Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 1 JUILLET 2024
RENVOI APRES CASSATION
(n° , 16 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/09758 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHW3C
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Juillet 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/06714
Arrêt du 18 mars 2016, - cour d'appel de Paris - RG n° 19/16938
Arrêt du 15 mars 2023 -cour de cassation - Pourvoi M 21-18-241
APPELANTE
Association CARPA DE [Localité 1] - CAISSE DES REGLEMENTS PECUNIAIRES DES AVOCATS DE [Localité 1]
agissant poursuites et diligences de son Président ou tout autre représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Maison de l'Avocat,
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125,
Assistée par Me Silvestre TANDEAU DE MARSAC de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147 Avocat plaidant
INTIMEES
SOCIÉTÉ MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES VENANT AUX D ROITS DE CIVEA RISKS SC
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège en qualité d'assureur de la société HERACLES FINANCE
[Adresse 4]
[Localité 9]
N° SIRET : 775 652 126
Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34
Assistée de Me Léonardo PINTO de la SELARL VACSAMIDIS AMEALLEM substituant l'avocat plaidant Me GLASER
Société MMA IARD VENANT AUX DROITS DE COVEA RISKS SC
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège en qualité d'assureur de la Société HERACLES FINANCE
[Adresse 4]
[Localité 9]
N° SIRET : 440 048 882
Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34
Assistée de Me Léonardo PINTO de la SELARL VACSAMIDIS AMEALLEM substituant l'avocat plaidant Me GLASER
Société HERACLES FINANCE
agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34
Assistée de Me Léonardo PINTO de la SELARL VACSAMIDIS AMEALLEM substituant l'avocat plaidant Me GLASER
S.N.C. BNP PARIBAS ARBITRAGE
venant aux droits de la société EXANE DERIVATIVES,
Agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 12]
N° SIRET : 394 895 833
représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
PARTIES INTERVENANTES
SOCIETE LIBERTY MUTUAL INSURANCE EUROPE SE
Agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant son siège social
[Adresse 7]
[Localité 14]
[Adresse 13]
représentée par Me ETEVENARD Toque K0065
SAS GROUPE FORWARDS
Agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant son siège social
[Adresse 6]
[Localité 11]
représentée par Me ETEVENARD Toque K0065
SA EXANE
Agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Ayant son siège social
[Adresse 8]
[Localité 10]
Défaillant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 101-7 rac du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Xavier BLANC, Président, chargé du rapport en présence de Monsieur Jacques le VAILLANT. Conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente
Monsieur Xavier BLANC, Président
Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente et par Sylvie MOLLÉ, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
FAITS ET PROCÉDURE
La Caisse des règlements pécuniaires des avocats de [Localité 1] (ci-après désignée la 'Carpa de [Localité 1]') a souhaité faire des investissements financiers sur différents supports et est entrée en contact avec la société [O] Finance à cette fin.
Le 4 novembre 2005, différentes propositions lui ont été faites, et notamment pour un produit structuré par la société Exane intervenue à la demande de la société [O] Finance pour structurer un EMTN ('Euro Medium Term Note'), dénommé «[O] Garanti 75 » destiné à être souscrit par les clients de la société [O] Finance.
La société Forward Finance est intervenue, en outre, dans le cadre d'une convention signée avec la Carpa de [Localité 1].
Le 16 décembre 2005, la société [O] Finance a adressé par courriel à la Carpa de [Localité 1] et à la société Forward Finance la plaquette de présentation de ce produit [O] Garanti 75, sur entête de la société Exane, ainsi qu'un document intitulé « Termes et Conditions Définitifs ».
Le 19 décembre 2005, le conseil d'administration de la Carpa de [Localité 1] a décidé à l'unanimité d'autoriser son président à souscrire notamment ce placement pour un capital de trois millions d'euros.
Le 22 décembre 2005, la société [O] Finance a écrit à la Carpa de [Localité 1] en demandant différentes pièces afin de mettre en place la souscription du produit structuré.
Le 11 janvier 2006, le président de la Carpa de [Localité 1] a signé un courrier préparé par la société [O] Finance, rédigé en ces termes : « Je soussigné, Maitre [B] [W], agissant pour le compte de la Carpa de [Localité 1], dont je suis le président, dûment habilité, déclare notre volonté irrévocable de souscrire entre le 1er mars et le 31 mars 2006 pour 3 millions d'euros l'EMTN présenté dans les termes et conditions ci-joint, dont Exane sera le structureur et l'agent payeur au sein de notre compte-titres domicilié à la banque Martin Maurel dont nous sommes titulaires».
A cette même date du 11 janvier 2006, le président de la Carpa de [Localité 1] a signé également un document intitulé « Termes et Conditions Définitifs ».
Le 13 mars 2006, la société [O] Finance a adressé par télécopie à la Carpa de [Localité 1] un relevé d'identité bancaire du compte dédié ouvert à la Banque Martin Maurel pour la souscription et l'inscription en compte du produit structuré « [O] Garanti 75 » et a demandé à la Carpa de [Localité 1] de virer 3 millions d'euros sur ledit compte, tandis qu'était remis à nouveau un document intitulé 'Termes et Conditions Définitifs' établi à l'entête de la société Exane.
Le 14 mars 2006, la Carpa de [Localité 1] a donné instruction à sa banque de virer de son compte bancaire ouvert dans les livres de la Banque Martin Maurel la somme de 3 millions d'euros. Ce faisant, la Carpa de [Localité 1] a souscrit un EMTN émis et garanti par la société de droit islandais Kaupthing Bank hf.
Au mois d'octobre 2008, la Kaupthing Bank a fait l'objet d'une procédure spéciale ouverte par le régulateur islandais. La Carpa de [Localité 1] a donné mandat à la société Exane Derivatives afin de la représenter dans cette procédure.
Le 25 mai 2009, la Kaupthing Bank a été placée en liquidation judiciaire. Un comité de liquidation de droit islandais a été constitué le même jour. Le 28 décembre 2009, par l'intermédiaire de la société Exane Derivatives, la Carpa de [Localité 1] a déclaré sa créance auprès du Comité de liquidation à hauteur de 3 000 000 euros.
Le 18 novembre 2010, le « Binding-up Committee » de la Kaupthing Bank a informé la Carpa de [Localité 1] que sa créance était admise à hauteur de 2 422 430,97 euros sur le fondement de l'article 113 de la loi islandaise sur les faillites (« Bankruptcy Act ») relatif aux créances chirographaires.
Le 27 juillet 2012, la Carpa de [Localité 1] a adressé une mise en demeure aux sociétés Exane, Exane Derivatives et [O] Finance aux fins de réparer le préjudice subi, provisoirement chiffré à 2 317 764 euros en ce qui concerne la perte de capital, la perte de chance de gain étant mentionnée pour mémoire.
La Carpa de [Localité 1] a formulé une objection au montant retenu le 3 décembre 2010 en demandant l'admission à hauteur du nominal soit 3 000 000 d'euros.
Le 6 mars 2014, le « Winding-up Committee » a notifié à la Carpa de [Localité 1] qu'il acceptait partiellement sa créance à hauteur de 442 431 537 ISK 63, soit 2 614 380 euros, sur le fondement de l'article 13 de la loi islandaise sur les faillites concernant les créances chirographaires.
Tel que l'indiquait le « Winding-up Committee » de la Kaupthing Bank dans son rapport aux créanciers du 10 avril 2014, l'une des options offertes à la Kaupthing Bank pour mettre fin à la procédure de liquidation était de parvenir à un concordat qui engagerait tous les créanciers chirographaires détenant une créance affectée par ce concordat.
Par jugement du 15 décembre 2015, le tribunal du district de Reykjavik a homologué la proposition de concordat soumise par la Kaupthing Bank devenu définitif, tant à l'égard de la banque, que des créanciers chirographaires le 23 décembre 2015. En l'absence d'appel devant la Cour Suprême dans le délai légal imparti, le concordat de la Kaupthing Bank est devenu définitif et exécutoire le 23 décembre 2015 en vertu de la loi islandaise.
Le 15 janvier 2016, la Kaupthing Bank a reçu de la banque centrale islandaise l'exemption définitive lui permettant de mettre en 'uvre le concordat.
Par actes du 16 mai 2013, la Carpa de [Localité 1] et l'ordre des avocats du Barreau de Nice ont assigné en responsabilité les sociétés [O] Finance, Exane, Exane Derivatives et Forward Finance ainsi que leurs assureurs respectifs devant le tribunal de grande instance de Paris.
Par ordonnance du 10 mars 2015, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a décidé de surseoir à statuer sur l'ensemble des demandes dans l'attente d'une décision définitive des organes de la procédure collective de la Kaupthing Bank statuant sur la somme devant revenir à la Carpa de [Localité 1].
Par un arrêt du 18 mars 2016, la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance déférée du 10 mars 2015 du tribunal de grande instance de Paris et dit que l'affaire pourra être rétablie quand la distribution d'obligations sera réalisée.
Par jugement du 9 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Paris a statué comme suit :
'- Déclare irrecevables à agir l'ordre des avocats de [Localité 1] et Me [V] [J] ;
- Condamne in solidum les sociétés [O] Finance, Exane, Exane Derivatives, ainsi que les sociétés MMA Iard, MMA Iard Assurances Mutuelles in solidum à payer à la Carpa de [Localité 1] la somme de 2 135 380 euros ;
- Déboute les parties de leurs autres demandes ;
- Condamne in solidum les sociétés [O] Finance, Exane, Exane Derivatives, ainsi que les sociétés MMA Iard, MMA Iard Assurances Mutuelles à payer à la Carpa de [Localité 1] la somme de 20 000 euros ;
- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit des Sociétés Forward Finances et Liberty Mutual Insurance Europe Limited ;
- Ordonne l'exécution provisoire.'
Par déclaration du 20 août 2019, les sociétés [O] Finance, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, venant toutes deux aux droits de la société Covéa Risks, ont interjeté appel de ce jugement.
Par déclaration du 21 août 2019, les sociétés Exane et Exane Derivatives ont interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 25 novembre 2019, les instances ont été jointes sous le n° RG 19/16938.
Par arrêt du 15 mars 2021, la cour d'appel de Paris a statué comme suit :
'- Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné in solidum les sociétés [O] Finance, Exane, Exane Derivatives, ainsi que les sociétés MMA Iard, MMA Iard Assurances Mutuelles in solidum à payer à la Carpa de [Localité 1] la somme de 2.135.380 euros ;
Statuant de nouveau de ce chef :
- Condamne in solidum les sociétés [O] Finance, Exane Derivatives, ainsi que les sociétés MMA Iard, MMA Iard Assurances Mutuelles in solidum à payer à la Carpa de [Localité 1] la somme de 1 200 000 euros ;
- Confirme le jugement déféré pour le surplus ;
- Rejette toutes autres demandes ;
- Condamne in solidum les sociétés [O] Finance, Exane Derivatives, ainsi que les sociétés MMA Iard, MMA Iard Assurances Mutuelles aux dépens et accorde à maître Teytaud, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.'
L'association Carpa de [Localité 1] a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. La société Exane Derivatives a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Par arrêt du 15 mars 2023, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a statué comme suit :
'- Casse et annule, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande en paiement de la somme de 1 258 365 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 31 décembre 2020, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance de gain, l'arrêt rendu le 15 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
- Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
- Condamne les sociétés [O] Finance, Exane Derivatives ainsi que les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles aux dépens ;
- En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés [O] Finance, Exane Derivatives ainsi que les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances mutuelles et les condamne in solidum à payer à la Caisse des règlements pécuniaires des avocats de [Localité 1] la somme de 3 000 euros ;
(...)'.
La cassation a été prononcée pour violation des articles 1147 et 1382 du code civil au motif que la cour d'appel avait statué 'par des motifs impropres à démontrer l'absence de toute probabilité de gains, alors que toute perte de chance ouvre droit à réparation.'
Par déclaration de saisine après renvoi du 26 mai 2023, l'association Carpa de [Localité 1] a saisi la cour d'appel de Paris en exécution de cette décision intimant la S.A.R.L. [O] Finances, les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles et la SNC BNP Paribas Arbitrage venant aux droits de la SNC Exane Derivatives, à présent dénommée BNP Paribas Financial Markets.
Par actes des 11 et 17 août 2023, la Carpa de [Localité 1] a fait délivrer une assignation à la SAS Groupe Forward, la société Liberty Mutual Insurance Europe SE et la société anonyme Exane avec signification de l'avis de déclaration de saisine, de ses conclusions sur renvoi après cassation et de l'avis de distribution.
Par actes des 21 et 25 septembre 2023, la Carpa de [Localité 1] a fait signifier l'acte de saisine et l'avis de fixation à la SAS Groupe Forward, la société Liberty Mutual Insurance Europe SE et la société anonyme Exane .
Par conclusions notifiées le 6 octobre 2023, la Carpa de [Localité 1] a renoncé au bénéfice des assignations délivrées les 11 et 17 août 2023 aux sociétés Groupe Forward et Liberty Mutual Insurance Europe SE, demandant qu'il soit dit que l'instance d'appel ne se poursuit qu'entre elle et la S.A.R.L. [O] Finances, les sociétés MMA IARD et MMA IARD Assurances Mutuelles et la SNC BNP Paribas Arbitrage venant aux droits de la SNC Exane Derivatives.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024, l'association Carpa de [Localité 1] demande à la cour de :
'Vu notamment l'article 1147 et l'article 1149 du code civil dans leur version applicable à l'époque des faits,
- Infirmer le jugement rendu entre les parties le 9 juillet 2019 uniquement en ce qu'il a rejeté la demande en paiement en réparation de la perte de chance de gain ;
Statuant à nouveau :
A titre principal,
- Chiffrer le préjudice correspondant à la perte de chance de gain arrêté au 30 juin 2023, à la somme, sauf à parfaire, de 1 423 252 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de la date du 1er juillet 2023 ;
Et en conséquence,
- Condamner in solidum les sociétés [O] Finance, BNP Paribas Arbitrage, venant aux droits de la société Exane Derivatives, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer la somme, sauf à parfaire, de 1 423 252 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2023 ;
A titre subsidiaire,
- Chiffrer le préjudice correspondant à la perte de chance de gain arrêté au 30 juin 2023,
à la somme, sauf à parfaire, de 1 249 942 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de la date du 1er juillet 2023 ;
Et en conséquence,
- Condamner in solidum les sociétés [O] Finance, BNP Paribas Arbitrage, venant aux droits de la société Exane Derivatives, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer la somme, sauf à parfaire, de 1 249 942 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2023 ;
A titre très subsidiaire,
- Chiffrer le préjudice correspondant à la perte de chance de gain arrêté au 30 juin 2023, à la somme, sauf à parfaire, de 351 797 euros, outre les intérêts au taux légal à compter de la date du 1er juillet 2023 ;
Et en conséquence,
- Condamner in solidum les sociétés [O] Finance, BNP Paribas Arbitrage, venant aux droits de la société Exane Derivatives, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles à payer la somme, sauf à parfaire, de 351 797 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2023 ;
En tout état de cause,
- Ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du Code civil ;
Et en tout état de cause :
- Condamner in solidum les sociétés [O] Finance, BNP Paribas Arbitrage, venant aux droits de la société Exane Derivatives, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles au paiement d'une indemnité de 35 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner in solidum les sociétés [O] Finance, BNP Paribas Arbitrage, venant aux droits de la société Exane Derivatives, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles aux entiers dépens de l'instance.'
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 février 2024, les sociétés [O] Finances, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles demandent à la cour de :
'Sur l'appel incident de la Carpa de [Localité 1],
- Débouter la Carpa de [Localité 1] de l'ensemble de ses fins, moyens et demandes formulées au soutien de son appel incident ;
En conséquence :
- Confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 9 juillet 2019 (RG n°16/06714) en ce qu'il a exclu tout manquement de la société [O] Finance à son obligation précontractuelle d'information sur la situation financière, sur les objectifs et l'expérience de l'investisseur ;
- Confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 9 juillet 2019 (RG n°16/06714) en ce qu'il a exclu tout manquement de la société [O] Finance à son obligation d'information sur les caractéristiques des EMTN ;
- Confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 9 juillet 2019 (RG n°16/06714) en ce qu'il a débouté la Carpa de [Localité 1] de sa demande au titre des pertes de chance de gain ;
En tout état de cause,
- Condamner la Carpa de [Localité 1] à payer une somme de 10 000 € à la société [O] Finance et aux sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la Carpa de [Localité 1] aux entiers dépens.'
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 19 février 2024, la société BNP Paribas Financial Markets demande à la cour de :
'Vu les articles 1147, 1149 et 1382 du code civil (ancienne numérotation),
A titre principal :
- Constater qu'il n'existe aucun lien de causalité entre, d'une part, la faute d'Exane SA d'avoir, dans ses relations avec la société [O] Finance, structuré un produit ne correspondant pas au cahier des charges en ce qu'il faisait peser un risque sur le capital investi et, d'autre part, la perte de chance alléguée par la Carpa de [Localité 1] d'avoir réalisé des gains ;
- Constater que la Carpa de [Localité 1] ne rapporte pas la preuve qu'autrement conseillée par [O] elle aurait décidé d'investir dans le produit Coralis Capitalisation d'AXA ;
- Constater que la Carpa de [Localité 1] ne rapporte pas la preuve et n'explique pas comment, autrement conseillée par [O], elle aurait pu obtenir un gain équivalent à celui dégagé par les produits dans lesquels elle investit habituellement ;
- Constater que la Carpa de [Localité 1] n'a subi aucune perte de chance de gains dès lors qu'autrement conseillée par [O] elle aurait, selon toute probabilité, seulement décidé de ne pas investir ;
Par conséquent :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de la Carpa de [Localité 1] de se voir indemniser d'une prétendue perte de chance de gains et ;
- Débouter la Carpa de [Localité 1] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de BNP Paribas Arbitrage venant aux droits d'Exane Derivatives ;
A titre subsidiaire :
- Constater que si la Carpa de [Localité 1] avait été autrement conseillée par [O] et avait néanmoins décidé d'investir, elle aurait selon toute vraisemblance seulement sollicité une modification de la banque garante du capital ;
- Constater que si la banque garante du produit [O] Garanti 75 n'avait pas fait faillite, le produit aurait rapporté, à sa date de maturité la somme de 17 700 € ;
- Constater que si la banque garante du produit [O] Garanti 75 n'avait pas fait faillite et si le produit avait rapporté 17 700 € à sa date de maturité à la Carpa de [Localité 1], celle-ci ne rapporte pas la preuve qu'elle aurait réinvesti ces sommes ;
- Constater que la probabilité que la Carpa de [Localité 1] décide d'investir en dépit d'une information complète sur la crise à venir est infinitésimale voire nulle ;
Par conséquent :
- Limiter la condamnation des Intimées à indemniser la Carpa de [Localité 1] à hauteur de 1% de 17 700 €, soit la somme de 177 € ;
En tout état de cause ;
- Condamner la Carpa de [Localité 1] à payer à BNP Paribas Arbitrage venant aux droits d'Exane Derivatives la somme de 80 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la Carpa de [Localité 1] aux entiers dépens.'
MOTIFS DE LA DÉCISION
1.- Sur le désistement partiel d'instance
En application des articles 394, 395 et 397 du code de procédure civile, il convient de déclarer parfait le désistement d'instance exprès de la Carpa de [Localité 1] à l'égard de la SAS Groupe Forward, de la société Liberty Mutual Insurance Europe SE ainsi que son désistement d'instance implicite à l'égard de la société anonyme Exane, aucune demande n'étant formée à leur encontre dans le cadre de la présente instance d'appel sur renvoi après cassation partielle.
2- Sur la perte de chance de gains
Enoncé des moyens
Moyens présentés par la Carpa de [Localité 1]
Après avoir rappelé qu'elle agit en responsabilité délictuelle à l'encontre de la société BNP Paribas Financial Markets, venant aux droits de la société Exane Derivatives, du fait du dommage que lui a causé le manquement contractuel commis par la société Exane Derivatives dans la structuration de l'EMTN engageant sa responsabilité à l'égard de la société [O] Finances qui assurait la distribution du produit '[O] Garanti 75", la Carpa de [Localité 1] fait valoir que cette faute est la cause nécessaire et directe du préjudice qu'elle subi constitué non seulement par la perte du capital investi mais également la perte de chance de mieux investir ses capitaux et donc de réaliser des gains.
A l'égard de la société [O] Finances, la Carpa de [Localité 1] rappelle qu'elle a engagé sa responsabilité contractuelle, laquelle a été reconnue par les décisions intervenues en l'espèce, ayant autorité de la chose sur ce point comme sur la responsabilité de la société Exane Derivatives, pour cause de manquement à son obligation de conseil en qualité de distributeur du produit financier ainsi qu'à son obligation de proposer un produit financier adapté.
La Carpa de [Localité 1] soutient qu'elle a décidé d'investir dans le produit '[O] Garanti 75" en considération de la qualité de l'émetteur et garant de l'EMTN, croyant qu'il s'agissait d'un établissement financier de l'Union européenne bénéficiant au minimum de la note A+ donnée par l'agence de notation Standard & Poor's et non, comme cela fut finalement le cas, d'une banque islandaise ne bénéficiant pas de cette notation et dont la fragilité avait déjà été mise en évidence par plusieurs études et agences de notation. Elle fait valoir que si elle avait connu cette identité de la banque émettrice et garante de l'EMTN en temps utiles, alors elle n'aurait pas investi dans le produit '[O] Garanti 75" mais aurait pu investir son capital dans un autre produit et ainsi espérer réaliser des gains.
La Carpa de [Localité 1] soutient qu'elle aurait, selon toute probabilité, investi dans le second produit conseillé par la société [O] Finances, soit le produit Coralis Capitalisation de la société AXA, dépourvu de risque de perte en capital et qui lui aurait permis d'obtenir des rendements correspondants à ses placements habituels.
Au nom du principe de la réparation intégrale du préjudice et en considération du fait qu'une perte de chance est réparable dès lors qu'il existe une disparition certaine d'une éventualité favorable, que notamment la perte de chance de ne pas contracter induit une perte de chance de ne pas avoir reçu un rendement, la Carpa de [Localité 1] conclut que la perte de chance de gains doit être réparée en l'espèce et qu'elle est de 95 %.
Sur le quantum de la perte de chance de gains, la Carpa de [Localité 1] fait valoir que la perte subie doit s'apprécier par rapport au montant des sommes investies et perdues et que le gain manqué doit être mesuré par rapport aux sommes qui auraient pu être perçues par la victime si l'investissement avait été réalisé conformément à ses objectifs. En l'occurrence, la Carpa de [Localité 1] soutient que son préjudice est à parfaire car, n'ayant pas recouvré l'intégralité du capital investi, elle demeure privée d'une partie de son investissement initial qu'elle ne peut pas réinvestir. Elle considère avoir perdu des gains d'un montant total de 1 498 161 euros du 31 décembre 2006 au 4 mars 2024 car elle aurait placé l'intégralité des fonds investis sur le contrat Coralis Capitalisation si elle avait bénéficié du conseil adéquat. A titre subsidiaire, elle affirme qu'elle a, à tout le moins, perdu une chance de gagner la somme totale de 1 315 729 euros sur cette période au regard des taux de rendement moyens des produits dans lesquels elle investit habituellement. A titre très subsidiaire, la Carpa de [Localité 1] soutient que, si la Cour devait retenir l'argumentation de la société BNP Paribas Financial Markets, son préjudice résultant de la perte de chance de gain s'élèverait à la somme totale de 370 313 euros correspondant au rendement à la date de maturité du produit '[O] Garanti 75" d'un montant de 17 700 euros puis au gain qui aurait été réalisé à compter du 12 avril 2014 grâce au réinvestissement des fonds sur d'autres produits offrant des taux de rendement équivalents aux taux moyens qu'elle perçoit pour ses placements.
Moyens présentés par la société [O] Finances et les sociétés MMA
Les sociétés [O] Finances, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles font valoir qu'une perte de chance de gain ne peut être réparée qu'à condition qu'une probabilité de gain initiale ait été démontrée. Elles soutiennent que les gains escomptés au titre du contrat '[O] Garanti 75" n'étaient pas une éventualité favorable dont la probabilité de réalisation était certaine et sérieuse. Elles soulignent qu'il n'y a jamais eu de garantie quant aux fruits de l'EMTN qui est un produit hybride comprenant à la fois une composante obligataire et une composante en produits plus risqués, de sorte qu'il y a un aléa naturel affectant le rendement de ce produit financier. Elles en concluent que la perte de chance de gain de la Carpa de [Localité 1] ne peut être évaluée à hauteur de 95 %.
Elles font valoir en outre que le conseil en gestion de patrimoine n'est pas tenu de garantir à son client la rentabilité à long terme du placement choisi, ni de le prémunir de tout aléa financier.
Sur le quantum de la perte de chance de gains, les sociétés [O] Finances, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles soulignent, tout d'abord, que la Carpa de [Localité 1] a modifié à trois reprises son calcul de la perte de chance de gain dont elle demande réparation au cours du procès. Elles font valoir qu'il appartient à la Carpa de [Localité 1] de démontrer que ses hypothèses de gains étaient réelles et sérieuses mais soutiennent que cette preuve fait défaut en l'espèce. Ainsi, elles font valoir qu'il n'est aucunement démontré par la Carpa de [Localité 1] qu'elle aurait investi dans le produit Coralis Capitalisation ou tout autre support d'investissement alternatif en l'absence des fautes retenues à charge des sociétés [O] Finance et Exane Derivatives, alors que rien ne permet de savoir qu'un tel investissement alternatif lui aurait permis d'obtenir les rendements correspondant à ses placements habituels jusqu'en 2023.
Les sociétés [O] Finances, MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles contestent que la Carpa de [Localité 1] puisse valablement solliciter le versement des intérêts qu'un placement de trois millions d'euros aurait généré jusqu'en 2024 puisque le contrat '[O] Garanti 75" devait arriver à maturité au mois d'avril 2014. Elles en concluent que s'il devait être fait droit aux demandes indemnitaires de la Carpa de [Localité 1] jusqu'en 2024, avec la précision en outre que cette indemnisation est à parfaire, alors l'appelante obtiendrait la réparation d'un préjudice supérieur au dommage dont elle a souffert.
Moyens présentés par la société BNP Paribas Financial Markets
La société BNP Paribas Financial Markets, venant aux droits de la société Exane Derivatives, fait valoir que la société Exane Derivatives est intervenue afin de structurer l'EMTN '[O] Garanti 75"et qu'elle n'était tenue à ce titre à aucune obligation de conseil à l'égard de la Carpa de [Localité 1], ni à aucune obligation de garantir ses gains, rappelant qu'elle a seulement été reconnue fautive d'avoir structuré un produit non conforme au cahier des charges qui lui a été soumis par la société [O] Finances lequel n'exigeait pas que soit garantie la réalisation de gains à l'issue de l'investissement. Elle soutient que le risque pour la Carpa de [Localité 1] de ne réaliser aucun gain était intrinsèquement lié à la nature même du produit financier dans lequel elle a investi. Elle en conclut qu'il n'existe pas de lien de causalité entre la faute reprochée à la société Exane Derivatives de ne pas avoir structuré un produit conforme au cahier des charges et l'hypothétique perte de chance de la Carpa de [Localité 1] de réaliser des gains, seule la faillite de la Kaupthing Bank ayant provoqué cette perte. .
La société BNP Paribas Financial Markets rappelle que ni la Cour de cassation, ni les juges du fond n'ont reconnu l'existence d'un préjudice indemnisable au titre de la perte de chance de gains alléguée par la Carpa. Elle soutient que la Carpa de [Localité 1] ne démontre pas qu'elle aurait reporté son choix d'investissement sur le produit Coralis Capitalisation si elle avait été mieux informée, considérant au contraire que les faits établissent que cette hypothèse était la moins probable et qu'elle n'explique pas quel est le comportement qu'elle aurait adopté pour obtenir le gain équivalent à des placements habituels qu'elle invoque.
La société BNP Paribas Financial Markets fait valoir qu'il convient de rechercher quel comportement contrefactuel la Carpa de [Localité 1] aurait adopté si la faute n'avait pas été commise et considère que si elle avait pu être informée de la crise financière à venir, l'hypothèse la plus probable pour un investisseur raisonnable refusant de prendre le moindre risque , aurait alors été de ne pas contracter, de sorte que le préjudice de perte de chance de gains est en l'espèce inexistant.
Toutefois, si l'hypothèse selon laquelle, mieux conseillée sur les risques pesant sur la garantie en capital, la Carpa de [Localité 1] aurait tout de même décidé d'investir devait être retenue, la société BNP Paribas Financial Markets fait valoir que l'appelante aurait selon toute probabilité sollicité un changement de banque garante du produit sans changement de ses sous-jacents et de sa date de maturité. Elle en déduit qu'il convient de limiter les gains manqués au montant des gains que le produit [O] Garanti 75 aurait permis d'obtenir à sa date de maturité si la banque garante n'avait pas fait faillite, soit la somme de 17 700 euros sur laquelle doit être appliqué un pourcentage de probabilité de perte de chance de 1 %.
Réponse de la cour
Aux termes de la documentation commerciale établie à l'entête de la société Exane et du document intitulé 'Termes et Conditions Définitifs' afférent à l'EMTN '[O] Garanti 75" remis à la Carpa de [Localité 1] par la société [O] Finances par courriel du 16 décembre 2005, l'EMTN proposé est un instrument financier structuré reposant sur un sous-jacent constitué d'un panier d'indices et d'OPCVM selon une pondération destinée à être maintenue durant toute la durée de l'EMTN qui était en l'occurrence de huit ans. (Pièce n° 19 de l'appelante)
Ces caractéristiques fondamentales de l'instrument financier sont reprises par le document intitulé 'Final terms' en date du 31 mars 2006 établi par l'émetteur de l'EMTN, à savoir la société islandaise Kauthing Bank hf (pièces n029 et 29 bis de l'appelante).
Cette documentation commerciale et ces pièces contractuelles ne contiennent aucune mention d'un engagement de rendement de l'instrument financier à sa date de maturité, en l'occurrence le 11 avril 2014 pour une date d'émission de l'EMTN au 31 mars 2006.
Toutefois, il ressort des premiers échanges intervenus entre la société [O] Finances et la Carpa de [Localité 1] que l'objectif poursuivi par cette dernière était de souscrire des produits d'investissement assurant à la fois une garantie de représentation du capital à l'échéance et une rémunération à terme.
Ainsi, dans son couriel du 28 septembre 2005, M. [Y], intervenant pour la société [O] Finances, a précisé à la Carpa de [Localité 1] ce qui suit : 'Nos recherches de solutions s'orientent à ce jour autour de 2 axes :
- Contrats de capitalisations à taux garantis (4,4% à 4,6% en 2004)
- Produits structurés à capital garanti.' (Pièce n°17 de l'appelante)
Par courriel du 7 octobre 2005, M. [Y] a précisé à la Carpa de [Localité 1] ce qui suit : 'Quatre [solutions] ont retenu notre attention par leur originalité, leur simplicité et leur rentabilité.
Toutes sont des solutions à capital garanti.' (Pièce n°17 de l'appelante)
Il est constant que c'est dans ce cadre que la société [O] Finances a proposé à la Carpa de [Localité 1] de souscrire notamment à l'EMTN structuré '[O] Garanti 75".
La documentation commerciale établie par la société Exane précisait en titre de première page : '[O] Garanti. La performance pure d'une allocation diversifiée, la garantie du capital en plus !' Elle précisait, en page 4, sous l'intitulé 'Concilier performance pure et sécurité', ce qui suit: 'L'objectif n°1 : la performance pure Offrir à l'investisseur 75 % de l'allocation :
- Investi à 100% en fonds actions et en indices actions,
- sans limite,
- sans moyenne,
- sans plafond à la hausse.
L'objectif n°2 : la sécurité
A l'échéance de la durée de placement (8 ans), garantir le capital à 100 %, net de tout frais
En cours de vie
- Réduire la volatilité de l'investissement
- Amortir les baisses éventuelles de l'allocation.'
Les 'Termes et Conditions Définitifs' de l'EMTN '[O] Garanti 75"détaillent le montant de remboursement à la date de maturité sur la base d'une formule mathématique dont il ressort l'addition du versement de 100 % du montant du capital investi, réparti en 'coupures' de 10 000 euros, et du versement de 75 % de la valeur à terme de l'allocation déterminée par le rendement réalisé par le sous-jacent, c'est-à-dire le panier d'indices et d'OPCVM.
Il en résulte, contrairement à ce que soutiennent les intimées, que la capacité de l'EMTN '[O] Garanti 75" à produire un rendement à la date de maturité, et non seulement à offrir la garantie du remboursement du capital investi, était une composante de l'instrument financier vantée par la société [O] Finances, mise en avant dans la documentation commerciale et contractuelle établie par la société Exane et entrée dans le champ contractuel défini par la Carpa de [Localité 1] et la société [O] Finances dès le début de leur relation d'affaire.
En l'espèce, il est à présent définitivement jugé que la responsabilité contractuelle de la société [O] Finances à l'égard de la Carpa de [Localité 1] est engagée pour cause de manquement à son obligation de conseil en qualité de distributeur de l'instrument financier ainsi qu'à son obligation de proposer un produit financier adapté pour lui avoir proposé un produit risqué, de nature à atteindre l'obligation de capital garanti, alors qu'elle ne pouvait pas ignorer en sa qualité de conseiller en investissement financier la fragilité des établissements bancaires islandais.
Il est également définitivement jugé que la responsabilité délictuelle de la société Exane Dérivatives, à laquelle succède la société BNP Paribas Financial Markets, est engagée à l'égard de la Carpa de [Localité 1] pour cause de manquement de la société Exane Derivatives à son obligation de structurer l'EMTN '[O] Garanti 75" selon le cahier des charges de la société [O] Finance, en substituant comme émettrice et garante de l'EMTN, la banque islandaise Kaupthing Bank hf à l'établissement financier européen bénéficiant d'une note A+ au minimum par l'agence de notation Standard & Poor's qui était visé dans les 'Termes et Conditions Définitifs' de l'EMTN remis à la Carpa de [Localité 1] le 16 décembre 2005.
Il ressort des extraits de cotation Bloomberg produits par la société BNP Paribas Financial Markets (pièce n°18 de l'intimée) que la fourchette de cotation ('fourchette bid/ask') des indices et OPCVM composant le panier de sous-jacents de l'EMTN structuré 'Héraklès Garanti 75" a bien été publiée sur le site 'Bloomberg Exane' comme le prévoyait les 'Termes et Conditions Définitifs' remis à la Carpa de [Localité 1].
La société BNP Paribas Financial Markets établit que le rendement du panier de sous-jacents de cet EMTN à sa date de maturité, au 11 avril 2014, a permis de réaliser un gain total de 17 700 euros, ce qu'admet la Carpa de [Localité 1] qui ne conteste pas les données et le calcul fourni par la société BNP Paribas Financial Markets.
Il en résulte que la perte de gains est certaine puisque la Carpa de [Localité 1] ne les a pas perçus du fait de la défaillance de l'émetteur et garant de l'EMTN avant que ne survienne la date de maturité de l'instrument financier.
La perte de chance pour la Carpa de [Localité 1] d'éviter la réalisation de ces pertes de gains et de mieux investir ses capitaux est également certaine du fait, d'une part, des manquements commis à son égard par la société [O] Finances à son obligation de conseil en qualité de distributeur de l'instrument financier et à son obligation de proposer un produit financier adapté et, d'autre part, de la faute commise par la société Exane Derivatives dans la structuration de l'EMTN car le choix d'un émetteur n'offrant pas les garanties de solvabilité et de sécurité affichées et attendues, sans que cela soit annoncé et expliqué à la Carpa de [Localité 1] en temps utiles, avant souscription, lui a fait perdre une chance de mieux investir ses capitaux afin de bénéficier du rendement généré par le panier de sous-jacents de l'EMTN.
Concernant la probabilité de survenance de l'éventualité favorable, c'est-à-dire l'éventualité que, mieux informé, l'investisseur ait décidé de mieux investir ses capitaux, l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 15 mars 2021 qui a fixé le préjudice de perte de chance de la Carpa de [Localité 1] au titre de la perte du capital investi à la somme de 1 200 000 euros pour un capital perdu d'un montant de 2 135 380 euros, soit un taux de probabilité de l'occurrence de la perte de 56,20 %, a sur ce point autorité de la chose jugée.
La perte de chance d'éviter la perte du capital investi comme la perte de chance de réaliser des gains procèdent en l'espèce des mêmes faits générateurs de responsabilité. Il convient donc de fixer le taux de probabilité de perte de chance de réaliser des gains à 56,20 %.
La Carpa de [Localité 1] n'est pas fondée à soutenir que la chance perdue est celle de pouvoir investir l'intégralité du capital de trois millions d'euros affecté à l'EMTN '[O] Garanti 75" sur le contrat Coralis Capitalisation et de pouvoir bénéficier des gains générés par ce produit d'investissement dès lors qu'elle ne démontre pas la certitude cette éventualité favorable. Il ressort au contraire de ses échanges avec la société [O] Finances qu'elle souhaitait diversifier ses placements dans le but de bénéficier d'une meilleure rentabilité globale pour l'investissement non pas d'un capital de trois millions d'euros mais de quatorze millions d'euros au total. Ainsi, il ressort de l'extrait des délibérations de la réunion exceptionnelle du conseil d'administration de la Carpa de [Localité 1] du 19 décembre 2005 que celui-ci a autorisé alors les placements suivants :
'- 6 millions d'euros sur le EMTN du Crédit Mutuel
- 2 millions d'euros sur le bon de capitalisation Axa Thema
- 3 millions d'euros sur un contrat Exane,
- 3 millions d'euros sur un contrat Skandia.'
Cette stratégie d'investissements diversifiée portant essentiellement sur des EMTN ne permet pas de déduire une volonté certaine de la CARPA de [Localité 1] d'investir sur un contrat de capitalisation fondé sur des obligations en euro aux lieu et place de l'EMTN structuré qui lui a été conseillé par la société [O] Finances quand bien même la substitution de la banque émettrice et garante de l'EMTN lui aurait été révélée avant la souscription de l'instrument financier.
Pour ce motif également, la Carpa de [Localité 1] ne démontre pas la certitude de l'éventualité favorable d'investir sur un produit alternatif dont le rendement serait conforme à une habitude d'investissement de sa part qu'elle ne caractérise pas, faute d'apporter la preuve d'une politique habituelle de sa part d'investissement de ses capitaux sur un type de placement spécifique.
A cet égard, l'attestation établie par le commissaire aux comptes de la Carpa de [Localité 1] le 9 novembre 2023 (pièce n°124 de l'appelante) ne révèle que le taux de rendement moyen enregistré par année civile sur la période allant de 2006 à 2022 sur les divers placements de fonds de tiers opérés par la Carpa de [Localité 1]. Elle ne permet pas d'identifier les catégories d'investissements auxquelles la Carpa de [Localité 1] a eu recours pendant cette période.
Enfin, la Carpa de [Localité 1] n'est pas fondée à invoquer une perte de chance de gains au-delà de la date de maturité de l'EMTN '[O] Garanti 75" au motif qu'elle aurait réinvesti l'intégralité de la valeur de remboursement sur un produit alternatif offrant un rendement équivalent au taux moyen de rémunération qu'elle perçoit sur ses placements de capitaux alors qu'elle n'apporte pas la preuve de l'existence d'une politique constante de réinvestissement systématique de ses capitaux à la date d'échéance de leur placement.
Sur ce point également, l'attestation du commissaire aux comptes de la Carpa de [Localité 1] ne caractérise pas l'existence d'une politique de réinvestissement systématique des fonds de tiers à l'issue d'un premier placement.
Par suite, le préjudice de perte de chance de gain de la Carpa de [Localité 1] s'élève en l'espèce à la somme totale de 9 947,40 euros (soit 17 700 euros x 56,20 %). Le jugement déféré sera infirmé sur ce chef de son dispositif et les sociétés [O] Finances, MMA IARD, MMA IARD Assurances Mutuelles et BNP Paribas Financial Markets seront condamnées in solidum au paiement de cette somme, avec intérêts à compter du prononcé du présent arrêt en application de l'article 1231-7 du code civil, avec capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil.
3.- Sur les frais du procès
Parties perdantes, les sociétés [O] Finances, MMA IARD, MMA IARD Assurances Mutuelles et BNP Paribas Financial Markets seront déboutées de leurs demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile et condamnées in solidum aux dépens d'appel, en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile, et à payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 8 000 euros à la Carpa de [Localité 1].
PAR CES MOTIFS
Déclare parfait le désistement d'instance de la Carpa de [Localité 1] à l'égard de la SAS Groupe Forward, de la société Liberty Mutual Insurance Europe SE et de la société anonyme Exane,
Infirme le jugement déféré en sa disposition soumise à la cour,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Condamne in solidum les sociétés [O] Finances, MMA IARD, MMA IARD Assurances Mutuelles et BNP Paribas Financial Markets à payer la somme de 9 947,40 euros à la Caisse des règlements pécuniaires des avocats de [Localité 1] à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de perte de chance de gain, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt ;
Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
Déboute la Caisse des règlements pécuniaires des avocats de [Localité 1] de ses demandes indemnitaires plus amples ou contraires,
Y ajoutant,
Condamne in solidum les sociétés [O] Finances, MMA IARD, MMA IARD Assurances Mutuelles et BNP Paribas Financial Markets aux dépens de l'instance d'appel exposés par la Caisse des règlements pécuniaires des avocats de [Localité 1],
Déboute les sociétés [O] Finances, MMA IARD, MMA IARD Assurances Mutuelles et BNP Paribas Financial Markets de leurs demandes formées au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum les sociétés [O] Finances, MMA IARD, MMA IARD Assurances Mutuelles et BNP Paribas Financial Markets à payer la somme de 8 000 euros à la Caisse des règlements pécuniaires des avocats de [Localité 1] en application de l'article 700 du code de procédure civile et rejette le surplus des demandes formées par la Caisse des règlements pécuniaires des avocats de [Localité 1] sur ce fondement,
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE
S.MOLLÉ C.SIMON-ROSSENTHAL