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27/06/2024 | FRANCE | N°21/08071

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 27 juin 2024, 21/08071


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRET DU 27 JUIN 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08071 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CENDF



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Août 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/09556





APPELANTE



Syndicat FEDERATION FRANCAISE DU PRET A PORTER FEMI

NIN

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Gaëtan DMYTROW, avocat au barreau de PARIS, toque : C2478







INTIMEE



Madame [F] [S]

[Adresse 1] '

[Localité 4]

Repr...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRET DU 27 JUIN 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/08071 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CENDF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Août 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/09556

APPELANTE

Syndicat FEDERATION FRANCAISE DU PRET A PORTER FEMININ

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Gaëtan DMYTROW, avocat au barreau de PARIS, toque : C2478

INTIMEE

Madame [F] [S]

[Adresse 1] '

[Localité 4]

Représentée par Me Karine GERONIMI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1494

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Carine SONNOIS, Présidente de chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de chambre

Madame Véronique BOST, Conseillère de chambre

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

- contradictoire

- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Carine SONNOIS, Présidente de chambre, et par Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [F] [S] a été engagée par la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin par contrat à durée indéterminée du 31 mars 2008, à effet du 1er avril 2008, en qualité de Directrice Internationale, statut cadre.

La Fédération Française du Prêt à Porter Féminin est un syndicat professionnel qui a pour objet de créer entre tous les groupements d'entreprises de la confection, de la création et de la commercialisation du vêtement féminin et d'accessoires en France, des liens serrés permettant la défense des intérêts communs de la profession et de faciliter les contacts entre ces différents groupements.

La convention collective applicable était celle des industries de l'habillement.

Mme [S] a été placée en arrêt de travail du 23 janvier 2018 au 23 septembre 2018.

Par lettre du 31 janvier 2019, Mme [S] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 12 janvier 2019.

Le 4 mars 2019, Mme [S] a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.

Par lettre du 5 mars 2019, Mme [S] a été licenciée pour motif économique.

Mme [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 24 octobre 2019. Elle demandait que le licenciement soit dit sans cause réelle et sérieuse et sollicitait des indemnités subséquentes, outre une indemnité pour non-respect de la priorité de réembauche et des dommages-intérêts pour préjudice moral et financier.

Par jugement rendu le 30 août 2021, notifié aux parties le 3 septembre 2021, le conseil de prud'hommes de Paris, dans sa formation paritaire, a :

- dit que l'employeur n'a pas respecté les critères d'ordre du licenciement

- condamné la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin à verser à Mme [S] les sommes suivantes :

* 58 144,30 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des critères d'ordre du licenciement 

* 6 000 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la priorité de réembauchage 

* 20 000 euros à titre d'indemnité pour préjudice moral et financier

*1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement

- ordonné à la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin de remettre à Mme [S] les documents sociaux conformes à la présente décision

- débouté Mme [S] du surplus de ses demandes

- débouté la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin aux dépens.

Le 30 septembre 2021, la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin a interjeté appel de la décision du conseil de prud'hommes de Paris.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 16 février 2024, la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin, appelant, demande à la cour de : 

- juger que le licenciement de la salariée repose sur un motif économique réel et sérieux

- juger que le poste de travail de la salariée a été supprimé

- juger qu'il a respecté l'obligation de recherche de reclassement

- juger qu'il a respecté les critères d'ordre de licenciement

- juger qu'il n'a commis aucun manquement au titre de la priorité de réembauchage dont se prévaut la salariée

- juger que la salariée ne démontre l'existence d'aucun préjudice moral et/ou financier distinct ni d'un manquement quelconque de lui son égard à ce sujet

Et par voie de conséquence, statuant de nouveau,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné à payer à Mme [S] les sommes suivantes :

* 58 144,30 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des critères d'ordre du licenciement

* 6 000 euros à titre de d'indemnité pour non-respect de la priorité de réembauchage

* 20 000 euros à titre d'indemnité pour préjudice moral et financier

*1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- le confirmer pour le surplus

- constater qu'aucun remboursement à Pôle emploi n'a été ordonné et juger en tout état de cause qu'aucune condamnation à ce titre ne peut être mise à sa charge

- débouter Mme [S] de l'ensemble de ses demandes

- condamner Mme [S] à lui payer la somme 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner Mme [S] aux entiers dépens de l'instance.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 9 juin 2022, Mme [S], intimée demande à la cour de :

- rejeter les demandes, fins et conclusions de la société Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin

- fixer son salaire brut à 5 814,43 euros

- juger que son licenciement n'est pas justifié par une cause économique

- juger que l'obligation de reclassement n'a pas été respectée par la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin

- juger que les critères d'ordre de licenciement n'ont pas été respectés

- juger que la priorité de réembauchage n'a pas été respectée par la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin

En conséquence,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que son licenciement pour motif économique était justifié et que la procédure de recherche de reclassement avait été respectée

- infirmer le jugement entrepris sur les quantums prononcés par le conseil de prud'hommes de Paris pour les condamnations aux dommages-intérêts pour non-respect des critères d'ordre du licenciement, à l'indemnité pour non-respect de la priorité de réembauchage et à l'indemnité pour préjudice moral et financier

- confirmer le jugement pour le surplus

Et statuant à nouveau,

- juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la Fédération Française de Prêt à Porter Féminin au paiement des sommes suivantes :

A titre principal,

* 105 229,76 euros net d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (en fonction du préjudice réellement subi)

* 17 443,29 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois)

* 1 744,33 euros brut de congés payés afférents

A titre subsidiaire,

* 58 144,30 euros net d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (application du barème Macron)

* 17 443,29 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis (3 mois)

* 1 744,33 euros brut de congés payés afférents

A titre infiniment subsidiaire,

* 105 229,76 euros net de dommages-intérêts pour non-respect des critères d'ordre de licenciement (en fonction du préjudice subi du fait de la perte de son emploi)

En tout état de cause,

* 34 886,58 euros net d'indemnité pour non-respect de la priorité de réembauchage sur le fondement de l'article L.1235-13 du code du travail (6 mois)

* 58.144,30 euros net de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier (10 mois)

- dire que ces sommes porteront intérêt au taux légal avec capitalisation des intérêts à compter du prononcé du jugement de première instance,

- ordonner la remise de bulletins de salaire conformes au jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard

- ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes au jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard

- juger que la cour se réserve le droit de liquider l'astreinte

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la Fédération Française de Prêt à Porter Féminin aux dépens.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 février 2024

L'audience de plaidoirie a été fixée au 2 avril 2024.

 

MOTIFS DE LA DECISION

 

1. Sur le licenciement économique

La lettre de licenciement du 5 mars 2019, qui fixe les termes du litige, est rédigée comme suit :

« Nous vous avons convoquée par courrier remis en main propre le 31 janvier 2019 à un entretien préalable à votre éventuel licenciement pour motif économique.

Lors de cet entretien qui s'est déroulé le 12 février 2019 à 9 heures dans les locaux de la Fédération, vous étiez assistée de Mme [H] [U] en sa qualité de représentant du personnel.

Lors de cet entretien, nous vous avons exposé la nature et l'étendue des difficultés économiques rencontrées par la Fédération, lesquelles difficultés nous ont conduits à envisager la suppression de votre poste et, par voie de conséquence, votre licenciement.

En effet, la Fédération connaît des difficultés économiques persistantes lesquelles difficultés se matérialisent, entre autres, par une baisse régulière et croissante de nos résultats.

Cette situation économique préoccupante et ce déficit structurel persistant depuis plusieurs années entament notre trésorerie et mettent en danger la pérennité de notre structure.

Malheureusement, ainsi que nous vous l'avons exposé lors de l'entretien préalable à votre éventuel licenciement, nous n'envisageons aucune perspective d'amélioration.

Bien au contraire, dès 2019, les subventions allouées à la Fédération par le DEFI au titre de la taxe affectée sur l'habillement seront amputées à hauteur à tout de moins de 10 pour cent aggravant par la même la situation économique et financière de l'entreprise et impactant sensiblement de façon durable l'activité du secteur de l'habillement et du prêt à porter.

C'est dans un contexte macro-économique particulièrement délicat (dans le domaine notamment de la mode et de la vente de vêtements) que nous sommes en outre aujourd'hui contraints, afin d'assurer la sauvegarde et la compétitivité de notre modèle, de procéder dans le cadre d'une gestion prévisionnelle à la réorganisation de la Fédération et, en particulier, à celle du service International au sein duquel vous êtes affectée.

Au regard de l'ensemble de ces impératifs et après application des critères d'ordre des licenciements, nous avons donc étudié la pertinence des emplois existants au sein de la Fédération, la conclusion de cette étude conduisant à la nécessité de procéder à la suppression de votre poste.

Ainsi que nous vous l'avons indiqué au cours de l'entretien préalable à votre éventuel licenciement et ce, conformément aux dispositions légales applicables, nous avons préalablement examiné au regard de la dimension de notre entreprise les possibilités de recourir à d'autres mesures.

Aucune solution de reclassement telle que par exemple une transformation ou encore un aménagement de poste n'a malheureusement pu vous être proposée.

Dans le cadre de notre recherche de reclassement, nous avons également pris attache avec l'Union française des industries mode et de l'habillement, le Syndicat inter régional du vêtement féminin, la Fédération des industries diverses de l'habillement, la Chambre syndicale du prêt à porter masculin et la Fédération française des industries du vêtement masculin.

A ce jour, ces différentes organisations n'ont malheureusement pas été en mesure de nous proposer une solution alternative concrète de reclassement.

Nous vous avons remis le 12 février 2019 le document de présentation du Contrat de Sécurisation Professionnelle ; vous disposiez d'un délai de réflexion de 21 jours à compter de cette date pour nous faire part de votre éventuelle acceptation.

Le 4 mars 2019, vous avez décidé d'adhérer au Contrat de Sécurisation Professionnelle.

Votre contrat de travail est donc réputé rompu d'un commun accord des parties aux conditions qui figurent dans le document d'information qui vous a été remis le 12 février 2019 à la date du 5 mars 2019, date d'expiration du délai de réflexion de 21 jours...».

1.1 Sur les difficultés économiques

La Fédération Française de Prêt à Porter Féminin fait valoir qu'elle accusait un déficit depuis 2016 qui n'a cessé d'augmenter pour atteindre au 31 décembre 2018, 3 234 250 euros et indique que le résultat positif de 41 660 euros sur l'exercice clos au 31 décembre 2019 s'explique par la survenance d'éléments exceptionnels, à savoir une régularisation fiscale et la vente d'un immeuble. Elle ajoute que la décision de licencier Mme [S] avait pour but d'assurer la sauvegarde et la compétitivité de son modèle.

Mme [S] rétorque que la Fédération Française de Prêt à Porter Féminin ne justifie ses difficultés économiques que par une baisse de résultat et qu'un résultat déficitaire peut être un choix de gestion temporaire, dû à un crédit ou tout autre événement exceptionnel. Elle estime donc que le motif économique n'est pas démontré. Elle affirme qu'en réalité, son employeur l'a licenciée afin d'externaliser son poste et non de le supprimer définitivement.

Selon l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.

La Fédération verse aux débats un tableau récapitulatif des résultats nets comptables entre 2016 et 2020, tableau établi par le chef comptable et validé par un expert-comptable (pièce 15).

Il en ressort que le déficit s'élevait à 219 816 euros en 2016, 779 048 euros en 2017 et 3 234 250 euros en 2018 et qu'un bénéfice de 41 660 euros a été dégagé en 2019 avant un nouveau déficit de 405 823 euros en 2020.

Elle produit également un tableau des éléments exceptionnels significatifs qui ont impacté le résultat comptable pour 2019 (pièce 16) dans lequel apparaît la cession d'un immeuble situé à [Localité 5], l'expert-comptable précisant qu'en l'absence de cette vente, le résultat comptable aurait présenté un déficit de 979 681 euros.

Enfin, la Fédération justifie d'une baisse des subventions allouées par le DEFI concernant les opérations Salons Export entre 2018 et 2020, avec une première baisse de 13,15% en 2019 et une seconde baisse de 28,11% en 2020 (pièce 17).

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la Fédération, qui employait au moins onze salariés et moins de cinquante salariés, justifie par ces éléments comptables qu'elle a subi une baisse de son résultat net comptable, qui est l'addition du résultat d'exploitation, du résultat financier et du résultat exceptionnel, au cours de plus de deux trimestres consécutifs en 2018 par rapport à la même période de l'année précédente et que ces difficultés économiques l'ont amené à prendre des mesures et engager une réorganisation pour sauvegarder sa compétitivité.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit le caractère économique du licenciement établi.

1.2 Sur le reclassement

Suivant l'article L. 1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

La Fédération Française de Prêt à Porter Féminin soutient qu'au moment du licenciement de Mme [S], elle ne disposait d'aucun poste disponible pour elle, y compris de catégorie inférieure. Elle verse aux débats le registre d'entrée et de sortie du personnel qui démontre l'absence de toute embauche. L'employeur souligne qu'allant au-delà de ses obligations, il a adressé des demandes de recherche de reclassement en externe à différentes structures susceptibles de proposer un poste de travail, dans la mesure du possible équivalent, à Mme [S], mais qu'aucun poste n'a été proposé.

Mme [S] pointe qu'aucun poste ne lui a été proposé entre la date de convocation à l'entretien préalable et la notification de son licenciement pour motif économique, et soutient que la Fédération ne justifie pas d'une recherche sérieuse et loyale.

Il n'est pas contesté que la Fédération n'appartient pas à un groupe et que la recherche de reclassement devait être faite en interne.

La consultation du registre du personnel établit qu'elle n'a procédé à aucun recrutement sur le poste de Mme [S] et qu'aucun poste n'était disponible (pièce 31). L'employeur justifie par ailleurs de l'envoi le 31 janvier 2019 de lettres recommandées à la Chambre syndicale du prêt à porter masculin, au Syndicat de [Localité 6] de la mode féminine, au Syndicat interrégional des industries du vêtement féminin, à la Fédération française des industries du vêtement masculin, à l'Union française des industries mode & habillement et à Mode habillement Rhône Alpes (pièce 6), leur demandant de lui faire part de toute proposition d'emploi susceptible d'intéresser Mme [S].

La Fédération a donc respecté son obligation de recherche loyale et sérieuse de reclassement. Ainsi, le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.

Les demandes tendant à la remise de bulletins de salaire et documents de fin de contrat conformes sont sans objet.

1.3. Sur les critères d'ordre

Selon l'article L.1233-7 du code du travail, lorsque l'employeur procède à un licenciement individuel pour motif économique, il prend en compte, dans le choix du salarié concerné, les critères prévus à l'article L.1233-5 du même code, à savoir :

1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;

2° l'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ;

3°la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;

4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie, sachant que, sauf accord collectif (ou à un niveau plus élevé) contraire, ces critères sont mis en oeuvre à l'égard de l'ensemble du personnel au niveau de l'entreprise (et non du seul établissement du ou des salariés concernés)

L'ordre des licenciements doit être appliqué dans la catégorie professionnelle à laquelle appartiennent les emplois supprimés, catégorie concernant l'ensemble des salariés qui exercent au sein de l'entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.

Le manquement de l'employeur aux règles relatives à l'ordre des licenciements ne prive pas le licenciement de cause réelle et sérieuse, mais si le salarié prouve avoir subi un préjudice, il peut obtenir des dommages-intérêts. Cette réparation ne se cumule pas, le cas échéant, avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En cas de contestation, il appartient à l'employeur de communiquer au juge l'ensemble des éléments objectifs sur lesquels il s'est appuyé pour arrêter son choix.

La Fédération Française de Prêt à Porter Féminin indique qu'elle a fait le choix d'appliquer les critères légaux d'ordre de licenciement sans pondération. Elle verse aux débats une note interne établie le 20 janvier 2019 (pièce 4) qui récapitule pour les cinq salariées qui travaillaient dans le Service International, les points que chacune comptabilisait.

Elle dit avoir apprécié concrètement l'existence des facilités de réinsertion au regard de leurs âges et considéré qu'en raison de sa solide expérience professionnelle, Mme [S] disposait de réelles facilités de réinsertion, en dépit de son âge, d'où l'attribution d'une note de 2.

L'employeur produit les derniers entretiens annuels de Mme [L] et Mme [I], qui, selon lui, confirment leurs qualités professionnelles. S'agissant de Mme [S], il affirme que l'entretien annuel réalisé en janvier 2018 ainsi que des courriels échangés avec elle fin 2018, montrent l'existence de difficultés de communication et de management, tant en interne qu'avec des prestataires ou entités externes.

Mme [S] explique qu'elle vivait seule, avait deux enfants à charge, était âgée de 58 ans et avait cumulé plus de 10 ans d'ancienneté.

Au titre du critère des difficultés de réinsertion professionnelle, elle estime qu'elle aurait dû bénéficié d'un note de 4 puisqu'elle fait partie de la catégorie des personnes seniors pas assez proches de la retraite pour en bénéficier, ce qui constitue une très grande difficulté pour retrouver un emploi.

Quant au critère des qualités professionnelles, elle considère qu'il est impensable qu'une directrice internationale dispose de moins de qualités professionnelles qu'une salariée ayant une qualification inférieure ou une ancienneté moindre. Or, Mme [I], qui occupait un poste moins élevé, comme Mme [L], qui n'avait que 7 ans d'expérience, ont bénéficié d'une note de 10, alors qu'elle n'a eu qu'une note de 6.

Elle affirme qu'elle aurait dû bénéficier d'une note globale de 21, dont 4 pour les difficultés de réinsertion professionnelle et 10 pour les qualités professionnelles et prétend que l'employeur a préféré favoriser le critère financier en licenciant la salariée qui avait le salaire le plus élevé.

La cour retient que, eu égard à l'âge de Mme [S], 58 ans, l'employeur ne pouvait valablement considérer qu'elle ne présentait aucune difficulté de réinsertion et lui attribuer de ce fait une note de 2, au lieu d'une note de 4 correspondant à un salarié de plus de 45 ans présentant des difficultés de réinsertion. En considération des scores des autres salariées, elle se serait retrouvée en 1ère position, à égalité avec Mme [I] et Mme [L], ce qui lui aurait épargné d'être licenciée.

La salariée, qui avait encore deux enfants à charge au moment de son licenciement, a subi une rechute d'un état anxiodépressif juste après celui-ci, ainsi qu'il résulte d'un certificat médical établi par le docteur [P] (pièce 13).

En considération d'une ancienneté de plus de 10 ans et d'un salaire de référence de 5 814,43 euros, le conseil de prud'hommes a justement évalué le préjudice de Mme [S] en fixant à la somme de 58 144,30 euros le montant des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du non-respect des critères d'ordre.

1.4. Sur la priorité de réembauche

Selon l'article L. 1233-45 du code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauche durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai. Dans ce cas l'employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible compatible avec sa qualification.

Dans le cas de la priorité de réembauchage, l'employeur est tenu de proposer tous les postes disponibles compatibles avec la qualification du salarié, peu important que le salarié lésé précédemment refusé au stade de la procédure de reclassement.

Le salarié ne peut toutefois revendiquer le bénéfice de la priorité de réembauche qu'à la stricte condition d'avoir informé son employeur de son souhait d'en bénéficier dans le délai d'un an.

L'article L.1235-13 du code du travail dispose qu'en cas de non-respect de la priorité de réembauche, le juge accorde au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.

Mme [S] affirme que, lors de la notification de son licenciement puis par courrier recommandé, elle a indiqué à son employeur sa volonté de bénéficier de la priorité de réembauchage. Elle fait valoir qu'aucun poste ne lui a été proposé alors qu'il y a eu quatre embauches sur la période et qu'elle avait les compétences sur deux de ces postes, à savoir celui de Chef de projet communication junior et celui de Directeur de communication.

La Fédération Française de Prêt à Porter Féminin rétorque que Mme [S] n'a jamais justifié de l'envoi d'une demande de priorité de réembauchage. Elle affirme que Mme [S] ne disposait pas des qualifications requises, notamment en matière de communication, pour les postes ayant donné lieu à embauche qui ont suivi son départ et que ces postes n'étaient pas compatibles avec son expérience professionnelle.

La cour relève que la lettre produite par la salariée (pièce 9), par laquelle elle confirme son souhait de bénéficier de la priorité de réembauchage, ne supporte aucune date ni mention du numéro du recommandé avec avis de réception. En l'absence de ces mentions, rien ne permet de dire que l'avis de réception, qu'elle n'a versé aux débats qu'en cause d'appel (pièce 37), s'y rattacherait.

Faute de démontrer qu'elle a fait part à son ancien employeur de sa volonté de bénéficier de cette priorité, Mme [S] ne peut invoquer aucun manquement de celui-ci qui lui aurait causé un préjudice.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera en conséquence infirmé en ce qu'il a alloué à Mme [S] une indemnité à ce titre.

2. Sur le préjudice moral et financier

Mme [S] fait valoir qu'elle a accumulé les dettes et a été placée en procédure de surendettement en raison de la baisse significative de son revenu mensuel consécutive à son licenciement. A ce préjudice financier, s'ajoute, selon elle, un préjudice moral caractérisé par une rechute de son état psychologique, lequel avait justifié un arrêt de travail pour burn out pendant 8 mois en 2017.

La Fédération Française de Prêt à Porter Féminin répond que l'avis de recevabilité et d'orientation de la commission de surendettement des particuliers du département du Gars du 29 décembre 2020, soit deux ans après son licenciement, ne permet pas de démontrer la réalité d'un préjudice particulier et distinct imputable à l'employeur. Elle relève que la salariée ne justifie pas du plan définitif qui aurait été arrêté et souligne qu'elle exploitait, avant son licenciement, une boutique qui a été placée en liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif en 2019. Il ajoute que Mme [S] ne justifie pas d'une formation ou de recherches d'emploi.

La cour retient que la salariée ne démontre pas l'existence d'un préjudice distinct de celui qui a déjà été réparé au titre de la violation des critères d'ordre, ni le lien de causalité qui existerait entre son licenciement et la saisine en décembre 2020 de la commission de surendettement du Gard.

Par infirmation du jugement entrepris, Mme [S] sera déboutée de sa demande à ce titre.

3. Sur les autres demandes

La cour rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement et que la capitalisation est de droit conformément à l'article 1343-2 du code civil.

La Fédération Française du Prêt à Porter Féminin sera condamnée à verser à Mme [S] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et supportera les dépens d'appel.

La Fédération Française du Prêt à Porter Féminin sera, par voie de conséquence, déboutée de ses demandes à ces deux titres.

PAR CES MOTIFS

La cour,

 

CONFIRME le jugement en ce qu'il a :

- dit que le caractère économique du licenciement est établi

- dit que le licenciement est pourvu d'une cause réelle et sérieuse

- dit que la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin n'a pas respecté les critères d'ordre

- alloué à Mme [F] [S] la somme de 58 144,30 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect des critères d'ordre, ainsi que la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin aux dépens,

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DEBOUTE Mme [F] [S] de ses demandes au titre du non-respect de la priorité de réembauchage et du préjudice moral et financier,

RAPPELLE que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement et que la capitalisation est de droit conformément à l'article 1343-2 du code civil,

DEBOUTE la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin de ses demandes au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

CONDAMNE la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin à verser à Mme [S] la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la Fédération Française du Prêt à Porter Féminin aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 21/08071
Date de la décision : 27/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-27;21.08071 ?
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