RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 28 juin 2024
(n° , 3 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 20/06124 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCMNN
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Septembre 2020 par le Pole social du TJ de MELUN RG n° 18/00564
APPELANT
Monsieur [X] [S] (Décédé )
[Adresse 3]
[Localité 7]
représenté par Me Florence POIRIER, avocat au barreau de MELUN
INTIMEES
S.A.S. [11]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 9]
représentée par Me Olivia SARTOR-AYMARD, avocat au barreau de TOULOUSE,
toque : 457
CPAM DE SEINE ET MARNE
[Adresse 12]
[Localité 8]
représenté par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS
PARTIES INTERVENANTES
Madame [U] [S] venant aux droits de son mari [X] [S]
[Adresse 3]
[Localité 7]
représentée par Me Florence POIRIER, avocat au barreau de MELUN
Madame [I] [S] épouse [F]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Florence POIRIER, avocat au barreau de MELUN
Madame [V] [S]
[Adresse 6]
[Localité 2]
représentée par Me Florence POIRIER, avocat au barreau de MELUN
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Monsieur Philippe BLONDEAU, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 24 mai 2024, prorogé au 28 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller pour Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre légitimement empêchée et Madame Agnès ALLARDI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par M. [X] [S] à l'encontre d'un jugement rendu le 11 septembre 2020 par le tribunal judiciaire de Melun, dans un litige l'opposant à la société [11] en présence de la CPAM de Seine-et-Marne.
M. [X] [S], a été engagé par la société [11] à compter du 10 mars 2016 en qualité de chauffeur routier, par contrat à durée indéterminée, avec une période d'essai de 2 mois.
Son employeur a déclaré un accident de travail pour lui le 04 mai 2016, survenu le jour même, dans laquelle il est indiqué :
- Activité de la victime lors de l 'accident : le salarié aurait été en train de remonter dans son véhicule.
- Eventuelles réserves motivées : le salarié avait été informé la veille d'une fin de période d'essai, la concomitance des faits nous laisse dubitatif
- Siége des lésions [...]dos et arrière jambe droite.
L'accident a été pris en charge au titre de la législation des risques professionnels.
L'état de santé de M. [S] a été déclaré consolidé le 22 octobre 2017, avec un taux d'incapacité de 19%. Il a été déclaré inapte par une décision du médecin du travail le
14 novembre 2017, puis a été licencié pour inaptitude par courrier en date du
9 janvier 2018.
M. [S] a saisi la CPAM d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable de son employeur le 15 janvier 2018, puis après l'échec de la tentative de conciliation, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale devenu tribunal judiciaire de Melun par requête en date du 16 août 2018.
Par jugement en date du 11 septembre 2020, notifié aux parties par lettre recommandée avec accusé de réception le 16 septembre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Melun a :
- débouté M. [S] de ses demandes ;
- dit n'y avoir lieu à frais irrépétibles.
Le 22 septembre 2020, M. [S] a interjeté appel du jugement.
M. [S] est décédé le 23 août 2023 en laissant pour lui succéder, son épouse, Madame [U] [S], et ses deux filles majeures, Mesdames [V] [S] et [I] [S], qui poursuivent toutes l'action.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 27 novembre 2023, les ayants droit de [X] [S] demandent a la Cour de :
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire pôle social de Melun du 11 septembre 2020 en toutes ses dispositions,
Et statuant a nouveau,
- dire et juger que l'accident du travail du 4 mai 2016 dont a été victime [X] [S] est dû à la faute inexcusable de la société [11],
En conséquence,
- ordonner la majoration de la rente d'incapacité au taux maximal,
- designer tel expert qu'il plaira à la Cour d'appel avec pour mission de décrire les lésions occasionnées par l'accident du 4 mai 2016 et de fixer les différents préjudices subis du fait de l'accident, dire que la provision sur les frais d'expertise sera avancée par la CPAM de Seine et Marne,
- condamner la société [11] à verser aux consorts [S] agissant en qualité d'héritières de [X] [S] la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société [11] aux entiers dépens.
Elles soutiennent que les risques liés aux chutes étaient parfaitement connus de la société [11], qu'elles étaient contenues dans le DUERP et que l'employeur n'a rien fait pour en préserver son salarié.
Elles font valoir que [X] [S] était travailleur de nuit, c'est-à-dire exposé à un risque particulier nécessitant un suivi renforcé, et que l'avis d'aptitude évoqué par la société remonte à 2013, soit plus de trois années avant son embauche au sein de la société [11], qu'il aurait dû compte-tenu du danger particulier de son poste avoir une visite.
Elles prétendent enfin que [X] [S] ne s'était pas vu remettre d'équipement de sécurité, et notamment pas de chaussures de sécurité qui lui auraient évité de se prendre l'orteil dans les marches de son camion, qu'en toutes hypothèses la liste du matériel ne comportait pas de gants.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le
30 mai 2023, la société [11] demande à la Cour de :
- dire et juger [X] [S] recevable mais non fondé en son appel,
- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
Statuant a nouveau,
- condamner [X] [S] à payer a la société [11] la somme de 1 500 euros sur lefondement de l'article 700 du code de procédure civile .
La société fait valoir qu'elle avait jusqu'à la fin de la période d'essai pour faire passer la visite médicale d'embauche et que [X] [S] était encore en période d'essai au moment de l'accident. Elle conteste qu'elle ait eu à faire une surveillance renforcée.
Elle soutient qu'elle fournissait aux salariés les équipements de sécurité, et notamment les chaussures, mais que venant d'être créée au moment de l'embauche de [X] [S] elle ne savait pas qu'il fallait faire signer la remise des équipements, mais qu'elle établit cette fourniture.
Elle fait valoir que les gants n'étaient pas remis dans la mesure où ils s'usent rapidement mais qu'il y en avait à disposition dans les bureaux.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le
24 juillet 20 23, la CPAM de la Seine et Marne demande à la Cour de :
- statuer ce que de droit sur les mérites de l'appel interjeté par [X] [S] quant au principe de la faute inexcusable et l'éventuelle majoration de la rente qui en résultera,
Dans l'hypothèse où la Cour retiendrait la faute inexcusable de l'employeur,
- limiter la mission de l'expert aux postes de préjudices indemnisables au titre de la faute inexcusable, dire que la mission de l'expert ne pourra inclure une évaluation de la perte de chance de promotion professionnelle, rappeler que la CPAM de la Seine et Marne avancera les sommes éventuellement allouées à [X] [S] dont elle récupérera le montant sur l'employeur, en ce compris les frais d'expertise,
En tout état de cause :
- condamner tout succombant aux entiers dépens.
SUR CE LA COUR
L'employeur est tenu envers son salarié d'une obligation légale de sécurité et de protection de la santé, notamment en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle. Il a, en particulier, l'obligation de veiller à l'adaptation des mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l'être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants. Les articles R.4121-1 et R.4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Le manquement à cette obligation de sécurité a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été l'origine déterminante de l'accident du travail subi par le salarié, mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes y compris la faute d'imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.
Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait ou qui aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l'employeur ; aucune faute ne peut être établie lorsque l'employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l'apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu'il pouvait avoir.
La conscience du danger, dont la preuve incombe à la victime, ne vise pas une connaissance effective du danger que devait en avoir son auteur. Elle s'apprécie in abstracto par rapport à ce que doit savoir, dans son secteur d'activité, un employeur conscient de ses devoirs et obligations.
[X] [S] expliquait dans un courrier envoyé à la caisse en janvier 2018, que son accident qui a eu lieu sans témoin, serait survenu dans la zone de chargement d'une entreprise à [Localité 13], que alors qu'il remontait dans le camion son pied a heurté le marche pied, qu'il a ressenti une grande douleur jusque dans le bassin et qu'il est tombé par terre sur le dos.
En l'espèce, la société [11] ne pouvait qu'avoir conscience du danger lié aux chutes, au moment de monter ou de descendre du camion, et ce risque était même inscrit dans le DUERP. Dans la mesure où un chauffeur doit nécessairement monter et descendre dans son véhicule, les ayant-droit de [X] [S] n'expliquent pas vraiment quelles mesures pouvaient être prises spécifiquement pour éviter les chutes et ne prétendent pas que la montée dans le camion était particulièrement périlleuse.
Elles soutiennent en réalité que l'accident résulte de deux fautes inexcusables de l'employeur;
- l'absence de visite médicale avant embauche,
- la non fourniture d'équipements de sécurité.
Sur l'absence de visite médicale
Aux termes de l'article R 4624-10 du code du travail, dans sa version applicable lors de l'embauche de M [S]: ' Le salarié bénéficie d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail.
Les salariés soumis à une surveillance médicale renforcée en application des dispositions de l'article R 4624-18 ainsi que ceux qui exercent l'une des fonctions mentionnées à l'article L 6511-1 du code des transports bénéficient de cet examen avant leur embauche'.
Il se déduit de cet article que l'employeur a jusqu'à la fin de la période d'essai pour faire passer au salarié une visite d'embauche, qu'en l'espèce [X] [S] étant encore incontestablement en période d'essai au moment de son accident, le salarié ne peut donc invoquer la faute inexcusable résultant de l'absence de visite obligatoire. L'absence de cette visite est regrettable mais rien n'établit en outre que si [X] [S] avait vu un médecin, l'accident aurait pu ne pas se produire.
Les ayant droit de [X] [S] prétendent également que celui-ci aurait du bénéficier de la surveillance médicale renforcée en qualité de travailleur de nuit.
Il apparaît cependant que rien dans le contrat de [X] [S] n'indique qu'il travaillait la nuit, même si effectivement il prenait régulièrement son service le soir mais il n'est pas établi qu'il corresponde à la définition du travailleur de nuit qui bénéficie du contrôle médical renforcé prévue par l'article du code du travail : travailleur qui accomplit, pendant une période de douze mois consécutifs, deux cent soixante dix heures de travail.
Il ne rentre pas non plus dans les catégories visées par l'article L-6511-1 du code du travail.
Il n'est pas démontré l'absence de visite médicale avant l'accident constituerait une faute.
Sur la non fourniture des équipements de sécurité
Les ayant-droit de [X] [S] ont produit aux débats une attestation de M. [R], salarié de la société et ami de l'intéressé, qui a indiqué avoir été chercher [X] [S] le jour de l'accident, qu'il l'a retrouvé dans une station service à [Localité 10] à plusieurs kilomètres de l'entrepôt de [Localité 13], et qu'il était chaussé de tennis. M. [R] n'affirme cependant à aucun moment que la société ne fournissait pas de chaussures de sécurité mais seulement que [X] [S] n'en portait pas.
Si la société ne produit pas de reçu du matériel par [X] [S], elle a cependant produit les reçus de délivrance du matériel de sécurité de nombreux salariés de la société, et deux d'entre eux Messieurs [Y] (embauché le 1er mars 2016 après reprise d'ancienneté au septembre 2014) et [D] (embauché le 18 avril 2016) ont attesté de ce que les équipements de sécurité était remis aux chauffeurs mais que [X] [S] refusait de mettre ces chaussures.
Au vu de ces éléments, et nonobstant l'absence de reçu des équipements par [X] [S], il convient de constater que la société rapporte suffisamment la preuve de la remise au salarié des équipements de sécurité et notamment des chaussures.
La société indique également que les gants étaient en libre service dans l'établissement et produit des attestations en ce sens. En outre [X] [S] n'explique pas en outre, en quoi ces gants auraient été utiles pour éviter sa chute.
La preuve d'une faute inexcusable de l'employeur n'étant pas rapportée, il convient de confirmer le jugement déféré.
Sur les autres demandes
L'appel de [X] [S], repris par sa femme et ses filles, a obligé la société à exposer des frais pour sa défense et il est équitable de les condamner au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Melun du 11 septembre 2020 en toutes ses dispositions ;
Y rajoutant,
CONDAMNE Mesdames [U] [S], [V] [S] et [I] [S] à payer à la société [11] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mesdames [U], [V] [S] et [I] [S] aux dépens.
La greffière P/La présidente