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01/07/2024 | FRANCE | N°22/20371

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 10, 01 juillet 2024, 22/20371


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 10



ARRÊT DU 01 JUILLET 2024



(n° , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/20371 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGZNP



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 29 Novembre 2022 - TJ de PARIS CEDEX 17 RG n° 21/11804





APPELANTES



Société CGPA

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en ce

tte qualité audit siège

Ayant son siège social

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 6]

N° SIRET : 784 702 367



Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avoca...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 10

ARRÊT DU 01 JUILLET 2024

(n° , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/20371 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGZNP

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 29 Novembre 2022 - TJ de PARIS CEDEX 17 RG n° 21/11804

APPELANTES

Société CGPA

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Ayant son siège social

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 6]

N° SIRET : 784 702 367

Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075

Assistée par Me Dorothée LABASSE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0276, avocat plaidant

S.A.S. SAULNIER [C] ET ASSOCIES

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Prise en la personne de Me [G] [C], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Sté LORD PATRIMOINE & ASSOCIES, SARL

Ayant son siège au

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF AVOCATS & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075

Assistée par Me Dorothée LABASSE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0276, Avocat plaidant,

INTIMEE

Madame [W] [F]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Bertrand DE CAMPREDON de la SELARL GOETHE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

Assistée par Me Frédérica QUARLERI , de la SELARL GOETHE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS Toque B0097

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Président

Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller

Monsieur Edouard LOOS, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christine SIMON-ROSSENTHAL, Président et par Sylvie MOLLÉ, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Les 4 novembre et 4 décembre 2015, Mme [W] [F] a mandaté la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés afin de rechercher des solutions d'investissement. Cette dernière lui a proposé d'investir dans le groupe Maranatha, composé d'une société mère détenant plusieurs sociétés d'exploitations hôtelières dans le capital desquelles les investisseurs entrent. Plus précisément, elle lui a proposé des souscriptions d'actions couplées avec un apport en compte courant. Le rendement annoncé repose sur la promesse de rachat des actions par la société Maranatha, à exercer entre le lendemain du dernier jour du quatrième mois et le 31 décembre de la septième année de détention des actions, et sur le remboursement des comptes courants. Les avantages escomptés sont le remboursement de la somme prêtée à titre de compte courant et un rendement annualisé de 8 % sur le montant total de l'investissement, en cas d'exercice par l'investisseur de la promesse de rachat d'actions.

Le 4 décembre 2015, Mme [W] [F] a acquis 44 000 actions de la société en commandite par actions VIP Hôtel Royal Saint Honoré pour un prix de 44 000 euros, dans le cadre du projet « Hôtel Royal Saint Honoré » à [Localité 7]. Elle a versé en outre la somme de 56 000 euros en compte courant dans cette société, soit un investissement total de 100 000 euros.

Le 23 janvier 2016, elle a acquis 44 000 actions de la société en commandite par actions Hôtelière VIP [Localité 7] CfH, pour un prix de 44 000 euros, dans le cadre du projet « Hôtel California » à [Localité 7]. Elle a versé en outre la somme de 56 000 euros au compte courant de cette société, soit un investissement total de 100 000 euros.

Par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 27 septembre 2017, la société Maranatha a été placée en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire par jugement du 27 mars 2019. Le tribunal de commerce de Marseille, dans un jugement du 17 octobre 2018, a désigné le fonds d'investissement Colony Capital Acquisitions LLC comme repreneur des hôtels du groupe Maranatha. Dans le cadre de cette reprise, Mme [W] [F] a pu récupérer ses fonds à hauteur de 26 % du montant du capital et du compte courant d'associé.

Parallèlement, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard des sociétés VIP Hôtel Royal Saint Honoré et Hôtelière VIP [Localité 7] CfH, procédures également converties liquidation judiciaire.

Reprochant à la société Lord Patrimoine & Associés divers manquements à ses obligations formelles en qualité de conseiller en investissements financiers et à ses obligations d'information et de conseil ayant conduit à la perte d'une partie des sommes investies, Mme [W] [F] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Paris, la société Lord Patrimoine & Associés en responsabilité et indemnisation et la société CGPA, son assureur, en garantie, par actes des 10 et 15 septembre 2021.

La société Lord Patrimoine & Associés a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce d'Orléans du 25 août 2021, procédure convertie en liquidation judiciaire par jugement du 13 octobre 2021. La société Saulnier-[C] & Associés prise en la personne de Maître [G] [C] a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Devant le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris, le liquidateur judiciaire de la société Lord Patrimoine & Associés et la société CGPA ont demandé, au visa des articles 122 du code de procédure civile et 2224 du code civil, que l'action de Mme [F] soit déclarée irrecevable car prescrite.

Par ordonnance du 29 novembre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :

'- Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action formée par Mme [W] [F] ;

- Condamne in solidum la SAS Saulnier-[C] & Associés, prise en la personne de Me [G] [C], ès qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés, et la société d'assurance à forme mutuelle CGPA aux dépens de l'incident, qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code civil, ainsi qu'à payer à Mme [W] [F] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Renvoie l'affaire à l'audience de mise en état du 10 janvier 2023, 9h30, pour que la SAS Saulnier-[C] & Associés, prise en la personne de Me [G] [C], ès qualité de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés, et la société d'assurance à forme mutuelle CGPA concluent au fond.'

Par déclaration déposée au greffe par voie électronique le 5 décembre 2022, la SAS Saulnier-[C] & Associés, es-qualités, et la société CGPA ont interjeté appel de cette ordonnance.

Par déclaration déposée au greffe par voie électronique le 7 décembre 2022, la SAS Saulnier-[C] & Associés, es-qualités, la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés et la société CGPA ont interjeté appel de cette ordonnance.

La jonction des deux instances d'appel a été ordonnée le 2 janvier 2023.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 mars 2024, la SAS Saulnier-[C] & Associés, es-qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés, la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés et la société CGPA demandent à la cour de :

'Vu l'absence de signification par RVA de la constitution d'avocat de Madame [F] en contravention de l'article 960 du code de procédure civile,

Vu l'article 2224 du code civil,

- Débouter Mme [F] de sa demande de caducité des déclarations d'appel ;

- Réformer l'ordonnance du 29 novembre 2022 du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris qui a :

Rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action formée par Mme [F];

Condamné in solidum la SAS Saulnier-[C] & Associés, prise en la personne de Me [G] [C], ès qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés, et la société d'assurance à forme mutuelle CGPA aux dépens de l'incident, qui pourront être recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code civil, ainsi qu'à payer à Mme [W] [F] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

Renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 10 janvier 2023, 9h30, pour que la SAS Saulnier-[C] & Associés, prise en la personne de Me [G] [C], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Lord Patrimoine & Associés, et la société d'assurance à forme mutuelle CGPA concluent au fond.

- Juger que l'action en responsabilité engagée par Mme [W] [F] et ses demandes sont prescrites, pour la première opération depuis le 4 décembre 2020 et pour la seconde opération depuis le 23 janvier 2021 ;

En conséquence,

- Déclarer irrecevables l'action et les demandes de Mme [W] [F] contre la société Lord Patrimoine & Associés représentée par son liquidateur judiciaire et contre la société Saulnier-[C] & Associés en la personne de Me [G] [C] ès qualités ;

- Déclarer irrecevables comme prescrites l'action et les demandes de Mme [W] [F] contre la société CGPA ;

- Condamner Mme [W] [F] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Fertier pour ceux le concernant conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.'

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 avril 2024, Mme [W] [F] demande à la cour de :

'Vu les articles 905 et suivants du code de procédure civile,

Avant toutes discussions au fond et à titre principal,

- Juger caduque les déclarations d'appel effectuées par les sociétés Lord Patrimoine & Associés, Saulnier-[C] & Associés et CGPA et ayant pour objet la contestation de l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris le 29 novembre 2022 ;

A titre subsidiaire

- Confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions ;

En conséquence :

- Débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

- Renvoyer cette affaire devant le tribunal judiciaire de Paris ;

En tout état de cause :

- Condamner in solidum les sociétés Lord Patrimoine & Associés, Saulnier-[C] & Associés et CGPA à payer à Madame [F] la somme de 3 000 € au titre de ses frais de procédure, conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner in solidum, les sociétés Lord Patrimoine & Associés, Saulnier-[C] & Associés et CGPA aux entiers dépens dont distraction à Me Bertrand de Campredon du cabinet Goethe Avocats en sa qualité d'avocat.'

MOTIFS DE LA DÉCISION

1.- Sur le caducité des déclarations d'appel

L'article 905-1 paragraphe 1 du code de procédure civile dispose que :

'Lorsque l'affaire est fixée à bref délai par le président de la chambre, l'appelant signifie la déclaration d'appel dans les dix jours de la réception de l'avis de fixation qui lui est adressé par le greffe à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office par le président de la chambre ou le magistrat désigné par le premier président ; cependant, si, entre-temps, l'intimé a constitué avocat avant signification de la déclaration d'appel, il est procédé par voie de notification à son avocat.'

L'article 905-2 paragraphe 1 du code de procédure civile dispose que : 'A peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, l'appelant dispose d'un délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe.'

L'article 911 paragraphe 1 du code de procédure civile dispose que : 'Sous les sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées au plus tard dans le mois suivant l'expiration des délais prévus à ces articles aux parties qui n'ont pas constitué avocat ; cependant, si, entre-temps, celles-ci ont constitué avocat avant la signification des conclusions, il est procédé par voie de notification à leur avocat.'

Mme [F] soutient que les déclarations d'appel des sociétés Saulnier-[C] & Associés, es-qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés, Lord Patrimoine & Associés et CGPA sont caduques car les notifications de la déclaration d'appel, de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai et des conclusions d'appel n'ont été faites à son avocat que le 22 février 2022 alors qu'il s'était constitué le 5 janvier 2023.

Toutefois, les appelantes font exactement valoir que la constitution de l'avocat de Mme [F] n'a été adressée qu'au greffe de la juridiction, l'avocat constitué dans les intérêts des appelantes n'en ayant pas été rendu destinataire. Il n'a donc pas été procédé à son égard à une notification entre avocats de l'acte de constitution du 5 janvier 2023, en violation des dispositions de l'article 960 du code de procédure civile.

Il en découle que les appelantes devaient en l'espèce procéder à la signification à Mme [W] [F] de la déclaration d'appel, de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai et des conclusions d'appel dans les délais prévus aux articles 905-1, 905-2 et 911 du code de procédure civile.

Les appelantes justifient avoir procédé à la signification à Mme [F] des déclarations d'appel des 5 et 7 décembre 2022, de l'ordonnance de jonction du 2 janvier 2023 et de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai du 3 janvier 2023 par acte de commissaire du justice du 9 janvier 2023, soit dans le délai de dix jours à compter la réception de l'avis de fixation prévu à l'article 905-1 du code de procédure civile.

Elles ont fait signifier leurs conclusions d'appel à Mme [F] par acte de commissaire de justice du 16 février 2023, soit dans le délai d'un mois à compter de la remise au greffe de leurs conclusions d'appel intervenue le 1er février 2023, remise elle-même intervenue dans le délai d'un mois à compter de la réception de l'avis de fixation de l'affaire à bref délai le 3 janvier 2023.

Par suite, les déclarations d'appel des sociétés Saulnier-[C] & Associés, es-qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés, Lord Patrimoine & Associés et CGPA n'encourent pas la sanction de caducité. Mme [F] sera donc déboutée de sa demande formée à ce titre.

2.- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

Exposé des moyens

Au soutien de leur appel, la société Lord Patrimoine & Associés, son liquidateur judiciaire et la société CGPA font valoir que, dans le cadre d'une action en responsabilité à l'encontre d'un intermédiaire en investissement au titre d'un manquement à une obligation d'information et/ou de conseil, le point de départ du délai de prescription doit être fixé au jour de la conclusion du contrat car le préjudice s'analyse en une perte de chance de ne pas souscrire à l'investissement litigieux ou une perte de chance de mieux investir ses capitaux. Elles soulignent que Mme [F] a souscrit à l'investissement Maranatha les 4 décembre 2015 et 23 janvier 2016, de sorte que son action était prescrite lorsqu'elle a fait délivrer son assignation en responsabilité et en garantie par actes des 10 et 15 septembre 2021.

Les appelantes soutiennent que le report du point de départ de la prescription au jour de l'ouverture du redressement judiciaire de la SAS Maranatha, soit le 27 septembre 2017, comme retenu par l'ordonnance déférée, ne se justifie pas dès lors que Mme [W] [F] avait connaissance, à la simple lecture de la documentation remise par la société Lord Patrimoine & Associés et des contrats, des risques inhérents au produit d'investissement au jour de la conclusion de ces contrats, et ce d'autant que Mme [F] est un investisseur averti et ne peut prétendre avoir ignoré que tout investissement présente un risque de perte. Elles soutiennent que les pièces produites établissent que la société Lord Patrimoine & Associés avait dûment informé Mme [F] et satisfait à toutes ses obligations formelles en tant que conseiller en investissements financiers, dont au surplus, le défaut est nécessairement apparent au jour de la remise de la documentation obligatoire.

Elles soutiennent que le point de départ de la prescription ne peut être reporté à la découverte d'un préjudice qui n'est pas celui né des manquements invoqués. Elles soulignent à cet égard que si la réalisation du risque d'insolvabilité de la société Maranatha est la cause de l'échec de l'investissement et donc des pertes subies par l'investisseur, elle ne peut constituer le dommage subi par ce dernier dans le cadre de sa relation avec l'intermédiaire en investissements financiers car ce dernier n'est pas garant de la rentabilité du produit conseillé et n'est pas tenu d'une obligation de résultat quant à l'issue de l'investissement. Elles invitent à distinguer la connaissance du risque de perte en capital, qui correspond à la manifestation du principe du dommage et doit être fixée à la date de conclusion du contrat lorsque ce risque a été révélé par la documentation contractuelle, et la perte en capital elle-même, qui est indépendante et qui survient nécessairement postérieurement à la souscription au produit d'investissement.

Mme [W] [F] fait valoir que le point de départ du délai de prescription prévu à l'article 2224 du code civil est la date de réalisation du dommage et, par exception, la date à laquelle ce dommage s'est révélé à la victime lorsqu'il n'était pas évident ou apparent.

Mme [F] soutient qu'elle ne disposait pas d'informations suffisamment précises à la date de la souscription des investissements pour apprécier sa perte de chance et engager valablement une action à l'encontre de la société Lord Patrimoine & Associés. Elle fait valoir, à ce titre, qu'elle ignorait les risques exceptionnels de perte qui y étaient attachés puisque la proposition d'investissement fournie par cette dernière était ambiguë et contradictoire et ne faisait pas mention d'un risque de perte en capital direct. Elle en déduit que si son dommage s'est bien réalisé le jour de chaque souscription, il ne s'est manifesté qu'au cours de la procédure collective affectant la société Maranatha, soit postérieurement au 27 septembre 2017. Bien plus, elle considère qu'elle n'en a eu connaissance que le 25 juin 2019, lorsqu'elle a été informée par le fonds d'investissement Colony Capital Acquisitions LLC qu'elle ne pourrait pas récupérer l'intégralité de son investissement.

Mme [F] en conclut que son action en responsabilité n'est pas prescrite.

Réponse de la cour

En application de l'article L. 110-4 du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

Le point de départ de ce délai de prescription est défini par l'article 2224 du code civil qui dispose que :« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

S'agissant d'une action en responsabilité, les faits permettant à la victime d'exercer son action sont la commission de la faute et la réalisation du dommage causé par cette faute. Il en résulte en particulier que le délai de prescription d'une telle action ne peut commencer à courir avant que la victime ait eu connaissance, ou ait dû avoir connaissance, de la réalisation du dommage qu'elle invoque.

Comme l'a exactement rappelé le premier juge en l'espèce, le manquement d'un conseil en gestion de patrimoine ou d'un conseiller en investissements financiers à ses obligations d'information et de conseil à l'égard de son client, potentiel investisseur, sur le risque de pertes présenté par une opération d'investissement, prive l'investisseur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes et de mieux investir ses capitaux.

Or, pour être indemnisable, la perte de chance doit être certaine. Elle est en lien nécessaire avec le dommage principal, contrairement à ce que soutiennent en l'espèce le liquidateur judiciaire de la société Lord Patrimoine & Associés et la société CGPA, puisqu'elle n'est une cause d'action que lorsqu'une perte est subie en l'occurrence dans le cadre de l'investissement dont la souscription a été préconisée par le conseiller.

L'exactitude et la suffisance des informations fournies et/ou l'adéquation du conseil donné par l'intermédiaire en gestion de patrimoine à la date de la souscription du produit financier relèvent du fond du litige mais ne peuvent utilement être prises en compte pour déterminer le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité à l'encontre du conseiller car, à cette date, le dommage susceptible de résulter d'un manquement à l'une ou plusieurs de ces obligations est hypothétique.

Il en est ainsi tant des pertes susceptibles d'être subies dans le cadre de l'exécution du contrat d'investissement financier que de la perte de chance d'éviter ces pertes si les manquements imputés à l'intermédiaire financier à ses obligations d'information et de conseil n'étaient pas survenus, quel que soit le mérite de ces griefs de l'investisseur à l'égard du conseiller.

En l'espèce, Mme [F] n'a pu avoir connaissance des faits fondant son action en responsabilité à l'encontre de la société Lord Patrimoine & Associés qu'au jour où il est apparu que le rachat par la SAS Maranatha des actions souscrites au capital des S.C.A. VIP Hôtel Royal Saint Honoré et Hôtelière VIP [Localité 7] CfH, associé au remboursement du compte courant de l'investisseur, selon les modalités et au prix convenu dans les actes d'échange de promesses unilatérales de vente et d'achat conclus entre la SAS Maranatha et Mme [F] les 4 décembre 2015 et 23 janvier 2016, ne pouvait plus intervenir.

Il en résulte que le risque ne s'est réalisé et que le dommage n'a été connu de Mme [F], qu'au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS Maranatha par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 27 septembre 2017, puisqu'à compter de cette date cette dernière ne pouvait plus procéder à des rachats d'actions, de sorte que le délai de prescription quinquennale n'était pas expiré lorsque Mme [F] a engagé son action par actes des 10 et 15 septembre 2021.

Il convient d'ajouter que les sociétés Lord Patrimoine & Associés et CGPA ne peuvent invoquer une atteinte au principe de sécurité juridique dès lors, d'une part, qu'elles ne peuvent raisonnablement prétendre qu'elles s'attendent à ce qu'une action en responsabilité civile puisse être engagée par un investisseur à l'encontre d'un intermédiaire en gestion de patrimoine avant que cet investisseur ne subisse un dommage matériel et, d'autre part, que l'investissement Maranatha commercialisé en l'espèce était lui-même affecté d'un terme constituant la date limite extrême de la possible révélation d'un dommage de perte en capital.

Enfin, il sera précisé que le manquement à ses obligations formelles imputé à la société Lord Patrimoine & Associés par Mme [F] est inséparable en l'espèce du manquement à l'obligation d'information du conseiller en investissements financiers, de sorte qu'il ne saurait exister un point de départ distinct, pour ce manquement, du délai de prescription de l'action en responsabilité.

L'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par les sociétés Saulnier-[C] & Associés, es-qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés, Lord Patrimoine & Associés et CGPA.

3.- Sur les frais du procès

En considération de la confirmation intervenue sur la fin de non recevoir, la décision déférée sera également confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

En considération de l'issue de l'instance d'appel, il sera reconnu à Mme [F] une créance au titre des dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Bertrand de Campredon, avocat au barreau de Paris, membre de la Selarl Goethe Avocats, et il lui sera alloué une indemnité de procédure d'un montant de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société CGPA, tenue in solidum avec la société Lord Patrimoine & Asscoiés, sera condamnée au paiement de cette indemnité de procédure et des dépens d'appel.

La demande en paiement formée à l'encontre de la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés est irrecevable en raison de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son encontre.

Ce deux créances seront donc inscrites au passif de liquidation judiciaire de la société Lord Patrimoine & Associés selon les modalités prévues à l'article R.624-11 du code de commerce, applicable à la procédure de liquidation judiciaire par renvoi opéré à l'article R.641-28 du code de commerce.

PAR CES MOTIFS

Déboute Mme [W] [F] de sa demande tendant à voir déclarer caduques les déclarations d'appel faites par les sociétés Saulnier-[C] & Associés, es-qualités de liquidateur judiciaire de la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés, Lord Patrimoine & Associés et CGPA les 5 et 7 décembre 2022,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne la société d'assurance mutuelle CGPA aux dépens de l'instance d'appel, dont distraction au profit de Maître Bertrand de Campredon, avocat au barreau de Paris, membre de la Selarl Goethe Avocats, en application de l'article 699 du code de procédure civile,

Dit que Mme [W] [F] est titulaire d'une créance au titre des dépens de l'instance d'appel à l'encontre de la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Maître Bertrand de Campredon, avocat au barreau de Paris, membre de la Selarl Goethe Avocats,

Rappelle que cette créance sera inscrite sur l'état des créances de la procédure de liquidation judiciaire de la S.A.R.L. Lord Patrimoine & Associés selon les modalités prévues aux articles R.624-11 et R.641-28 du code de commerce,

Condamne la société d'assurance mutuelle CGPA à payer la somme de 3 000 euros à Mme [W] [F] en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Fixe la créance d'indemnité de procédure de Mme [W] [F] à l'égard de la SARL Lord Patrimoine & Associés à la somme 3 000 euros,

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

S.MOLLÉ C.SIMON-ROSSENTHAL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 22/20371
Date de la décision : 01/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-01;22.20371 ?
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