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02/07/2024 | FRANCE | N°21/07980

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 02 juillet 2024, 21/07980


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 02 JUILLET 2024



(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07980 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDRWV



Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Février 2021 -Tribunal judiciaire de Paris RG n° 19/01429



APPELANT



Monsieur [D] [N]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Lucien BÔLE-RICHARD, avocat au barreau de

PARIS



INTIMES



Monsieur [R] [V]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, avocat post...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 02 JUILLET 2024

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/07980 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDRWV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Février 2021 -Tribunal judiciaire de Paris RG n° 19/01429

APPELANT

Monsieur [D] [N]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Lucien BÔLE-RICHARD, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

Monsieur [R] [V]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, avocat postulant

Représenté par Me Laurent CAZELLES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant substitué par Me Julie HARDUIN, avocat au barreau de PARIS

S.A. MMA IARD assureur du Barreau du Val de Marne, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, avocat postulant

Représentée par Me Laurent CAZELLES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant substitué par Me Julie HARDUIN, avocat au barreau de PARIS

S.C. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034, avocat postulant

Représentée par Me Laurent CAZELLES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant substitué par Me Julie HARDUIN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère, chargée du rapport

Mme Nicole COCHET, Magistrate Honoraire juridictionnel

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 02 juillet 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

En 2006, M. [D] [N] a entrepris la construction d'un garage enterré avec toiture terrasse sur le terrain de son domicile situé [Adresse 2] à [Localité 6] (95) et, pour ce faire, a réalisé lui-même une excavation importante.

M. [U], propriétaire de la parcelle mitoyenne, faisant valoir la survenance de désordres sur le mur mitoyen et son escalier extérieur longeant la limite de propriété, dont il a imputé l'origine aux travaux de construction de M. [N], l'a assigné en référé aux fins de désignation d'un expert, demande à laquelle il était fait droit par ordonnance du 20 juin 2007.

L'expert a déposé son rapport le 20 mai 2011, concluant à un risque de glissement de terrain imputable à la fouille réalisée par M. [N] et préconisant divers travaux dont des travaux de consolidation du mur mitoyen.

Par ordonnance du 31 janvier 2012, le juge des référés a ordonné à M. [N] de procéder aux travaux préconisés par l'expert.

Par acte du 1er mars 2012, M. [U] a assigné M. [N] et son assureur la société Gan Eurocourtage devant le tribunal de grande instance de Paris, lequel, par décision du 23 novembre 2013, a retenu que :

- les travaux réalisés par M. [N] n'ont pas été exécutés dans les règles de l'art,

- le mur séparant les propriétés de MM. [N] et [U] n'est pas un mur mitoyen mais un mur appartenant au premier,

- les désordres subis par l'escalier et les ouvrages environnants de la propriété de M. [U] constituent des troubles anormaux de voisinage dont M. [N] est seul responsable,

et a condamné M. [N] et son assureur à verser à M. [U] la somme de 4800 euros au titre de son préjudice matériel et 3 000 euros au titre de son préjudice de jouissance, et à réaliser sous astreinte des travaux afférents au mur de soutènement.

M. [N] a alors chargé M. [R] [V], avocat, d'interjeter appel de cette décision et d'assurer la défense de ses intérêts devant la cour d'appel.

Par ordonnance du 13 mai 2014, le conseiller de la mise en état de la cour a constaté la caducité de la déclaration d'appel, à défaut de dépôt des conclusions d'appelant dans les trois mois de la déclaration d'appel conformément à l'article 908 du code de procédure civile.

M. [V] a été omis du barreau par décision du conseil de l'ordre des avocats du Val-de-Marne du 28 juin 2014.

Par arrêt du 2 mars 2017, la cour d'appel de Versailles a liquidé l'astreinte assortissant les condamnations prononcées par jugement du 23 novembre 2013 à raison de 25 000 euros.

C'est dans ces circonstances que, par actes des 15 et 24 janvier 2019, M. [N] a fait assigner M. [V] et la société anonyme MMA Iard devant le tribunal de grande instance de Paris en responsabilité civile professionnelle.

Par jugement du 10 février 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

- reçu l'intervention volontaire de la société d'assurance mutuelle MMA Iard assurances mutuelles,

- condamné in solidum M. [V] et les sociétés MMA à payer à M. [N] la somme de 1 650 euros,

- condamné in solidum M. [V] et les MMA aux dépens,

- condamné in solidum M. [V] et les sociétés MMA à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 22 avril 2021, M. [N] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 14 janvier 2022, M. [D] [N] demande à la cour de :

- débouter les appelants incidents de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande en indemnisation d'une perte de chance et lui a alloué la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité pour préjudice moral,

- condamner en conséquence in solidum M. [V] et les sociétés MMA à lui payer :

- 30 676,09 euros au titre de l'indemnité pour perte de chance,

- 10 000 euros au titre de l'indemnité pour préjudice moral,

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum M. [V] et les sociétés MMA aux entiers dépens,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir (sic),

- ordonner la capitalisation des intérêts.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 16 février 2022, M. [R] [V], la société anonyme MMA Iard et la société d'assurance mutuelle MMA Iard assurances mutuelles demandent à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il les a condamnés à verser 1 500 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral et 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à M. [N], et le confirmer pour le surplus,

- débouter l'appelant de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire,

- juger que l'appelant ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de la perte de chance qu'il allègue, ni du préjudice qui en serait directement découlé,

en conséquence,

- débouter l'appelant de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

en tout état de cause,

- condamner M. [N] à leur verser la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [N] aux entiers dépens de la présente instance, qui seront recouvrés par Maître Baechlin, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 mars 2024.

SUR CE,

Sur la responsabilité de l'avocat :

Sur la faute :

Le tribunal a retenu que M. [V] n'a pas déposé ses conclusions au greffe dans le délai prescrit par l'article 908 du code de procédure civile alors qu'il avait pour mission de former un recours à l'encontre du jugement du 26 novembre 2013, emportant la caducité de la déclaration d'appel.

Les parties ne discutent pas de la faute retenue par le tribunal et font porter le débat sur le lien de causalité et le préjudice.

Sur le lien de causalité et le préjudice :

Le tribunal a jugé que M. [N] échouait à démontrer une perte de chance d'obtenir devant la cour d'appel la désignation d'un autre expert et l'infirmation du jugement du 26 novembre 2013, en ce que :

- le tribunal de grande instance de Paris a fondé sa décision sur le rapport de l'expert judiciaire du 20 mai 2011, dont il ressort la caractérisation d'un trouble anormal de voisinage subi par M. [U], ayant pour origine la réalisation par M. [N] de travaux d'excavation,

- M. [N] n'apporte aucun élément technique venant contredire les conclusions de l'expert, et axe principalement sa défense sur la question de l'empiètement de l'escalier, qui est sans influence sur l'origine des désordres, ni même sur la réalisation des travaux de consolidation des terrains,

- M. [N] critique le rapport d'expertise alors que l'expert, durant les quatre ans et demi qu'a duré l'expertise, a répondu au grand nombre d'observations des parties, qu'elles aient fait ou non l'objet de dires, et en particulier celles relatives à un possible empiètement de l'escalier ou aux crevasses du terrain de M. [U] préexistant aux travaux réalisés par M. [N]

Il a retenu que, la faute de l'avocat ayant empêché M. [N] de voir ses prétentions, fussent-elles mal fondées, examinées par la cour d'appel, ce dernier justifiait d'un préjudice moral devant être réparé par l'allocation d'une somme de 1 500 euros, et de frais inutilement exposés à hauteur de 150 euros, correspondant au coût du timbre fiscal réglé lors de la déclaration d'appel.

M. [N] soutient que le manquement de M. [V] lui a causé une perte de chance sérieuse, évaluée à 50%, d'obtenir l'infirmation de la décision du 23 novembre 2016, en ce que :

- sa perte de chance est certaine et actuelle, ledit jugement étant devenu définitif en raison de la caducité de l'appel et l'absence de requête en déféré formulée par son ancien conseil, le privant de toute voie de recours,

- le mur séparant les propriétés de MM. [U] et [N] n'est pas un mur mitoyen mais lui appartient comme cela ressort du cadastre et du procès-verbal de constat d'huissier, en sorte que M. [U] ne pouvait invoquer un quelconque préjudice au titre des fissures apparues sur celui-ci, ce qu'a pertinemment retenu le tribunal de grande instance,

- M. [U], qui a procédé à la construction illégale de l'escalier, lequel empiète sur sa propriété, aurait dû le détruire en application de l'article 555 du civil et son propre refus de poursuivre les travaux à cause de cet escalier était justifié compte tenu de la violation de son droit de propriété, ce dont l'expert n'a pas tenu compte, considérant que l'existence de l'escalier sur sa propriété était un 'faux problème' et laissant entendre qu'il avait accepté de supporter la charge de destruction de l'escalier,

-le rapport d'expertise judiciaire contient une multitude d'approximations et d'inexactitudes qui auraient été révélées par une contre d'expertise en appel, est incomplet et impartial, les incohérences du rapport ressortant de l'avis technique du Cabinet BC Etude technique et structure du 23 juillet 2021 concluant que la construction du pavillon réalisée sur le terrain de M. [U] est à l'origine de l'ensemble des désordres constatés, et du constat d'huissier de justice du 8 juillet 2021, en sorte que le tribunal ne pouvait se fonder sur ce rapport et la cour aurait eu à connaître des éléments objectifs,

- l'escalier n'a pas été construit par M. [U] dans les règles de l'art et les désordres apparus sur cet ouvrage sont antérieurs à la réalisation des travaux de garage et liés à sa mauvaise construction et à l'excavation réalisée par M. [U] à l'occasion de la construction de son pavillon, en sorte qu'il ne saurait être responsable, du moins seul responsable, des désordres survenus, ce d'autant plus qu'il ignorait que l'escalier empiétait sur sa propriété lorsqu'il a engagé les travaux de construction du garage,

- le tribunal a retenu à tort sur la base du rapport d'expertise que les désordres constituaient des troubles anormaux du voisinage qui lui étaient imputables et qui étaient préjudiciables à M. [U], alors qu'ils sont apparus sur sa propriété et que M. [U] aurait dû être débouté de toutes demandes de ce chef,

- les travaux auxquels il a été condamné sont irréalisables techniquement, ainsi qu'il ressort de l'avis technique du 23 juillet 2021, le sol de la terrasse étant en béton et une véranda étant présente sur ce sol,

- son préjudice de perte de chance est de 30 676,09 euros dont 3 900 euros au titre du préjudice matériel et de jouissance et 26 776,09 euros au titre des travaux à réaliser,

- il a également subi un préjudice moral de 10 000 euros, l'inaction de M. [V] lui ayant causé une détresse importante et une situation financière difficile le contraignant à hypothéquer sa maison et emprunter de l'argent à sa mère, ce qui a généré chez lui de l'anxiété s'ajoutant à la frustration causée par la durée du litige.

M. [V] et les sociétés MMA répliquent que M. [N] ne justifie d'aucune perte de chance d'obtenir l'infirmation du jugement devant la cour d'appel de Paris, en ce que :

- les condamnations prononcées par le tribunal de grande instance de Paris sont logiques au regard des termes du débat et des conclusions du rapport d'expertise judiciaire, dont il a été déduit la caractérisation d'un trouble anormal de voisinage subi par M. [U] ayant pour origine la réalisation par M. [N] de travaux d'excavation,

- ce rapport d'expertise est valable et opposable aux parties, l'expert ayant répondu à l'argumentation que M. [N] formule à nouveau devant la cour, ce quand bien même il n'y aurait pas consacré de longs développements, et ayant accompli l'intégralité de sa mission en procédant aux calculs et analyses qu'il a considéré devoir réaliser, selon une méthodologie qu'il a librement choisie et qui n'apparait pas sérieusement contestable, l'absence de commentaire supplémentaire de l'expert n'étant pas de nature à affecter la validité du rapport qui a été débattu contradictoirement,

- en outre, la nullité du rapport d'expertise qui doit être soulevée in limine limitis n'a pas été soulevée devant le tribunal de grande instance de Paris, de sorte que cet argument n'aurait jamais pu prospérer devant la cour d'appel et M. [N] ne justifie d'aucune perte de chance de voir jugé nul ledit rapport, ce d'autant plus s'agissant d'irrégularités de forme non sanctionnées par la nullité du rapport et alors que l'avis technique du cabinet BC Etude technique et structure du 23 juillet 2021 ainsi que le procès-verbal de constat d'huissier établi le 8 juillet 2021 sur lequel il se fonde ont été réalisés plus de dix ans après l'expertise judiciaire, à la seule requête de M. [N] et sans la participation de MM. [V] ou [U],

- l'appelant fait vainement valoir une violation du droit de propriété par le tribunal de grande instance alors que la décision est fondée sur le trouble anormal de voisinage et que l'action en réparation d'un tel trouble n'est nullement subordonnée à la démonstration d'une faute ou à la survenance du trouble sur la propriété voisine, le seul critère résidant dans le caractère anormal du trouble subi par la victime de celui-ci, que cette dernière soit locataire, propriétaire ou même simple occupant sans droit ni titre,

- les pièces produites au débat démontrent que la construction réalisée par M. [N] a été à l'origine d'un trouble anormal du voisinage subi par son voisin M. [U], que ce dernier ait été ou non propriétaire du mur et de l'escalier,

- M. [N] n'a communiqué aucune pièce technique complémentaire devant le tribunal de grande instance en complément de celles déjà produites au cours de la procédure d'expertise et aucun élément ne permet de considérer que la thèse de l'expert aurait été invalidée par la cour d'appel,

- M. [N] était informé de l'absence de chance d'infirmation du jugement par la cour d'appel de Paris par la consultation juridique dressée par son conseil,

- M. [N] a été contraint à verser une astreinte de 25 000 euros à défaut de respect du délai de trois mois qui lui était imparti pour exécuter le jugement de condamnation revêtu de l'exécution provisoire, qui se serait appliquée quand bien même M. [V] n'aurait commis aucune faute professionnelle.

- l'appelant ne rapporte pas la preuve d'un préjudice moral ni du lien causal avec la faute alléguée de son conseil.

L'engagement de la responsabilité contractuelle de l'avocat nécessite la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.

Le préjudice relevant de la perte d'une voie d'accès au juge constitue nécessairement une perte de chance, liée à la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, celle d'obtenir gain de cause. Il convient d'évaluer les chances de succès du recours manqué en reconstituant le procès qui n'a pas eu lieu, à l'aune des dispositions légales qui avaient vocation à s'appliquer au regard des prétentions et demandes respectives des parties ainsi que des pièces en débat.

Il appartient à l'appelant d'apporter la preuve que la perte de chance est réelle et sérieuse et si une perte de chance même faible est indemnisable, la perte de chance doit être raisonnable et avoir un minimum de consistance.

En toute hypothèse, la réparation de la perte de chance doit être mesurée en considération de l'aléa jaugé et ne saurait être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

Le jugement du 23 novembre 2013 dont l'appel a été déclaré caduc, a condamné M. [N] et son assureur à verser à M. [U] la somme de 4 800 euros au titre de son préjudice matériel et la somme de 3 000 euros au titre du trouble de jouissance et à réaliser sous astreinte divers travaux de démolition et de construction, dont la réalisation d'un mur de soutènement.

Pour ce faire, le tribunal, se fondant sur le rapport d'expertise et le procès-verbal de bornage, a jugé que :

- les travaux réalisés par M. [N] n'ont pas été exécutés dans les règles de l'art et les désordres affectant la copropriété de M. [U] ne résident pas tant dans la solidité du mur de construction de M. [N] que dans la façon dont les excavations ont été réalisées par ce dernier,

- le mur séparant les propriétés de MM. [N] et [U] n'est pas un mur mitoyen mais un mur appartenant au premier, en sorte que M. [U] est infondé à demander la réparation des désordres sur ce mur,

- M. [U] a subi un préjudice lié à la destructuration des moraines qui constituent l'escalier et ses ouvrages environnants ainsi qu'au risque d'effondrement des fouilles réalisées par M. [N], l'expert précisant que la fondation de l'escalier s'est trouvée décompactée du fait de l'escavation voisine, et le fait que le terrain de M. [U] se situe dans une zone régulièrement frappée par des arrêtés 'catastrophe naturelle' étant sans incidence puisque les travaux réalisés par M. [N] sont seuls à l'origine des désordres constatés au domicile de M. [U],

- les désordres de déstructuration des moraines de l'escalier et de ses ouvrages environnants de la propriété de M. [U] constituent des troubles anormaux de voisinage dont M. [N] est seul responsable.

Outre que M. [N] ne sollicitait pas la nullité du rapport d'expertise devant le tribunal, il ne justifie aucunement qu'il aurait été recevable et fondé en cette demande en cause d'appel dès lors que le rapport a été établi dans le respect du contradictoire, que l'expert a répondu aux différents dires des parties conformément à l'article 276 du code de procédure civile, sans qu'il puisse lui être fait grief de ne pas s'être étendu plus longuement sur des arguments qu'il a considéré inopérants, et qu'il n'est justifié d'aucun manquement de sa part quant à la méthodologie employée, qui est explicitée et conforme aux usages. Il n'est en particulier démontré aucun manque d'impartialité de l'expert pour n'avoir tiré aucune conséquence d'allégations de M. [N] qu'il a indiquées être infondées ou inopérantes.

S'agissant des critiques émises quant au contenu du rapport, les prétendues inexactitudes et insuffisances l'affectant ne sont établies ni par l'avis technique du cabinet BC Etude technique et structure du 23 juillet 2021 ni par le procès-verbal de constat d'huissier du 8 juillet 2021, réalisés plus de dix ans après l'expertise judiciaire à la seule initiative de M. [N], sans y associer M. [U]. Ces seules pièces dont le caractère probatoire est pertinemment critiqué par les intimés et dont la cour n'aurait pas eu à connaître, sont insuffisantes à remettre en cause le bien fondé des conclusions de l'expertise contradictoire et à asseoir la thèse de M. [N], rejetée par l'expert, selon laquelle les travaux réalisés par M. [U] avant la construction du garage seraient à l'origine de crevasses et de l'ensemble des désordres constatés en cours d'expertise.

La circonstance que le rapport d'expertise ne tiendrait pas compte du fait que l'escalier affecté de désordres est construit sur la propriété de M. [U] mais empiète sur la propriété de M. [N], est impropre à écarter le constat de dommages subis par M. [U] sur sa propriété et au titre des travaux d'excavation réalisés par M. [N].

Il n'est donc démontré aucune perte de chance, même minime, d'obtenir la nullité du rapport d'expertise ni le prononcé d'un complément ou d'une nouvelle expertise en cause d'appel.

En outre, M. [N] a pu discuter des conclusions d'expertise devant le tribunal de grande instance de Paris, lequel a répondu à son argumentation mais ne l'a pas jugée fondée.

Le tribunal pouvait, sans porter atteinte au droit de propriété de M. [N], le condamner pour trouble anormal du voisinage au titre des dommages causés sur la propriété de M. [U] et qui lui étaient imputables en raison des travaux réalisés.

M. [N] ne justifie dès lors pas qu'au vu des éléments qui étaient alors en débat et dont la cour aurait eu à connaître, celle-ci aurait statué différemment et échoue à établir une perte de chance, même minime, d'obtenir l'infirmation du jugement dont il a été constaté la caducité de l'appel.

Le tribunal a tout aussi pertinnement apprécié, d'une part, le préjudice moral de M. [N] ayant ressenti une légitime déception en ayant été privé d'une voie de recours, même infondée, les éléments invoqués par ce dernier pour justifier une plus large indemnisation de ce préjudice étant sans lien de causalité avec la faute de l'avocat, d'autre part, son préjudice matériel au titre des frais de timbre fiscal inutilement exposés devant la cour d'appel à hauteur de 150 euros.

Le jugement est donc confirmé.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

M. [N] échouant en ses prétentions est condamné aux dépens d'appel, sans qu'il y ait lieu de faire droit à la demande au titre des frais irrépétibles d'appel formée par les intimés, la faute de l'avocat étant caractérisée.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

y ajoutant,

Déboute M. [R] [V], la société anonyme MMA Iard et la société d'assurance mutuelle MMA Iard assurances mutuelles de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [D] [N] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LA PR''SIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 21/07980
Date de la décision : 02/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-02;21.07980 ?
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