Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRET DU 27 JUIN 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/19166 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CITGW
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 22 Novembre 2023 -Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2010J00477
APPELANTS
Madame [W] [Z] [T] [X] [E]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Monsieur [J] [M] [T] [X] [E]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Madame [K] [L] [T] [X] [E] demeurant aussi [Adresse 1]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Madame [R] [C] [T] [X] [E]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Madame [Y] [H] [T] [X] [E]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Représentés par Me David SULTAN, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.E.L.A.R.L. JSA
prise en la personne de [A] [D], mandataire judiciaire, demeurant [Adresse 3], agissant en qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de Madame [W] [Z] [T] [X] [E]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Julie COUTURIER de la SELARL JCD AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C0880
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie Mollat-Fabiani, présidente de la chambre 5.9, chargée du rapport, et Mme Alexandra Pelier-Treteau, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sophie MOLLAT-FABIANI, présidente
Mme Alexandra PELIER-TETREAU, conseillère
Mme Isabelle ROHART, Mme Isabelle ROHART, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Sophie MOLLAT-FABIANI, présidente de la chambre 5.9, et par M. Damien GOVINDARETTY, greffier, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par jugement en date du 20.07.2010 le tribunal de commerce de Créteil a prononcé la liquidation judiciaire de Madame [W] [Z] [T] [X] [E] et a désigné la Selarl JSA prise en la personne de Me [A] [D] en qualité de mandataire liquidateur.
Les opérations liquidatives ont été prorogées à plusieurs reprises et en dernier lieu par un jugement rendu par le tribunal de commerce de Créteil le 20.10.2021.
Madame [T] [X] était mariée avec Monsieur [S] [E].
Le 30 juillet 2010 le bureau d'État civil de [Localité 5] (Portugal) a prononcé le divorce par consentement mutuel de Monsieur [F] [S] [E] et Madame [W] [Z] [T] [X].
Les époux avaient acquis au cours du mariage deux biens immobiliers:
- un bien situé à [Localité 6] le 26.03.2001. Ce bien a été cédé par acte du 5.09.2011 et l'intégralité du prix de vente a été versée au liquidateur judiciaire de Mme [T] [X] épouse [E] qui a réparti le prix de vente entre les créanciers suivant état de collocation en date du 29.06.2012
- un ensemble immobilier à usage commercial et d'habitation situé [Adresse 2] acquis par acte notarié en date du 25.02.2008.
Ce bien avait fait l'objet d'une déclaration d'insaisissabilité selon acte notarié en date du 18.01.2010.
Par jugement en date du 16.10.2018, devenu définitif faute de recours, rendu par le tribunal de commerce de Créteil la déclaration d'insaisissabilité a été déclarée inopposable à la liquidation judiciaire.
Monsieur [S] [E] est décédé le 28.07.2015 et a laissé à sa succession ses 4 enfants: [J], [K], [R], [Y] [H] [T] [E] .
Par requête datée du 8.10.2023 et enregistrée au greffe le 17.10.2023 le liquidateur judiciaire exposait que le bien immobilier était entré dans le gage commun des créanciers de la liquidation par l'effet combiné de l'article 1413 du code civil et de l'article L.642-18 du code de commerce, que le bien constituait l'unique élément du patrimoine de Madame [T] [X], que le montant du passif s'élevait à 554.977,82 euros, que le bien était estimé à 240.000 euros et demandait donc au juge commissaire de l'autoriser à vendre à la barre du tribunal judiciaire de Pau en un lot, les biens et droits immobilier sur la mise à prix de 130.000 euros, avec la précision qu'à défaut d'enchères la mise à prix serait baissée immédiatement du tiers puis de la moitié sans nouvelle publicité.
Par ordonnance en date du 22.11.2023 le juge commissaire a fait droit à la requête.
Les consorts [T] [X] et [T] [E] ont fait appel de l'ordonnance par déclaration en date du 29.11.2023.
Aux termes de leurs conclusions signifiées par voie électronique le 7.02.2024, Madame [W] [Z] [T] [X] [E] et Monsieur et Mesdames [I], [K], [R] et [Y] [H] [T] [E] demandent à la cour de:
A titre principal:
D'infirmer l'ordonnance rendue le 24 novembre 2023 par le Tribunal de commerce de Créteil en toutes ses dispositions ;
Prononcer que le bien situé sur la commune de [Localité 8] (Pyrénées-Atlantiques), au [Adresse 2], cadastrés section [Cadastre 7], lieudit '[Adresse 2], pour une contenance de 1 are et 27 centiares ne fait pas partie du gage des créanciers en raison du divorce puis du décès de l'ancien mari de la débitrice ;
A titre subsidiaire
Prononcer la vente du bien de gré à gré par Madame [W] [Z] [T] [X] [E], Monsieur [J] [M] [T] [X] [E], Madame [K] [L] [T] [X] [E], Mademoiselle [R] [C] [T] [X] [E], Mademoiselle [Y] [H] [T] [X] [E] ;
En tout état de cause
Débouter le Mandataire JSA, prise en la personne de Maître [A] [D] de l'ensemble de ses prétentions.
Condamner le Mandataire JSA, prise en la personne de Maître [A] [D] à payer à Madame [W] [Z] [T] [X] [E], Monsieur [J] [M] [T] [X] [E], Madame [K] [L] [T] [X] [E], Mademoiselle [R] [C] [T] [X] [E], Mademoiselle [Y] [H] [T] [X] [E] la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et à s'acquitter des entiers dépens de l'instance.
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 1.03.2024, la société JSA prise en la personne de Me [D] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de Mme [W] [Z] [T] [X] [E] demande à la cour de:
Débouter les appelants de leur demande tendant à voir ordonner la vente de gré à gré du bien situé à [Localité 9], [Adresse 2], cadastré section [Cadastre 7] ;
Débouter les appelants de leurs plus amples prétentions ;
Condamner in solidum Monsieur [J] [M] [T] [E], Madame [K] [N] [P] née [T] [E], Madame [R] [C] [B] née [T] [E] et Madame [Y] [H] [T] [E] à payer à société JSA, prise en la personne de Maître [A] [D], ès qualités de liquidateur de Madame [W] [Z] [T] [X] [E] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de l'instance d'appel.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la vente du bien
Les consorts [T]-[E] exposent que le bien immobilier n'est pas soumis en sa totalité à l'effet réel de la procédure collective.
Ils expliquent que Mme [T] [X] exploitait en son nom propre une entreprise individuelle, que la liquidation judiciaire a été ouverte le 20.07.2010, que le divorce a été prononcé le 30.07.2010 mais que la procédure de divorce avait débuté bien avant le jugement de liquidation judiciaire, que le bien se trouvait de facto en indivision avant le prononcé de la liquidation judiciaire et était donc sorti du patrimoine commun des époux.
Ils affirment ainsi que si le liquidateur peut se saisir des biens de Mme [T] [X] afin d'apurer le passif de son entreprise individuelle il ne peut se saisir d'un bien indivis qui résulte d'une séparation des patrimoines, soulignant qu'il n'existe pas de solidarité concernant le passif de l'entreprise individuelle de Mme [T] [X] qui imposerait à Monsieur [E] de le payer sur son patrimoine propre. Ils exposent ainsi que c'est à tort que le liquidateur s'appuie sur le mécanisme de la solidarité entre époux afin de procéder à la vente du bien et tente de transposer l'obligation de solidarité des époux sur l'héritage des enfants.
Subsidiairement ils font valoir que le bien a été estimé entre 250.000 et 300.000 euros par l'agence ORPI et que la vente aux enchères pourrait ne pas suffire à rembourser la masse des créanciers.
Ils soulignent enfin qu'un bien a déjà été cédé en 2011 moyennant un prix de 320.000 euros sur la comune de Chennevière et que seule la somme de 271.156,03 euros a été répartie aux créanciers.
La SELARL JSA expose que conformément à l'article 1413 du code civil, les biens communs tombent dans l'actif de la liquidation judiciaire de l'époux en procédure collective, que lorsque les époux sont divorcés, les biens communs tombent dans l'indivision post-communautaire, que les époux divorcés sont soumis à l'effet réel de la procédure collective si l'indivision est née après l'ouverture de ladite procédure, qu'en effet, lorsque l'indivision naît après l'ouverture de la procédure collective, cette indivision est inopposable à la procédure collective, qu'enfin selon les termes de l'article 262 du code civil les tiers ne peuvent se voir opposer la modification des relations avec les époux tenant à la dissolution du régime matrimonial tant que le divorce n'a pas été publié.
Le liquidateur expose que le bien situé à [Localité 8] est un bien commun soumis à l'effet réel de la procédure collective laquelle a été ouverte le 20.07.2010, que le divorce a été retranscrit le 30.07.2010, que l'indivision post communautaire dans laquelle est tombé le bien à la suite du divorce est donc inopposable à la liquidation ouverte antérieurement, qu'en conséquence au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire le bien situé à [Localité 8] était soumis à l'effet réel de la procédure collective.
Il explique ainsi que dans la mesure où le bien est commun, le liquidateur doit nécessairement être autorisé, par le juge-commissaire, pour le vendre aux enchères publiques, conformément à l'article L. 642-18 du code de commerce et à la jurisprudence constante en la matière.
Il ajoute que l'indivision successorale consécutive au décès de Monsieur [F] [S] [E] est postérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire et est donc également inopposable au liquidateur.
Il conclut donc que c'est à bon droit que le juge-commissaire a ordonné la vente aux enchères publiques du bien.
Sur la demande de vente de gré à gré il expose que la demande ne saurait être accueillie à hauteur d'appel dès lors qu'aucune offre n'est versée aux débats, et indique qu'aucune offre n'avait été produite en première instance.
SUR CE
L'article 1413 du code civil dispose que le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, et sauf la récompense due à la communauté s'il y a lieu.
L'article 262 du code civil dispose que la convention ou le jugement de divorce est opposable aux tiers, en ce qui concerne les biens des époux, à partir du jour où les formalités de mention en marge prescrites par les règles de l'état civil ont été accomplies.
Il est de jurisprudence constante que les créanciers représentés par le liquidateur judiciaire sont des tiers vis à vis des époux.
Il en résulte que le jugement ouvrant une procédure collective produit ses effets à l'égard de la communauté si le divorce n'a pas été publié au jour du prononcé du jugement d'ouverture, quand bien même la procédure de divorce aurait été engagée avant le jugement d'ouverture, l'indivision qui découle du prononcé du jugement de divorce étant, dans ce cas, inopposable à la masse.
Madame [T] [X] et Monsieur [E] étaient mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts.
La liquidation judiciaire a été ouverte par jugement du 20.07.2010.
Le divorce des époux [T] [X]-[E] n'a été transcrit sur les registres de l'état civil portugais que le 30.07.2010, et donc postérieurement au jugement d'ouverture.
Au jour du jugement d'ouverture la communauté matrimoniale des époux [T] [X] -[S] [E] existait donc toujours à l'égard des tiers et l'article 1413 du code civil doit recevoir application.
C'est, de ce fait, à juste titre que le liquidateur judiciaire a engagé une action en vente des biens appartenant à la communauté pour que le prix de vente permette le règlement des dettes de la liquidation judiciaire de Mme [T] [X].
Le fait qu'une indivision successorale se soit ouverte suite au décès de Monsieur [E] n'est pas de nature à faire échec à l'application de l'article 1413 du code civil et à la vente du bien commun par le liquidateur, dans la mesure où les héritiers viennent aux droits de leur auteur, Monsieur [S] [E]. Celui-ci étant soumis aux dispositions de l'article 1413 du code civil en l'état d'une communauté toujours existante au jour du jugement d'ouverture, ses héritiers le sont également.
En conséquence l'ordonnance du juge-commissaire en ce qu'elle a ordonné la vente du bien situé à [Localité 8] est confirmée.
Sur les modalités de la vente
Compte tenu de l'instance qui a été d'abord engagée pour voir dire la déclaration d'insaisissabilité inopposable à la liquidation judiciaire et compte tenu ensuite de la position des appelants qui soutenaient que le bien était soumis à l'indivision et ne pouvait donc être vendu par le liquidateur mais devait faire l'objet d'abord d'une action en partage, aucune démarche réelle n'a été engagée par les appelants pour permettre la vente à l'amiable dudit bien.
Or une telle vente est de nature à permettre la cession à un prix plus avantageux, en particulier pour la liquidation judiciaire, qu'une vente aux enchères publiques.
En conséquence il convient d'infirmer la décision en ce qu'elle a ordonné la vente aux enchères publiques de la décision et d'ordonner la vente amiable du bien dans le délai d'une année à compter de la date du présent arrêt et en l'absence de vente dans le délai, de prévoir une vente aux enchères publiques.
Sur les dispositions de l'article 700 et les dépens.
Le sens de la direction ne justifie pas de faire application des dispositions de l'article 700 au profit de l'une ou l'autre des parties.
Les dépens passeront en frais privilégiés de procédure collective.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME l'ordonnance du juge commissaire du tribunal de commerce de Créteil en date du 22.11.2023 sauf en ce qu'elle a rejeté la demande de vente de gré à gré,
et statuant à nouveau et y ajoutant
ORDONNE la vente de gré à gré du bien immobilier situé [Adresse 2]
DIT que cette vente devra intervenir dans le délai d'un an à compter de la date du présent arrêt
DIT qu'à défaut de vente dans le délai d'un an les dispositions de l'ordonnance du juge commissaire organisant la vente aux enchères publiques s'appliqueront
DIT n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
DIT que les dépens passeront en frais privilégiés de procédure collective.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE