Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRET DU 02 JUILLET 2024
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08551 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEP5T
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 21/02802
APPELANT
Monsieur [K] [J]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Aurélie ARNAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : C0343
INTIME
S.A. OFI ASSET MANAGEMENT venant aux droits et obligations de la société ABEILLE ASSET MANAGEMENT
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Blandine DAVID, avocat au barreau de PARIS, toque : R110
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. [K] [J], né en 1979, a été engagé par la S.A. Aviva investors France devenue ensuite la société Abeille Asset management, aux droits de laquelle vient désormais la SA OFI Asset management, par un contrat de travail à durée déterminée à compter du 5 octobre 2020, jusqu'au 4 avril 2021, en qualité de juriste expérimenté, le motif de recours au CDD étant l'accroissement temporaire d'activité.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des sociétés d'assurances du 27 mai 1992.
Par lettre datée du 18 décembre 2020, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 6 janvier 2021 avec mise à pied conservatoire.
M. [J] a ensuite vu son CDD rompu de manière anticipée pour faute grave par lettre datée du 13 janvier 2021.
A la date de la rupture, M. [J] avait une ancienneté de 3 mois, et la société Aviva investors France occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Demandant la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée et diverses indemnités consécutives à la rupture du contrat, outre des rappels de salaire et des dommages et intérêts pour harcèlement moral et non respect de l'obligation de sécurité, M. [J] a saisi le 2 avril 2021 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 18 juin 2021, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
- déboute M.[K] [J] de l'ensemble de ses demandes,
- reçoit la SA Aviva investors France en sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, mais l'en déboute,
- condamne M. [K] [J] aux dépens.
Par déclaration du 14 octobre 2021, M. [J] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 28 septembre 2021.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 février 2024, M. [J] demande à la cour de :
- juger recevable M. [J] en ses conclusions et l'y déclarer bien fondé,
- infirmer le jugement du 18 juin 2021 du conseil de prud'hommes de paris en ce qu'il l'a débouté de ses demandes,
en conséquence,
à titre principal,
- prononcer la requalification du contrat à durée déterminée de M. [J] en contrat à durée indéterminée par application des dispositions des articles L.1245-1 et suivants du code du travail,
- juger nulle la rupture du contrat de travail du 13 janvier 2021 de M. [J] à titre principal (articles L 1152-2 et L 1152-3 du code du travail), ou sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire,
subséquemment et par application des dispositions de l'article l.1245-2 du code du travail:
- condamner la société OFI Asset management à verser à M. [J] les sommes suivantes:
- 7.083,33 € à titre d'indemnité de requalification,
- 7.319,44 € bruts à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire,
- 731,94 € au titre des congés payés y afférents,
- 21.249,99 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis (article 6 annexe cadres de la convention collective),
- 2.124,99 € au titre des congés payés afférents,
- 42.499,98 € à titre d'indemnité pour licenciement nul à titre principal (article L 1235-3-1 du code du travail),
- 7.083,33 € à titre d'indemnité sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire,
à titre subsidiaire, en l'absence de requalification du CDD en CDI,
- juger abusive la rupture anticipée pour faute grave du contrat de travail à durée déterminée de M. [J],
par suite,
- condamner la société OFI Asset management à verser à M. [J] les sommes suivantes:
- 7.319,44 € bruts à titre de rappel de salaire pendant la mise à pied conservatoire,
- 731,94 € au titre des congés payés y afférents,
- 4.250,00 € à titre d'indemnité de fin de contrat,
- 19.479,15 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L 1243-4 du code du travail,
- 7.083,33 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et non respect de l'obligation de sécurité,
en tout état de cause,
- ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés et conformes à l'arrêt à intervenir (attestation Pôle emploi et bulletin de salaire valant solde de tout compte), le tout sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la signification de la décision,
- condamner la société OFI Asset management au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société OFI Asset management aux dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 9 février 2024, la société OFI Asset management demande à la cour de :
- déclarer recevable et fondée en son intervention volontaire la société OFI Asset management venant aux droits de la société Abeille Asset management, antérieurement dénommée Aviva investors France,
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de paris le 18 juin 2021,
en conséquence,
- dire et juger mal fondées les demandes de M. [J],
- débouter M. [J] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner M. [J], à titre reconventionnel, à payer à la société OFI Asset management venant aux droits de la société Abeille Asset management, antérieurement dénommée Aviva investors France la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 février 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 19 mars 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
A titre préliminaire, il convient de donner acte à la SA OFI Asset Management de son intervention volontaire dans la procédure en tant qu'elle vient aux droits de la société Abeille Asset management (anciennement Aviva Inverstors France), en sa qualité d'ayant cause universelle de cette dernière.
Sur la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée
Pour infirmation du jugement déféré, l'appelant expose que le motif de recours au contrat à durée déterminé était fallacieux et que son poste correspondait à un emploi lié à l'activité normale et permanente du groupe Aviva et majoritairement pour l'entité londonienne.
Pour confirmation de la décision, la société intimée réplique que la société Aviva Investors France était bien confrontée à un accroissement temporaire d'activité à savoir le projet ponctuel de transfert de conservation sur une partie importante des fonds de la société, soit un changement de conservateur et dans certains cas de dépositaires sur une centaine de fonds, ce qui n'entrait pas dans le cadre de son activité courante.
En application des dispositions des articles L. 1242-1 et suivants du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour une tâche précise et temporaire et seulement pour l'un des motifs énumérés à l'article L. 1242-2, ce motif devant être énoncé dans le contrat. Un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
Aux termes de l'article L. 1245-1, dans sa rédaction applicable au litige, est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions susvisées.
Il résulte des dispositions des articles L1245-2 et L1251-41 du code du travail que lorsqu'il est fait droit à la demande de requalification du salarié , celui-ci peut prétendre à une indemnité ne pouvant être inférieure à un mois de salaire,calculé selon la moyenne de salaire mensuel due au titre du dernier contrat dans le dernier état de la relation contractuelle. Cette disposition s'applique sans préjudice de l'application des dispositions du titre III du présent livre relatives aux règles de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat à durée déterminée.
Il est constant que l'accroissement temporaire d'activité correspond à l'exécution d'une tâche occasionnelle, précisément définie et non durable, ne relevant pas de l'activité normale de l'entreprise, réclamant des moyens supérieurs à ceux dont dispose habituellement l'entreprise. Cet accroissement n'a pas à présenter un caractère exceptionnel et peut résulter de variations cycliques de production.
Il est enfin admis que la conclusion d'un contrat à durée déterminée pour ce motif n'implique pas pour l'employeur d'affecter le salarié ainsi recruté aux tâches directement liées au surcroît d'activité invoqué, mais celui-ci peut être affecté aux tâches courantes de l'entreprise pour remplacer le salarié permanent affecté au surcroît d'activité.
Le CDD signé par l'appelant visait un motif 'd'accroissement d'activité résultant de la mise en oeuvre du projet de transfert des fonctions de conservation sur une partie importante de nos fonds'.
A l'appui de la preuve du motif de recours qui lui incombe, la société intimée s'appuie sur l'attestation de M. [U] [A], chef de projet, qui rapporte avoir été en charge du pilotage au sein de la société Aviva Investors d'un projet, mené essentiellement par Mme [H], 'portant sur le changement de conservateur de l'essentiel des OPC (organismes de placement collectif) gérés par la société ainsi que le transfert au profit de SGSS de différents services préalablement fournis par une société tierce', soulignant qu'un tel chantier par nature exceptionnel n'entre en aucune manière dans le cadre de l'activité normale d'une société de gestion de porte-feuilles (pièce 37, société). La société intimée produit à ce titre le document de point de coordination préKick-off du projet Ruby en vue de la réunion préparatoire de coordination du 31 août 2020 (pièce 14) et indique que l'appelant a été recruté sous contrat à durée déterminée car Mme [H] ne pouvait assurer l'essentiel de ses missions habituelles à savoir l'activité habituelle de l'équipe, ainsi que cette dernière en atteste.(pièce 36, société). Elle indique que l'appelant a donc assuré les tâches normalement dévolues à Mme [R] [H].
La cour relève que les attestations produites qui toutes émanent de collaborateurs de la société Aviva ne sont ni probantes ni convaincantes, d'autant ainsi que le souligne l'appelant, que Mme [H] n'affirme pas qu'il aurait repris ses fonctions et que le projet Ruby sur lequel elle avait été positionnée relatif au transfert des fonctions de conservation sur une partie importante des fonds (visé dans le contrat d'intérim) s'est déroulé d'août 2020 à février 2021, soit bien avant son embauche. De surcroît, la cour retient outre que M. [J] oppose avoir en réalité travaillé avec les entités anglaise et irlandaise de la société comme en attestent les échanges qu'il a eus avec M. [P] [N] au sujet des dossiers du département du Doubs et de la ville de [Localité 5] et qu'il n'est pas justifié, ainsi qu'il le fait remarquer, qu'il ait été amené à traiter de véritables dossiers juridiques sur les fonds ou OPC en lien avec les fonctions habituellement confiées à Mme [H] comme l'affirme l'employeur et que celle-ci ait été confrontée à un surcroît d'activité.
La cour en déduit que l'employeur échoue à établir la réalité de l'accroissement d'activité ayant justifié l'embauche de M. [J] qui a en fait occupé un poste lié à l'activité normale et habituelle de la société Aviva.
Par infirmation du jugement déféré, il convient de requalifier le CDD conclu entre les parties en contrat à durée indéterminée et d'allouer à l'appelant une somme de 7083,33 euros à titre d'indemnité de requalification.
Sur la rupture
Pour infirmation du jugement déféré, l'appelant fait valoir que les fautes graves qui lui ont été reprochées, qu'il conteste au demeurant, s'inscrivent dans un contexte de harcèlement moral qu'il a subi et caractérisé par l'inquiétude suscitée par l'évolution de sa relation de travail et par ses plaintes concernant ses conditions de travail notamment en lien avec la nature de ses fonctions et de l'absence de missions relevant de sa qualification et de son profil, ayant engendré pour lui une situation professionnelle stressante et intimidante et la dégradation de son état mental.
Pour confirmation du jugement déféré, la société intimée conteste l'existence des prétendus agissements de harcèlement moral subis.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L.1152-2 du même code dispose qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.
En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L.1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Sous réserve d'exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de laisser supposer l'existence d'un harcèlement et si l'employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
A l'appui de sa demande, M. [J] présente les éléments suivants :
- les courriels qu'il a envoyés à l'employeur dès le 19 novembre 2020 pour contester la nature des tâches qui lui sont confiées (pièces 8 et 9),
- le courrier recommandé adressé à l'employeur pour dénoncer la situation professionnelle dégradante et stressante et le harcèlement moral de M. [Z] [V] qui ne prend pas en compte de façon sérieuse sa situation au sein de l'équipe outre les problèmes informatiques non résolus qu'il subit, (pièce 10),
- la coupure de ses accès aux imprimantes le 17 décembre 2020 (pièce 44)
- le courrier qu'il a adressé le 18 décembre 2020 à la DRH pour dénoncer sa situation (pièce 12),
- sa mise à pied conservatoire du 18 décembre 2020.(pièce 3).
La cour retient que l'appelant justifie de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.
La société intimée en réplique, fait valoir pour contester tout harcèlement moral, que dès le 3 décembre 2020 mais aussi en date du 10 décembre 2020, M. [Z] [V] a répondu par courriels à l'appelant critiquant la nature des tâches qui lui étaient confiées, en lui indiquant que dans une petite équipe à côté de sujets plus stratégiques il y a des tâches moins techniques à gérer, voire administratives portées par l'ensemble des juristes de l'équipe, y compris les juristes seniors et le PDG, ces tâches non prises en charge par ailleurs étant indispensables pour assurer la sécurité des opérations des fonds gérés.(pièce 16, société). S'agissant des difficultés informatiques rencontrées par l'appelant la société indique qu'il lui a toujours été apporté des réponses, ainsi par courriel du 10 décembre 2020, M. [V] l'assurait également que l'équipe informatique faisait le maximum dans le contexte de confinement rendant les solutions plus compliquées.
La cour retient que les difficultés remontées par M. [J] relevaient d'un désaccord sur le contenu des missions confiées voire sur des dysfonctionnements informatiques, points sur lesquels des réponses courtoises ont été apportées, de sorte qu'il doit être admis que l'employeur justifie que les décisions prises à l'égard de l'appelant ne justifiant au demeurant aucunement d'une dégradation de son état de santé, étaient étrangères à tout harcèlement moral lequel n'est pas établi et que la rupture n'encourt aucune nullité. Le jugement déféré est confirmé sur ce point.
Sur le bien-fondé de la rupture pour faute grave
Pour infirmation du jugement déféré, l'appelant fait valoir que la faute grave avancée par l'employeur repose sur des faits contestés et ne constituent qu'un prétexte pour se séparer rapidement de lui.
Pour confirmation de la décision, la société intimée réplique que le salarié s'est abstenu de respecter ses obligations professionnelles ce qui a constitué un manquement grave de nature à empêcher la poursuite de son contrat de travail.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve qu'il s'agisse d'un contrat à durée déterminée ou d'un contrat à durée indéterminée.
Il est constant que le juge a le pouvoir de requalifier la gravité de la faute reprochée au salarié en restituant aux faits leur exacte qualification juridique conformément à l'article 12 du code de procédure civile ; qu'en conséquence, si le juge ne peut ajouter d'autres faits à ceux invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement, lorsque celui-ci intervient pour motif disciplinaire, il doit rechercher si ces faits, à défaut de caractériser une faute grave, comme le prétend l'employeur, ne constituent pas néanmoins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
La lettre de rupture datée du 13 janvier 2021 était ainsi essentiellement libellée :
« (')
Nous vous informons que, malgré les informations que vous nous avez fournies, nous sommes amenés à mettre fin de manière anticipée à votre contrat de travail pour les raisons suivantes.
Vous avez été embauché, à compter du 5 octobre 2020, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée d'une durée de six mois pour occuper les fonctions de Juriste Expérimenté au sein de la Direction Juridique.
Compte tenu du poste occupé et de la nature confidentielle des informations auxquelles vous aviez accès dans le cadre de l'exercice de vos fonctions, il vous appartenait de respecter strictement certaines obligations professionnelles.
Ainsi, votre contrat de travail prévoyait que vous vous engagiez notamment ã respecter le Code d'Ethique Professionnelle du groupe AVIVA et plus généralement à observer une conduite professionnelle conforme aux exigences du Groupe.
Plus précisément, en vertu de votre contrat de travail, vous étiez tenu par un devoir de réserve et de confidentialité, dans les conditions suivantes :
« Le devoir de réserve est de rigueur absolue et vous êtes par ailleurs tenu par une obligation de secret professionnel.
A ce titre, vous vous engagez à ne pas divulguer à des tiers ou à des membres de votre famille, communiquer, laisser divulguer ou laisser communiquer, ainsi qu'à ne pas utiliser directement ou, indirectement des informations tant écrites que verbales, des renseignements confidentiels de toute nature, des connaissances acquises par le biais de vos activités au sein de votre poste et concernant notamment la clientèle, les ventes ou toutes autres données commerciales, financières ou administratives de l'ensemble des sociétés du Groupe Aviva.
Le présent engagement est valable tant pendant la durée d'application du présent contrat, ainsi qu' après la cessation du contrat de travail, quelle qu 'en soit la cause, et ce, jusqu'à la disparition du caractère confidentiel de l'information concernée. Toute inobservation de cette règle de réserve et de secret professionnel constitue une faute d'une gravité telle qu'elle peut justifier la rupture du contrat de travail.
Vous vous engagez à ne conserver, emporter, ou prendre copie d'aucun document, fichier ou logiciel, de quelque nature que ce soit, appartenant à l'Entreprise et à remettre sans délai à la Société tous les documents,fichiers ou logiciels en votre possession relatifs à l'activité de cette dernière, et ce, lors de la résiliation du présent contrat ou à tout autre moment à la demande de la Société ».
Compte tenu de la nature de notre activité, gestionnaire d'actifs, nous sommes tenus par le Règlement Général sur la Protection des Données et par des obligations de confidentialité qui nous imposent la mise en place de moyens de surveillance afin notamment de prévenir des risques de fuite de données sensibles.
Ainsi, le 17 décembre 202, nous avons reçu des alertes de notre service Data Loss Prevention (DLP) en charge de cette surveillance, nous signalant l'envoi d'e-mails professionnels sur votre boîte e-mail personnel.
Par ailleurs, après avoir mené des investigations, nous avons constaté des impressions anormalement conséquentes. Ces impressions ainsi que ces transferts d'e-mails professionnels vers votre messagerie personnelle contreviennent à vos obligations contractuelles et sont, par ailleurs, sans lien apparent avec vos missions.
Ainsi, s'agissant des impressions, vous avez procédé, entre le 10 et le 17 décembre 2020, à plus de 135 impressions, ce qui représente 594 pages. Au cours du dernier mois de votre présence, le nombre d'impression est plus important encore et s'élève à 550 documents.
Nous vous rappelons que le fait de travailler sur un dossier ne saurait justifier que des documents confidentiels soient édités et emportés hors du site.
Par ailleurs, la situation particulière liée au confinement ne justifie pas qu'il puisse être déroge a cette règle.
Parmi les documents édités en violation de ces règles, nous avons identifié notamment que:
* Le 4 décembre 2020, vous avez demandé à l'accueil d'éditer les documents relatifs à l'appel d'offres UFF pour la GSM (Gestion sous mandat), ainsi que la réponse faite par AIF à cet appel d'offres. Or, contrairement à ce que vous avez mentionné lors de l'entretien du 6 janvier dernier, vous n'avez manifestement pas travaillé sur ce dossier car votre responsable attendait un retour de votre part sur le sujet pour le 9 puis le 11 décembre 2020. Or, à la date de votre dernier jour travaillé, soit le 18 décembre 2020, vous n'aviez toujours pas apporté de réponse à votre responsable, Monsieur [Z] [V] ;
*Le 11 décembre 2020, vous avez édité l'avis juridique établi par le cabinet FIDAL sur la faisabilité juridique de l'opération au titre du dossier SaarlB/Ville de [Localité 5] au regard des règles françaises sur le monopole bancaire. Une telle impression ne se justifiait pas dans la mesure où cet avis est strictement confidentiel, et qu'il n'appelait pas de commentaire de votre part;
* Le 15 décembre 2020, vous avez imprimé des projets modifiés de contrat de cession de créance et de contrat de prêt dans le dossier SaarlB/Ville de [Localité 5]. Or, ce même jour, vous avez indiqué téléphoniquement à Monsieur [F] [G], gérant Real Asset, que vous n'étiez plus en charge de ce dossier, et que votre responsable reprenait le dossier, décision que vous avez d'ailleurs prise de votre propre initiative sans même avoir obtenu l'accord préalable de votre hiérarchie ;
* Le 15 décembre 2020, vous avez imprimé un tableau que vous aviez finalisé le 3 novembre 2020 récapitulant pour les contrats de marché en place les risques induits pour AIF et ses clients sous mandat en cas de cession des entités françaises. Il s'agit là bien évidemment de données strictement confidentielles. Par ailleurs, vous n'interveniez plus sur ce tableau depuis le 3 novembre 2020, et sur ce sujet plus généralement depuis mi-novembre ;
* Le 18 décembre 2020, vous avez demandé à l'accueil d'imprimer un mail, avec toutes ses pièces jointes, adressé par Madame [R] [H] à la société Natixis le 18 décembre 2020. Cet e-mail concernait l'envoi par la société Natixis aux porteurs des FCPE du PEE Aviva Groupe des lettres d'information au titre du changement de dépositaire à intervenir courant janvier sur ces FCPE. Or, là encore, rien ne justifiait d'éditer de tels documents dans la mesure où vous n'étiez absolument pas en charge de ce dossier.
Force est de constater que vous avez imprimé de manière anormalement conséquente un certain nombre de documents confidentiels à des dates auxquelles ces impressions de documents confidentiels n'étaient pas ou plus justifiées par l'exécution de vos missions.
Concernant les transferts d'emails et de documents confidentiels vers votre messagerie personnelle,
nous en avons dénombré plus d'une trentaine entre le 5 octobre et le 18 décembre 2020.
Or, l'envoi de documents ne peut se faire qu'à un destinataire identifié et justifié, et dans des conditions garantissant la parfaite sécurité des documents transmis, ce qui n'est pas le cas d'une boite mail personnelle, à fortiori pour des documents confidentiels par nature.
Par ailleurs, le transfert de documents confidentiels sur une boite personnelle constitue en lui-même une violation des règles et dispositifs internes.
S'agissant des documents envoyés sur votre messagerie professionnelle, ont notamment été identifiés les documents suivants :
* Le 6 novembre 2020, vous avez transféré sur sa boite mail personnelle un projet de convention relative à l'administration de fonds, contenant vos annotations et qui ne nécessitait plus d'intervention de votre part. Pour preuve, vous n'avez d'ailleurs plus travaillé sur le sujet dans les semaines qui ont suivi ;
* Le 10 novembre 2020, vous avez également transféré le fichier Excel que vous aviez établi au terme de votre revue des contrats de marché. Or, là encore, vous avez finalisé le document en version Word fin octobre 2020 et dans sa version finale sous Excel le 3 novembre 2020.
Aucun élément ne justifiait par conséquent un tel transfert à une date ultérieure ;
* Le 12 novembre 2020, vous avez transféré sur votre boite mail personnelle l'ensemble de la documentation contractuelle reçue dans le cadre du dossier Doubs, qui portait sur la cession de créance dans le cadre de l'activité de conseil conduite par l'équipe dette privée corporate au profit d'AIGSL ;
* Le 20 novembre 2020, vous avez transféré sur votre boite mail personnelle un tableau Excel réalisé par les équipes d'AIGSL, listant l'ensemble des portefeuilles Real asset donnant lieu à gestion sous mandat ou délégation reçue par Londres. Ce fichier extrêmement détaillé contient des données confidentielles et sensibles car il comprend notamment le nom des clients, le type d'actifs, le nom du gérant, et le nom du CRM. Ce fichier a été transmis le 14 novembre 2020 à l'équipe dans l'optique et d'établir un document consolidé intégrant l'ensemble des gestions/délégués intra-groupe Aviva Investors.
Or, le 16 novembre 2020, lors d'un point avec votre responsable et avec Monsieur [Y] [L], juriste au sein de la Direction juridique, il avait été décidé de ne pas repartir de la structure du fichier concerné (car il avait été jugé trop complexe) mais d'en établir un plus simple répondant mieux à l'objectif poursuivi. Vous avez finalisé ce fichier propre à AIF donc sans aucun lien avec le fichier AIGSL le 20 novembre 2020. Le sujet était de ce fait clos le jour de l'envoi sur votre boite personnelle. Enfin, le fichier AIGSL, que vous avez transféré, était, par ailleurs, totalement inutile dans le cadre de la tâche qui vous était demandée.
Là encore, nous ne pouvons que constater que vous avez transféré de nombreux e-mails confidentiels sur votre boite mail personnelle à des dates auxquelles ces e-mails/documents confidentiels transférés n'étaient pas ou plus justifiés par l'exécution de vos missions.
Lors de l'entretien, vous avez soutenu que ces impressions conséquentes et ces transferts de d'emailset de dossiers confidentiels de votre boite mail professionnelle vers votre boite mail personnelle étaient liés à des difficultés informatiques ne vous permettant pas de travailler dans des conditions normales à votre domicile.
Or, le service IT a toujours répondu à vos diverses demandes.
S'agissant de vos problèmes de connexion wifi, et dans l'attente de la résolution de ce problème d'accès à distance, nous vous avions également proposé, si vous le souhaitiez, de venir travailler dans les locaux dans la mesure où toutes les mesures sanitaires ont été mises en place afin de garantir la sécurité et la santé de nos collaborateurs.
Par conséquent, vos allégations ne sont pas recevables et en tout état de cause, ne sauraient justifier une telle violation de vos obligations contractuelles.
Dans ces conditions, nous nous voyons contraints de considérer que ces faits constituent une faute grave rendant impossible votre maintien, même temporaire, dans l'entreprise.
Vous cesserez de faire partie de l'entreprise à la date du 18 janvier nous tenons à votre disposition votre certificat de travail et votre reçu pour solde de tout compte.
En raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le salaire correspondant à la période pendant laquelle nous vous avons mis à pied à titre conservatoire ne vous sera pas versé.
Enfin, nous vous mettons en demeure de détruire l'ensemble des impressions que vous avez effectuées, ainsi que l'ensemble des e-mails que vous avez transférés de votre boite mail professionnelle à votre boite mail personnelle.(...) ».
Il en résulte qu'il est reproché à l'appelant un nombre d'impression anormalement conséquent notamment de documents confidentiels qui ne devaient pas être emportés hors du site mais aussi des transferts d'emails et de documents confidentiels vers sa messagerie personnelle en violation des règles et dispositifs internes.
Au soutien de la preuve de la réalité des faits qui lui incombe la société intimée verse aux débats le PV de constat d'huissier du 22 décembre 2020 où figurent en annexes les emails des 4 décembre et 18 décembre 2020 envoyés à l'accueil pour impression de différents documents (pièce 25 société), l'historique de toutes les impressions effectuées par M. [J] entre le 10 et le 17 décembre 2020 (pièce 29, société).
Outre que ces impressions étaient strictement encadrées, la cour relève que l'employeur fait justement valoir que le salarié a notamment imprimé des documents relatifs à l'appel d'offres UFF pour la GSM (Gestion sous mandat) et la réponse d'AIF à celui-ci sur lequel il n'a en réalité jamais eu le temps de travailler(pour avoir été confié début décembre 2020), mais aussi un avis juridique de faisabilité d'un dossier SaarlB/ Ville de [Localité 5] mais encore le 15 décembre d'un tableau qu'il avait finalisé depuis le 3 novembre 2020 et sur lequel il n'est plus intervenu ensuite, récapitulant les contrats de marché en place les risques induits pour AIF et ses clients sous mandat en cas de cession des entités françaises. Il dénonce en outre que le 18 décembre 2020, le salarié a encore demandé à l'accueil d'imprimer un email adressé par la société Natixis à Mme [H], relatif à l'envoi aux porteurs des FCPE du PEE Aviva Groupe de lettres d'information au titre du changement de dépositaire alors qu'il n'intervenait pas dans ce dossier.
C'est en vain à ce titre que M. [J] soutient que ces impressions et transferts de données, qu'il ne conteste pas, étaient nécessaires pour lui permettre de travailler en raison des difficultés récurrentes, certes réelles, rencontrées avec son matériel informatique, puisque d'une part il y a été remédié à plusieurs reprises par la délivrance de matériel de remplacement et d'autre-part car il a été invité après délivrance d'autorisation de déplacement de l'employeur (en période de confinement) à venir travailler au siège. Il ne peut pas plus valablement opposer qu'il n'existait pas au sein de la société des restrictions particulières quant au volume des impressions autorisé ou que ses demandes d'impression relevaient de sa méthode de travail afin de faciliter la relecture et d'éventuelles annotations. La cour rappelle que M. [J] ne pouvait ignorer que les impressions de données confidentielles auxquelles il faisait procéder étaient destinées à quitter les locaux de la société ce qui était formellement proscrit par des documents professionnels visés comme le contrat de travail ou le règlement intérieur et le code d' éthique professionnelle du groupe Aviva auquel renvoie le contrat et que ce dernier a validé en ligne (pièce 50 salarié), tout comme sont interdits, pour des raisons de sécurité et de protection des données, les envois de données Aviva sur des messageries personnelles, comme le rappelle dans un flash actu, le directeur des risques d'Aviva France, M. [E] (pièce 9, société). Peu importe que le nombre d'envois de données identifiés par le constat d'huissier ne soit pas aussi important qu'annoncé puisqu'il n'est pas contesté qu'il a déclenché le système d'alerte de l'outil « Data loss prevention » de surveillance d'envois de données vers l'extérieur de l'entreprise.
La cour relève en outre que le salarié admet dans ses écritures(page 29) que l'impression du courrier du 18 décembre 2020 concernant la société Natixis n'était pas liée à un de ses dossier mais était destinée à se prémunir pour pouvoir se défendre en cas de difficultés au regard du contexte et des tensions existant à cette date.
La cour retient, à l'instar des premiers juges, qu'au regard de la nature des documents imprimés ou transférés, des obligations de protection de données sensibles ou confidentielles de l'employeur, la réalité de la gravité des faits reprochés est établie et était de nature à empêcher la poursuite de la relation contractuelle. La rupture du contrat de travail de M. [J] repose bien sur une faute grave et c'est à juste titre qu'il a été débouté de ses prétentions de ce chef.
Sur les autres dispositions
Partie perdante même partiellement la société OFI Asset Management est condamnée aux dépens d'appel et à verser à M. [J] une somme de 2500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS
DONNE acte à la SA OFI Asset management venant aux droits de la société Abeille Asset Management, antérieurement dénommée Aviva Investors France de son intervention volontaire.
INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et la demande d'indemnité de requalification.
Statuant à nouveau des chefs infirmés :
REQUALIFIE le contrat de travail à durée déterminée ayant lié les parties en contrat à durée indéterminée.
CONDAMNE la SA OFI Asset management venant aux droits de la société Abeille Asset Management, antérieurement dénommée Aviva Investors France à payer à M. [K] [J] une somme de 7 083,33 euros à titre d'indemnité de requalification.
CONFIRME le jugement quant au surplus.
CONDAMNE la SA OFI Asset management venant aux droits de la société Abeille Asset Management, antérieurement dénommée Aviva Investors France à payer à M. [K] [J] une somme de 2500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.
CONDAMNE la SA OFI Asset management venant aux droits de la société Abeille Asset Management, antérieurement dénommée Aviva Investors France aux dépens d'appel.
La greffière, La présidente.