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03/07/2024 | FRANCE | N°21/06548

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 03 juillet 2024, 21/06548


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRET DU 03 JUILLET 2024



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06548 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEC2U



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes de MEAUX - RG n° F 19/00638









APPELANTE



S.C.S. KNAUF PLATRES ET CIE, représent

é en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 317 668 200

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant et par Me Xav...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRET DU 03 JUILLET 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06548 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEC2U

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes de MEAUX - RG n° F 19/00638

APPELANTE

S.C.S. KNAUF PLATRES ET CIE, représenté en la personne de son représentant légal

N° SIRET : 317 668 200

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477, avocat postulant et par Me Xavier REY, avocat au barreau de BLOIS, avocat plaidant

INTIMEE- APPELANTE INCIDENT

Monsieur [P] [E]

Né le 20 juillet 1984 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Présent et assisté de Me Nathalie BAUDIN-VERVAECKE, avocat au barreau de MEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne MENARD, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Anne MÉNARD, présidente

Fabienne ROUGE, présidente

Véronique MARMORAT, présidente

Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Anne MENARD, Présidente de chambre et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [E] a été engagé par la société Knauf Platres le 12 janvier 2016 en qualité de responsable de production.

Il a été licencié le 26 décembre 2018 pour insuffisance professionnelle.

Il a saisi le conseil de prud'hommes de Meaux le 30 juillet 2019.

Par jugement du 27 mai 2021, le conseil a :

- dit que le conseil a statué sur les seules pièces et conclusions déposées par le demandeur antérieurement à l'ordonnance de clôture et dans le respect des délais de communication communiqués en leur temps par les parties

- condamné la société Knauf Platre à payer à monsieur [E] les sommes suivantes:

15.876 euros à titre de rappel de salaire sur bonus ;

1.587,60 euros au titre des congés payés afférents ;

19.239 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;

5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail ;

15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation du droit au repos ;

1.200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Knauf Platre a interjeté appel de cette décision le 16 juillet 2021.

Par conclusions récapitulatives du 13 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, elle demande à la cour de prononcer la nullité du jugement en raison du non respect du principe de la contradiction, subsidiairement d'infirmer le jugement sur les condamnations prononcées, de débouter monsieur [E] de ses demandes et de le condamner à payer, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 2.500 euros pour la première instance et celle de 1.500 euros pour la procédure d'appel.

Par conclusions récapitulatives du 17 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur [E] demande à la cour de confirmer le jugement, sauf sur le quantum de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, dont il demande qu'elle soit portée à la somme de 50.000 euros. Il sollicite en outre le paiement de la somme de 3.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

- Sur la demande de nullité du jugement

La société Knauf Platres expose que le bureau de conciliation avait fixé des dates pour conclure, et renvoyé à la mise en état au mois de mai 2020 ; que cette audience a été renvoyée à une nouvelle audience de mise en état au 7 décembre 2020, sans qu'aucun calendrier de procédure ne soit fixé ; qu'elle a conclu avant cette date, le 25 novembre 2020, laissant deux semaines à son adversaire pour répliquer, et que le 7 décembre 2020, le conseil a prononcé une clôture de la procédure ; que le bureau de jugement a considéré que cette ordonnance de clôture avait écarté ses écritures et avait eu un caractère rétroactif.

Pour écarter les pièces et conclusions de la société Knauf Platre, le conseil de prud'hommes a motivé comme suit :

'Attendu que la présente affaire, enrôlée une première fois en bureau de conciliation du 4 novembre 2019, a été renvoyée à un second bureau de conciliation pour mise en état, fixé le 18 mai 2020. Lors de cette audience, un calendrier de communication des pièces et conclusions a été communiqué aux parties, l'affaire était alors renvoyée à un second bureau de conciliation pour une nouvelle mise en état fixé le 7 décembre 2020. Attendu que le bureau de conciliation du 7 décembre 2020 a constaté que la société Knauf Platres n'a aucunement accompli les diligences qui lui incombaient en termes de communication de pièces avec le demandeur.

Attendu que dès lors, il appartenait au conseil de prendre les mesures nécessaires à la bonne administration du dossier.

Attendu que le conseil a clôturé le dossier le 7 décembre 2020 avec rejet des pièces échangées à compter du 25 novembre 2020 ; que cette mention a été actée au dossier.

Attendu qu'il convient dès lors de statuer sur les seules pièces et conclusions déposées par le demandeur antérieurement à l'ordonnance de clôture et dans le respect des délais de communication communiqués en leur temps par les parties'.

La cour ne peut que constater que l'ordonnance du 7 décembre 2020 n'écarte aucune pièces ou écriture et stipule expressément 'qu'aucun nouveau moyen de fait ou de droit et qu'aucune nouvelle pièce ne pourront être déposés ni produits aux débats consécutivement à la clôture de l'instruction prononcée ce jour'.

En tout état de cause, le code de procédure civile ne prévoit pas la possibilité de donner un effet rétroactif à l'ordonnance de clôture.

Les dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, qui stipulent que le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction n'ont donc pas été respectées, dès lors que le défendeur n'a pas été en mesure de présenter ses pièces et moyens, de sorte que la nullité du jugement sera prononcée.

Compte tenu de l'effet dévolutif qui s'attache à l'appel, il convient de statuer à nouveau sur le fond.

- Sur la demande relative aux bonus

Monsieur [E] soutient que les bonus étaient fixés sur la base d'objectifs définis à postériori, de sorte qu'il s'estime fondé à solliciter qu'ils lui soient accordés en totalité.

Le contrat de travail prévoit dans son article 6 : 'Il vous sera accordé par la direction un bonus sur objectifs dont le montant sera calculé à partir d'une base correspondant à 12 fois le salaire de base mensuel (sans primes) multiplié par un coefficient et pondéré selon l'atteinte d'objectifs fixés annuellement. Ce bonus fera l'objet d'un avenant séparé'.

Il ne ressort pas des pièces versées aux débats que les objectifs permettant le calcul de ce bonus aient été notifiés chaque année à monsieur [E], de sorte qu'il est fondé à obtenir la totalité des bonus définis contractuellement.

Les parties s'accordent pour dire que le bonus maximum, calculé sur la base de 9% du salaire annuel brut, était de 5.292 euros.

Il ressort des bulletins de paie que pour l'année 2016, monsieur [E] a perçu 4.999 euros de bonus en deux versements de décembre 2016 et février 2017, de sorte qu'il est fondé à obtenir une complément de 293 euros.

Pour l'année 2017, il a perçu au total 6.109 euros de bonus, de sorte qu'il a été rempli de ses droits.

Pour l'année 2018, il a perçu 4.826 euros, de sorte qu'il est fondé à obtenir un complément de 466 euros.

Il sera donc fait droit à sa demande de rappel de salaire dans la limite de 759 euros, outre 76 euros au titre des congés payés afférents.

- Sur la demande relative à la violation du droit au repos

Monsieur [E] expose que dans le cadre de la convention de forfait en jour, il était amené à travailler au-delà des durées de travail légal, parfois plus de 48 heures dans la semaine, parfois sans bénéficier des 11 heures de repos journalier obligatoire. Il ajoute que compte tenu des astreintes, il lui arrivait de travailler plus de 6 jours consécutifs, et souligne qu'il était souvent amené à intervenir au cours des dites astreintes.

Il fait également valoir qu'il était régulièrement soumis aux sollicitations de son employeur à tout moment, par téléphone, courriel ou textos.

Il ressort des éléments du dossier que monsieur [E] bénéficiait d'une convention de forfait en jours, dont il ne conteste pas la validité.

Aux termes de l'article L3121-62 du code du travail, 'les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours ne sont pas soumis aux dispositions relatives :

1° A la durée quotidienne maximale de travail effectif prévue à l'article L. 3121-18 ;

2° Aux durées hebdomadaires maximales de travail prévues aux articles L. 3121-20 et L. 3121-22 ;

3° A la durée légale hebdomadaire prévue à l'article L. 3121-27".

En revanche, les salariés bénéficiant d'une convention de forfait en jours doivent bénéficier d'un repos quotidien de 11 heures et d'un repos hebdomadaire de 35 heures consécutives.

En l'espèce, monsieur [E] indique avoir été planifié pour des permanences pour des périodes allant jusqu'à 12 jours consécutifs. Il justifie par la production du relevé des jours travaillés que lorsqu'il était permanence le week end, il était en effet planifié durant 12 jours lorsqu'il n'avait de congé ni la semaine précédente ni la semaine suivante. Cette configuration s'est présentée quatre fois au cours de l'année 2018. Toutefois, monsieur [E] ne justifie pas avoir été sollicité au cours de ces permanences, de sorte qu'il ne s'agit pas de travail effectif.

Monsieur [E] dit établir par ses pièces 47 à 67 qu'il débutait son activité à 8h30 et la terminait souvent vers 23h30 le soir.

Il produit en pièce 47 un texto professionnel qui lui a été adressé le 15 novembre 2018 à 23 heures, auquel il a répondu.

Pour le surplus une partie des pièces qu'il vise dans ces conclusions pour attester de ces horaires sont des mails qui lui ont été adressé en pleine journée (pièces 48, 49, 50, 53, 56, 58, 59, 60, 62, 63, 64, 65 et 67), ou en tout cas avant 20 heures (pièces 55, 57, 61).

D'autres messages lui ont été adressés après 20 heures, voire très tardivement, mais ne requéraient aucune réponse urgente, et il n'y a d'ailleurs pas répondu (pièces 51, 52, 57).

Enfin, si différents messages sont relatifs au recrutement d'un adjoint, ils permettent seulement de démontrer qu'il était impliqué dans ce processus, mais ne font pas ressortir qu'il se soit plaint d'une surcharge de travail ou d'horaires de travail excessifs. Il écarte d'ailleurs lui-même plusieurs candidatures pour ce poste.

Au regard de ces éléments, il n'apparaît pas que les dispositions légales relatives à la durée du travail aient été méconnues, non plus que le droit au repos de monsieur [E], de sorte qu'il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef.

- Sur le licenciement

Sur l'existence d'un licenciement verbal

Monsieur [E] soutient d'une part que le jour de sa convocation à un entretien préalable son licenciement lui a été notifié verbalement, et d'autre part que dès le lendemain, le licenciement a été annoncé en comité de direction, où il n'était pas présent.

Il convient en premier lieu de relever que monsieur [E] ne peut se prévaloir pour fonder un licenciement verbal de ce qu'il n'a plus travaillé après le jour de sa convocation, dès lors que son employeur lui a notifié qu'il était autorisé à ne pas se présenter à son poste jusqu'à l'entretien, mais que cette période lui serait néanmoins payée.

Pour justifier d'un licenciement verbal, il se fonde par ailleurs sur le témoignage de madame [X], qui rapporte que lors d'une réunion, monsieur [C] aurait annoncé sa décision de mettre fin à son contrat. Il ressort toutefois de la même attestation qu'il a bien été indiqué durant cette réunion que la procédure était en cours.

L'employeur soutient en réplique que monsieur [C] s'est contenté d'expliquer à l'encadrement l'absence de monsieur [E], qui avait été dispensé de se présenter à son poste, afin que les mesures organisationnelles nécessaires soient prises.

Il produit l'attestation de monsieur [H], directeur administratif et financier, qui précise qu'au cours de la dite réunion, il a précisé qu'aucune décision n'était prise, et qu'il faudrait attendre la fin de la procédure.

Au regard de ces éléments, il apparaît que monsieur [E] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce qu'il aurait fait l'objet d'un licenciement verbal.

Sur l'existence d'un motif réel et sérieux

Aux termes des dispositions de l'article L 1232-1 du Code du travail, tout licenciement motivé dans les conditions prévues par ce code doit être justifié par une cause réelle et sérieuse ; en vertu des dispositions de l'article L 1235-1 du même code, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par application des dispositions de l'article L 1232-6 du Code du travail, la lettre de licenciement, notifiée par lettre recommandée avec avis de réception, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur ; la motivation de cette lettre, précisée le cas échéant dans les conditions prévues par les articles L1235-2 et R1232-13 du même code, fixe les limites du litige.

En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée dans les termes suivants :

'Les motifs et griefs pris à l'appui de cette décision sont constitués de faits objectifs qui sont les suivants :

Le jeudi 17 octobre 2018 au soir, l'équipe de production m'informe au cours d'une visite du site que la ligne de Polycloison a un niveau de production très mauvais depuis de début de la semaine (en panne depuis le 15 octobre), et qu'ils n'ont presque pas sorti de palettes. Le contremaitre m'informe que vous êtes au courant de cette situation. Le vendredi 18 octobre 2018 au matin, je vous ai demandé si l'atelier de la cloison fonctionnait normalement. Vous avez affirmé qu'il n'y avait aucun problème alors que suite à une nouvelle panne, aucune palette n'avait été produite depuis le matin.

Pendant les pannes de la ligne de Polycloison, vous auriez dû occuper votre personnel sur la machine de production de Knauf sûreté, mais le contremaitre n'a pu le faire car elle était en panne depuis le mois d'Août.

Lorsque vous aviez été informé de cette situation, vous avez répondu à Monsieur [Y] [U], contremaitre du service polycloison que ce n'était pas une priorité car il y avait du stock. La défaillance de la machine n'a pas été corrigée entretemps.

Cette absence de réaction a provoqué une rupture chez nos clients dont j'ai été informé le 24 octobre 2018 par Monsieur [O] [V], responsable de la région commerciale de Knauf Ile de France. Ces derniers n'ont pu être livrés qu'avec retard, cela générant le mécontentement de leur client.

Le 14 septembre 2018, la ligne de plaque Knauf rencontre des problèmes techniques liés à l'installation de mousse. Je vous informe vous et Monsieur [M] [I], responsable qualité et contrôle (qui avait à l'époque moins de 1 mois d'expérience), qu'il s'agit d'un point de réglage process qui relève de votre compétence commune, et vous demande de le régler. Ce point a disparu du tableau, supposé comme réglé. Le 3 octobre 2018, lors de la réunion d'équipe, je suis interpellé par Monsieur [D] [A], technicien production et laboratoire, en colère, car vous demandez aux équipes de maintenir une vitesse de production au maximum, alors que le problème de la mousse n'a jamais été réglé et qu'il n'est pas possible de garantir la qualité de la production dans ces conditions. Je vous ai demandé si vous étiez informé, et m'avez répondu que non.

Le 04 octobre 2018 en réunion de production, j'ai exigé de votre part de tout faire pour régler ce problème, et de définir en particulier un groupe de travail pour ce faire, et que ce point devait être réglé le mercredi 10 octobre. Lorsque je vous ai demandé à cette échéance ou en était la situation, d'une part le problème n'était pas résolu, et d'autre part vous n'avez pas pu me démontrer que vous connaissiez le sujet, car vous n'étiez même pas en mesure d'expliquer le fonctionnement de cette installation pourtant simple. Je vous ai démontré que la définition des mesures à prendre ne se faisait qu'en quelques minutes d'explication.

Alors même que votre expérience chez Knauf Plâtre, les formations que vous avez reçues à lphofen, siège névralgique de la formation en matière de production, ainsi que votre précédente expérience dans le secteur de la plaque de plâtre sont de nature à vous apporter une vision complète en termes de connaissance et de capacité à appréhender le process de fabrication, vous persistez à les ignorer et à détériorer la production par votre inaction ou actions inadaptées.

De plus, j'ai à plusieurs reprises été amené à intervenir pour régler des soucis de tensions liées à un mode de communication inapproprié.

Votre assistante m'a demandé en pleurs de l'aide car le niveau de stress généré par votre comportement lors de la pose de congés ne lui était plus supportable. J'ai dû intervenir auprès de vous et vous ai mis en garde car la situation décrite par votre collaboratrice pouvait être interprétée comme du management toxique.

Enfin, votre manque de réactivité, ou de capacité à lancer des actions dans le cadre de résolution des problèmes amène l'encadrement intermédiaire à perdre leur confiance dans la capacité de l'usine à maîtriser sa production. Ce sujet a été évoqué lors de la réunion CE/DP du 23 octobre 2018, ou un essai perturbant l'organisation du travail du poste carton est resté en place pendant plus d'une semaine sans ni information, ni action pour retrouver une situation normale de travail pour les opérateurs. Je vous avais tenu informé de ce signal fort et de l'absolue nécessité de ne pas laisser des situations sans les corriger ou sans communiquer dessus.

Lors de la réunion CE, le personnel s'est plaint de ne jamais voir le responsable de production s'impliquer lors des pannes de la ligne, pour contribuer à régler les problèmes.

Cette situation et votre incapacité répétée à mener activement et en autonomie des actions, à mettre en avant la priorisation auprès des services connexes (maintenance, logistique) ou à rendre compte font que votre crédibilité envers vos équipes est détruite et nuisent au bon fonctionnement de l'entreprise. Il ne m'est plus possible de pouvoir vous faire confiance pour assurer votre rôle de responsable de production. J'ai donc le regret de vous informer de ma décision de vous licencier pour cause de perte de confiance'.

Monsieur [E] soutient en premier lieu d'une part que la perte de confiance ne peut constituer en soi un motif de licenciement, et d'autre part que les griefs antérieurs au 10 octobre 2018 seraient prescrits par application des dispositions de l'article L1332-4 du code du travail.

Nonobstant le terme de perte de confiance employé in fine par la lettre de licenciement, la cour doit s'attacher à examiner les motifs du licenciement énoncés pour caractériser le type de licenciement. En l'espèce, les différents incidents décrits, auxquels monsieur [E] se serait trouvé dans l'incapacité de trouver une solution, caractérisent un licenciement pour insuffisance professionnelle.

De la même manière, l'article L1332-4 du code du travail ne vise que les faits fautif, caractère que ne revêtent pas les dysfonctionnements décrits dans la lettre de licenciement. En revanche, le grief relatif à l'encadrement du personnel, générateur d'un stress important chez ses collaborateurs, qui vise explicitement une gestion des congés insupportable pour les salariés, est de nature disciplinaire.

Monsieur [E] fait également état à titre liminaire de la surcharge de travail dont il aurait fait l'objet et qu'il aurait régulièrement dénoncée à son employeur. Toutefois, les mails qu'il produit à cet égard sont des échanges sur le recrutement de collaborateurs, où il n'exprime aucune urgence, et à aucun moment il ne fait état de la surcharge de travail qu'il invoque aujourd'hui.

L'unique arrêt de travail dont il fait état sur une semaine n'est pas de nature à caractériser les conditions de travail dégradées dont il se prévaut.

Il convient donc d'étudier les différents griefs afin de déterminer s'ils permettent de conclure à une insuffisance professionnelle de monsieur [E].

- Sur les plaques de sûreté

Le grief pour mémoire est le suivant :

Le jeudi 17 octobre 2018 au soir, l'équipe de production m'informe au cours d'une visite du site que la ligne de Polycloison a un niveau de production très mauvais depuis de début de la semaine (en panne depuis le 15 octobre), et qu'ils n'ont presque pas sorti de palettes. Le contremaitre m'informe que vous êtes au courant de cette situation. Le vendredi 18 octobre 2018 au matin, je vous ai demandé si l'atelier de la cloison fonctionnait normalement. Vous avez affirmé qu'il n'y avait aucun problème alors que suite à une nouvelle panne, aucune palette n'avait été produite depuis le matin.

Pendant les pannes de la ligne de Polycloison, vous auriez dû occuper votre personnel sur la machine de production de Knauf sûreté, mais le contremaitre n'a pu le faire car elle était en panne depuis le mois d'Août.

Lorsque vous aviez été informé de cette situation, vous avez répondu à Monsieur [Y] [U], contremaitre du service polycloison que ce n'était pas une priorité car il y avait du stock. La défaillance de la machine n'a pas été corrigée entretemps.

Cette absence de réaction a provoqué une rupture chez nos clients dont j'ai été informé le 24 octobre 2018 par Monsieur [O] [V], responsable de la région commerciale de Knauf Ile de France. Ces derniers n'ont pu être livrés qu'avec retard, cela générant le mécontentement de leur client.

Dans ses conclusions l'employeur reprend le grief pour l'expliciter. Toutefois, pour en justifier, il se contente de verser aux débats une pièce intitulée 'extrait de la main courante de l'atelier doublage', qui est absolument inintelligible pour la cour, et échoue en tout état de cause à rapporter la preuve de ce que monsieur [E] aurait affirmé avoir qu'il n'y avait aucun problème, ou que le service polycloison n'était pas une priorité. Il n'est pas plus démontré l'existence d'une rupture chez les clients de la société, non plus que leur mécontentement. Monsieur [E] de son côté verse des courriels dont il résulte qu'en définitive il n'y a pas eu de rupture de production.

- Sur l'installation de la mousse

Le grief est le suivant :

Le 14 septembre 2018, la ligne de plaque Knauf rencontre des problèmes techniques liés à l'installation de mousse. Je vous informe vous et Monsieur [M] [I], responsable qualité et contrôle (qui avait à l'époque moins de 1 mois d'expérience), qu'il s'agit d'un point de réglage process qui relève de votre compétence commune, et vous demande de le régler. Ce point a disparu du tableau, supposé comme réglé. Le 3 octobre 2018, lors de la réunion d'équipe, je suis interpellé par Monsieur [D] [A], technicien production et laboratoire, en colère, car vous demandez aux équipes de maintenir une vitesse de production au maximum, alors que le problème de la mousse n'a jamais été réglé et qu'il n'est pas possible de garantir la qualité de la production dans ces conditions. Je vous ai demandé si vous étiez informé, et m'avez répondu que non.

Le 04 octobre 2018 en réunion de production, j'ai exigé de votre part de tout faire pour régler ce problème, et de définir en particulier un groupe de travail pour ce faire, et que ce point devait être réglé le mercredi 10 octobre. Lorsque je vous ai demandé à cette échéance ou en était la situation, d'une part le problème n'était pas résolu, et d'autre part vous n'avez pas pu me démontrer que vous connaissiez le sujet, car vous n'étiez même pas en mesure d'expliquer le fonctionnement de cette installation pourtant simple. Je vous ai démontré que la définition des mesures à prendre ne se faisait qu'en quelques minutes d'explication.

L'employeur ne verse aux débats aucune pièce relative à ce grief, ni l'information sur le faible niveau de production, ni la preuve que monsieur [E] aurait affirmé que tout fonctionnait bien quand ce n'était pas le cas, ni aucun élément sur les supposées difficultés qu'il rencontrait pour expliquer le fonctionnement de l'installation, ni la demande qui lui aurait été faite de mettre en place un groupe de travail sur cette question.

- Sur le poste carton

Le grief est le suivant :

Enfin, votre manque de réactivité, ou de capacité à lancer des actions dans le cadre de résolution des problèmes amène l'encadrement intermédiaire à perdre leur confiance dans la capacité de l'usine à maitriser sa production. Ce sujet a été évoqué lors de la réunion CE/DP du 23 octobre 2018, ou un essai perturbant l'organisation du travail du poste carton est resté en place pendant plus d'une semaine sans ni information, ni action pour retrouver une situation normale de travail pour les opérateurs. Je vous avais tenu informé de ce signal fort et de l'absolue nécessité de ne pas laisser des situations sans les corriger ou sans communiquer dessus.

Lors de la réunion CE, le personnel s'est plaint de ne jamais voir le responsable de production s'impliquer lors des pannes de la ligne, pour contribuer à régler les problèmes.

Là encore l'employeur qui ne produit aucune pièce est défaillant dans l'administration de la preuve.

Il se contente de se référer à un compte rendu de réunion de délégués du personnel où il est mentionné 'Concernant la modification du carton, il s'agit d'une modification temporaire visant à comprendre la formation des pliures, et de trouver une solution. Cette situation n'était pas faite pour durer, et la troisième bobine a pu être remise en place la veille de la réunion. Une meilleure communication aurait dû être instaurée pour éviter ces question'.

Il ne résulte nullement de cette seule pièce que c'est à monsieur [E] qu'incombait cette communication, ce dernier versant de son côté un courriel qui établi que le responsable de la maintenance était saisi de cette question.

- Sur l'encadrement du personnel

Comme indiqué, la mauvaise gestion des congés de ses collaborateurs, avec des exigences inappropriées, a un caractère disciplinaire.

Or il résulte de l'attestation de madame [K] qu'elle a été voir en pleurs son directeur d'usine, monsieur [C], le 12 septembre 2018, en raison de la pression qu'elle subissait de la part de monsieur [E]. Aucune autre pièce n'est produite dont il résulterait que ce comportement aurait perduré après cette date, de sorte que par application de l'article L1332-4 du code du travail ces faits sont prescrits, dès lors que la procédure de licenciement n'a débuté que le 10 décembre 2018.

- Sur la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Pour demander à la cour d'écarter le barème prévu par l'article L1235-3 du code du travail, monsieur [E] se fonde sur les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, et sur les dispositions de l'article 10 de la convention n°158 de l'organisation internationale du travail.

Les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée disposent : 'en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître : a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ; b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. A cette fin, les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial'.

Au regard de l'importance de la marge d'appréciation laissée aux Etats contractants par ces dispositions, elles ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Aux termes de l'article 10 de la convention n°158 de l'organisation internationale du travail, qui est d'application directe en droit interne, 'si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationale, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée'.

Le terme 'adéquat' doit être compris comme réservant aux Etats une marge d'appréciation.

Les dispositions des articles L1235-3 et L1235-3-1 du code du travail, qui écartent le barème en cas de nullité du licenciement, qui laisse au juge la possibilité de proposer la réintégration, et qui encadre le montant des indemnités en fonction de la taille de l'entreprise et de l'ancienneté du salarié, sont ainsi compatibles avec les dispositions de l'article 10 de la convention 158 de l'OIT.

Aucun de ces fondement ne conduit donc la cour à écarter l'application de ces dispositions.

Monsieur [E] avait trois années d'ancienneté à la fin de son contrat de travail, de sorte qu'il a droit, par application de l'article L1235-3 du code du travail, à une indemnité dont le montant se situe entre trois et quatre mois de salaire.

Il était âgé de 35 ans à la date de la rupture, et il résulte des pièces qu'il produit qu'il a retrouvé un emploi à durée indéterminée dès le 11 février 2019, soit durant son préavis, en qualité de directeur de site, pour un salaire supérieur à celui qu'il percevait dans son poste précédent.

Compte tenu de ces éléments, il lui sera alloué une somme de 17.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Sur la demande relative à l'exécution déloyale du contrat de travail

Monsieur [E] soutient qu'il a été licencié non en raison de son insuffisance professionnelle, mais en raison de la dégradation de ses conditions de travail et de sa santé. Aucun élément du dossier ne permet de retenir l'existence d'un lien entre son arrêt de travail d'une semaine au mois de novembre et la procédure de licenciement débutée au mois de décembre.

Monsieur [E] soutient également que la dispense de travail qui lui a été notifiée lors de sa convocation à un entretien préalable à un caractère vexatoire.

Il est constant que la convocation à un entretien préalable, bien que non disciplinaire, invitait monsieur [E] à ne plus venir travailler. Le fait qu'il ait attendu un dimanche pour se présenter dans l'entreprise confirme qu'il n'était pas considéré comme bienvenu au cours de la semaine.

La brutalité de ce licenciement ne se justifiait nullement au regard des points développés dans la lettre de licenciement, même s'ils avaient été justifiés, et elle a causé à monsieur [E] un préjudice complémentaire qui sera indemnisé par l'octroi de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts.

*

La remise de documents sociaux conformes à la présente décision sera ordonnée sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse nécessaire.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Prononce la nullité du jugement ;

Statuant à nouveau,

Condamne la société Knauf Platre à payer à monsieur [E] les sommes suivantes :

759 euros à titre de rappel de salaire sur bonus,

76 euros au titre des congés payés afférents,

3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire,

17.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Knauf Platre à payer à monsieur [E] la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société Knauf Platre aux dépens.

Le greffier La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 21/06548
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;21.06548 ?
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