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01/07/2024 | FRANCE | N°21/18091

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 10, 01 juillet 2024, 21/18091


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 10



ARRÊT DU 01 JUILLET 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 21/18091 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEPZW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Septembre 2021 -Tribunal de Commerce de Paris RG n° 2019044119



APPELANTE



S.A.R.L. ECO-H

[Adresse 2]

[Localité 4]

N° SIRET : 832 387 211



Représen

tée par Me Florent LOYSEAU DE GRANDMAISON de la SELEURL LDG AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : E2146



INTIMEE



S.A.R.L. IMAGINE-APP

représentée par ses co-gérants domiciliés en cette qualité au...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 10

ARRÊT DU 01 JUILLET 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/18091 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEPZW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Septembre 2021 -Tribunal de Commerce de Paris RG n° 2019044119

APPELANTE

S.A.R.L. ECO-H

[Adresse 2]

[Localité 4]

N° SIRET : 832 387 211

Représentée par Me Florent LOYSEAU DE GRANDMAISON de la SELEURL LDG AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : E2146

INTIMEE

S.A.R.L. IMAGINE-APP

représentée par ses co-gérants domiciliés en cette qualité audit siège,

[Adresse 1]

[Localité 3]

N° SIRET : 790 182 406

Représentée par Me Claire-Eva CASIRO COSICH, avocat au barreau de PARIS, toque : B0846

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente

Monsieur Xavier BLANC, Président

Monsieur Edouard LOOS, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Xavier BLANC, Président dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christine SIMON-ROSSENTHAL, et par Sylvie MOLLÉ, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. La société Eco-H, spécialisée dans la location de courte durée de voitures particulières, a conçu le projet de proposer au public une application mobile, dénommée Öf, permettant la réservation de voitures avec chauffeur éligibles au transport de personnes handicapées.

2. Pour développer cette application, elle s'est adressée à la société Imagine App, spécialisée dans la programmation informatique.

3. Par un premier contrat du 20 juin 2017, la société Imagine App s'est engagée à mettre à la disposition de la société Eco-H du personnel dédié à la réalisation de l'application, pour un volume global de 84 journées de 7 heures moyennant le prix de 50 400 euros hors taxes, afin de couvrir les étapes de développement, dites itérations, suivantes : « Inscription, connexion, Gestion Mot de passe & Profil », « Configuration de la commande à l'avance », « Gestion des problématiques de paiement », « Gestion de la machine à état de la réservation » et « Gestion des services Tiers et déploiement ».

4. Il était convenu entre les parties que les développements seraient réalisés en lien avec d'autres prestataires, la société Pampa Design pour le graphisme, la société Atalan pour l'accessibilité de l'application aux personnes handicapées et la société LimoVTC pour la gestion de flotte.

5. Par un deuxième contrat du 22 décembre 2017, la société Imagine App s'est engagée pour une mise à disposition complémentaire de personnel, pour un volume global de 7 journées de 7 heures moyennant le prix de 4 250 euros hors taxes, afin de réaliser les prestations « Compatibilité Desktop » et « Notifications et marketing ».

6. Par un troisième contrat du 23 mai 2018, la société Imagine App s'est de nouveau engagée à mettre à disposition du personnel, pour un volume global de 15 journées de 7 heures, moyennant le prix de 9 000 euros hors taxes, dédié à la réalisation d'un module de l'application intitulé « Course libre ».

7. Enfin, par un quatrième contrat du 20 juin 2018, la société Imagine App s'est engagée pour une mise à disposition de personnel, pour un volume horaire de 3 journées de 7 heures moyennant le prix de 1 800 euros hors taxes, dédié à la réalisation d'un module « Chauffeur favori ».

8. La société Eco-H s'est acquittée des factures émises par la société Imagine App entre le 21 juin 2017 et le 20 juin 2018, pour un montant total de 54 290 euros hors taxe, soit 65 148 euros toutes taxes comprises, correspondant à 85 % du montant convenu au titre du premier contrat, 60 % du montant convenu au titre du troisième contrat et à la totalité du montant convenu au titre du deuxième et du quatrième contrat.

9. Le 23 juillet 2018, la société Imagine App a émis une dernière facture d'un montant de 7 740 euros hors taxes, correspondant à 10 % du montant convenu au titre du premier contrat, soit 5 040 euros hors taxes, et à 30 % du montant convenu au titre du troisième contrat, soit 2 700 euros hors taxes.

10. Après avoir subordonné le paiement de cette dernière facture à une présentation de l'application finalisée et à la validation des développements réalisés, puis avoir fait part de ses doutes quant à la capacité de la société Imagine App à fournir la prestation demandée, la société Eco-H l'a mise en demeure de lui livrer l'application et de lui en remettre les codes source par deux lettres des 22 janvier et 19 février 2019.

11. Faisant valoir que la société Imagine App ne s'était pas exécutée et qu'elle s'apprêtait donc à l'assigner en résolution des contrats, la société Eco-H a obtenu du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nanterre, le 27 juin 2019, une ordonnance l'autorisant à pratiquer une saisie conservatoire sur les comptes bancaires de la société Imagine App, à hauteur de la somme de 50 000 euros. Cette mesure a été exécutée à hauteur de 12 722,86 euros le 28 juin 2019 et, par un jugement du 19 juin 2020, la société Imagine App a été déboutée de sa demande rétractation de l'ordonnance du 27 juin 2019.

12. Le 18 juin 2019, comme elle l'avait annoncé, la société Echo-H a assigné la société Imagine App devant le tribunal de commerce de Paris, auquel elle a demandé la condamnation de cette société à lui payer la somme de 65 148 euros TTC au titre de la résolution des quatre contrats et la somme de 50 000 euros à titre de réparation du préjudice résultant de la perte de chance d'exploiter l'application. La société Imagine App a demandé au tribunal, à titre reconventionnel, de condamner la société Eco-H à lui payer les sommes de 9 288 euros, correspondant au solde dû au titre des contrats augmenté des pénalités de retard, outre la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

13. Par un jugement du 8 septembre 2021, le tribunal a statué comme suit :

« Déboute la Sarl ECO-H de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

- Condamne la Sarl ECO-H à verser la somme de 9 288 euros TTC à la Sarl IMAGINE-APP augmentée des intérêts égaux à trois fois le taux d'intérêt légal à compter du 23 juillet 2018,

- Condamne la Sarl ECO-H à verser 5 000 euros à la Sarl IMAGINE APP en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit les parties mal fondées dans leurs demandes plus amples ou contraires et les en déboute ; - Condamne la Sarl ECO-H aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,01 € dont 12,12 € de TVA ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement. »

14. Par une déclaration du 15 octobre 2021, la société Eco-H a fait appel de ce jugement.

15. Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 13 mars 2024, la société ECO-H demande à la cour d'appel de :

« Vu les articles 1102, 1104, 1217, 1220, 1224, 1226 et 1227, et 1229 du Code civil,

Vu les articles 515, 696 et 700 du Code de procédure civile,

- DECLARER irrecevable la demande nouvelle en cause d'appel formulée par la Société IMAGINE APP concernant la mainlevée de la saisie conservatoire de créance,

- REFORMER intégralement le jugement du 8 septembre 2021 rendu par le Tribunal de commerce de Paris,

- DEBOUTER la Société IMAGINE APP de l'ensemble de ses défenses et demandes reconventionnelles,

En conséquence :

- CONDAMNER la Société IMAGINE APP à payer à la Société ECO H :

- au titre de la résolution des contrats 170620, 171019, 180410 et 180411-2 : la somme de 74.436 € TTC en principal, outre les intérêts légaux dus à compter de la première mise en demeure, soit le 22 janvier 2019,

- CONDAMNER la Société IMAGINE APP à payer :

- au titre des dommages et intérêts résultant de la perte de chance de pouvoir exploiter l'application et les pertes d'exploitation engendrées par son absence de livraison : la somme de 50.000 €, outre les intérêts légaux à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir.

- CONDAMNER la Société IMAGINE APP à verser la somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel. »

16. Au soutien de ces demandes, la société Eco-H fait valoir que :

- sur les incohérences du jugement

- elle a payé des sommes exorbitantes pour une application qui ne correspond pas aux exigences fixées dès la commande du projet et qui n'a jamais été mise à sa disposition ;

- les parties s'étaient accordées sur une livraison au 30 juin 2018 et ce délai n'a pas été tenu ;

- elle s'est montrée plus que compréhensive en reportant les dates butoirs et en réglant dans les délais les frais supplémentaires réclamés par la société Imagine App, jusqu'au point de rupture marqué par un ultime test infructueux le 15 mars 2019 et le constat le 2 mai 2019 par la société Atalan que l'application ne remplissait toujours pas un niveau d'accessibilité suffisant ;

- le tribunal ne pouvait retenir que la société Imagine App lui a opposé une exception d'inexécution en refusant de transmettre sans contrepartie en avril 2019 les codes sources de l'application, alors qu'elle avait réglé plus de 60 000 euros à l'époque du jugement ;

- sur la demande de condamnation de la société Imagine App

- du fait de sa condamnation au paiement de la facture du 23 juillet 2018 prononcée par le tribunal, elle a donc réglé la totalité du prix de l'application qui ne lui a jamais été livrée et ne remplit aucune des normes d'accessibilité contractuellement convenues ;

- contrairement aux affirmations de la société Imagine App, le retard de livraison ne lui est pas imputable, pas plus qu'à l'intervention des prestataires qu'elle a choisis ;

- la société Imagine App avait connaissance, dès le début du projet, des normes d'accessibilité exigées pour l'application, et donc de l'importance de l'intervention de la société Atalan ;

- la société Imagine App a maintenu, à dessein, une opacité sur les avancées de l'application, lui faisant espérer des développements qui, en réalité, ne correspondaient en rien au projet initial ;

- la méthode de la société Imagine App semblait bien rodée puisqu'en procédant à des « tests et livraisons » opaques pour le profane, elle parvenait à obtenir le règlement intégral d'une application qui ne remplissait correctement aucune des fonctionnalités initialement commandées et sans lui transmettre les codes sources de l'application, la société Imagine App échouant à démontrer la livraison d'une application fonctionnelle et définitive ;

- lors du dernier test effectué le 15 mars 2019, soit 9 mois après la date de livraison prévue, il restait 19 points critiques, portant tant sur l'application mobile et l'accessibilité, que sur le back office ; en mai 2019, la société Atalan indiquait que le niveau exigé en termes d'accessibilité n'était toujours pas atteint ;

- la société Imagine App n'a pas respecté son obligation de réaliser les itérations prévues au contrat du 20 juin 2017 ;

- contrairement à ce que soutient la société Imagine App, elle n'a pas renoncé à obtenir la livraison de l'application en raison d'un changement de stratégie, mais elle s'est organisée en interne pour finaliser ce projet, qu'elle n'a mis en attente qu'en raison de la crise sanitaire ;

- la société Imagine App a engagé sa responsabilité contractuelle, en ne livrant pas une application conforme aux spécifications, et délictuelle, en lui faisant perdre une chance d'exploiter une application fonctionnelle et d'en tirer les revenus et bénéfices attendus ;

- elle a démontré sa parfaite bonne foi et sa volonté de mener le projet à bien, face à l'inertie de la société Imagine App, laquelle, pour justifier les retards résultant de sa propre incapacité à gérer le projet, invoquait injustement des factures restées impayées ;

- la société Imagine App ne peut invoquer aucune exception d'inexécution à cet égard, compte tenu des sommes qu'elle a payées, dans les délais impartis ;

- les quatre contrats doivent être résolus et la société Imagine App doit être condamnée à lui payer la somme de 74 436 euros, correspondant au montant toutes taxes comprises des sommes qu'elle a payées à cette société pour fournir une application jamais livrée ;

- la perte de chance de pouvoir exploiter l'application et les pertes d'exploitation engendrées par l'absence de livraison de cette application lui a causé un préjudice qu'elle évalue à 50 000 euros ;

- la saisie conservatoire est totalement justifiée, dès lors qu'elle est postérieure à l'inexécution contractuelle, de sorte que ce n'est pas en raison de cette saisie conservatoire que la société Imagine App n'a pas finalisé la livraison de l'application, mais c'est parce que la livraison n'a pas eu lieu que le juge de l'exécution a autorisé cette saisie.

17. Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 23 mars 2024, la société Imagine-App demande à la cour d'appel de :

« Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu les articles 515, 696 et 700 du Code de procédure civile,

[...]

- DECLARER la société ECO-H irrecevable en toutes ses demandes, fins et conclusions et,

- CONFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 8 septembre 2021 dont appel ;

Y ajoutant :

- ORDONNER la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée par voie d'huissier pour le compte de la société ECO H en vertu d'une décision du Juge de l'Exécution du Tribunal judiciaire de Nanterre en date du 19 juin 2020 ;

- CONDAMNER la société ECO-H à verser à la société IMAGINE APP la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la société ECO-H aux entiers dépens. »

18. Au soutien de ces demandes, la société Imagine App fait valoir que :

- sur la mauvaise foi de la société Eco-H

- la société Eco-H ne peut soutenir que le contrat prévoyait un délai de trois mois pour le développement de l'application, ce qui ne ressort pas du contrat et alors même que les délais de réalisation sont imputables à cette société, dans la mesure où celle-ci a fait appel à une directrice artistique qui n'a livré les éléments nécessaires qu'en janvier 2018, où elle n'a choisi le logiciel de gestion de flotte LimoVTC qu'en décembre 2017, sachant qu'en outre ses demandes exigeaient des évolutions de ce logiciel, et où elle a tardé à fournir une version définitive de ses conditions générales d'utilisation et de vente ;

- elle a toujours répondu aux demandes de la société Eco-H ; les développements ont continué et le contact a persisté après les mises en demeure de janvier et mars 2019, étant observé que la société Eco-H lui a demandé en février 2019 une cotation pour de nouveaux développements, qu'en mars 2019, le responsable du projet exprimait sa satisfaction sur l'avancement du projet  et que le ton des échanges est resté très amical jusqu'à l'arrêt du projet, alors que l'application était en phase de finalisation ;

- il ne peut lui être reproché d'avoir ignoré de nombreuses relances de la société Atalan, alors qu'elle a laissé sans réponse un seul message, ce dont elle s'est excusée de vive voix, étant précisé que le représentant de cette société, qui se présentait comme un simple prestataire, était en réalité l'un des fondateurs de la société Eco-H, de sorte que tous les témoignages produits par la société Eco-H proviennent de personnes toutes liées à cette société ; elle a mis en place un outil collaboratif permettant à la société Atalan de faire part des évolutions nécessaires ; elle a réalisé les derniers développements demandés par cette société relatifs à l'accessibilité de l'application et les tient à la disposition de la société Eco-H, sous réserve du règlement total et définitif de ses factures encore impayées à ce jour ;

- les critiques de fond émises par le responsable du projet quant au travail qu'elle a effectué comportent de nombreuses incohérences ;

- le prix fixé pour la réalisation d'une application de ce type était particulièrement correct ;

- sur l'absence de faute de sa part

- ses prestations n'étaient dues qu'en contrepartie du paiement des factures sous trente jours à compter de leur émission ;

- malgré le fait que le dirigeant de la société Eco-H se soit engagé à plusieurs reprises à payer la facture du 23 juillet 2018, aucun versement n'a eu lieu ;

- c'est donc à bon droit qu'elle a opposé une exception d'inexécution au sens de l'article 1220 du code civil à la société Eco-H durant le mois d'avril 2019, soit presque un an après l'émission de cette facture et dans l'attente que cette société s'en acquitte, sans résultat ;

- c'est encore par diligence professionnelle qu'elle a accepté, alors que la facture du 23 juillet 2018 n'était toujours pas payée, de reprendre de façon non prioritaire le développement de l'application, passant ainsi d'une exception d'inexécution totale à une inexécution partielle pour encourager le dialogue avec la société Eco-H, toujours sans résultat ;

- pour preuve de sa bonne foi, elle n'a appliqué aucune pénalité de retard mais a, au contraire, consenti des efforts financiers importants en accédant à de nombreuses demandes d'évolutions non initialement prévues, à titre gracieux ;

- elle a également pris à sa charge l'intégralité des coûts induits par les dysfonctionnements du logiciel LimoVTC ;

- à ce jour, l'application Öf est totalement terminée, les derniers points concernant l'accessibilité ayant été traités, et elle est prête à être livrée, de telle sorte que le refus de la société Eco-H de payer la facture du 23 juillet 2018 constitue le seul point de blocage dans l'exécution du contrat, et une cause de résiliation de celui-ci aux torts exclusifs de cette société ;

- elle est donc fondée à réitérer la demande qu'elle a faite devant le tribunal, à savoir la résolution des quatre contrats, eu égard au refus obstiné de la société Eco-H de payer la facture du 23 juillet 2018, et sa condamnation à payer cette facture ;

- de son côté, dès réception de l'intégralité des sommes qui lui sont dues, elle pourrait livrer les codes source de l'application, la documentation attenante et les codes et droits d'accès ;

- sur le changement de stratégie opéré par la société Eco-H

- la société Eco-H a opéré un changement de stratégie la conduisant, non pas à créer une application, mais à proposer une activité de conseil sur le handicap en entreprise, comme en témoigne son site Internet ;

- l'abandon du développement de l'application ne lui est en aucun cas imputable mais correspond à une décision stratégique de développement de l'entreprise ;

- la société Eco-H tente de faire peser sur elle ce qu'elle présente comme un préjudice, alors qu'il s'agit d'une décision de sa part, ce qui confirme la légitimité de l'exception d'inexécution qu'elle lui a opposée ;

- sur les demandes de la société Eco-H

- le travail qu'elle a fourni ne peut être remis en cause, dès lors qu'elle a satisfait aux exigences contractuelles, malgré les demandes changeantes de la société Eco-H qui ont occasionné un retard dans la livraison des prestations ;

- le volume de travail qu'elle a réalisé n'est pas contesté et la qualité de son implication est totalement démontrée par le contenu d'un message que lui a encore adressé un représentant de la société Eco-H le 15 mars 2019 ;

- la méthode mise en place pour finaliser l'application avec la société Atalan fonctionnait sans heurts jusqu'à ce que la société Eco-H lance sa saisie conservatoire l'assigne en justice, ce qui a eu pour effet de mettre à l'arrêt tous les développements ;

- dans ces conditions, la société Eco-H ne peut se prévaloir de l'absence de finalisation des développements pour demander la résolution des contrats et s'émouvoir d'avoir régularisé des factures pour n'avoir finalement qu'un projet « presque finalisée », étant observé qu'il n'est pas démontré qu'elle ait ensuite redéveloppé l'application en interne ;

- la société Eco-H ne peut demander l'indemnisation d'aucun préjudice, dès lors que la mise à l'arrêt des dernières opérations de finalisation est la résultante de sa réaction imprévisible et disproportionnée, qui s'explique par son changement de stratégie.

19. La clôture a été prononcée par une ordonnance du 25 mars 2024.

20. A l'audience du 28 mars 2024, les parties ont été invitées à se rapprocher et à faire part, dans un délai de quinze jours, de leur éventuel accord pour une mesure de médiation.

21. Par un message du 11 avril 2024, l'avocat de la société Imagine App a indiqué qu'en dépit de cette invitation, les parties n'étaient pas parvenues à se rapprocher. Était joint à ce message un courriel du 9 avril 2024 adressé par cet avocat à l'avocat de la société Eco-H, communiquant à celui-ci un lien de téléchargement de l'application développée par la société Imagine App pour le compte de la société Eco-H, dans le dernier état de son développement.

22. En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties visées ci-dessus quant à l'exposé du surplus de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de résolution des contrats et ses conséquences

23. L'article 1217 du code civil dispose :

« La partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ; [...]

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter. »

24. Les articles 1219 et 1220 de ce code, relatifs à l'exception d'inexécution, disposent :

- article 1219 : « Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. »

- article 1220 : « Une partie peut suspendre l'exécution de son obligation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera pas à l'échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »

25. Les article 1224, 1227 et 1229 de ce code, relatifs à la résolution, disposent :

- article 1224 : « La résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice. »

- article 1227 : « La résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice. »

- article 1229 : « La résolution met fin au contrat. / La résolution prend effet, selon les cas, soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire, soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier, soit à la date fixée par le juge ou, à défaut, au jour de l'assignation en justice. / Lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l'exécution complète du contrat résolu, les parties doivent restituer l'intégralité de ce qu'elles se sont procuré l'une à l'autre. Lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l'exécution réciproque du contrat, il n'y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n'ayant pas reçu sa contrepartie ; dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation. / Les restitutions ont lieu dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9. »

26. L'article 1352-8 de ce code dispose : « La restitution d'une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie. ».

27. En l'espèce, les quatre contrats en cause, conclus les 20 juin 2017, 22 décembre 2017, 23 mai 2018 et 20 juin 2018, portaient chacun, pour répondre au besoin exprimé par la société Eco-H d'obtenir le « concours temporaire de spécialistes » pour le développement et la réalisation d'une application informatique, sur la mise à disposition par la société Imagine App de personnels dédiés à la réalisation de cette mission. Le premier contrat prévoyait le développement en cinq étapes des fonctionnalités essentielles au fonctionnement de l'application, les trois contrats suivants prévoyant le développement de fonctionnalités complémentaires.

28. Chaque contrat stipulait un volume horaire de mise à disposition de personnel et le prix que la société Eco-H s'engageait à payer en contrepartie de cette mise à disposition. Pour ce qui concerne les modalités de paiement, le contrat du 20 juin 2017 prévoyait le paiement d'un acompte de 40 % au premier jour de la prestation, puis une facturation au premier jour de chaque étape de développement, selon un calendrier convenu entre les parties. Le contrat du 23 mai 2018 prévoyait le paiement d'un acompte de 60 % au premier jour de la prestation, puis une facturation du solde au dernier jour de la prestation. Les deux contrats des 22 décembre 2017 et 20 juin 2018, d'un montant inférieur à 5 000 euros, prévoyaient une facturation de l'intégralité du prix pour le démarrage des travaux, réglable à réception.

29. Par ailleurs, chaque contrat précisait, d'une part, en son article 7, que la société Eco-H « reste[rait] titulaire des droits patrimoniaux sur l'application développée par les salariés [de la société Imagine App] et, d'autre part, en son article 9, que la société Imagine App « n'intervenant que par la mise à disposition de moyens humains n'[était] tenu[e] à l'égard [de la société Eco-H] que d'une obligation de moyen ».

30. Il résulte des échanges de courriels et de SMS versés aux débats qu'après la conclusion du premier contrat, le 20 juin 2017, les personnels de la société Imagine App ont livré les écrans de l'application le 14 novembre 2017, lesquels ont été validés par la société Eco-H le 15 décembre 2017, et qu'ils ont ensuite procédé à des développements qui ont permis la livraison de versions de test, à compter du 27 février 2018 puis, régulièrement, au moyen de l'outil Crashlytics puis de l'outil Testflight. Les présentations des versions intermédiaires de l'application, notamment en septembre 2018 puis en mars 2019, ont donné lieu à des demandes d'évolutions ou de corrections de la part de la société Eco-H, sans que la teneur des échanges laisse entendre que celle-ci remette fondamentalement en cause ni la qualité des développements, ni les délais de leur réalisation, lesquels pouvaient s'expliquer, dans une large mesure, par l'évolution des demandes qu'elle présentait elle-même et par l'intervention de prestataires extérieurs, la société Atalan et la société LimoVTC.

31. Ainsi, comme l'a retenu le tribunal, la société Eco-H ne démontre pas que les conditions dans lesquelles les salariés de la société Imagine App mis à sa disposition ont développé l'application, ni les délais dans lesquels ces développements ont été réalisés, caractériseraient une inexécution suffisamment grave des obligations mises à la charge de ce prestataire par les quatre contrats en cause pour justifier la résolution de ceux-ci.

32. Cela étant, si la société Imagine App a régulièrement livré à la société Eco-H des versions de test de l'application, elle ne justifie pas lui en avoir livré les codes source, à quelque stade du développement que ce soit, subordonnant au contraire, encore dans ses dernières conclusions devant la cour, la livraison de ces codes source au paiement par la société Eco-H de la facture émise le 23 juillet 2018 pour un montant de 7 740 euros hors taxe, et ne communiquant un lien de téléchargement de ces codes source qu'après l'audience devant la cour.

33. Or, en application des stipulations contractuelles précitées, la société Imagine App, qui n'était pas chargée du développement d'une application au forfait mais devait mettre des salariés à disposition de la société Eco-H pour réaliser ce développement, était tenue de communiquer les codes source à cette société, à tout le moins à l'issue de chaque étape du développement, et en particulier à l'issue de chacune des cinq itérations prévues par le contrat du 20 juin 2017, ainsi qu'à l'issue du développement de chacun des modules prévus par les contrats des 21 décembre 2017, 23 mai 2018 et 20 juin 2018.

34. En cet état, le seul défaut de paiement, par la société Eco-H, de la facture émise le 23 juillet 2018, laquelle portait sur 10 % du prix convenu pour la prestation prévue par le contrat du 20 juin 2017, dont 85 % avaient déjà été réglés, et 30 % de la prestation de la prestation prévue par le contrat du 23 mai 2018, dont 60 % avaient déjà été réglés, n'autorisait pas la société Imagine App à se prévaloir d'une exception d'inexécution pour refuser de transmettre tout code source écrit par ses salariés dans le cadre de l'exécution de ces deux contrats et des contrats conclus les 21 décembre 2017 et 20 juin 2018, alors même qu'elle avait été mise en demeure de le faire à deux reprises, les 22 janvier et 19 février 2019. Tout au plus aurait-elle pu, du fait de ce défaut de paiement, comme des difficultés rencontrées dans la conduite du projet qu'elle imputait à la société Eco-H, et dans la mesure où, contrairement à ce que soutient la société Imagine App, elle n'était soumise qu'à une obligation de moyens, et non à une obligation de résultat, se borner à transmettre les codes source sans les finaliser et refuser de mettre à disposition de la société Eco-H ses salariés pour les volumes horaires correspondant aux montants impayés, ou refuser de transmettre les codes source correspondant aux développements réalisés grâce à ces volumes horaires, si ces développements avaient déjà été réalisés.

35. Par ailleurs, le fait que les échanges se soient poursuivis entre les parties, jusqu'à ce que la société Eco-H dénonce la saisie-conservatoire qu'elle avait été autorisée à pratiquer puis assigne la société Imagine App en résolution des contrats, ne permettait pas à cette dernière de se soustraire à son obligation, essentielle compte tenu des modalités de développement choisies par les parties, de remettre les codes source de l'application,

36. Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que l'inexécution, par la société Imagine App, de son obligation de remettre à la société Eco-H les codes source de l'application écrits par les salariés qu'elle avait mis à la disposition de celle-ci, que ne peut justifier le défaut de paiement de la facture du 23 juillet 2018, constitue une inexécution suffisamment grave pour justifier la résolution des contrats litigieux. Le jugement attaqué sera donc infirmé en ce qu'il rejette la demande de la société Eco-H de résolution des contrats et cette résolution sera prononcée.

37. En conséquence de cette résolution, en premier lieu, le jugement sera également infirmé en ce qu'il condamne la société Eco-H au paiement de la somme de 9 288 euros au titre de la facture du 23 juillet 2018 et la société Imagine App sera déboutée de sa demande à ce titre.

38. En deuxième lieu, la société Imagine App est tenue de restituer à la société Eco-H les sommes que celle-ci lui a payées en exécution des quatre contrats en cause, pour un montant total de 65 148 euros, dès lors qu'en l'absence de livraison des codes source, les prestations réalisées par la société Imagine App n'ont pas présenté d'utilité pour la société Eco-H, au sens de l'article 1229 du code civil. A cet égard, la société Eco-H peut valablement se prévaloir de ce qu'au regard des délais écoulés, une livraison de ces codes source ne lui serait plus d'aucune utilité, étant relevé qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir renoncé au déploiement d'une application dont la conception remonte à plus de sept ans. Pour cette même raison, la prestation fournie par la société Imagine App n'ayant été d'aucune valeur pour la société Eco-H, au sens de l'article 1352-8 du même code, la société Eco-H ne sera tenue à aucune restitution, la société Imagine App ne formant par ailleurs aucune demande subsidiaire à ce titre. Cette société sera donc condamnée à payer à la société Eco-H la somme de 65 148 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en résolution, le 18 juin 2019.

39. Il n'y a pas lieu, en revanche, de condamner la société Imagine App à restituer la somme de 9 288 euros payée par la société Eco-H en exécution de la condamnation prononcée par le tribunal, la société Imagine App étant tenue de restituer cette somme du fait de l'infirmation de cette condamnation par la présente décision.

40. En troisième lieu, dès lors que la société Imagine App ne demande la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 28 juin 2019 qu'en conséquence d'un rejet de la demande de résolution de la société Eco-H, à laquelle il est fait droit aux termes de la présente décision, il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande de mainlevée.

41. Enfin, la société Eco-H ne produit aucun élément de nature à établir l'existence d'un préjudice d'exploitation résultant de l'inexécution contractuelle retenue à l'encontre de la société Imagine App, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il la déboute de sa demande d'indemnisation à ce titre.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

42. Compte tenu du sens de la présente décision, le jugement sera infirmé en ce qu'il condamne la société Eco-H aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure.

43. La société Imagine App, partie perdante, sera condamnée aux dépens des procédures du première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

44. En application des dispositions de l'article 700 du même code, la société Imagine App sera déboutée de sa demande de remboursement des frais exposés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel et non compris dans les dépens et sera condamnée, à ce titre, à payer à la société Eco-H la somme de 5 000 euros.

PAR CES MOTIFS, la cour d'appel :

Confirme le jugement en ce qu'il déboute la société Eco-H de sa demande de condamnation de la société Imagine App au paiement de dommages et intérêts ;

L'infirme pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Prononce la résolution des contrats conclus entre la société Eco-H et la société Imagine App les 20 juin 2017, 22 décembre 2017, 23 mai 2018 et 20 juin 2018 ;

Condamne la société Imagine App à payer à la société Eco-H la somme de 65 148 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 18 juin 2019 ;

Déboute la société Imagine App de sa demande de condamnation de la société Eco-H à lui payer la somme de 9 288 euros au titre de la facture émise le 23 juillet 2018 ;

Condamne la société Imagine App aux dépens des procédures de première instance et d'appel ;

Déboute la société Imagine App de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne, sur ce fondement, à payer à la société Eco-H la somme de 5 000 euros au titre des frais exposés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel et non compris dans les dépens ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

S.MOLLÉ C.SIMON-ROSSENTHAL


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 21/18091
Date de la décision : 01/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-01;21.18091 ?
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