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02/07/2024 | FRANCE | N°22/05593

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 02 juillet 2024, 22/05593


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRET DU 02 JUILLET 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05593 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZ5B



Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Avril 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/04048



APPELANTE



Madame [B] [L]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Sophie DEBRAY, avocat au barreau de TOULOUSE



INTIMEE



S.A.S. AUCHAN SUPERMARCHE

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barr...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 02 JUILLET 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05593 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZ5B

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Avril 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/04048

APPELANTE

Madame [B] [L]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Sophie DEBRAY, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE

S.A.S. AUCHAN SUPERMARCHE

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Catherine VALANTIN, Conseillère, chargée du rapport

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [B] [L], née en 1972, a été engagée par la SAS Auchan supermarché, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 25 avril 2000 en qualité d'hôtesse de caisse, affectée au sein du magasin d'[Localité 4].

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Par courrier du 15 février 2016, son employeur lui a notifié un avertissement suite à deux écarts de caisse positifs.

Par courrier daté du 4 août 2017, son employeur l'a convoquée à un entretien préalable fixé au 28 août 2017 avec mise à pied conservatoire.

A la suite de cet entretien, où aucune sanction n'a été prise, l'Union locale CGT a adressé le 2 octobre 2017 un courrier à Auchan supermarché demandant la réintégration de Mme [L] et le paiement de son salaire depuis le 3 août 2017.

Sa réintégration a été effective le 2 octobre 2017, et la régularisation de son salaire a été partiellement effectuée sur son bulletin de salaire de novembre 2017.

Par un courrier du 5 janvier 2018, l'Union locale CGT a demandé la régularisation complète de son salaire.

Courant octobre 2018, deux courriers ont été adressés par l'Union locale CGT et Mme [L] à l'attention du directeur du magasin afin de l'alerter sur des brimades et remarques répétées de la part de la responsable de caisse à l'encontre de Mme [L] depuis le 2 octobre 2017.

Le 9 novembre 2018, Mme [L] a fait une déclaration de main courante afin de signaler qu'elle était accusée faussement de complicité de vol en date du 3 novembre 2018 par les responsables de son magasin.

Mme [L] a été en arrêt maladie du 9 au 12 novembre 2018.

Par lettre datée du 19 novembre 2018, Mme [L] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 30 novembre 2018, auquel elle ne s'est pas présentée.

Mme [L] a ensuite été licenciée pour faute grave par lettre datée du 14 décembre 2018 ; la lettre de licenciement indique une absence injustifiée le 5 octobre 2018, 4 retards entre les 10 et 22 octobre 2018, des achats faits le 9 octobre 2018 pendant son temps de travail, et une complicité de vol suite au non encaissement de produits à sa caisse le 3 novembre 2018.

A la date du licenciement, Mme [L] avait une ancienneté de 17 ans et 7 mois et la société Auchan supermarché occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant à titre principal la validité et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour harcèlement moral, manquement à l'obligation de sécurité, et exécution fautive et déloyale du contrat, Mme [L] a saisi le 30 septembre 2019 le conseil de prud'hommes de Bobigny qui, par jugement du 25 avril 2022, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

- déboute Mme [L] sur les demandes suivantes :

- dommages et intérêts pour exécution déloyale et fautive du contrat de travail,

- dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- indemnité pour licenciement nul à titre principal,

- se met en partage de voix sur la demande de reconnaissance du licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, et en conséquence, sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité de préavis, les congés payés afférents à l'indemnité de préavis, l'indemnité de licenciement,

- se met en partage de voix sur le surplus des demandes,

- réserve les dépens.

Par déclaration du 24 mai 2022, Mme [L] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 26 avril 2022.

Par jugement en date du 22 novembre 2022, le conseil de prud'hommes en sa formation de départage a jugé le licenciement de la salariée dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la SAS AUCHAN Supermarché à lui payer diverses sommes au titre des indemnités de rupture.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 février 2024, Mme [L] demande à la cour de :

- constater que la déclaration d'appel de Mme [L] mentionne expressément les chefs du jugement critiqués et que par voie de conséquence la cour est valablement saisie des demandes de Mme [L] qui lui a valablement déféré les chefs critiqués du jugement par effet dévolutif,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes du 25 avril 2022,

ce faisant,

- condamner la société Auchan supermarché à verser à Mme [L] les sommes de :

- 4000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquements de la société pour exécution fautive et déloyale du contrat,

- 5000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 5000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement de la société à son obligation de sécurité,

- 32704 euros au titre d'indemnité pour licenciement nul,

- d'ordonner la remise à Mme [L] de documents conformes à la décision à intervenir : attestation pôle emploi, certificat de travail, bulletins de salaires, sous astreinte de 10 euros par jour de retard par document sollicité, la cour se réservant le droit de liquider ladite astreinte,

- condamner la société à 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux intérêts légaux avec anatocisme et aux entiers dépens,

- débouter la société de toutes ses demandes.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 février 2024, la société Auchan supermarché demande à la cour de :

- déclarer la société Auchan supermarché recevable et bien fondée en ses demandes,

fins et prétentions,

à titre principal :

- déclarer la juridiction d'appel irrégulièrement saisie en l'absence d'effet d'évolutif faute par l'appelant d'avoir précisé les chefs de jugements critiqués dans sa déclaration,

le cas échéant,

- déclarer caduque la déclaration d'appel de l'appelante,

à titre subsidiaire :

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

- débouté Mme [L] sur les demandes suivantes :

- dommages et intérêts pour exécution déloyale et fautive du contrat de travail,

- dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- indemnité pour licenciement nul à titre principal,

- débouter Mme [L] de toutes demandes contraires aux présentes,

et, statuant à nouveau :

- condamner Mme [L] au versement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mars 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 4 avril 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- sur l'absence d'effet dévolutif de la déclaration d'appel:

La SAS AUCHAN Supermarché fait valoir que la déclaration d'appel est privée de tout effet dévolutif au motif que Mme [L] n'aurait pas mentionné dans sa déclaration les chefs de jugement critiqués ce que cette dernière conteste.

Aux termes de l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

En l'espèce le jugement dont appel a été interjeté mentionne:

' - déboute Mme [L] sur les demandes suivantes :

- dommages et intérêts pour exécution déloyale et fautive du contrat de travail,

- dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- indemnité pour licenciement nul à titre principal,

- se met en partage de voix sur la demande de reconnaissance du licenciement sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, et en conséquence, sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité de préavis, les congés payés afférents à l'indemnité de préavis, l'indemnité de licenciement,

- se met en partage de voix sur le surplus des demandes,

- réserve les dépens.'

La déclaration d'appel régularisée par Mme [L] indique:

« Objet de l'appel :

Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués

Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes du 25 avril 2022 qui a débouté Madame

[L] de ses demandes de condamnations de la SAS AUCHAN SUPERMARCHÉ à lui

verser les sommes de :

- 4.000 Euros au titre de dommages et intérêts pour manquements de la société pour exécution fautive et déloyale du contrat ;

- 5000 Euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 5000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement de la société à son obligation

de sécurité

- 32.704,00 Euros au titre d'indemnité pour licenciement nul à titre principal

- 3442,52 Euros au titre du préavis

- 344,25 Euros au titre des CP afférents

- 9357,97 Euros au titre de l'indemnité de licenciement

- de remise à Madame [L] de documents conformes au jugement à intervenir : attestation pôle emploi, certificat de travail, bulletins de salaires, sous astreinte de 10 euros

par jours de retard par document sollicité

- de 2000 euros au titre de l'article 700 du CPC

- de condamnation de la société aux intérêts légaux avec anatocisme et aux entiers dépens.»

La cour relève que les 4 premiers chefs de jugement critiqués à savoir le débouté de la salariée de ses demandes de dommages et intérêts pour exécution déloyale et fautive du contrat de travail, pour harcèlement moral, pour manquement à l'obligation de sécurité, et d'indemnité pour licenciement nul sont, contrairement à ce qu'affirme l'intimée, bien indiqués dans la déclaration d'appel, le seul fait d'avoir chiffré les montants dont la salariée a été déboutée alors que ces montants n'étaient pas précisés dans le dispositif du jugement étant sans incidence.

Ces 4 chefs de jugements sont en conséquence déférés à la cour qui rejette la demande de la SAS AUCHAN Supermarché tendant à voir déclarée caduque la déclaration d'appel de la salariée.

La cour relève que si Mme [L] vise également dans sa déclaration d'appel les chefs de jugement aux termes desquels elle a été débouté de ses demandes au titre de l'indemnité de préavis, des congés payés afférents et de l'indemnité de licenciement, elle n'a pas conclu au fond au soutien de ces demandes, le conseil de prud'hommes en sa formation de départage ayant entre temps par décision du 25 novembre 2022 devenue définitive fait droit aux dites demandes lui allouant en outre une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- sur les demandes de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail, pour harcèlement moral et pour manquement à l'obligation de sécurité:

Pour infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ces demandes Mme [L] fait valoir que son licenciement est l'aboutissement d'une longue entreprise d'éviction menée à son encontre depuis 2016 caractérisant une exécution fautive et déloyale du contrat de travail, des agissements constitutifs de harcèlement moral qui ont été dénoncés par les instances représentatives du personnel et qui se sont aggravés à compter de l'arrivée d'un nouveau directeur, M [V] à compter de septembre 2018, et un manquement à l'obligation de sécurité.

La SAS AUCHAN Supermarché rappelle que la demande de la salariée s'inscrit dans le cadre d'une saisine conjointe par cinq salariés du magasin AUCHAN sollicitant la nullité de leur licenciement pour les faits de harcèlement moral qu'ils auraient subis de la part du directeur , M. [V] à qui il a été demandé de prendre la direction du magasin à compter du mois de septembre 2018 afin de redresser sa situation économique, le directeur s'étant trouvé confronté à un problème général de discipline de plusieurs salariés se traduisant par un non respect des dispositions du règlement intérieur de l'entreprise.

La SAS AUCHAN Supermarché indique que le directeur a du faire face à un climat social très tendu, ses actions visant à remettre en place les basiques du règlement intérieur ayant été mal perçues par un certain nombre de salariés. La SAS AUCHAN Supermarché invoque le compte rendu de la réunion extraordinaire du CHSCT en date du11 décembre 2018 qui conclut à l'absence de faits de harcèlement moral de la part de M. [V] et qui invoquent des difficultés individuelles et ponctuelles, les différents entretiens menés avec les salariés n'ayant pas permis de conclure à une souffrance collective au niveau du magasin mais à un manque de communication et de pédagogie sur les actions mises en oeuvre par le nouveau directeur et l'équipe d'encadrement.

S'agissant de Mme [L] en particulier la SAS AUCHAN Supermarché fait valoir que la salariée qui invoque des brimades procède par simple affirmation, que la procédure disciplinaire menée à son encontre a été par la suite annulée et que l'alerte donnée par un membre du CHSCT le 22 février 2021, soit plus de 2 ans après le licenciement de la salariée, ne concerne pas la période où elle faisait partie des effectifs.

Aux termes des dispositions de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du code du travail précise que lorsque survient un litige relatif à l'application des dispositions de l'article précité, le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par les éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail, que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent:

1) des actions de prévention des risques professionnels

2) des actions d'information et de formation

3) la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Enfin, en vertu de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

En l'espèce, la salariée présente au soutien de sa demande au titre du harcèlement moral les éléments de faits suivants:

- un avertissement en date du 15 février 2016

- une convocation avec mise à pied conservatoire par courrier du 4 août 2017 à un entretien préalable fixé au 28 août, non suivie de sanction.

- un courrier adressé à l'employeur le 2 octobre 2017 par l'Union locale CGT demandant la réintégration de la salariée et le paiement de son salaire; la salariée a été réintégrée le jour même et son salaire a été régularisé en novembre.

- un second courrier de l'Union locale CGT en date du 5 janvier 2018 demandant la régularisation complète du salaire de Mme [L] et mentionnant que la situation de cette dernière depuis sa réintégration s'est dégradée l'employeur lui ayant fait une retenue sur salaire de 743 euros pour une absence non excusée sur la période du 11 au 24 septembre 2017 alors qu'elle était mise à pied à titre conservatoire, lui ayant déduit de façon injustifiée une somme de 1 000 euros sur son salaire de novembre 2017, lui ayant comptabilisé une absence injustifiée de 4 heures pour la matinée du 2 octobre alors qu'il avait reconnu que la salariée n'avait pas été informée de son planning et lui avait indiqué que cette absence lui serait payée.

- les fiches de paye corroborant le fait que la salariée n'a pas été payée pendant 3 mois sa situation n'ayant été régularisée, en partie, qu'en novembre et que des retenues injustifiées ont été faite sur sa fiche de paye de novembre

- deux courriers adressés courant octobre 2018 par l'Union locale CGT et Mme [L] au directeur du magasin afin de l'alerter sur des brimades et remarques répétées de la part de sa responsable de caisse depuis le 2 octobre 2017.

- la réponse de la société par courrier du 13 novembre 2018 contestant formellement l'ensemble des griefs formulés par la salariée au motif que l'entreprise s'attachait à ce qu'aucun collaborateur ne soit victime de pressions ou toute autre forme de harcèlement de la part de sa hiérarchie ou de ses collègues.

- une déclaration de main courante en date du 9 novembre 2018 aux termes de laquelle Mme [L] signale être accusée mensongèrement de vol par les responsables du magasin

- le licenciement pour faute grave dont elle a fait l'objet le 14 décembre 2018.

- le jugement du conseil de prud'hommes rendu en sa formation de départage ayant jugé ce licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

- un arrêt maladie du 9 au 12 novembre 2018.

- un tract de mobilisation de la CGT en date du 22 octobre 2018 dénonçant des cas de mal être au travail suite aux agissements et à l'attitude du nouveau directeur, se manifestant par des arrêts de travail et des démissions en cascade.

- une convocation à une réunion exceptionnelle du CHSCT fixée au 11 décembre 2018 suite à la demande de désignation d'un expert faite le 12 novembre 2018 par 2 membres du CHSCT en raison 'd'une souffrance collective sur le magasin AUCHAN d'[Localité 4] 2.'

- un courrier du 22 février 2021 d'un élu du CHSCT actionnant le droit d'alerte et faisant état d'une cause de danger grave et imminent au sein du magasin d'[Localité 4] mentionnant une dégradation des conditions de travail des salariés due aux remarques incessantes du Directeur M. [V].

- le PV de la réunion du CHSCT en date du 13 avril 2021 ayant constaté de fortes tensions entre le directeur et le manager s'exprimant sur le terrain auprès des équipes qui se sentent obligées de prendre partie pour l'un ou pour l'autre et générant de la souffrance ; le PV indique qu'une mutation du directeur est indispensable et doit intervenir rapidement et qu'une proposition de mutation doit être faite au manager, son maintien sur le site apparaissant impossible compte tenu des clans existants .

Ces éléments pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

L'employeur, qui se limite à faire valoir qu'il a au final régularisé la situation, ne justifie pas par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral, le fait qu'il ait convoqué la salariée le 4 août 2017 à un entretien préalable et l'ait mise à pied à titre conservatoire et qu'il n'ait pris aucune décision la concernant sans pour autant la réintégrer avant le 2 octobre 2017, date à laquelle la CGT a dû intervenir pour que le nécessaire soit fait. La SAS AUCHAN Supermarché ne justifie pas plus d'éléments objectifs pouvant expliquer que le rappel de salaire n'ait en définitive été régularisé, en partie, qu'en novembre 2017 avec des retenues sur salaire injustifiées.

Il s'est par ailleurs limité à contester formellement les agissements de harcèlement moral dénoncés par Mme [L] qui auraient été commis par sa responsable Mme [I], alors que parallèlement le CHSCT était saisi en vue de la désignation d'un expert aux fins de faire la lumière sur la situation de souffrance collective sur le magasin AUCHAN d'[Localité 4] 2.

Enfin le licenciement pour faute grave de la salariée, qui a été jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse par décision du conseil de prud'hommes n'est pas justifié par des éléments objectifs étrangers au harcèlement moral.

Ainsi, faute pour l'employeur de démonter que ces agissements sont étrangers à tout harcèlement moral la cour, par infirmation du jugement retient que ce harcèlement est établi et condamne la SAS AUCHAN Supermarché à payer à Mme [L] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi.

La SAS AUCHAN Supermarché n'a en outre, bien qu'alertée, pris aucune mesure pour faire cesser les faits de harcèlement moral dont la salariée était victime, ni pour faire la lumière de façon objective sur ses conditions de travail alors qu'étaient mis en exergue un contexte difficile générant une situation de souffrance d'une partie des salariés .

Il résulte ainsi du procès verbal du CHSCT du 11 décembre 2018 que la direction a mis plus de 2 mois pour réagir à l'alerte donnée par 3 membres du CHSCT et, après avoir auditionné seulement 18 collaborateurs sur 63 alors que les salariés qui se plaignaient de leurs conditions de travail n'ont pas voulu être auditionnés individuellement par peur des représailles, n'a pas fait droit à la demande de désignation d'un expert. Il résulte du PV du CHSCT du 19 février 2019, que la direction après avoir entendu 9 collaborateurs supplémentaires et reconnu que certains étaient en souffrance individuelle, qu'il y avait des situations de dialogues bloquées entre ces collaborateurs et la direction, et que certains salariés en arrêt maladie avaient peur de revenir travailler en raison des échos qu'ils avaient sur la nouvelle direction, a persisté a nier toutes difficultés, tout en licenciant 5 des salariés qui étaient en état manifeste de souffrance dont Mme [L].

Il résulte du PV du CHSCT du 14 avril 2021 qui relevait de fortes tensions entre le directeur et le manager s'exprimant sur le terrain auprès des équipes qui se sentaient obligées de prendre partie pour l'un ou pour l'autre et générant de la souffrance que la situation a non seulement perdurée mais c'est en outre aggravée; ce PV indique encore qu'une mutation du directeur est indispensable et doit intervenir rapidement et qu'une proposition de mutation doit être faite au manager, son maintien sur le site apparaissant impossible compte tenu des clans existants.

En ne prenant pas dès le départ, et alors qu'il avait été alerté, les mesures qui s'imposaient, la société a laissé perdurer une situation qui n'a fait que s'aggraver et a ainsi manqué à son obligation de sécurité.

Par infirmation du jugement la société est condamnée à payer à la salariée la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts.

S'il ressort des éléments qui précèdent que l'exécution par la SAS AUCHAN Supermarché du contrat de travail a été fautive et déloyale, Mme [L] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé par l'allocation de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et des manquements à l'obligation de sécurité.

-sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul:

Pour infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de la demande faite à ce titre, Mme [L] fait valoir que son licenciement est non seulement dépourvu de cause réelle est sérieuse comme l'a jugé le conseil de prud'hommes le 25 novembre 2022 mais également nul car prononcé en violation de l'article L1152-2 du code du travail ce qui lui ouvre droit à des dommages et intérêts.

La SAS AUCHAN Supermarché réplique que les faits de harcèlement moral ne sont pas établis.

S'il résulte des éléments qui précèdent que le licenciement qui a été jugé dépourvu de cause réelle et sérieuse s'est inscrit dans un processus de harcèlement moral , la salariée qui s'est vue allouer par un jugement définitif la somme de 24 598,41 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse correspondant à 14,5 mois de salaire, ne peut invoquer la nullité du licenciement pour obtenir une double indemnisation de son préjudice découlant de la perte de son emploi suite à la rupture abusive du contrat de travail.

Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de la demande faite à ce titre.

Sur les autres demandes:

Le jugement du conseil de prud'hommes du 25 novembre 2022 ayant ordonné la remise des documents de fin de contrat conformes à sa décision , la demande faite à ce titre est sans objet.

Les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes, les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue.

Pour faire valoir ses droits en cause d'appel Mme [L] a dû exposer des frais qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.

La SAS AUCHAN Supermarché est en conséquence condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

REJETTE la demande de la SAS Auchan supermarché tendant à voir déclarer caduque la déclaration d'appel de Mme [B] [L].

Statuant dans les limites de l'appel,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [B] [L] de ses demandes de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail et pour licenciement nul,

Et statuant à nouveau des chefs du jugement infirmés,

CONDAMNE la SAS Auchan supermarché à payer à Mme [B] [L] les sommes de :

- 5000 euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 2000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement de la société à son obligation de sécurité

DIT sans objet la demande de remise des documents de fin de contrat .

CONDAMNE la SAS Auchan supermarché à payer à Mme [B] [L] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

CONDAMNE la SAS Auchan supermarché aux dépens.

La greffière, La présidente.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 22/05593
Date de la décision : 02/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-02;22.05593 ?
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