prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS d'Épinal sous le numéro 306 450 412

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentées par Me Matthieu Boccon Gibod de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de Paris, toque : C2477

assistées de Me Alexis Forge de L'AARPI MAJJ AVOCATS, avocat au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Julien Richaud, conseiller, et Mme Marie-Laure Dallery, magistrat à titre honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre

M. Julien Richaud, conseiller

Mme Marie-Laure Dallery, magistrat à titre honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : M. Maxime Martinez

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre et par M. Maxime Martinez, greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Paprec Grand Ile-de-France (ci-après, « la SAS Paprec »), qui exerce une activité principale de collecte et de recyclage de déchets et papiers, a embauché madame [N] [L] en qualité d'adjointe au directeur de l'agence de l'établissement de [Localité 5] le 3 octobre 2019 à compter du 6 janvier 2020 et monsieur [E] [D] en qualité d'assistant planning le 1er novembre 2018 à compter du 5 novembre suivant, leurs contrats de travail stipulant en l'article 13 de leurs additifs une clause de non-concurrence rédigée en termes similaires pour des durées de 18 et 24 mois.

La SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services, qui appartiennent au groupe [B], exercent respectivement des activités principales déclarées de holding et de transport routier de marchandises, d'affrètement et de location de matériel roulant.

Madame [N] [L], qui avait démissionné le 24 novembre 2020 avec un préavis de trois mois expirant le 24 février 2011, était engagée par la SAS Financière [B] le 1er mars 2021 en qualité de chef de projets.

Invoquant la violation de la clause de non-concurrence stipulée à son contrat de travail, la SAS Paprec a mis en demeure ces dernières de cesser toute collaboration par courriers des 19 et 25 mars 2021, ce qu'elles refusaient par lettres des 1er et 2 avril 2011 soulignant la différence entre les activités exercées par la SAS Paprec et le groupe [B]. La SAS Paprec était alors autorisée, par ordonnance du 22 juin 2021 rendue sur requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile par le délégataire du président du tribunal de commerce de Melun, à pratiquer des mesures de constat et de saisie dans les locaux de la SAS Financière [B]. Cependant, cette décision était rétractée par ordonnance du 20 octobre 2021.

En outre, par ordonnance du 18 mars 2022, le conseil des prud'hommes de Bobigny, saisi le 24 novembre 2021 par la SAS Paprec qui sollicitait la cessation en référé de la relation de travail entre madame [N] [L] et la SAS Financière [B], a rejeté l'intégralité des demandes de la SAS Paprec.

De son côté, monsieur [E] [D] a convenu avec son employeur de la rupture de son contrat de travail le 6 août 2021 puis a été embauché par la SAS [B] Ampliroll Services.

Alléguant à nouveau une violation de la clause de non-concurrence stipulée à son contrat de travail, la SAS Paprec a, par courriers du 5 octobre 2021, mis en demeure monsieur [E] [D] et « le groupe [B] » de cesser toute collaboration.

C'est dans ces circonstances que, autorisée à assigner à bref délai par ordonnance rendue sur requête par le délégataire du président du tribunal de commerce de Melun le 11 février 2022, la SAS Paprec a, assigné la SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services par acte d'huissier signifié le 17 février 2022 devant le tribunal de commerce de Melun en réparation de ses préjudices.

Par jugement du 1er août 2022, le tribunal de commerce de Melun a statué en ces termes :

- « Se déclare compétent pour statuer sur le présent litige ;

- Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer en attendant la décision du conseil des Prud'hommes de Bobigny ;

- Déboute la SAS Paprec Grand Ile-de-France de l'intégralité de ses demandes ;

- Condamne la SAS Paprec Grand Ile-de-France à payer à la SAS Financière [B] et à la SAS [B] Ampliroll Services la somme de [2 500 euros] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne la SAS Paprec Grand Ile-de-France en tous les dépens ['] ;

- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ['] ».

Par déclaration reçue au greffe 15 septembre 2022, la SAS Paprec interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 8 décembre 2022, la SAS Paprec demande à la cour, au visa des dispositions des articles 1200 et 1240 du code civil et 700 du code de procédure civile :

- d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle a :

* débouté la SAS Paprec de l'intégralité de ses demandes ;

* condamné la SAS Paprec à payer à la SAS Financière [B] et à la SAS [B] Ampliroll Services la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

- statuant à nouveau, de juger que les clauses de non-concurrence liant madame [N] [L] et monsieur [E] [D] à la SAS Paprec sont valides, de juger que madame [N] [L] et monsieur [E] [D]ont violé les clauses de non-concurrence et de juger que le groupe [B] s'est rendu complice de ces violations, et en conséquence, de :

o* condamner in solidum la SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services à payer 70 000 euros de dommages et intérêts à la SAS Paprec ;

* condamner in solidum la SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services à payer à la SAS Paprec la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* les débouter de toutes leurs demandes ;

* condamner in solidum la SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services au paiement des entiers dépens de l'instance.

En réponse, dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 mars 2023, la SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services demandent à la cour de :

- juger mal fondé l'appel de la SAS Paprec ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Melun du 1er août 2022 en ce qu'il a débouté la SAS Paprec de l'intégralité de ses demandes et condamné la SAS Paprec à payer à la SAS Financière [B] et à la SAS [B] Ampliroll Services la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- en conséquence :

* débouter la SAS Paprec de l'ensemble de ses demandes ;

* condamner la SAS Paprec à verser à la SAS Financière [B] et à la SAS [B] Ampliroll Services la somme de 5 000 euros chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens au titre de la procédure d'appel.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la violation de la clause de non-concurrence

Moyens des parties

Au soutien de ses prétentions, la SAS Paprec, qui souligne la validité des clauses de non-concurrence opposées, expose que son activité comprend la collecte des déchets, soit leur ramassage et leur transport, et qu'elle est en ce sens directement concurrente de celle exercée par le groupe [B] et qui correspond à celle que lui a cédée la société Tais, filiale du groupe Véolia qui est son concurrent direct. Elle ajoute que le transport ne se réduit pas au déplacement de marchandises et ne peut être dissocié de la collecte, cette indivisibilité étant d'ailleurs visible en son sein quoique ses chauffeurs soient soumis à la convention collective nationale transports. Elle en déduit que la SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services sont complices de la violation de leurs obligations contractuelles de non-concurrence par madame [N] [L] et monsieur [E] [D] et qu'elles engagent de ce fait leur responsabilité civile délictuelle sur le fondement de l'article 1240 du code civil. Elle explique que ces actes de concurrence déloyale, qui reposent sur la captation de son savoir-faire, d'informations sensibles la concernant et de son « carnet d'adresses », ont permis un détournement de sa clientèle et ont conféré au groupe [B], qui est également un de ses clients, un avantage significatif dans les négociations menées avec elle.

En réponse, la SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services, qui ne contestent pas la validité des clauses de non-concurrence opposées, expliquent que les parties ont des objets sociaux et des activités effectives distinctes, la collecte, qui suppose la réalisation d'un tri des matières valorisables ou non, n'étant pas assimilable au transport, qui n'est qu'un moyen d'exploitation interne pour la SAS Paprec et non une activité commerciale propre, une prestation de service accomplie pour un tiers, telle celle qu'effectue le groupe [B] qui porte sur tout type de marchandises. Elles en déduisent opérer sur des marchés distincts et n'être pas en concurrence avec la SAS Paprec. Elles ajoutent que cette dernière, dont le raisonnement est hypothétique, ne démontre pas le principe et la mesure du préjudice qu'elle allègue, le savoir-faire évoqué n'étant pas, comme les informations sensibles prétendument recueillies, défini et n'étant pas en lien avec les fonctions de madame [N] [L] et de monsieur [E] [D] qui n'impliquaient par ailleurs, à raison de leur caractère technique et non commercial, aucune exploitation du « carnet d'adresses » de la SAS Paprec.

Réponse de la cour

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

L'action en concurrence déloyale est une modalité particulière de mise en 'uvre de la responsabilité civile délictuelle pour fait personnel de droit commun. Elle suppose ainsi la caractérisation d'une faute, d'une déloyauté appréciée à l'aune de la liberté du commerce et de l'industrie et du principe la libre concurrence, ainsi que d'un préjudice et d'un lien de causalité les unissant. A ce titre, si une situation de concurrence effective n'est pas une condition préalable de sa mise en 'uvre (en ce sens, Com. 10 novembre 2012, n° 1-25.873, déjà cité), l'absence d'incidence prouvée de la faute sur la situation du demandeur à l'action fera obstacle à la caractérisation du préjudice et du lien de causalité (en ce sens, Com. 16 mars 2022, n° 20-18.882). Et, si le préjudice s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, la victime doit prouver l'étendue de son entier préjudice (en ce sens, Com. 12 février 2020, n° 17-31.614). Dans ce cadre, le juge, tenu de réparer intégralement tout préjudice dont il constate le principe (en ce sens, Com., 10 janvier 2018, n° 16-21.500), apprécie souverainement son montant dont il justifie l'existence par la seule évaluation qu'il en fait sans être tenu d'en préciser les divers éléments (en ce sens, Ass. plén., 26 mars 1999, n° 95-20.640).

Par ailleurs, si, conformément à l'article 1199 du code civil, une convention ne peut ni profiter ni nuire aux tiers, un manquement contractuel, qui a à leur endroit une nature délictuelle et qui leur cause un préjudice certain, personnel et direct, engage la responsabilité délictuelle de leur auteur à leur profit (en ce sens, pour une confirmation d'un principe ancien, Ass. Plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963). Et, tenu de respecter la situation juridique créée par le contrat au sens de l'article 1200 du code civil, le tiers qui se rend complice de la violation d'une stipulation contractuelle en connaissance de cause engage sa responsabilité délictuelle à l'égard du cocontractant victime de cette inexécution (en ce sens, Com., 14 octobre 2020, n° 18-20.922).

A titre liminaire, la Cour constate que :

- si aucune pièce n'est produite concernant l'embauche de monsieur [E] [D] par la SAS [B] Ampliroll Services, cette dernière, qui consacre son argumentation à l'absence d'identité des activités et à l'inexistence du préjudice allégué, ne conteste pas sa qualité d'employeur qui est en conséquence acquise ;

- la validité des clauses de non-concurrence stipulées dans les contrats de travail de madame [N] [L] et de monsieur [E] [D] n'est pas contestée. Aussi, les développements de la SAS Paprec à ce titre ne méritent aucun examen ;

- les intimées ne contestent pas avoir eu connaissance de la clause lors de l'embauche, son existence leur ayant été de surcroît rappelée par les mises en demeure des 25 mars 2021 et 5 octobre 2021 (pièces 9 et 23 de l'appelante).

La clause de non-concurrence stipulée pour une durée de 24 mois dans l'additif au contrat de travail de madame [N] [L], embauchée en qualité d'adjointe au directeur d'agence de [Localité 5] en charge notamment de l'organisation et du suivi du camionnage, est ainsi rédigée (pièce 2 de l'appelante, article 13) :

Notre Groupe et ses filiales ont développé un savoir-faire particulier nous ayant permis de devenir un leader national et international du recyclage des déchets et du négoce des matières premières issues du recyclage.

En effet, nous développons pour nos clients des solutions innovantes pour traiter leurs déchets, en particulier en privilégiant la valorisation matière et en investissant avec eux dans des matériels et techniques spécifiques.

Enfin, notre performance dans le domaine du Recyclage Industriel est liée à notre investissement dans nos usines et dans la formation permanente de nos collaborateurs aux techniques propres à note métier et à son évolution.

Nos valeurs visent notamment le professionnalisme et l'excellence et, par conséquent, nous nous engageons à partager nos savoirs faire avec nos collaborateurs pour qu'ils soient à la pointe de la technique de notre méfier.

Par ailleurs, nous disposons d'un savoir-faire particulier en matière de qualité de services aux clients et de portefeuille clients que nous entendons préserver.

La signature de cette clause de non-concurrence est une condition déterminante de notre souhait de vous engager dans notre groupe.

De ce fait, vous êtes soumis, à l'issue de vote contrat de travail, à une clause de non-concurrence telle que définie dans les conditions ci-dessous :

Domaine d'activité concurrentiel : celui dont s'occupe votre société. Sauf disposition particulière, il s'agit de la collecte, de la valorisation et du recyclage des vieux papiers, cartons et plastique, de la collecte et du traitement des DIB, du bois, des collectes sélectives, des encombrants, de la fabrication de Combustible Solide de Récupération, tant au niveau des achats que des prestations de service et de la vente, de l'élimination ou du négoce desdits produits.

Formes d'activité : compte tenu de la formation et des informations stratégiques auxquelles vous avez pu avoir accès, et des connaissances acquises dans le cadre de vos fonctions vous vous engagez, en cas de rupture du présent contrat, pour quelque cause que ce soit, à :

Ne pas enter au service d'une entreprise développant une activité concurrente à la nôtre et plus largement à ne pas collaborer directement ou indirectement avec un tiers concurrent à quelque titre que ce soit (salarié, associé, gérant, mandataire social, consultant').

Ne pas exercer pour votre compte personnel, directement ou indirectement, une activité concurrente à la nôtre à quelque titre que ce soit.

La clause de non-concurrence stipulée pour une durée de 18 mois dans l'additif du contrat de travail de monsieur [E] [D], engagé en qualité d'assistant planning sur le site de [Localité 5] en charge notamment de la gestion, de l'organisation, du contrôle et de la planification des tournées des chauffeurs, du suivi et de l'entretien des camions et des obligations légales afférentes ainsi que de la prise des commandes des clients, définit en termes presque identiques l'activité qui en est l'objet, les variations sémantiques mineures n'impliquant aucune modification de la portée de la clause ainsi que l'admettent les parties (pièce 20 de l'appelante, article 12).

L'unique faute imputée aux intimées consiste en l'embauche de salariés obligés par une clause de non-concurrence en violation de ses termes : le litige ne porte pas sur l'exercice d'une activité concurrente en soi de celle de la SAS Paprec par la SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services mais sur la correspondance entre l'activité confiée à madame [N] [L] et à monsieur [E] [D] par ces dernières et les termes de la clause de non-concurrence. Dans cette logique, la comparaison des objets sociaux des parties, qui est en outre purement abstraite alors qu'elle devrait porter sur leurs activités effectives et concrètes et qui n'exclut pas, malgré leur différence globale, des identités partielles, manque de pertinence.

Les contrats et leurs additifs ne comprenant pas leur propre lexique et les parties ne précisant pas la source des définitions qu'elles livrent des termes « collecte » et « transport », ces dernières doivent être confrontées au sens commun déterminé en considération de la signification usuellement admise de chacun de ces mots et des usages spécifiques qu'en font les documentations spécialisée et promotionnelle produites (pièces 11 et 12 des intimées).

A ce titre, il ressort de l'étude du ministère de la transition écologique et solidaire « Economie sociale et solidaire : la valorisation des déchets et le réemploi » que la collecte désigne l'action de réunir et/ou de recueillir des produits en vue de leur traitement. Le terme transport n'y est pas spécifiquement défini mais est considéré comme participant, avec la collecte, d'une étape unique de la gestion des déchets (page 34) qui « englobe les processus de collecte, tri, traitement, valorisation ou élimination » (page 15). Usuellement entendu comme l'acheminement, ici d'une chose, d'un lieu à un autre, le critère du déplacement étant d'ailleurs essentiel dans la qualification d'un contrat de transport, il apparaît ainsi comme englobant la collecte qui en constitue l'étape préalable nécessaire, personne ne prétendant que le ramassage soit en pratique distingué du déplacement et qu'il puisse être conçu comme une activité divisible susceptible notamment d'être confiée à un tiers.

Aussi, la distinction théorique introduite par les intimées entre l'activité de transport autonome correspondant à une prestation commerciale servie à un tiers et celle exercée à titre de modalité d'exploitation interne sans valeur ajoutée est artificielle matériellement et juridiquement. De fait, l'activité de transport de déchets effectuée par le groupe [B] lui a été confiée en sous-traitance par le groupe Véolia, dont il n'est pas contesté qu'il est un concurrent direct de la SAS Paprec. Ce mode d'organisation confirme que le transport de déchets constitue une branche de l'activité de tout gestionnaire de déchets, tel la SAS Paprec, qui peut choisir de l'assumer personnellement ou d'en confier la réalisation à un tiers dont il sera néanmoins comptable, et qu'il englobe la collecte, dont il n'est pas prétendu qu'elle ait été conservée par le groupe Véolia comme tâche distincte, et l'acheminement. A cet égard, les articles de presse produits, qui rapportent cette sous-traitance et la mobilisation des chauffeurs qu'elle a suscitée, ne l'évoque que sous le terme de « collecte » entendu comme « la gestion des tournées des camions qui ramassent les bennes et transportent leur contenu jusqu'aux "exécutoires" en vue de leur traitement » (pièce 7 de l'appelante). Si cette externalisation s'accompagnait d'une modification de la convention collective applicable aux personnels affectés, elle n'impliquait pas un changement de nature de leur activité, madame [N] [L] et monsieur [E] [D] étant d'ailleurs eux-mêmes soumis à des conventions collectives distinctes au sein de la SAS Paprec où leurs attributions comprenaient l'organisation, la gestion et le contrôle des tournées.

Dès lors, si la collecte ou le transport de déchets n'est pas, selon les termes mêmes des clauses de non-concurrence opposées, le c'ur de l'activité commerciale de la SAS Paprec dont le savoir-faire est concentré sur le tri, le traitement, la valorisation et le recyclage des déchets, étapes ultérieures de la gestion des déchets, elle n'en constitue pas moins une des activités directement visées par ces stipulations et correspond aux tâches confiées par la SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services à madame [N] [L] (pièce 4 des intimées) et monsieur [E] [D], la concomitance entre la sous-traitance de l'activité de transport par le groupe Véolia et leur embauche par les intimées confortant cette analyse.

En conséquence, malgré la différence entre les activités et objets sociaux des parties, ces derniers ont violé leurs clauses de non-concurrence en acceptant d'être employés par la SAS Financière [B] et par la SAS [B] Ampliroll Services. Corrélativement, celles-ci, qui n'ignoraient pas l'existence de ces stipulations, ont commis une faute délictuelle en procédant à leur embauche.

Il doit être constaté que la SAS Paprec ne prouve ni le détournement de clientèle ni la communication de son fichier clients allégués et qu'elle ne précise pas la nature des informations dont elle dénonce la divulgation sans en expliciter le contenu. Elle ne prouve ainsi aucun préjudice économique certain. Cependant, ainsi qu'elle le souligne, l'embauche de salariés dotés d'un savoir-faire spécifique, acquis ou développé auprès de leur ancien employeur, en matière de transport de déchets, qui implique une économie d'investissements au titre de leur formation et confère nécessairement un avantage compétitif tiré de leur connaissance intime du fonctionnement d'un acteur susceptible de les concurrencer, au moins partiellement, lui cause un trouble difficilement quantifiable à raison de sa dimension morale. Au regard de l'absence de toute concurrence sur le segment qui constitue le c'ur de métier de la SAS Paprec (tri, valorisation et recyclage), ce préjudice sera évalué à la somme de 10 000 euros.

En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la SAS Paprec et les intimées, dont les actions conjuguées ont concouru à la réalisation d'un dommage unique, seront condamnées in solidum à lui payer la somme de 10 000 euros en indemnisation intégrale de son préjudice.

2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens. Cependant, la Cour constate que la SAS Paprec ne forme aucune demande spécifique au titre de ces frais et dépens.

Succombant, la SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services, dont les demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées, seront condamnées in solidum à payer à la SAS Paprec la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne in solidum la SAS Financière [B] et la SAS [B] Ampliroll Services à payer à la SAS Paprec Grand Ile-de-France la somme de 10 000 euros en réparation intégrale de son préjudice ;

Y ajoutant,

Rejette les demandes de la SAS Financière [B] et de la SAS [B] Ampliroll Services au titre des frais irrépétibles ;

Condamne in solidum la SAS [B] Ampliroll Services et la SAS Financière [B] à payer à La SAS Paprec Grand Ile-de-France la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la SAS [B] Ampliroll Services et la SAS Financière [B] à supporter les dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 22/16177
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;22.16177 ?
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