Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRET DU 02 JUILLET 2024
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05592 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFZ47
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Avril 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/04045
APPELANTE
Madame [L] [H]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Sophie DEBRAY, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMEE
S.A.S. AUCHAN SUPERMARCHE
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Catherine VALANTIN, Conseillère, chargée du rapport
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [L] [H], née en 1982, a été engagée par la S.A.S. Auchan supermarché, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 28 septembre 2017 en qualité d'équipier de commerce, affectée dans un premier temps sur le magasin de [Localité 6], et en dernier lieu sur celui d'[Localité 4].
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Elle a été en arrêt maladie du 22 décembre 2018 au 31 janvier 2019.
Lors de sa visite de reprise du 5 février 2019, le médecin du travail lui a préconisé une reprise à temps partiel thérapeutique sur 18 heures par semaine en matinée avec des pauses de 30 minutes.
Dans un courrier de février 2019, adressé à la direction des ressources humaines, Mme [H] a évoqué le fait que le directeur du magasin la faisait régulièrement changer de rayon depuis sa reprise en temps partiel thérapeutique.
Elle a à nouveau été en arrêt maladie du 9 au 22 mars 2019, a repris en temps partiel thérapeutique jusqu'au 30 avril 2019, avant d'être arrêtée du 2 au 12 mai 2019 pour enfant malade.
Par suite, elle a repris son travail à plein temps, le médecin du travail s'étant par avis du 20 juin 2019 déclaré favorable à la poursuite de l'activité professionnelle avec si possible des horaires ne dépassant pas 37 heures par semaine.
La salariée a encore été en arrêt maladie du 26 au 29 juin 2019 puis du 12 juillet au 3 août 2019 suivi de congés payés du 5 au 25 août 2019.
Le 4 septembre 2019, la société Auchan société a adressé à Mme [H] un courrier de mise en demeure de justifier son absence depuis le 26 août 2019.
Par lettre datée du 16 septembre 2019, Mme [H] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 27 septembre 2019, auquel elle ne s'est pas présentée.
Mme [H] a ensuite été licenciée pour faute grave par lettre datée du 2 octobre 2019 ; la lettre de licenciement indique une absence injustifiée depuis le 26 août 2019.
A la date du licenciement, Mme [H] avait une ancienneté de plus de 2 ans, et la société Auchan supermarché occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Contestant à titre principal la validité et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour harcèlement moral, exécution fautive et déloyale du contrat de travail, et manquement à l'obligation de sécurité, Mme [H] a saisi le 30 septembre 2019 le conseil de prud'hommes de Bobigny qui, par jugement du 25 avril 2022, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
- déclare irrecevables les demandes nouvelles de Mme [H],
- déboute Mme [H] de ses demandes originaires,
- condamne Mme [H] aux dépens,
- déboute la société Auchan supermarché de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration du 24 mai 2022, Mme [H] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 26 avril 2022.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 février 2024, Mme [H] demande à la cour de :
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bobigny du 25 avril 2022 :
- qui a jugé irrecevables les demandes additionnelles de Mme [H] relatives à la rupture de son contrat de travail en les qualifiant improprement de demandes nouvelles,
- qui l'a déboutée de ses demandes de condamnations de la société Auchan supermarché,
- constater que la déclaration d'appel de Mme [H] mentionne expressément les chefs du jugement critiqués et que par voie de conséquence la Cour est valablement saisie des demandes de Mme [H] qui lui a valablement déféré les chefs critiqués du jugement par effet dévolutif,
ce faisant, statuant à nouveau,
- condamner la société Auchan supermarché à lui verser les sommes de :
- 5000 Euros au titre de dommages et intérêts pour manquements de la société pour exécution fautive et déloyale du contrat,
- 5000 euros au titre de dommages et intérêts pour modification illicite du contrat,
- 5000 Euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- 5000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement de la société à son obligation de sécurité,
- 20000 Euros au titre d'indemnité pour licenciement nul à titre principal, dépourvu de toute cause réelle et sérieuse,
à titre subsidiaire,
- 5473,68 Euros au titre du préavis (statut de salariée handicapée),
- 547,37 Euros au titre des CP afférents,
- 1026,31 Euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- ordonner la remise de documents conformes au jugement à intervenir : attestation Pôle emploi, certificat de travail, bulletins de salaires, sous astreinte de 10 euros par jours de retard par document sollicité, la cour se réservant le droit de liquider ladite astreinte,
- 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société aux intérêts légaux avec anatocisme et aux entiers dépens,
- débouter la société de toutes ses demandes.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 février 2024, la société Auchan supermarché demande à la cour de :
- déclarer la société Auchan supermarché recevable et bien fondée en ses demandes, fins et prétentions,
in limine litis,
à titre principal :
- juger irrecevables les demandes nouvelles de Mme [H],
à titre subsidiaire :
- juger prescrites les demandes nouvelles de Mme [H],
en tout état de cause,
- déclarer la juridiction d'appel irrégulièrement saisie en l'absence d'effet d'évolutif faute par l'appelant d'avoir précisé les chefs de jugements critiqués dans sa déclaration,
le cas échéant,
- déclarer caduque la déclaration d'appel de l'appelante,
plus subsidiairement au fond,
à titre principal :
- juger que la déclaration d'appel est privée de tout effet dévolutif,
en conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- débouter Mme [H] de toutes demandes contraires aux présentes,
à titre subsidiaire :
- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :
- déclaré irrecevables les demandes nouvelles de Mme [H],
- débouté Mme [H] de ses demandes originaires,
et, statuant à nouveau :
- condamner Mme [H] au versement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 mars 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 4 avril 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
- sur l'absence d'effet dévolutif de la déclaration d'appel:
La SAS AUCHAN Supermarché fait valoir que la déclaration d'appel est privée de tout effet dévolutif au motif que Mme [H] n'aurait pas mentionné dans sa déclaration les chefs de jugement critiqués ce que ce dernier conteste.
Aux termes de l'article 562 du code de procédure civile, l'appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent.
La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
En l'espèce, le jugement dont appel a été interjeté mentionne:
' Déboute Mme [H] de l'ensemble de ses demandes et le condamne aux dépens.
Déboute la société AUCHAN SUPERMARCHÉ de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.'
La déclaration d'appel régularisée par Mme [H] indique :
« Objet de l'appel :
Appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués
Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes du 25 avril 2022 qui a jugé irrecevable les demandes additionnelles de Mme [H] relatives à la rupture de son contrat de travail.
- qui a débouté Mme [H] de ses demandes de condamnations de la SAS AUCHAN SUPERMARCHÉ à lui
verser les sommes de :
- 5.000 Euros au titre de dommages et intérêts pour manquements de la société pour exécution fautive et déloyale du contrat ;
- 5 000 euros de dommages et intérêts pour modification illicite du contrat de travail
- 5000 Euros au titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
- 5000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement de la société à son obligation
de sécurité
- 20 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul à titre principal, dépourvu de cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire
- 5 473,68 euros au titre du préavis (statut de salariée handicapé)
- 547,37 euros au titre des congés payés afférents
- 1026,31 euros au titre de l'indemnité de licenciement
- de remise à Mme [H] de documents conformes au jugement à intervenir : attestation pôle emploi, certificat de travail, bulletins de salaires, sous astreinte de 10 euros
par jours de retard par document sollicité
- de 2000 euros au titre de l'article 700 du CPC
- de condamnation de la société aux intérêts légaux avec anatocisme et aux entiers dépens.»
La cour relève que si le jugement s'est limité à débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes sans énumérer chacune d'entre elles la salariée a au contraire indiqué dans la déclaration d'appel, chacun des chefs dont elle a été déboutée en rappelant les montants chiffrés de ses demandes , ce qui ne saurait lui être reproché, l'étendue de la saisine de la cour étant au contraire parfaitement clarifiée.
Chacun des chefs de jugement est conséquence déféré à la cour qui rejette la demande de la SAS AUCHAN Supermarché tendant à voir déclarée caduque la déclaration d'appel du salarié.
- Sur la recevabilité des demandes relatives à la rupture du contrat de travail :
- sur le caractère nouveau des demandes relatives à la rupture du contrat de travail:
Pour infirmation du jugement Mme [H] fait valoir que sa demande en nullité du licenciement se rattache par un lien suffisant avec ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral
La société Auchan réplique que ces demandes sont nouvelles puisqu'elles reposent sur un fait nouveau, le licenciement étant postérieur au dépôt de la requête devant le conseil de prud'hommes et qu'elles ne tendent pas aux même fins que les demandes initiales.
Aux termes de l'article 70 du code de procédure civile les demandes additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, Mme [H] a saisi le conseil de prud'hommes de demandes de dommages et intérêts notamment pour des faits de harcèlement moral pendant l'exécution du contrat de travail.
Quelques jours après la saisine elle a été licenciée pour faute grave.
Elle a dans le cadre de la procédure pendante devant le conseil de prud'hommes sollicité par la suite la nullité du licenciement et la condamnation de la société Auchan aux indemnités de rupture.
La salariée fait valoir que son licenciement s'inscrit dans le cadre des agissements de harcèlement moral dont elle était victime et que la nullité du licenciement trouve donc sa cause dans les faits de harcèlement évoqués au soutien de sa demande de dommages et intérêts.
Il en résulte que la demande en nullité du licenciement et les demandes indemnitaires qui en découlent se rattachent par un lien suffisant à la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral faite initialement.
Sur la prescription:
Pour infirmation du jugement Mme [H] fait valoir que sa demande en nullité du licenciement est soumise à la prescription quinquennale de l'article 2 224 du code civil dès lors qu'elle trouve sa cause dans des faits de harcèlement moral.
La société Auchan soutient quant à elle que s'agissant d'une demande relative à la rupture du contrat de travail, la prescription est d'un an.
Si aux termes de l'article 1471-1 du code du travail toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par 12 mois à compter de la notification de la rupture, il est néanmoins constant que la demande en nullité d'un licenciement pour harcèlement moral se prescrit, conformément à l'article 2224 du code civil par 5 ans à compter de la notification du licenciement lequel constitue le dernier acte de harcèlement moral évoqué par la salariée.
La société Auchan ayant notifié à la salariée son licenciement par courrier du 2 octobre 2019 et cette dernière ayant contesté son licenciement par conclusions régularisée le 19 mars 2021, sa demande n'est pas prescrite.
Par infirmation du jugement la cour déclare la salariée recevable en sa demande en nullité du licenciement.
- sur les faits de harcèlement moral, les manquements à l'obligation de sécurité et la a nullité du licenciement :
Pour infirmation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ces demandes Mme [H] expose qu'elle a commencé à être harcelée, alors que les relations contractuelles n'avaient données lieu à aucune difficulté dans le passé, à compter de son accident du travail en octobre 2018, M.[J], nouveau directeur du magasin n'ayant dès lors pas cessé de s'acharner sur elle, lui reprochant d'avoir témoigné du harcèlement dont une autre salariée avait été victime, l'affectant sans son consentement et sans aucune formation au rayon fromagerie et au rayon boulangerie et allant jusqu'à la suivre et la faire fouiller alors qu'elle faisait sur son temps personnel des courses dans le magasin.
Elle ajoute qu'elle a été victime d'un burn out et arrêté du 22 décembre 2018 au 1er février 2019 et que son employeur l'a alors affectée à la caisse en violation du contrat de travail et n'a pas respecté les restrictions édictées par le médecin du travail relatives au temps de pause.
Elle ajoute qu'après son 2ème arrêt de travail M. [J] lui a imposé des journées de 10 heures de travail alors qu'elle avait le statut de travailleur handicapé. Elle indique enfin que si elle a été incapable de reprendre le travail à l'issue de son troisième arrêt maladie c'est à cause des agissements de harcèlement de M. [J] et de l'inertie de la direction des ressources humaines à qui elle avait pourtant dénoncé les faits.
La SAS AUCHAN Supermarché rappelle que la demande de la salariée s'inscrit dans le cadre d'une saisine conjointe par cinq salariés du magasin AUCHAN sollicitant la nullité de leur licenciement pour les faits de harcèlement moral qu'ils auraient subis de la part du directeur , M. [J] à qui il a été demandé de prendre la direction du magasin à compter du mois de septembre 2018 afin de redresser sa situation économique, celui-ci s'étant trouvé confronté à un problème général de discipline de plusieurs salariés se traduisant par un non respect des dispositions du règlement intérieur de l'entreprise.
La SAS AUCHAN Supermarché indique que le directeur a du faire face à un climat social très tendu, ses actions visant à remettre en place les basiques du règlement intérieur ayant été mal perçues par un certain nombre de salariés. La SAS AUCHAN Supermarché invoque le compte rendu de la réunion extraordinaire du CHSCT en date du11 décembre 2018 qui conclut à l'absence de faits de harcèlement moral de la part de M. [J] et qui invoquent des difficultés individuelles et ponctuelles, les différents entretiens menés avec les salariés n'ayant pas permis de conclure à une souffrance collective au niveau du magasin mais à un manque de communication et de pédagogie sur les actions mises en oeuvre par le nouveau directeur et l'équipe d'encadrement.
S'agissant de Mme [H] en particulier la SAS AUCHAN Supermarché fait valoir que la salariée ne présente aucun élément permettant de présumer de l'existence de faits de harcèlement moral. Elle ajoute que l'alerte donnée par un membre du CHSCT le 22 février 2021, soit plus de 2 ans après le licenciement de la salariée, ne concerne pas la période où elle faisait partie des effectifs.
Aux termes des dispositions de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L 1154-1 du code du travail précise que lorsque survient un litige relatif à l'application des dispositions de l'article précité, le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par les éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
L'article L1152-2 du code du travail dispose quant à lui qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L'article L 1134-1 précise que lorsque survient un litige sur ce point, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge devant former sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail, que l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent:
1) des actions de prévention des risques professionnels
2) des actions d'information et de formation
3) la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Enfin, en vertu de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Au soutien de sa demande au titre du harcèlement moral Mme [H] présente les éléments suivants:
- la reconnaissance par la CPAM de son accident du travail du 10 octobre 2018.
- l'attestation qu'elle a rédigée le 23 novembre 2018 pour témoigner des agissements de harcèlement subis par une salariée de l'entreprise de la part de sa responsable
- le mail qu'elle adressé le 12 décembre 2018 à son employeur pour l'informer que suite à son arrêt de travail de 15 jours elle reprenait son poste de travail en poissonnerie poste dont elle n'avait pas démissionné.
- le mail qu'elle a adressé le 15 décembre 2018 à la délégué syndicale et aux termes duquel elle affirme avoir été interpellée agressivement par M. [S] le 13 décembre 2018 alors qu'elle faisait ses achats dans le magasin en dehors de son temps de travail.
- l'avis médical du médecin du travail en date du 5 février 2019 donnant un avis favorable à la reprise du travail à raison de 18 heures réparties sur la semaine avec travail le matin et nécessité de pause de 30 minutes pour des raisons médicale.
- l'avis médical du médecin du travail du 20 juin 2019 favorable à la poursuite de l'activité professionnelle avec si possible des horaires ne dépassant pas 37 heures par semaine.
- le relevé de badgeage ne laissant pas apparaître un temps de pause de 30 minutes sur la période de février à juin 2019 et démontrant que la salariée a travaillé plus de 37 heures par semaine après l'avis du 20 juin 2019 .
- plusieurs arrêts de travail
- le mail adressé par le délégué syndical à la société Auchan le 6 février 2019 la déléguée affirmant avoir été alertée le matin même par Mme [H] du fait qu'elle allait être changée de poste pour être affectée en caisse alors qu'elle n'avait jamais fait de caisse et qu'aucune des préconisations du médecin du travail ayant émis un avis favorable à la reprise du travail ne préconisait un changement de poste.
- le courrier qu'elle a adressé le 2 février 2019 à la société Auchan pour dénoncer les agissements et l'acharnement de M. [J] à son égard, depuis sa reprise en mi temps thérapeutique celui-ci la déplaçant tous les jours de rayons en rayons et l'ayant affecté en caisse alors qu'elle n'avait ni la formation ni les compétences
- le licenciement qui lui a été notifié pour abandon de poste le 2 octobre 2019.
- une déclaration commune du 27 novembre 2018 à l'attention des ressources humaines signée par 16 salariés dont lui même dénonçant les conditions dans lesquelles la direction des ressources humaines entendaient recueillir le témoignage des salariés en situation de souffrance sur le lieux de travail.
- un tract de mobilisation de la CGT en date du 22 octobre 2018 dénonçant des cas de mal être au travail suite aux agissements et à l'attitude du nouveau directeur, se manifestant par des arrêts de travail et des démissions en cascade.
- une convocation à une réunion exceptionnelle du CHSCT fixée au 11 décembre 2018 suite à la demande de désignation d'un expert faite le 12 novembre 2018 par 2 membres du CHSCT en raison 'd'une souffrance collective sur le magasin AUCHAN d'[Localité 4] 2.'
- un courrier du 22 février 2021 d'un élu du CHSCT actionnant le droit d'alerte et faisant état d'une cause de danger grave et imminent au sein du magasin d'[Localité 4] mentionnant une dégradation des conditions de travail des salariés due aux remarques incessantes du Directeur M. [J].
- le PV de la réunion du CHSCT en date du 13 avril 2021 ayant constaté de fortes tensions entre le directeur et le manager s'exprimant sur le terrain auprès des équipes qui se sentent obligées de prendre partie pour l'un ou pour l'autre et générant de la souffrance ; le PV indique qu'une mutation du directeur est indispensable et doit intervenir rapidement et qu'une proposition de mutation doit être faite au manager, son maintien sur le site apparaissant impossible compte tenu des clans existants .
L'ensemble des ces éléments, en ce compris les éléments médicaux, pris dans leur ensemble laisse supposer l'existence d'un harcèlement moral .
La société Auchan qui se limite à contester les faits invoqués par la salariée et qui fait valoir qu'il relevait de son pouvoir de direction de la positionner sur un poste de caisse, ce qui est effectivement conforme au contrat de travail lequel précisait que Mme [H] pourrait assurer ses missions en caisse et en rayon, ne justifie néanmoins aucune de ses décisions par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.
Elle se limite à produire :
- une attestation qui n'est pas manuscrite, qui ne comporte pas les mentions obligatoires de l'article 202 du code de procédure civile, ni la pièce d'identité de l'attestant dont la qualité n'est d'ailleurs pas précisée et qui met en cause le comportement des 5 salariés ayant saisi le conseil de prud'hommes dans des termes particulièrement délétères, attestation qui est ainsi dépourvue de toute valeur probante.
- une attestation du délégué du personnel de l'entreprise indiquant que lors des réunions mensuelles avec le directeur du magasin le personnel n'a jamais fait part d'incidents, litiges ou problèmes sur le lieu de travail et n'avoir jamais constaté de dénigrement du personnel en raison de son appartenance syndicale, ce qui est en total contradiction avec les éléments probants produits par la salariée.
S'agissant du licenciement pour faute grave, s'il n'est pas contesté que Mme [H] n'a pas repris son poste à l'issue de son arrêt maladie le 26 août 2019, sans justifier de son absence et malgré la mise en demeure qui lui a été adressée le 4 septembre , il ressort des éléments qui précèdent que la non reprise du travail par Mme [H] trouve sa cause dans les agissements de harcèlement moral dont elle était victime de la part de M. [J] et qui perduraient malgré les alertes données par la salariée et les délégués syndicaux.
Par infirmation du jugement la cour retient que Mme [H] a été victime de faits de harcèlement moral et que son licenciement qui s'inscrit dans ce processus de harcèlement est en conséquence nul, ce qui lui ouvre droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire.
La SAS AUCHAN Supermarché n'a en outre, bien qu'alertée par Mme [H] et d'autres salariés sur la politique managériale catastrophique de M. [J], pris aucune mesure pour faire cesser les faits de harcèlement moral dont Mme [H] a été victime, ni pour faire la lumière de façon objective sur ses conditions de travail alors qu'était mis en exergue un contexte difficile générant une situation de souffrance d'une partie des salariés.
Il résulte ainsi du procès verbal du CHSCT du 11 décembre 2018 que la direction a mis plus de 2 mois pour réagir à l'alerte donnée par 3 membres du CHSCT et, après avoir auditionné seulement 18 collaborateurs sur 63 alors que les salariés qui se plaignaient de leurs conditions de travail n'ont pas voulu être auditionnés individuellement par peur des représailles, n'a pas fait droit à la demande de désignation d'un expert. Il résulte du PV du CHSCT du 19 février 2019, que la direction après avoir entendu 9 collaborateurs supplémentaires et reconnu que certains étaient en souffrance individuelle, qu'il y avait des situations de dialogues bloquées entre ces collaborateurs et la direction, et que certains salariés en arrêt maladie avaient peur de revenir travailler en raison des échos qu'ils avaient sur la nouvelle direction, a persisté à nier toutes difficultés, tout en licenciant 5 des salariés qui étaient en état de souffrance dont Mme [H].
Il résulte du PV du CHSCT du 14 avril 2021 qui relevait de fortes tensions entre le directeur et le manager s'exprimant sur le terrain auprès des équipes qui se sentaient obligées de prendre partie pour l'un ou pour l'autre et générant de la souffrance que la situation a non seulement perduré mais c'est en outre aggravée; ce PV indique encore qu'une mutation du directeur était indispensable et devait intervenir rapidement et qu'une proposition de mutation devait être faite au manager, son maintien sur le site apparaissant impossible compte tenu des clans existants.
En ne prenant pas dès le départ, et alors qu'elle avait été alertée, les mesures qui s'imposaient, et en ne respectant pas les avis émis par le médecin du travail, la société a manqué à son obligation de sécurité.
Par infirmation du jugement la société est condamnée à payer à la salariée en réparation de son préjudice les sommes de:
- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
- 2 000 euros pour manquement à l'obligation de sécurité.
- 12 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul
- 5 473,68 euros au titre de l'indemnité de préavis calculée selon les dispositions de l'article L5213-9 du code du travail en raison de son statut de salarié handicapé
- 547,37 euros au titre des congés payés afférents.
- 1 026,31 euros au titre de l'indemnité de licenciement.
S'il ressort des éléments qui précèdent que l'exécution par la SAS AUCHAN Supermarché du contrat de travail a été fautive et déloyale, Mme [H] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui réparé par l'allocation de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et des manquements à l'obligation de sécurité.
Il n'est par ailleurs pas établi que la société Auchan ait modifié illicitement le contrat de travail de Mme [H] en l'affectant sur un poste de caisse dès lors que le contrat prévoyait expressement que la salariée pourrait travailler en rayon ou en caisse.
Mme [H] sera en conséquence déboutée de la demande faite à ce titre.
Sur les autres demandes:
En application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la SAS AUCHAN à France Travail des indemnités de chômage éventuellement versées à la salarié licenciée à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi.
Il y a lieu d'ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes à la présente décison . Le prononcé d'une astreinte n'apparait pas nécessaire.
Les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes, les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue.
Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
Pour faire valoir ses droits en cause d'appel Mme [H] a dû exposer des frais qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.
La SAS AUCHAN Supermarché est en conséquence condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
REJETTE la demande de la SAS Auchan supermarché tendant à voir déclarer caduque la déclaration d'appel de Mme [L] [H].
Statuant dans les limites de l'appel,
INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [L] [H] de ses demandes de dommages et intérêts pour exécution fautive et déloyale du contrat de travail et pour modification illicite du contrat de travail,
Et statuant à nouveau des chefs du jugement infirmés,
DIT que Mme [L] [H] est recevable en sa demande en nullité du licenciement;
DIT que le licenciement est nul;
CONDAMNE la SAS Auchan supermarché à payer à Mme [L] [H] les sommes de:
- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral
- 2 000 euros pour manquement à l'obligation de sécurité.
- 12 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul
- 5 473,68 euros au titre de l'indelnité de préavis
- 547,37 euros au titre des congés payés afférents.
- 1 026,31 euros au titre de l'indemnité de licenciement.
ORDONNE le remboursement par la SAS AUCHAN à France Travail des indemnités de chômage éventuellement versées à la salarié licenciée à compter de son licenciement dans la limite des 6 mois prévus par la loi.
ORDONNE la remise des documents de fin de contrat conformes à la présente décison.
DIT n'y avoir lieu à prononcer une astreinte.
RAPPELLE que les sommes de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes, les autres sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la décision qui les alloue;
DIT que les intérêts dus pour une année entière se capitaliseront.
CONDAMNE la SAS Auchan supermarché à payer à Mme [L] [H] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la SAS Auchan supermarché aux dépens.
La greffière, La présidente.