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01/07/2024 | FRANCE | N°22/19494

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 10, 01 juillet 2024, 22/19494


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 10



ARRÊT DU 1 JUILLET 2024



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/19494 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGW5X



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 03 Novembre 2022 -TJ de PARIS RG n° 22/03926





APPELANTE



Madame [D] [H]

[Adresse 5]

[Localité 1]

née le [Date naissance 3] 1931 à [Localité 6]
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Représentée par Me Philippe JULIEN de la SELARL P D G B, avocat au barreau de PARIS, toque : U0001

Représentée par Me Clémentine PARROT, Avocat de la SELARL PDGB, toque U001, Avocat plaidant substituant Me...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 10

ARRÊT DU 1 JUILLET 2024

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/19494 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGW5X

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 03 Novembre 2022 -TJ de PARIS RG n° 22/03926

APPELANTE

Madame [D] [H]

[Adresse 5]

[Localité 1]

née le [Date naissance 3] 1931 à [Localité 6]

Représentée par Me Philippe JULIEN de la SELARL P D G B, avocat au barreau de PARIS, toque : U0001

Représentée par Me Clémentine PARROT, Avocat de la SELARL PDGB, toque U001, Avocat plaidant substituant Me Philippe JULIEN

INTIMEE

Société CGPA Société d'Assurance Mutuelle

Prise en la personne de son représentant légal, domicilié audit siège en cette qualité

[Adresse 2]

[Localité 4]

N° SIRET : 784 702 367

Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Représentée par Me Léo BOUCHET toque : B0036 Avocat plaidant substituant Me PERICARD

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente

Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller

Monsieur Edouard LOOS, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente et par Sylvie MOLLÉ, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 23 septembre 2016, Mme [D] [H], par l'intermédiaire de la société Altia Conseil, a souscrit au produit Bio C'Bon Builder Rendement 2 (ci-après « BCBB Rendement 2'), consistant à acquérir des parts d'une société d'investissement ayant pour objet de financer le développement de la chaîne de distribution alimentaire Bio C'Bon, par des prises de participations minoritaires dans des sociétés détenues majoritairement par la société par actions simplifiée Bio C'Bon. Elle a ainsi investi la somme de 25 000 euros pour faire l'acquisition de 1 250 actions de la société par actions simplifiée Bio Stratégie. Cette prise de participation a été accompagnée de la conclusion d'un pacte d'actionnaires de la société Bio Stratégie avec la S.A.S Bio C'Bon, ainsi que d'un avenant à ce pacte d'actionnaires, aux termes desquels la société Bio C'Bon s'est engagée, selon diverses modalités, à racheter les parts sociales appartenant à l'investisseur à un prix convenu à l'avance, lequel inclut un intérêt annuel et un bonus.

Par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 2 septembre 2020, la société par actions simplifiée Bio C'Bon a été placée en redressement judiciaire. Par jugement du 2 novembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a arrêté le plan de cession de la société Bio C'Bon en faveur de la société Carrefour France. Mme [D] [H] a déclaré sa créance au passif de la société Bio C'Bon le 30 octobre 2020.

Soutenant que la société Altia Conseil est intervenue en qualité de conseiller en investissements financiers et a manqué à ses obligations d'information et de conseil, Mme [D] [H], par acte en date du 8 mars 2022, a exercé l'action directe à l'encontre de la société d'assurance mutuelle CGPA, assureur de responsabilité civile professionnelle de la société Altia Conseil.

Par ordonnance du 3 novembre 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :

'- Déclare Mme [D] [H] irrecevable en son action dirigée contre la CGPA à raison de la prescription ;

- Condamne Madame [D] [H] aux dépens ;

- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.'

Par déclaration en date du 18 novembre 2022, Mme [D] [H] a interjeté appel de cette ordonnance.

Par conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 28 mars 2024,Mme [D] [H] demande à la cour de :

'Vu l'article 2224 du code civil,

- Infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 3 novembre 2022 en ce qu'elle a :

-Déclaré Mme [H] irrecevable en son action dirigée contre la CGPA à raison de la prescription ;

-Condamné Mme [H] aux dépens ;

-Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau :

- Débouter CGPA de sa demande tendant à voir déclarer l'irrecevabilité de l'acte introductif d'instance, l'action indemnitaire engagée par Mme [H] contre CGPA s'agissant de l'investissement réalisé le 26 septembre 2016 n'étant pas prescrite ;

- Débouter CGPA de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- Condamner CGPA à payer à Mme [H] la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.'

Au soutien de son appel, Mme [D] [H] fait valoir que le point de départ du délai de prescription prévu à l'article 2224 du code civil doit être fixé à la date à laquelle la perte de chance se manifeste en se révélant à la victime, c'est-à-dire la date à laquelle l'investisseur a eu connaissance de son dommage. Elle soutient qu'en l'espèce le point de départ de la prescription de son action doit être fixé à la date d'ouverture du redressement judiciaire de la société Bio C'Bon, soit le 2 septembre 2020, date à laquelle il était certain que cette dernière ne pourrait honorer son engagement de rachat des actions acquises en 2016. Elle fait valoir qu'il en est d'autant plus ainsi que la société Altia Conseil ne lui a apporté aucune des informations nécessaires à la bonne compréhension de l'investissement BCBB Rendement 2 et ne lui a présenté l'existence d'un risque de perte en capital et d'un risque de liquidité que de manière très générale. Mme [D] [H] en conclut que son action en responsabilité n'est pas prescrite.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er mars 2023, la société CGPA demande à la cour de :

'Vu l'article 122 du code de procédure civile,

Vu l'article 2224 du code civil,

- Confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris le 3 novembre 2023 ;

- Juger que l'action de Mme [H] au titre de l'investissement réalisé le 23 septembre 2016 est prescrite ;

- Débouter en conséquence Mme [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de CGPA ;

Vu l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner Mme [H] à payer à CGPA la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.'

La société CGPA fait valoir que, dans le cadre d'une action en responsabilité à l'encontre d'un intermédiaire en investissement au titre d'un manquement à une obligation d'information et/ou de conseil, le point de départ du délai de prescription doit être fixé au jour de la conclusion du contrat car le préjudice s'analyse en une perte de chance de ne pas souscrire à l'investissement litigieux ou une perte de chance de mieux investir ses capitaux et non en une perte de chance d'éviter le risque qui s'est réalisé comme le soutient Mme [H]. Elle souligne que Mme [D] [H] a souscrit au produit BCBB Rendement 2 le 23 septembre 2016, de sorte que son action était prescrite lorsqu'elle a fait délivrer son assignation par acte du 8 mars 2022.

La société CGPA soutient que le report du point de départ de la prescription au jour de l'ouverture du redressement judiciaire de la S.A.S. Bio C'Bon, soit le 2 septembre 2020, comme sollicité par Mme [H], ne se justifie pas dès lors que cette dernière avait connaissance, à la simple lecture de son contrat, des risques inhérents au produit d'investissement au jour de la conclusion du contrat, et notamment du risque de perte en capital en cas de défaillance de la S.A.S. Bio C'Bon. Elle soutient qu'aucune dissimulation ne peut être reprochée à la société Altia Conseil, dès lors que toutes les informations disponibles sur le produit BCBB avaient été transmises à Mme [H], rappelant que la responsabilité du conseiller ne peut être appréciée qu'au regard des informations disponibles au jour de la souscription.

La société CGPA soutient en outre que le point de départ de la prescription ne peut être reporté à la découverte d'un préjudice qui n'est pas celui né des manquements invoqués. Elle souligne à cet égard que si la réalisation du risque d'insolvabilité de la société Bio C'Bon est la cause de l'échec de l'investissement et donc des pertes subies par l'investisseur, elle ne peut constituer le dommage subi par ce dernier dans le cadre de sa relation avec l'intermédiaire en investissement financier car ce dernier n'est pas garant de la rentabilité du produit conseillé et n'est pas tenu d'une obligation de résultat quant à l'issue de l'investissement. Elle invite à distinguer la connaissance du risque de perte en capital, qui correspond à la manifestation du principe du dommage et doit être fixée à la date de conclusion du contrat lorsque ce risque a été révélé par la documentation contractuelle, et la perte en capital elle-même, qui est indépendante et qui survient nécessairement postérieurement à la souscription au produit d'investissement.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1.- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

En application de l'article L. 110-4 du code de commerce, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

Le point de départ de ce délai de prescription est défini par l'article 2224 du code civil qui dispose que :« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.»

S'agissant d'une action en responsabilité, les faits permettant à la victime d'exercer son action sont la commission de la faute et la réalisation du dommage causé par cette faute. Il en résulte en particulier que le délai de prescription d'une telle action ne peut commencer à courir avant que la victime ait eu connaissance, ou ait dû avoir connaissance, de la réalisation du dommage qu'elle invoque.

Comme le soutient exactement Mme [H], le manquement d'un intermédiaire en investissements financiers à ses obligations d'information et de conseil à l'égard de son client, potentiel investisseur, sur le risque de pertes présenté par une opération d'investissement, prive l'investisseur d'une chance d'éviter la réalisation de ces pertes et de mieux investir ses capitaux.

Or, pour être indemnisable, la perte de chance doit être certaine. Elle est en lien nécessaire avec le dommage principal, contrairement à ce que soutient en l'espèce la société CGPA, puisqu'elle n'est une cause d'action que lorsqu'une perte est subie en l'occurrence dans le cadre de l'investissement dont la souscription a été préconisée par le conseiller.

L'exactitude des informations fournies, l'adéquation du conseil donné et/ou la suffisance de la mise en garde effectuée par le conseiller en investissements financiers à la date de la souscription du produit financier relèvent du fond du litige mais ne peuvent utilement être prises en compte pour déterminer le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité à l'encontre du conseiller car, à cette date, le dommage susceptible de résulter d'un manquement à l'une ou plusieurs de ces obligations est hypothétique.

Il en est ainsi tant des pertes susceptibles d'être subies dans le cadre de l'exécution du contrat d'investissement financier que de la perte de chance d'éviter ces pertes si les manquements imputés au conseiller en investissement financier à ses obligations d'information et de conseil n'étaient pas survenus, quel que soit le mérite de ces griefs de l'investisseur à l'égard du conseiller.

En l'espèce, Mme [D] [H] n'a pu avoir connaissance des faits fondant son action en responsabilité à l'encontre de la société Altia Conseil qu'au jour où il est apparu que le rachat des actions souscrites au capital de la société Bio Stratégie selon les modalités et au prix convenu dans le pacte d'actionnaire et son avenant conclus avec la société Bio C'Bon le 23 septembre 2016 ne pouvait plus intervenir.

Le risque ne s'est donc réalisé et le dommage n'a été connu de Mme [D] [H] qu'au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SAS Bio C'Bon par jugement du tribunal de commerce de Paris du 2 septembre 2020, puisqu'à compter de cette date cette dernière ne pouvait plus procéder à des rachats d'actions, de sorte que le délai de prescription quinquennale n'était pas expiré lorsque Mme [D] [H] a engagé l' action directe à l'encontre de l'assureur de responsabilité civile professionnelle de la société Altia Conseil par acte du 8 mars 2022.

L'ordonnance déférée sera donc infirmée en toutes ses dispositions et l'action sera déclarée recevable car non prescrite.

2.- Sur les frais du procès

Partie perdante en appel, la société CGPA sera condamnée aux dépens, en application des articles 695 et 696 du code de procédure civile, et à payer à Mme [D] [H] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

Déclare recevables car non prescrites les demandes formées par Mme [D] [H] à l'encontre de la société d'assurance mutuelle CGPA,

Y ajoutant,

Condamne la société d'assurance mutuelle CGPA aux dépens,

Condamne la société d'assurance mutuelle CGPA à payer la somme de 3 000 euros à Mme [D] [H] en application de l'article 700 du code de procédure civile et rejette le surplus de la demande formée par Mme [D] [H] sur ce fondement,

Déboute la société d'assurance mutuelle CGPA de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

S.MOLLÉ C.SIMON ROSSENTHAL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 22/19494
Date de la décision : 01/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-01;22.19494 ?
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