Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRET DU 03 JUILLET 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06552 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEC26
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 20/07278
APPELANTE
Madame [U] [Y]
Née le 10 décembre 1990, à [Localité 5] (Algérie),
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Myriam DUMONTANT, avocat au barreau de PARIS, toque : C2370
INTIMEE
S.A.S. MONOPRIX EXPLOITATION, PAR ABREVIATION 'MPX', représenté en la personne de son représentant légal
N° SIRET : 552 083 297
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Cécile FOURCADE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1815
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne MENARD, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Anne MÉNARD, présidente
Fabienne ROUGE, présidente
Véronique MARMORAT, présidente
Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC
ARRET :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Anne MENARD, Présidente de chambre et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Madame [Y] a été engagée par la société Monoprix le 7 décembre 2015.
Elle occupait en dernier lieu des fonctions d'employée commerciale libre-service Caisse, moyennant une rémunération mensuelle de 1.564 euros.
Elle a été licenciée pour faute grave le 8 août 2020, la lettre de licenciement étant motivée dans les termes suivants :
'Les faits qui vous sont reprochés et que vous avez partiellement reconnus sont les
suivants :
Comportement et propos déplacés :
Le vendredi 7 juillet 2020 aux alentours de 11h00, votre responsable hiérarchique, Monsieur [C] [D], constate que vous effectuez un travail de mise en rayon, sans qu'aucune consigne de sa part ne vous ait été faite.
Plus précisément, vous avez pris l'initiative de délaisser votre poste d'hôtesse de caisse, pour procéder à un travail de mise en rayon de votre propre initiative.
C'est alors, que Monsieur [C] [D] vous a demandé de prendre votre pause déjeuner, vous avez refusé catégoriquement, prétextant selon vous, qu'il était trop tôt pour aller en pause, vous l'avez alors ' invité ' à désigner une autre collègue de travail pour prendre la pause.
Monsieur [C] [D] vous a précisé, que vous n'étiez pas décisionnaire de l'organisation du service, et que vous deviez respecter les consignes de travail qui vous étaient faites.
Alors que votre responsable avait regagné son bureau, vous êtes entrée dans celui-ci sans en fermer la porte, et avez tenu des propos irrespectueux et déplacés à son égard, à savoir: ' C'est normal que le service fonctionne mal et que vous ayez des problèmes au sein de l'entreprise, puisque ce que vous demandez, ne correspond pas à ce qui se fait depuis des années ici ! ' puis ' Ce n'est pas vous qui décidez, je refuse de vous obéir ! '.
Vos propos déplacés ont été tenus à proximité de vos collègues de travail et de notre clientèle étant donné que le bureau de Monsieur [C] [D] donne directement sur la surface de vente et que vous n'aviez pas fermé la porte.
Lors de notre entretien vous avez reconnu avoir tenu ses propos déplacés à l'encontre de votre supérieur hiérarchique.
Vous travaillez en collectivité ce qui implique que vous ayez des rapports courtois avec vos collègues et votre hiérarchie.
Quel que soit le type de problème que vous rencontrez dans votre travail, vous devez rester maître de votre comportement.
Par ailleurs, ces faits ne sont pas isolés puisque vous avez déjà fait l'objet de sanctions à propos de comportements similaires, en effet vous avez déjà été sanctionné par une mise à pied de 3 jours pour comportement déplacé.
Une telle attitude ne permet plus le travail d'équipe nécessaire à la garantie d'un service irréprochable envers notre clientèle.
Absences injustifiées à votre poste de travail
' Sur la journée du 20 juin 2020, entre 9h03 et 9h55, vous étiez absente de votre poste de travail d'hôtesse de caisse pendant plus de 53 minutes, sans avoir pris le soin de prévenir de votre absence, alors que vous étiez sur votre temps de travail effectif.
Nous vous avons cherché dans tout le magasin sans résultat.
' Sur la journée du 1 er juillet 2020, entre 13h09 et 14h43, vous étiez absente de votre poste de travail d'hôtesse de caisse et ceci pendant plus de 1h34, sans avoir pris le soin de prévenir et ou de solliciter une autorisation d'absence.
Votre responsable hiérarchique vous a cherché dans tout le magasin mais ses recherches sont restées vaines.
' Sur la journée du 2 juillet 2020, de nouveau, vous étiez absente de votre poste de travail de 13h35 à 14h42, soit 1h07, sans la moindre explication, ni autorisation.
Nous vous avons interrogé oralement plusieurs fois afin que vous puissiez nous justifier vos absences à votre poste de travail mais sans succès.
Ces absences répétées et injustifiées à votre poste de travail dénotent d'un manque de rigueur et de conscience professionnelle qui ne peuvent être tolérés plus longtemps.
Cette attitude inacceptable rend donc impossible la poursuite de votre contrat de travail.
Votre licenciement prend donc effet immédiatement à la date d'envoi de la présente notification, sans indemnité de préavis, ni de licenciement'.
Madame [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 7 octobre 2020.
Par jugement du 5 mai 2021, le conseil a condamné la société Monoprix à lui payer les sommes suivantes :
3.128 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
321,8 euros au titre des congés payés afférents ;
1.824,76 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement;
1.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [Y] a interjeté appel de cette décision le 16 juillet 2021.
Par conclusions récapitulatives du 29 avril 2024, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, elle demande à la cour de :
- débouter la société Monoprix de sa demande tendant à faire déclarer par la Cour d'appel que sa déclaration d'appel ne dévolue à la Cour aucun chef critiqué du jugement attaqué et que la Cour n'est saisie d'aucune demande ;
- confirmer le jugement sur les condamnations prononcées ;
- l'infirmer pour le surplus, et condamner la société Monoprix au paiement des sommes suivantes :
18.768 euros, ou subsidiairement 7.820 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice distinct,
3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sollicite en outre la remise de documents de fin de contrat conformes sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
Par conclusions récapitulatives du 10 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Monoprix demande à la cour de dire qu'aucun chef du jugement n'a été déféré à la cour, subsidiairement d'infirmer le jugement sur les condamnations prononcées, de le confirmer pour le surplus, de débouter madame [Y] de toutes ses demandes, et de la condamner au remboursement des sommes perçues au titre de l'exécution provisoire, et au paiement de la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
MOTIFS
- Sur l'effet dévolutif de l'appel de madame [Y]
La société Monoprix soutient que l'appel de madame [Y] serait dépourvu d'effet dévolutif, en ce qu'il ne viserait pas expressément les chefs du jugement critiqués.
Toutefois, la lecture de la déclaration d'appel permet de constater que les chefs du jugement critiqués sont énoncés, la critique portant sur les motivations, mais aussi sur le dispositif.
La demande tendant à dire l'appel dépourvu d'effet dévolutif sera donc rejetée.
- Sur le licenciement
En vertu des dispositions de l'article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis ; l'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
En vertu des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.
La motivation de cette lettre fixe les limites du litige.
En l'espèce madame [Y] conteste l'ensemble des faits qui lui sont reprochés, et fait valoir que la mise en rayon fait partie des tâches qui lui sont confiées, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de s'absenter de sa caisse pour y procéder.
L'employeur, qui supporte seul la charge de la preuve, produit essentiellement des éléments relatifs au passé disciplinaire de madame [Y].
Concernant les faits visés par la lettre de licenciement, la société Monoprix se contente de verser aux débats un mail et une attestation du responsable de caisse monsieur [D]. Aucune autre pièce n'est produite que ce témoignage émanant du supérieur hiérarchique direct de madame [Y], qui s'est plaint de son comportement.
En particulier aucun témoignage n'est produit, alors qu'il est fait état pour le premier grief de ce que les propos litigieux auraient été tenus à proximité des collègues de travail de la salariée et de la clientèle, et pour le second grief de ce que madame [Y] a été recherchée dans tout le magasin, ce qui n'a pu là encore passer inaperçu.
De son côté madame [Y], sur laquelle ne repose pas la charge de la preuve, verse notamment aux débats :
- une attestation de monsieur [I] qui indique que le 17 juillet 2020, compte tenu d'une absence et du peu d'affluence, madame [Y] a proposé de l'aider à faire la mise en rayon, et qu'elle a rejoint son poste lorsque cela lui a été demandé.
- une attestation de monsieur [E] indiquant que le 1er juillet à 13h41 il a vu madame [Y] ranger de la marchandise invendue et des retours clients. Le fait que cet horaire corresponde à son heure de prise de poste dans l'entreprise n'affecte en rien la crédibilité de ce témoignage, puisqu'il a pu faire ce constat dès son arrivée ou très peu de temps après.
- un témoignage de madame [O] qui indique que le 2 juillet, sa collègue [U] [Y] était bien présente pendant ses heures de travail et qu'elle effectuait ses tâches quotidiennes. Elle précise qu'en aucun cas elle ne l'a cherchée dans l'entreprise. La feuille de pointage de cette salariée produite par l'employeur confirme que cette salariée était bien présente aux horaires pour lesquels elle témoigne, peu important qu'elle ait eu une pose de 20 minutes.
- une pétition signée par 46 de ses collègues qui la décrivent comme sérieuse et rigoureuse dans on travail, très appréciée par ses collègues et par la clientèle.
Au regard de ces éléments, la cour retient que les faits reprochés à madame [Y] sont insuffisamment établis par l'employeur, de sorte que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Les montants alloués par le premier juge au titre de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de licenciement sont conformes aux dispositions légales et conventionnelles, et ne sont pas utilement contestés, de sorte que le jugement sera confirmé de ce chef.
Madame [Y] critique le barème d'indemnités tel que prévu par l'article L1235-3 du code du travail. Elle se fonde sur les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, et sur les dispositions de l'article 10 de la convention n°158 de l'organisation internationale du travail.
Les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée disposent : 'en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître : a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ; b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. A cette fin, les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial'.
Au regard de l'importance de la marge d'appréciation laissée aux Etats contractants par ces dispositions, elles ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
Aux termes de l'article 10 de la convention n°158 de l'organisation internationale du travail, qui est d'application directe en droit interne, 'si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée'.
Le terme 'adéquat' doit être compris comme réservant aux Etats une marge d'appréciation.
Les dispositions des articles L1235-3 et L1235-3-1 du code du travail, qui écartent le barème en cas de nullité du licenciement, qui laisse au juge la possibilité de proposer la réintégration, et qui encadre le montant des indemnités en fonction de la taille de l'entreprise et de l'ancienneté du salarié, sont ainsi compatibles avec les dispositions de l'article 10 de la convention 158 de l'OIT.
Aucun de ces fondement ne conduit donc la cour à écarter l'application de ces dispositions.
Madame [Y] avait quatre années d'ancienneté lorsqu'elle a été licenciée, et elle était âgée de 28 ans. Elle justifie avoir suivi une formation, puis avoir été inscrite à pôle emploi.
Compte tenu de ces éléments, il lui sera alloué une indemnité de 7.820 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement des dispositions de l'article L1235-3 du code du travail.
Les éléments du dossier ne permettent pas de retenir l'existence d'un caractère brutal ou vexatoire du licenciement, de sorte qu'il ne sera pas fait droit à la demande de dommages et intérêts de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement, mais seulement en ce qu'il a débouté madame [Y] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la société Monoprix Exploitation à payer à madame [Y] la somme de 7.820 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Confirme le surplus de la décision ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Monoprix Exploitation à payer à madame [Y] en cause d'appel la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société Monoprix Exploitation aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier La présidente