La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2024 | FRANCE | N°23/07925

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 2, 27 juin 2024, 23/07925


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2



ARRÊT DU 27 JUIN 2024

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/07925 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIUZ5



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Octobre 2023 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 22/02507





APPELANT :



Monsieur [P] [B]

[Adresse 1]

[Localité 4]

>
Représenté par Me Mathieu PETRESCO, avocat au barreau de PARIS, toque : R026





INTIMÉE :



S.A.S. CABINET [T] [W], prise en la personne de son représentant légal domiciliés en cett...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 2

ARRÊT DU 27 JUIN 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/07925 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIUZ5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Octobre 2023 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 22/02507

APPELANT :

Monsieur [P] [B]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Mathieu PETRESCO, avocat au barreau de PARIS, toque : R026

INTIMÉE :

S.A.S. CABINET [T] [W], prise en la personne de son représentant légal domiciliés en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphane VAVASSEUR, avocat au barreau de PARIS, toque : C0459

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 84 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Eric LEGRIS, président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Eric LEGRIS, président

Marie-Paule ALZEARI, présidente

Christine LAGARDE, conseillère

Greffière lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE

ARRÊT :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par Eric LEGRIS, président et par Sophie CAPITAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société par actions simplifiée Cabinet [T] [W] exerce une activité d'agence immobilière.

M. [B] a été embauché par contrat à durée déterminée à compter du 14 mai 2018 jusqu'au 28 février 2019 par la société Cabinet [T] [W], en qualité de négociateur immobilier junior, statut non-cadre.

Son contrat à durée déterminée a pris fin le 28 février 2019.

La convention collective applicable est la convention collective nationale de l'immobilier, administrateurs de biens, sociétés immobilières, agents immobiliers etc.

Le 19 juillet 2019, M. [B] enregistrait son activité indépendante.

M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 20 septembre 2022 afin de demander la fixation de la moyenne de sa rémunération mensuelle au montant de 1.772,12 euros, la requalification de la relation de travail le liant à la société Cabinet [T] [W] en contrat de travail, la constatation de son licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse, la condamnation de la société à de nombreuses sommes, la remise de ses bulletins de salaire de mars 2019 à décembre 2021 et de ses documents de fin de contrat sous astreinte, l'exécution provisoire sur la totalité du jugement. La société Cabinet [T] [W] a, quant à elle, formulé des demandes reconventionnelles.

Par jugement statuant sur la compétence en date du 23 octobre 2023, notifié aux parties le 28 novembre 2023, le conseil de prud'hommes de Bobigny, dans sa formation paritaire, n'a pas fait droit aux prétentions de M. [B] en :

- Se déclarant incompétent au profit du tribunal de commerce géographiquement compétent.

Le conseil de prud'hommes de Bobigny a également réservé les dépens.

Par une déclaration du 11 décembre 2023, M. [B] a relevé appel du jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce territorialement compétent.

Le 11 décembre 2023, M. [B] a déposé une requête auprès du premier président la cour d'appel de Paris afin d'être autorisé à assigner la société Cabinet [T] [W] à jour fixe.

Par une ordonnance en date du 16 janvier 2024, M. [B] a été autorisé à assigner la société Cabinet [T] [W] à jour fixe pour l'audience du 15 mars 2024 à 11 heures.

Le 21 février 2024, M. [B] a assigné la société Cabinet [T] [W] à jour fixe devant la cour d'appel de Paris.

PRÉTENTION DES PARTIES :

Dans ses dernières conclusions, communiquées au greffe par voie électronique le 28 mai 2024, M. [P] [B] demande à la cour de :

- Recevoir l'appel interjeté par M. [B] ;

- Y faisant droit, infirmer la décision entreprise ;

- Évoquer l'affaire sur le fond du litige en application de l'article 88 du code de procédure civile et, statuant à nouveau :

§ Fixer la moyenne de la rémunération mensuelle de M. [B] à la somme de 1.777,12 euros bruts ;

§ Requalifier la relation de travail entre la société Cabinet [T] [W] et M. [B] en contrat de travail ;

§ Constater le licenciement de M. [B] sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- Condamner la société Cabinet [T] [W] à payer à M. [B] les sommes suivantes :

§ Rappel d'indemnité compensatrice de congés payés sur commissions : 4.083,11 euros bruts ;

§ Rappel de salaire de mai 2018 à février 2019 : 3.091,13 euros bruts ;

§ Congés payés y afférents : 309,11 euros bruts ;

§ Prime de 13ème mois de mai à décembre 2018 : 1.141,66 euros bruts ;

§ Congés payés y afférents : 114,17 euros bruts ;

§ Prime de 13ème mois de janvier à février 2019 : 289,75 euros bruts ;

§ Congés payés y afférents : 28,97 euros bruts ;

§ Rappel de salaire de mars 2019 à décembre 2021 : 21.703,16 euros bruts ;

§ Congés payés y afférents : 2.170,31 euros bruts ;

§ Prime de 13ème mois de mars à décembre 2019 : 1.448,74 euros bruts ;

§ Congés payés y afférents : 144,87 euros bruts ;

§ Prime de 13ème mois de 2020 : 1.759,29 euros bruts ;

§ Congés payés y afférents : 175,93 euros bruts ;

§ Prime de 13ème mois de 2021 : 1.776,62 euros bruts ;

§ Congés payés y afférents : 177,66 euros bruts ;

§ Remboursement abonnement mensuel pass Navigo : 1.278,40 euros nets ;

§ Rappel de commissions : 8.665,24 euros bruts ;

§ Congés payés y afférents : 866,52 euros bruts ;

§ Indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : 10.662,72 euros bruts ;

§ Indemnité compensatrice de préavis : 3.554,24 euros bruts ;

§ Congés payés y afférents : 355,42 euros bruts ;

§ Indemnité légale de licenciement : 1.592 euros nets ;

§ Indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse : 7.108,48 euros nets

§ Intérêts aux taux légal avec capitalisation à compter de la saisine du conseil ;

§ Rappel de salaire pour heures supplémentaires : 7.379,97 euros bruts ;

§ Congés payés y afférents : 737,99 euros bruts ;

- Ordonner la remise des bulletins de salaire de mars 2019 à décembre 2021, le tout sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du délai de 30 jours suivant la notification du jugement à intervenir ;

- Ordonner la remise des documents de fin de contrat (attestation Pôle Emploi, certificat de travail, bulletin de salaire, solde de tout compte) sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter du délai de 30 jours suivant la notification du jugement à intervenir ;

- Condamner la société Cabinet [T] [W] à payer à M. [B] la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Cabinet [T] [W] aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, communiquées au greffe par voie électronique le 28 mai 2024, la SAS Cabinet [T] [W] demande à la cour de :

- Constater la caducité de la déclaration d'appel, selon les termes de l'article 922 du code de procédure civile ;

À défaut, sur le fond du litige,

À titre principal,

- Confirmer le jugement attaqué du conseil de prud'hommes de Bobigny du 23 octobre 2023, déclarant le juge prud'homal incompétent pour connaître du litige entre M. [B] et la société Cabinet [T] [W], faute de contrat de travail liant les parties ;

- Renvoyer M. [B] à mieux se pouvoir devant le tribunal de commerce géographiquement compétent;

À titre subsidiaire,

- Rejeter toute évocation du fond du litige ;

- Renvoyer les parties devant le juge de première instance ;

À titre infiniment subsidiaire,

- Dire les demandes de rappel de salaire formulées par M. [B] au titre de son CDD prescrites et irrecevables ;

- Fixer les éventuelles indemnités de rupture du contrat aux seuls montants suivants :

§ au titre du préavis : 1.578 euros ;

§ au titre des congés payés afférents : 157,80 euros ;

§ au titre de l'indemnité de licenciement : 460 euros ;

§ au titre du licenciement sans cause : 789 euros.

- Débouter M. [B] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;

En tout hypothèse,

- Débouter M. [B] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions ;

- Condamner M. [B], selon l'article 700 du code de procédure civile, à payer à la société Cabinet [T] [W] la somme de 5.000 euros ;

- Condamner M. [B] aux entiers dépens éventuels.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code procédure civile.

MOTIFS,

Sur la caducité de la déclaration d'appel :

Le Cabinet [T] [W] fait valoir que le premier président a autorisé M. [B] à l'assigner à jour fixe par ordonnance du 16 janvier 2024 avec une date de l'audience fixée au 15 mars 2023, que M. [B] avait dès lors l'obligation de déposer son assignation au greffe de la cour d'appel, par voie électronique, au plus tard le 14 mars 2024 mais que celui-ci ne procédait pas à ce dépôt ; il soutient que le 15 mars 2024, la cour d'appel constatait ce défaut de dépôt et que M. [B] déposait alors son assignation le jour même de l'audience, le 15 mars 2024, mais que ce dépôt, hors délai légal, était tardif.

Le Cabinet ajoute que M. [B] prétend qu'il avait bien procédé au dépôt de la copie de son assignation, sur le RPVA, à la date du 23 février mais que l'acte aurait été déposé dans le dossier ouvert devant le premier président, ces deux juridictions n'étant pas liées par « un lien indéfectible » mais au contraire autonomes, de sorte que le dépôt au premier président ne valait pas dépôt à la cour d'appel.

Il estime que faute de dépôt de la copie de l'assignation avant le jour de l'audience, la cour d'appel de Paris n'est donc pas valablement saisie de l'affaire et demande en conséquence à la cour d'appel de constater la caducité de la déclaration d'appel.

M. [B], quant à lui, oppose que cette présentation est manifestement inexacte. Il fait valoir, tout d'abord, que contrairement à ce qu'il est soutenu par le Cabinet [T] [W], il a remis une copie de l'assignation délivrée au Cabinet [T] [W] par message RPVA du 23 février 2024 adressé au greffe de la cour d'appel de Paris - Pôle 6 - Chambre 2 ; qu'ainsi, conformément à l'article 922 du code de procédure civile, M. [B] a bien saisi la cour d'appel par la remise d'une copie de l'assignation, avant la date fixée pour l'audience. Ensuite, il indique n'avoir reçu aucun message de refus du greffe qui l'aurait avisé de l'absence de remise de l'assignation. Si tel avait été le cas, lui qui s'est montré particulièrement diligent dans la présente procédure, n'aurait pas manqué de se rapprocher du greffe pour connaître, le cas échéant, le motif de ce refus et procéder à la régularisation demandée. Il indique qu'à l'évidence, en l'absence de message de refus, le greffe de la cour d'appel de Paris - Pôle 6 - Chambre 2, a estimé qu'il était valablement saisi par la remise de la copie de cette assignation effectuée avant la date d'audience. Il ajoute enfin que force est de constater que lors de l'audience du 15 mars 2024, la cour n'a pas constaté le défaut de dépôt de l'assignation de M. [B] mais qu'elle a fait droit à la demande de renvoi sollicité par le conseil du Cabinet [T] [W] pour lui permettre de conclure sur cette question. Il conclut qu'il résulte de ce qui précède que la copie de l'assignation a été valablement remise au greffe de la cour d'appel de Paris (Pôle 6 - Chambre 2), de sorte que la cour d'appel rejettera la demande de caducité soulevée par le Cabinet [T] [W].

Lorsqu'un appel est formé contre un jugement statuant exclusivement sur la compétence, la cour d'appel est saisie, en matière de représentation obligatoire, selon la procédure à jour fixe.

L'article 922 du code de procédure civile dispose dans le cadre de cette procédure que :

« La cour est saisie par la remise d'une copie de l'assignation au greffe.

Cette remise doit être faite avant la date fixée pour l'audience, faute de quoi la déclaration sera caduque.

La caducité est constatée d'office par ordonnance du président de la chambre à laquelle l'affaire est distribuée ».

Il est établi que le conseil de M. [B] a effectivement remis une copie de l'assignation qui a été délivrée par acte d'huissier du 21 février 2024 au Cabinet [T] [W] et ce par message RPVA du 23 février 2024 adressé au greffe de la cour d'appel de Paris - Pôle 6 - Chambre 2.

Le simple fait qu'un numéro d'enregistrement distinct ait été attribué à la requête puis autorisation de procédure à jour fixe et au dossier "au fond" correspondant, fixé initialement, suite à cette autorisation, à l'audience du 15 mars 2024, ne saurait remettre en cause la transmission par RPVA et remise effective, avant cette audience, de la copie de l'assignation au greffe, lequel n'a de fait n'a émis aucun message de refus, et qui répondait aux exigences des prescriptions de l'article 922 précité.

Il est encore souligné que la transmission a ainsi été effectuée auprès du greffe - la transmission par RPVA ne pouvant au demeurant être faite qu'au greffe et non directement au premier président - et que les jurisprudences citées par l'intimé dans ses écritures ne contredisent pas le respect au cas d'espèce des seules règles applicables.

Enfin, lors de l'audience du 15 mars 2024 à laquelle l'affaire a été initialement appelée, la cour n'a pas constaté le défaut de dépôt de l'assignation de M. [B] mais a simplement accepté de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure afin de permettre au conseil du cabinet [T] [W], suite à la demande de ce dernier, de conclure sur cette question.

En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande de caducité soulevée par le Cabinet [T] [W].

Sur la compétence :

M. [B] fait valoir, tout d'abord, que le conseil de prud'hommes de Bobigny était saisi de demandes afférentes à un contrat à durée déterminée de sorte qu'il était compétent pour trancher ses demandes sur le fondement des articles L. 1411-3 et L. 1411-4 du code du travail.

Il fait valoir, ensuite, que le conseil de prud'hommes de Bobigny est exclusivement compétent pour statuer sur l'existence d'un contrat de travail et sur la détermination de la qualité d'employeur de sorte qu'il était compétent pour statuer sur l'existence ou non d'un contrat de travail et sur la qualité d'employeur y compris pour lé période postérieure.

M. [B] fait valoir qu'il rapporte de nombreux éléments démontrant l'existence d'un lien de subordination et donc d'un contrat de travail. En effet, M. [B] soutient qu'il travaillait sous les ordres et directives de la société Cabinet [T] [W] et qu'il ne disposait d'aucune liberté ni d'aucune indépendance dans l'organisation et l'exécution de son travail, qu'il obéissait aux directives et aux ordres quotidiens de M. [L] qui contrôlait son activité et que ses tâches dépassaient celle d'un autoentrepreneur de telle sorte que le lien de subordination est selon lui parfaitement démontré. Il précise qu'il ne disposait pas de carte professionnelle et que les actes étaient établis par le Cabinet alors même qu'il avait assuré les négociations de vente et que le 2 octobre 2021 sa boîte email professionnelle a été coupée par le Cabinet sans l'en informer préalablement. En conséquence, M. [B] affirme que seul le conseil de prud'homme était compétent pour apprécier l'existence de ce lien de subordination et traiter du litige.

En réponse, la société Cabinet [T] [W] fait valoir que M. [B] n'était pas salarié de sorte que le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître du présent litige et que dès lors, les demandes de M. [B] sont irrecevables. La société soutient que M. [B] doit être renvoyé à mieux se pourvoir devant le tribunal de commerce géographiquement compétent. De plus, la société affirme qu'il revient à M. [B] de prouver son prétendu état de subordination juridique alors qu'il n'en aucunement la preuve. Elle indique que ce dernier s'est placé volontairement en dehors de toute relation de travail salariée et que les parties n'entretenaient dans les faits aucune relation de travail salarié. En conséquence, la société soutient que M. [B] ne lui était pas subordonné juridiquement et qu'il doit être renvoyé à mieux se pourvoir devant le tribunal de commerce géographiquement compétent.

Sur ce,

L'article L.1411-3 du code du travail dispose que :

« Le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges nés entre salariés à l'occasion du travail ».

L'article L.1411-4 du même code prévoit que :

« Le conseil de prud'hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends mentionnés au présent chapitre. Toute convention contraire est réputée non écrite.

Le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi, notamment par le code de la sécurité sociale en matière d'accidents du travail et maladies professionnelles ».

Le conseil de prud'hommes est compétent pour statuer tant sur l'existence d'un contrat de travail que sur la détermination de la qualité d'employeur.

Le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s'engage à travailler pour le compte d'une autre et sous la subordination moyennant rémunération.

Il est avéré que les réclamations que M. [B] a formulé devant le conseil de prud'hommes de Bobigny comportaient des demandes afférentes à son contrat à durée déterminée.

Il est constant que M. [B] a d'abord été embauché selon contrat à durée déterminée à compter du 14 mai 2018 jusqu'au 28 février 2019 par la société Cabinet [T] [W], en qualité de négociateur immobilier junior.

Devant le conseil de prud'hommes de Bobigny M. [B] a notamment formulé les demandes suivantes:

- Rappel de salaire de mai 2018 à février 2019 : 3.091,13 € bruts

- Congés payés y afférents : 309,11 € bruts

- Prime de 13ème mois de mai à décembre 2018 : 1.141,66 € bruts

- Congés payés y afférents : 114,17 € bruts

- Prime de 13ème mois de janvier à février 2019 : 289,75 € bruts

- Congés payés y afférents : 28,97 € bruts,

demandes qui étaient donc afférentes à son contrat à durée déterminée.

Dès lors, le conseil de prud'hommes de Bobigny était compétent pour trancher les demandes en lien avec le contrat à durée déterminée.

Le jugement ne peut être qu'infirmé sur ce point.

M. [B] a par la suite, le 19 juillet 2019, enregistré son activité indépendante de micro-entrepreneur (GIRL) mentionnant l'activité d'agent commercial en immobilier inscrit au RSAC.

Il est donc soumis, s'agissant de la période postérieure au terme de son contrat à durée déterminée, aux dispositions de l'article L. 8221-6 qui dispose :

« I.-Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ;

(')

II.-L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci. »

La présomption de non salariat édictée par la disposition précitée étant une présomption simple, il incombe à M. [B] de la renverser en démontrant que les conditions dans lesquelles il a exercé son activité professionnelle sont susceptibles de justifier une relation de travail.

Le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s'engage à travailler pour le compte d'une autre et sous la subordination moyennant rémunération.

L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Il est souligné qu'aucun contrat de prestation de services n'avait toutefois été régularisé entre les parties, ni spécifiquement de contrat d'agent commercial, ce que la société a d'ailleurs admis dans son courriel à la date du 03 mars 2021, tout en indiquant alors s'en préoccuper et en contestant par ailleurs le statut de salarié de M. [B].

Il n'est pas non plus établi que M. [B] ait disposé de carte professionnelle et donc assuré le risque d'une activité propre.

En outre, la nature de l'activité et tâches exercées par M. [B] est demeurée similaire, sinon identique, à celle qu'il avait exercé, y compris au cours de la même année, dans le cadre de son contrat à durée déterminée régularisé avec le Cabinet [T] [W].

Si la société a pu demander, comme le 05 novembre 2020, à M. [B] de lui fournir ses factures, qui comportaient des montants différents, les échanges produits font surtout apparaître que M. [B] a repris son activité et reçu régulièrement dans ce cadre des ordres ou directives et qu'un contrôle de son travail était encore réalisé par l'agence.

Ainsi, à titre d'exemple, par courriel du 26 juin 2020, M. [L], directeur commercial, demandait par courriel à M. [B] d'imprimer, scanner et envoyer des diagnostics au client du « 58bis Pasteur »;

Par courriel du 14 avril 2021, M. [L] lui demandait de préparer la vidéo d'un bien immobilier afin de le mettre sur la page Facebook du Cabinet [T] [W] ;

Par courriel du 27 mai 2021, Mme [H], lui demandait de faire une estimation d'un bien immobilier étant dans le portefeuille de gestion locative du Cabinet ;

Le 6 novembre 2020, la société ne transmettait pas à la demande de M. [B] les documents d'un dossier en cours mais interrogeait 3 interlocuteurs dont il faisait partie ("[I], [P], [J]") sur le point de savoir à qui appartenait le dossier concerné.

Des échanges de SMS corroborent cette analyse ; ainsi, à titre d'illustration :

Le 04 juin 2020, M. [L] indiquait à M. [B] « je dois visiter le bien gambetta demain a 15h30 peux tu les prévenir stp » ;

Le 02 juillet 2020 à 19h44, M. [L] faisait remarquer « il y a pas mal d'erreurs peux tu me recontacter » et M. [B] lui répondait « corriger les erreurs » ;

Le 03 juillet 2020 à 19h51, M. [L] lui écrivait « rappelle moi tout de suite stp » ;

Le 23 juillet 2020 à 20h29, Monsieur [R] [L] écrivait à propos d'un bien, « ça va être difficile d'attendre le 15 août. J'ai aussi des visites et je suis relancé par le proprio. Il faut un dossier complet pour la gestion », ce à quoi M. [B] répondait « D'accord ! Très bien ! » ;

Le 29 juillet 2020 à 11h51, M. [B] écrivait « [E] m'a validé le dossier de ma locataire pour Pasteur ».

Le 16 février 2021 à 17h17, M. [L] écrivait « [P] il faut faire la visite a [V] rapidement !!! ».

D'autres échanges font aussi apparaître que la présence de M. [B], comme d'autres collaborateurs, à l'agence faisait l'objet d'un contrôle ou de directives.

Un mandat exclusif de location daté du 10 avril 2021 était signé par M. [B] pour le compte du Cabinet [T] [W], en utilisant la carte professionnelle de l'agence.

Des compromis de vente signés les 16 septembre 2019 et 29 janvier 2020 sont produits à l'en-tête du Cabinet [T]-[W], signés entre les parties "en présence et avec le concours du Cabinet", tout en mentionnant que M. [B] en avait assuré les négociations.

Les échanges produits font aussi apparaître qu'à tout le moins depuis septembre 2020, M. [B] disposait d'une adresse email portant le nom de domaine du cabinet [T] [W] ([Courriel 5]).

M. [B] rappelle enfin qu'il n'a plus eu accès à compter du 02 octobre 2021 à sa boîte email professionnelle.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le travail de M. [B] pour le compte du Cabinet [T] [W] moyennant rémunération et sous un lien de subordination sont également établies jusqu'à cette dernière date.

En conséquence, le conseil de prud'hommes de Bobigny est compétent pour connaître de l'ensemble des demandes de M. [B].

Le jugement qui s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce géographiquement compétent sera donc infirmé.

Sur la demande d'évocation :

L'article 88 du code de procédure civile dispose que « lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction ».

Ainsi, la cour d'appel a la faculté d'évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution immédiate.

En l'espèce, aucun motif grave et légitime ne justifie d'évoquer au niveau de la cour d'appel les points non jugés au stade de la première instance ce qui serait de nature à priver les parties d'un degré de juridiction.

Il n'y a donc pas lieu d'évoquer l'affaire au fond, et il convient en conséquence de la renvoyer pour être jugée devant le conseil de prud'hommes de Bobigny afin de ne pas priver les parties d'un double degré de juridiction.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera confirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens d'appel seront mis à la charge du Cabinet [T] [W].

La demande formée par M. [B] au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 2.000 euros ; la SAS Cabinet [T] [W] sera déboutée de sa demande formée de ce chef.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

REJETTE la demande de caducité de la déclaration d'appel soulevée par le Cabinet [T] [W],

INFIRME le jugement entrepris,

Statuant de nouveau,

DIT que le conseil de prud'hommes de Bobigny est compétent pour connaître de l'ensemble des demandes de M. [B].

DIT qu'il n'y a pas lieu d'évoquer l'affaire au fond, et la renvoie pour être jugée devant le conseil de prud'hommes de Bobigny,

CONDAMNE la SAS Cabinet [T] [W] aux dépens d'appel.

CONDAMNE la SAS Cabinet [T] [W] à payer à M. [P] [B] la somme de 2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande formée de ce chef.

La Greffière Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 23/07925
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;23.07925 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award